[BONUS] L'incarnation du Nombre d'Or

*
***

Salut tout le monde !

Banale ! a dépassé les 1k votes depuis un petit moment, et je voulais vous en remercier chaleureusement ! 😍🥂Pour se faire, je vous ai donc préparé un chapitre-bonus ! 

Ce qui devait être un "petit" bonus s'est transformé en "gros" chapitre de plus de 6000 mots, j'espère cela dit que ça ne vous découragera pas. 😨 

L'histoire se déroule environ deux mois avant le début de Banale !, lors de la rentrée en septembre, et est racontée du pdv d'un personnage autre que Nathalie. Je ne vous dévoile pas immédiatement son identité, ce qui vous laisse quelques paragraphes pour tenter de deviner de qui il s'agit. 

Voilà, j'espère que ça vous plaira, bonne lecture ! 🤗 

*
***

— Bon, t'as bientôt fini avec la salle de bain ?

J'entends au son de sa voix que ma soeur aînée est contrariée, et les trois coups furieux frappés à la porte me confirment cette impression. Mais ça m'est égal. Elle peut pester autant qu'elle veut, je ne sortirai que lorsque mon chignon sera impeccable.

Poussant un soupir, j'aplatis une énième fois la mèche rebelle du sommet de mon crâne. Coiffer des cheveux crépus n'est pas une mince affaire, en particulier pour une personne perfectionniste telle que moi.

J'aime que les choses soient à leurs places. Je ne supporte pas les barbes mal taillées, les vêtements froissés, ou encore les objets qui ne sont pas correctement alignés. Aujourd'hui plus que jamais, je dois veiller à ce que ma tenue soit irréprochable : c'est ma première rentrée en tant que lycéenne.

Ignorant les vociférations de ma frangine de l'autre côté de la porte, je m'applique précautionneusement à attacher les boutons de mon chemisier avant d'en remettre en place le col claudine. Je veille ensuite à ce que ma jupe crayon soit bien symétrique en me repérant aux coutures se trouvant de chaque côté.

— Bon sang, t'es impossible, Tricia ! Tu sais que j'en ai pour cinq minutes à me préparer, alors que toi à cause de tes TOC ça te prend des années !

C'est sur cette dernière phrase que j'ouvre grand la porte, toisant mon aînée d'un regard dur.

— Je n'ai pas de TOC, j'objecte froidement. Contrairement à toi, le reste du monde ne se complaît pas à patauger dans le désordre et la crasse.

Ma soeur ne réplique pas ; elle se contente simplement de m'adresser un sourire mauvais, puis s'écarte afin de me laisser passer. Au moment où, la tête haute, je franchis le pas de la porte, je sens un poids s'abattre sur le sommet de mon crâne : elle vient de se saisir rageusement de mon chignon, tirant dessus telle une dératée.

— Qu'est-ce que tu fabriques ? j'hurle en mettant mes mains sur les siennes. Samantha, lâche-moi !

— On va voir qui est la crasseuse, ici !

M'entraînant avec force à l'intérieur de la salle de bain, je vois, horrifiée, son reflet se saisir du dentifrice et en déverser le contenu sur ma tête ainsi que sur mon chemisier. Mon magnifique chemisier au blanc éclatant !

— Arrête ! T'as perdu la tête !

Alertée par les cris, ma mère finit par arriver : après avoir salement crié sur ma sœur aînée, c'est à mon tour de recevoir un sermon, à base de "Pas de quoi te mettre dans des états pareils" et autres "Tu as plein de beaux vêtements", etc.

Je ne lui en veux pas de vouloir jouer les médiatrices : apaiser les tensions, c'est son rôle. Elle n'a, de toute manière, aucune idée du temps que j'ai passé à choisir ma tenue, ni même des heures d'essayage afin d'aboutir à ce résultat. Ma mère ignore à quel point ça compte pour moi de faire bonne impression.

Ma sœur, à l'inverse, a parfaitement conscience de ce que ça représente à mes yeux : en dépit de cela, elle a sciemment saboté mon travail.

— Sam a complètement gâché ma rentrée ! je m'écrie, sentant ma voix partir dans les aigus sur la dernière syllabe. Non seulement je pourrai pas porter les vêtements que j'avais prévus, mais je vais aussi être en retard ! On va direct penser que je suis une fille négligée.

— Arrête de stresser, t'as de la marge... Si ça peut te rassurer je te déposerai, comme ça tu seras à l'heure. Ça te va ?

Je pousse un long soupir d'exaspération. Non, ça ne me va pas... Au contraire, c'est de pire en pire ! Depuis qu'en primaire certains de mes camarades se sont moqués de la camionnette de mon père, je refuse de laisser mes parents m'emmener à l'école. C'est pourquoi, bien que ça rallonge mon trajet, je préfère prendre le bus.

Mes deux meilleures amies, Anaïs et Marina, voient en moi une enfant privilégiée ayant une grande maison, aux parents fortunés, et qui pratique le piano depuis l'âge de sept ans. Une toile de mensonges que j'ai tissée au fil de nos années collège, pour au final m'en trouver prise au piège.

Aujourd'hui, ce secret est d'autant plus menacé que je vais entrer au lycée-même où ma mère travaille en tant qu'agent de ménage. C'est pourquoi il m'apparaît particulièrement imprudent de m'y rendre en sa compagnie... Seulement c'est, d'un autre côté, mon unique chance d'arriver à l'heure, et c'est la raison qui me pousse à prendre ce risque.

J'inspecte mon reflet dans le miroir du pare-soleil. J'ai plus ou moins réussi à rattraper l'acte de vandalisme de ma soeur. Quelques mèches s'échappent de mon chignon, lequel est d'ailleurs légèrement tordu... J'ai également changé de vêtements, les autres étant tâchés de dentifrice. On est loin de l'effet auquel j'aspirais, seulement compte-tenu de la situation, je ne peux pas vraiment pinailler.

Après que j'aie prétexté vouloir marcher un peu afin de me dé-stresser, ma mère accepte sans broncher de me déposer au coin de la rue précédent mon lycée. Je me dépêche de sortir avant qu'on ne me voie en train de partager le véhicule miteux d'une des femmes de ménage.

Sauf que, dans ma précipitation, je fais tomber mon sac dont le contenu se déverse sur le trottoir. Maudissant ce qui, visiblement, ressemble au pire jour de mon existence, je me baisse et me mets à ramasser mes effets. Je sens alors un léger poids se planter au sommet de mon chignon, suivi d'une voix masculine s'exclamant :

— Oh, putain, le con !

Craignant le pire, j'amène lentement ma main à la hauteur du projectile non identifié, sentant sous mes doigts une matière caoutchouteuse et collante qui me rappelle la texture d'un...

— Chewing... gum ? je souffle.

Furieuse, je me relève et fais volte-face, ouvrant déjà la bouche afin d'incendier le crétin fini qui a osé confondre mon crâne avec une poubelle... Puis suis arrêtée dans mon élan. La perfection des traits du crétin en question m'empêche de formuler le moindre reproche à son encontre. Je n'ai jamais vu un mec aussi canon de ma vie ! On croirait presque un chanteur célèbre ou une star de cinéma... Sauf qu'il est là, bien réel, en chair et en os, face à moi.

L'arrête de son nez est tellement droite qu'on le croirait sorti d'un moule à mannequin. Son visage impeccablement symétrique me procure un inexplicable sentiment de satisfaction. Ses yeux clairs ressortent merveilleusement grâce à ses cheveux bruns, sans parler de sa mâchoire carrée qui lui donne un air viril et mature.

Ni sa barbe de trois jours, ni ses piercings à la lèvre ainsi qu'à l'arcade ne me dérangent : j'ai beau détester ça d'habitude, il se trouve qu'à lui, ça va comme un gant ! Bref, ce type pourrait être l'incarnation du Nombre d'Or que ça ne me surprendrait même pas.

— Ahem..., fait-il en se raclant la gorge, mal à l'aise. Je suis vraiment, vraiment désolé...

— Non mais ça va pas la tête ? je m'écrie en revenant à moi, poings sur les hanches. Est-ce que je ressemble à une poubelle ?

— Je te visais pas, je t'assure. C'est juste, euh... Un mauvais timing.

Il m'adresse un sourire si éclatant que je m'en retrouve complètement désarmée. Laissant retomber mes bras le long de mon corps, je ne peux rien faire d'autre que de souffler un :

— C'est pas grave...

— Je vais t'aider à l'enlever, si tu veux.

Il me guide jusqu'au banc se trouvant à quelques pas de nous, où il me demande de défaire mon chignon. En temps normal, je ne laisse personne me voir les cheveux lâchés, car je déteste leur masse informe ainsi qu'imposante. Cela dit, là, je n'hésite pas une seconde avant de m'exécuter. Je frissonne en sentant ses doigts se saisir doucement de la mèche impactée.

— T'es en seconde ? C'est ton premier jour ? me demande-t-il en essayant d'enlever le chewing-gum.

— Ça se voit tant que ça ?

— T'es sapée comme quelqu'un qui cherche à conquérir l'univers, donc oui, ça se voit.

— Je suis pas si bien habillée que ça..., je proteste en faisant la moue.

— Mieux que la plupart des gens que je connais, si tu veux mon avis. Bon, désolé, ce chewing-gum kiffe tes cheveux visiblement. Va falloir couper la mèche.

— Okay.

— Quoi, c'est tout ce que ça te fait ? En principe les meufs hurlent quand on s'en prend à leurs cheveux...

— C'est sexiste, ce genre de commentaire, je dis en fronçant les sourcils. Mais j'avoue que je crie intérieurement, là, en vérité.

— Je vais tenter de faire ça proprement, promis.

Il sort un paire de ciseaux de son sac puis s'exécute avec beaucoup de délicatesse.

— Merci..., je souffle. Euh... ?

— Morgan, répond-il à ma question muette. Et de rien, c'est normal, c'est moi qui l'avais mis là, après tout.

Je touche mes cheveux à la recherche de la mèche écourtée. Me voyant tâtonner à l'aveuglette, il la dépose doucement au creux de ma paume. Je frissonne en sentant sa main toucher la mienne.

— Bon, voilà ! fait-il en se relevant. J'ai réparé ma connerie. Bonne rentrée, mademoiselle Perfection.

— Tricia. Je m'appelle Tricia.

— Bon courage alors, Tricia. Encore désolé pour ce... malheureux incident.

— C'est pas grave...

Tandis que je le regarde s'éloigner de sa démarche assurée, je sens d'étranges picotements au niveau de mon bas-ventre. Une sensation que je n'avais jusque-là ressenti qu'à l'égard de cet imbécile d'Adam Devos, à l'époque du collège.

— Au revoir, Nombre d'Or..., je chuchote pour moi-même.

Le contretemps avec Morgan, bien qu'agréable, a l'inconvénient de me faire arriver en retard en classe. Le prof, un certain M. Lejeune qui, paradoxalement, doit être proche de la retraite, ne montre pas une once d'indulgence en ce premier jour : j'ai droit à un sermon en bonne et dûe forme. Mon entrée plus que remarquée, cumulée à mes cheveux lâchés, font jaser mes deux copines lors de la pause déjeuner.

— C'est la première fois que t'es retard ! s'exclame Marina.

— J'avoue, qu'est-ce qu'il t'est arrivé, ce matin ? Les pneus de ton carrosse ont crevé ? enchérit Anaïs.

— Absolument pas. Les filles, ce matin... J'ai rencontré l'incarnation du Nombre d'Or.

— L'incarnation de quoi ? me répondent-elles, la bouche en coeur.

— Le Nombre d'Or, ou la proportion divine que l'on retrouve dans énormément de peintures et d'oeuvres architecturales. C'est un principe esthétique qui...

Je comprends à leurs regards que je les ai complètement perdues, cette fois-ci. Moi qui croyais avoir fait en sorte de choisir des filles relativement intelligentes en guise d'amies...

— Bref, j'ai rencontré un beau gosse, quoi.

De vides et bovins, leurs yeux s'illuminent aussitôt.

— Han ! s'exclament-elles.

Elles se mettent ensuite à m'ensevelir de questions jusqu'à ce que j'accepte de leur raconter en détail mon étrange matinée.

— Ça alors ! On croirait presque le début d'un téléfilm de l'après-midi sur M6, fait remarquer Anaïs, l'air songeuse.

— Manquerait plus que t'apprennes qu'il est lycéen ici..., soupire Marina.

J'ai beau me dire qu'une telle coïncidence serait vraiment fortuite, ce doute s'avère finalement confirmé la semaine suivante lorsque, complètement par hasard, nous le croisons en nous rendant au foyer des lycéens. Seul et perdu dans ses pensées, celui-ci se trouve nonchalamment allongé sur l'un des canapés de la pièce encore déserte.

Mes amies comprennent immédiatement de qui il s'agit quand elles me voient me figer sur place, yeux écarquillés. Impatiente à l'idée de pouvoir admirer ses traits si parfaitement symétriques, je me dirige vers lui sans hésiter.

— Salut, Morgan.

Il se relève lentement en m'entendant.

— Euh... Salut. On se connaît ? me demande-t-il en m'inspectant de haut en bas.

Il se gratte nerveusement le crâne puis ajoute :

— Si on a couché ensemble, je m'en souviens pas et j'ai pas envie de recommencer. Oui, je sais, je suis un connard. T'as le droit de me gifler si ça t'aide à te sentir mieux.

J'entends mes amies pouffer et vire rouge pivoine sous la honte. Seulement il en faut davantage pour que je me démonte.

— On a pas couché ensemble ! je proteste vivement. Je suis Tricia. Mademoiselle Perfection.

Etant donné qu'il ne me remet toujours pas, j'insiste en baissant la voix :

— La fille du chewing-gum...

— Ah ! Oui ! s'écrie-t-il. Ma victime ! Comment ça va ? T'es pas arrivée à la bourre au moins ?

— Eh bien si, elle était en retard ! M. Lejeune l'a salement engueulée, intervient Marina.

— Ah, merde, je savais pas que t'avais Lejeune. Désolé.

Il n'a pas l'air le moins du monde d'être désolé, mais ça me suffit.

— Du coup, vous êtes toutes en seconde, c'est ça ? Alors, vos impressions sur ce lycée ?

Sans que nous n'ayons le temps de répondre, la porte s'ouvre brutalement sur ce qui ressemble à une tornade de cheveux noirs, de rouge à lèvres et de jambes interminables.

— Morgan !

Nous voyons cette tempête s'asseoir — ou plutôt sauter ? — sur ses jambes avant de l'embrasser. J'ai une étrange sensation de vertige en contemplant, horrifiée, leurs lèvres s'entremêler.

— Je m'absente deux minutes et je te retrouve en train de draguer des secondes ? s'exclame la grande brune à la fin de ce long, très long, trop long baiser.

— Quoi ? Absolument pas ! On discutait juste.

— Mouais, répond-elle avec une moue désapprobatrice.

Se tournant vers nous, elle ajoute sèchement après nous avoir lancé un regard noir :

— Bon, bah il a fini de vous parler, là. Alors dégagez.

— Miléna ! proteste-t-il. T'abuse...

Tandis que mes amies font déjà mine de s'en aller, je refuse de céder face à une peste pareille :

— Le foyer est réservé aux secondes le mardi, j'objecte. Donc c'est plutôt à vous de partir.

Les traits de mon interlocutrice se durcissent davantage. Elle se relève lentement, me toisant de toute sa hauteur, bras croisés.

— Léna..., commence Morgan.

Sauf qu'elle l'ignore totalement. Je remarque à ce moment-là qu'elle doit faire une tête de plus que moi... Cela dit, ça ne suffit pas à m'intimider.

— Tu vas te casser d'ici avant que je m'énerve réellement, dit-elle entre ses dents.

Puis, se penchant vers moi, elle susurre d'une voix anormalement douce :

— Et si tu t'approches encore de mon mec, ça va très mal se passer. Je t'aurais prévenue.

J'ai bien envie de répliquer, mais Marina se saisit de mon épaule et s'exclame :

— C'est bon, on s'en va ! On a du travail de toute manière, pas vrai, Tricia ?

— Oui, enchérit Anaïs, faut qu'on bosse sur ta candidature de déléguée. Viens !

Je serre les poings mais décide d'être raisonnable en suivant mes amies jusqu'à la sortie. Je jette un dernier regard à la dénommée Miléna, me faisant la réflexion qu'une fille aussi vulgaire ne mérite certainement pas de sortir avec le Nombre d'Or, et que je dois faire mon possible pour les séparer.

Durant les semaines qui suivent, mon admiration à l'égard de Morgan ne cesse de grandir, au point que j'ai du mal à me concentrer sur autre chose. Les remarques sarcastiques que me balance Adam ne me font rien ; je ne frissonne plus d'excitation à l'idée de résoudre un problème mathématique ; je remarque à peine qu'une certaine Sarah s'est rajoutée à notre trio légendaire ; et j'ai perdu mon intérêt pour l'élection des délégués.

Je pense sans cesse à mon Nombre d'Or adoré, cherchant absolument à l'apercevoir. En plus du traditionnel stalking numérique via Facebook, je suis également parvenue à me procurer une copie de son emploi du temps, de manière à me trouver dans les parages lorsqu'il sort de classe. Je prends un soin tout particulier à ce que l'on se croise au moins une fois par jour afin qu'il ne m'oublie pas.

— La semaine prochaine aura lieu l'élection des délégués, déclare M. Lejeune, notre professeur principal, en début d'heure. Y a-t-il parmi vous des volontaires ?

Je regarde distraitement le visage des élèves ayant levé la main : Antoine, évidemment, de même que Grégory, ce crétin de Karim, et enfin Mattéo. De tous les candidats, seul ce dernier ferait, à mes yeux, un bon délégué. Il a la particularité d'être toujours sympathique avec tout le monde. Je ne crois pas qu'il existe une personne ne l'appréciant pas, donc son élection m'apparait comme une évidence.

En revanche, je suis affligée devant le manque d'ambition des autres filles de ma classe. Sérieusement, si je ne lève pas la main, il n'y en a aucune qui souhaite devenir déléguée ? Ma parole, quand je vois ça, je me dis qu'il y a encore beaucoup à faire niveau féminisme.

Comment voulez-vous que les femmes gravissent les échelons de la société quand, dès le lycée, elles sont démotivées ? C'est la raison qui me pousse, après un long soupir d'exaspération et en dépit de mon manque d'intérêt à l'égard de ce poste ces derniers jours, à lever la main à mon tour.

— Ah, enfin, une fille ! s'exclame M. Lejeune en m'apercevant. Aucune autre ? Allez, il faut un peu de concurrence !

A force de l'entendre insister, cela finit par motiver Aya qui se porte également volontaire. Marina me pousse immédiatement du coude en voyant ça.

— Ah, voilà ta rivale ! me chuchote-t-elle, frétillant d'excitation. Enfin, ça reste trop facile... Ce garçon manqué a zéro chance face à toi !

D'habitude, une telle situation titillerait mon esprit de compétition, et j'aurais déjà commencé à fomenter mille plans visant à annihiler mon ennemie ; sauf qu'aujourd'hui, mon esprit est bien trop pollué par Morgan, à tel point que cela ne me fait absolument rien. C'est pourquoi j'hausse simplement les épaules, puis détourne la tête afin de regarder par la fenêtre.

D'après son emploi du temps, il est supposé avoir EPS, j'ai donc bon espoir de l'apercevoir s'échauffer dans la cour. Ajoutons que les températures sont encore particulièrement élevées en cette dernière semaine de septembre : j'ai, de ce fait, une chance de le voir ôter son t-shirt et de pouvoir baver devant ses magnifiques pectoraux...

— Hé ! Psst ! Tricia, tu m'écoutes ?

— Hmm ?

— Bon sang, qu'est-ce qu'il t'arrive, ces jours-ci ? s'énerve Marina, fronçant les sourcils face à ma réaction. Je te reconnais plus ! J'ai l'impression que t'en as rien à faire, de ces élections, alors que tu nous en parles depuis que tu les as perdues l'année dernière ! Tu dis toujours que devenir déléguée était une étape importante de ta future carrière en politi-

— Oh, bon sang, Marina, grandis un peu ! je la coupe. Qu'est-ce qu'on en a à faire d'une minable élection de délégués d'un lycée de seconde zone ? Si je gagne, tant mieux, sinon, tant pis. J'ai des préoccupations hautement plus importantes actuellement...

Je tourne à nouveau la tête et un sourire de satisfaction se dessine sur mes lèvres lorsque je l'aperçois : le Nombre d'Or aux fesses parfaitement moulées par son survêtement, en train de faire des tours de terrain. Après avoir suivi mon regard, ma voisine de table comprend aussitôt ce que je mate.

— Oh, d'accord... Ces fameuses préoccupations, ce serait pas Morgan Hawkins ? Sérieusement, faut que tu te calmes, Triss. Si je te connaissais pas, j'aurais tendance à croire que tu perds la boule. C'est vrai, quoi, t'es flippante à le suivre partout et à l'épier à la moindre occasion.

— Je l'aurai, Marina. Très bientôt, ce sera moi qui paraderai à son bras. Je vaux mieux que Delval la pétasse.

Et pour cause : j'ai entamé, ces dernières semaines, une campagne de décrédibilisation, m'amusant à lancer des rumeurs ici et là sur les mauvais agissements de Miléna, l'accusant à un moment d'avoir fricoté avec tel professeur, ou encore d'avoir fait une fellation à un type autre que son petit-ami dans les toilettes du lycée, ou encore d'avoir frappé une élève de seconde qui aurait dragué son mec (ce qui, quand j'y repense, aurait très bien pu arriver, au vu de son attitude agressive envers moi lors de notre rencontre au foyer)...

Étant donné son passé de fille à problèmes, les autres n'ont eu aucun mal à croire à ces mensonges, d'ailleurs il me semble avoir vu le couple se disputer à plusieurs reprises. Honnêtement, j'ignorais qu'il était si aisé de pourrir la réputation de quelqu'un ! Bon, je l'admets, la sienne était déjà assez mauvaise avant même que je m'y attaque, faisant d'elle une cible facile... Je suis donc à la fois satisfaite d'avoir réussi et un peu effrayée devant la crédulité de mes congénères.

Enfin, le seul intérêt de ces manigances, c'est l'étape ultime, à savoir ma déclaration, que j'ai fixée à aujourd'hui. J'ai en effet cherché l'adresse de Morgan sur Internet, puis passé la soirée à localiser son immeuble sur Google Maps, et ai prévu de m'y rendre en fin de journée afin de lui confesser mes sentiments. Comment pourrait-il me repousser ? Nos destins sont forcément liés, c'est une évidence ! Sinon comment expliquer notre rencontre si atypique ?

C'est pourquoi, contre l'avis de mes amies, je le prends en filature le soir venu, à la sortie du lycée. J'inspire grandement une fois arrivée devant son immeuble afin de me donner du courage, puis finis par sonner au nom de "Hawkins". Une voix de femme, probablement sa mère, répond à l'interphone.

Je prétexte être une camarade de classe souhaitant lui demander quelque chose en rapport avec les cours afin qu'elle m'autorise à monter. Malgré ce mensonge, je suis accueillie par un porte tout juste entrouverte ; ne laissant apercevoir qu'un oeil, sa mère n'a même pas pris la peine d'enlever la chaînette de sécurité.

— Bonjour, Madame Haw-

— Tu m'as l'air jeune pour une Terminale, m'interrompt-elle.

— J'ai sauté plusieurs classes, je mens du tac au tac. Est-ce que je peux voir Morgan, s'il vous plaît ?

— Comment t'as dit que tu t'appelais, déjà ?

En à peine une fraction de seconde, le prénom d'une de ses camarades me revient en mémoire — car oui, j'ai également appris par coeur la liste des élèves de sa classe.

— Erika.

Elle referme la porte sans rien ajouter et je me fais la réflexion que sa mère n'est visiblement pas un modèle d'amabilité. Morgan finit par arriver quelques minutes après, haussant les sourcils en me voyant.

— Salut, Morgan ! je lui dis avec mon sourire le plus charmeur.

— C'est bien Erika, alors ? lui demande sa mère, au loin.

— Ouais, ment-il. C'est elle. Je reviens.

Le Nombre d'Or referme la porte d'entrée derrière lui puis me toise en croisant les bras.

— Encore toi... Tu sais où j'habite ? Tu m'as suivi, ou bien ?

— Plus ou moins..., j'admets en hochant la tête. J'espère que ça ne te dérange pas... Je voulais te parler d'un truc important.

— Eh bah... T'es plutôt du genre entêtée. Enfin, maintenant que t'es là, je t'écoute. Qu'est-ce que tu veux me dire ?

— Tu ne peux pas rester avec Miléna, j'affirme d'un ton ferme.

Morgan décroise les bras, les yeux écarquillés de surprise.

— Pardon ?

— Cette fille n'est pas à la hauteur de ta perfection.

Sans que je comprenne pourquoi, ma remarque déclenche son hilarité. Je sens mon corps se raidir tandis que je demande :

— Je peux savoir pourquoi tu te marres ? Je suis très sérieuse !

Seulement mes protestations n'ont aucun effet... Je me retrouve donc à attendre, poings sur les hanches, qu'il cesse de se moquer de moi.

— Décidément, me dit-il une fois calmé, t'es vraiment pas comme tout le monde, tu le sais ?

— Je prends ça pour un compliment, je réponds en relevant fièrement la tête.

— Alors, votre majesté, expliquez-moi en quoi Miléna n'est pas digne de mon humble personne ?

Je me racle la gorge avant d'énumérer les nombreux défauts de sa copine : d'abord sa vulgarité, ensuite sa tendance à toujours brailler et à se mettre en colère facilement, sans parler de son manque flagrant d'élégance ou de délicatesse ! J'enchaine ensuite sur les rumeurs qui courent à propos d'elle :

— Surtout, il paraît qu'elle t'a trompé avec un gars de sa classe, un certain Camille...

— Je t'arrête immédiatement. Je suis d'accord sur tous ses défauts... Mais cette histoire à propos d'elle et Camille, c'est des conneries.

— T'en es sûr ? je dis ton d'un suspicieux. Quand même, ils sont vachement proches, tous les deux...

— Evidemment qu'ils sont proches, ils se connaissent depuis la petite enfance ! Si quelque chose avait dû se passer entre eux, ce serait arrivé il y a longtemps. Je sais pas qui a lancé cette rumeur stupide, probablement une des nombreuses meufs jalouses qui me tournent autour...

Je déglutis, blême malgré moi en l'entendant dire ça.

— Ecoute, reprend-il. C'est, euh, gentil de t'inquiéter, mais... Je sais que Miléna a pas mal de défauts, seulement c'est aussi à cause de ces défauts que je l'aime, en fait. C'est ma première vraie copine alors je tiens à elle.

— Mais...

— Laisse-moi finir. Contrairement à ce que tu sembles penser, je suis loin d'être parfait. Moi aussi, j'ai des défauts, un sacré paquet, même. C'est la vie, personne fait exception ! Au moment où on tombe amoureux de quelqu'un, on l'accepte tel qu'il est, on prend le bon comme le mauvais. Tu comprendras à ton tour, quand ça t'arrivera...

— C'est déjà le cas ! Je, je... C'est ce que je ressens pour toi. Je t'aime, Morgan. Je veux qu'on soit ensemble.

Voilà, je l'ai dit. Ce n'est pas si compliqué, finalement. Pourquoi en font-ils toujours toute une histoire, dans les livres ou les films ? Trois petits mots ridicules et pourtant si importants aux yeux du monde...

Cela dit, ils n'ont pas l'effet escompté. Au lieu de l'attendrir, ils semblent le refroidir complètement. Il a beau ne pas avoir bougé d'un pouce, j'ai pourtant l'impression de le voir s'éloigner de moi. Jusqu'ici chaleureux, ses traits se durcissent, et c'est un air complètement fermé qu'il adopte lorsqu'il reprend la parole :

— Eh bien c'est pas mon cas. Pourquoi je tomberai amoureux d'une gamine de seconde que je connais à peine ?

Ses mots sont tranchants, cinglants, acerbes, telles des lames acérées poignardant mon coeur à chaque seconde. J'ignorais que mon Nombre d'Or chéri pouvait être si rude. Je resserre les poings mais refoule les larmes souhaitant percer à mes yeux. Aveugle à ma souffrance, Morgan finit de m'achever, impitoyable :

— Je vais te demander de partir, maintenant. Et de me lâcher définitivement.

— Pourtant, je suis sûre qu'on est faits l'un...

Sans attendre que je finisse ma phrase, il s'engouffre dans son appartement avant de refermer rageusement derrière lui.

— ... pour l'autre.

Sauf que seul l'écho du bruit de la porte claquée répond à mes paroles.

Malgré cette entrevue particulièrement décourageante, je refuse d'abandonner. Mes parents me taquinent souvent en disant que si j'étais un chien, je serais un bulldog tant je ne lâche rien, et c'est exactement ce en quoi je me transforme durant les jours qui suivent.

Plus déterminée que jamais, je ne lâche pas Morgan d'une semelle, ne manquant pas une occasion de dire du mal de Miléna ou de colporter des ragots à son sujet. Mes amies ne tardent pas à me reprocher mon attitude durant un de nos rendez-vous au CDI dédié à l'organisation de ma campagne électorale.

— Sérieusement, Tricia, tu nous inquiètes de plus en plus, m'avertit Anaïs. T'es tellement distraite, ces derniers temps, que t'as même pas réagi quand Adam Devos a eu une meilleure note que toi en SES ! En SES ! En temps normal, t'aurais pété un câble d'être battue par ce minable !

— C'est vrai ! enchérit Marina. Il y a aussi le jour où on a croisé Karim et ses potes en train de fumer de l'herbe...

— Oui ! T'as pas voulu qu'on aille les dénoncer ! Sérieusement, y'a un truc qui cloche, Triss, chez toi.

Malgré leurs avertissements, je ne parviens pas à me détourner de mon objectif. Dire que mon coup de coeur à l'égard de Morgan a viré à l'obsession serait probablement un euphémisme. Avec le recul, je me dis que j'aurais certainement dû faire preuve de prudence. Ecouter mes amies. Oublier le Nombre d'Or et revenir à mes préoccupations habituelles. Si j'avais été raisonnable, alors la catastrophe qui va suivre ne se serait peut-être pas produite.

Car dès mon arrivée au lycée, le lendemain, Miléna me tombe dessus telle une lionne fondant sur sa proie. Il se trouve que son petit-ami a fini par lui parler de ma visite chez lui, à son appartement, ainsi que de ma déclaration. A peine ai-je mis un pied à l'intérieur du bâtiment B que le grande brune fonce droit sur moi ; sans que j'aie le temps d'émettre la moindre protestation, elle m'entraîne dans un coin à l'abri des regards où elle me pousse brutalement contre le mur.

— Toi et moi, faut qu'on parle ! tonne-t-elle en me toisant de ses yeux noirs. Tu vas arrêter immédiatement de tourner autour de mon mec, t'entends ? Sinon...

— Sinon quoi ? je rétorque, nullement impressionnée. Qu'est-ce que tu comptes faire ? Me frapper ? T'as pas déjà assez d'ennuis à ton goût ? Tu tiens vraiment à être virée du lycée ?

— Je risque rien si ça se produit en dehors de l'établissement, murmure-t-elle, un sourire mauvais sur les lèvres.

— Tu le feras pas, j'affirme fermement.

Miléna croise les bras puis se redresse légèrement en m'entendant dire ça.

— Ah ouais ? Et comment tu peux en être si sûre ?

— Tu fais de la boxe, n'est-ce pas ? Tu peux pas t'en servir pour agresser les gens ou ta licence serait suspendue...

Elle se rapproche d'un pas, se penche vers moi avant de dire à voix basse :

— Tu crois que ça me fait peur ? Si j'ai été patiente jusque-là, c'est parce que Morgan me l'a demandé... Mais tu ferais mieux de pas trop me provoquer.

Sans crier gare, je la vois lever le poing à hauteur de mon visage, prête à me frapper. La panique s'empare de moi pendant un instant, et je me demande si je n'ai pas été un peu trop téméraire de lui tenir tête, car après tout, cette fille est aussi imprévisible qu'une bête sauvage. Je ferme les yeux, faisant déjà le deuil de mon nez parfait... Puis sens son coup frôler de près mon oreille ; je constate qu'elle a finalement choisi de cogner le mur, juste à côté de moi.

— Voilà mon dernier avertissement. La prochaine fois, c'est ta tronche que je vise.

Soudain, le bruit de talons tapotant le sol à toute vitesse se rapproche jusqu'à ce que deux filles surgissent devant nous. La première a les cheveux aussi blonds et bouclés que la seconde les a châtains et lisses. Je reconnais Catherine Jones ainsi que Marjorie Rivière, les deux meilleures amies de Delval la pétasse.

— Mimi ! s'exclame la blonde avant de l'attraper par les épaules. Qu'est-ce que tu fabriques ? Tu vas encore t'attirer des ennuis !

— M'appelle pas comme ça ! lui répond sa copine en la repoussant.

Fronçant les sourcils, Catherine met ses poings sur ses hanches.

— Miléna Odette Delval ! s'écrie-t-elle d'un ton autoritaire. J'exige que tu te calmes immédiatement et que tu viennes avec moi !

Les deux se mettent à se disputer houleusement devant moi, à tel point que j'ai presque l'impression d'avoir été complètement oubliée. Je tourne la tête, réalisant que la troisième fille, elle, me dévisage fixement de ses yeux verts. Le poids de son regard, souligné par sa frange impeccablement droite, fait naître un frisson le long de mon échine.

J'admets avoir eu peur lorsque Miléna a failli me frapper, seulement là, l'effroi que je ressens est bien différent... Une angoisse glacée se saisit de chacun de mes membres, semblant pénétrer mes veines et me pétrifier sur place. J'ai soudain l'étrange impression de me tenir face à un serpent venimeux prêt à mordre.

— Détourne pas le regard, petite conne !

Le cri de Miléna me ramène à moi.

— Je te jure que si tu t'approches encore de mon mec...

— Mimi, ça suffit ! s'énerve Catherine. Je pense qu'elle a compris. Partons, maintenant.

La brune se laisse entraîner par son amie après m'avoir lancé un dernier regard. Seule la fille aux yeux de serpent ne bouge pas d'un pouce.

— Marjorie ? l'appelle la blonde. Tu viens ?

— Je vous rejoins. Partez devant.

Je vois Catherine ouvrir la bouche pour dire quelque chose, puis elle semble se raviser et tourne les talons, s'éloignant en compagnie de sa copine. Une fois qu'elles ont disparu de notre champ de vision, Marjorie se rapproche de moi puis me demande, un sourire mauvais aux lèvres :

— Eh bien, tu fais moins la maligne, on dirait ? Je t'intimide ?

C'est la première fois de ma vie que ma bouche est sèche au point que je ne parvienne pas à articuler le moindre mot.

— T'as raison d'avoir peur, me susurre la vipère en caressant ses cheveux. Miléna crie pas mal, mais c'est surtout une grande-gueule ; beaucoup de choses dans les biceps, et un peu moins dans la cervelle. Elle a le sang-chaud, elle réagit au quart de tour, elle peut piquer des crises assez impressionnantes... Malgré tout, elle a bon fond, et tu le sais. C'est pour ça que tu ne la crains pas. Pas vraiment. Je me trompe, Tracy ?

— C'est Tricia..., je souffle.

Marjorie ignore royalement ma réponse.

— Mais moi, c'est différent, enchaîne-t-elle. Tu sais que je ne suis pas comme cette brave Miléna... Tu sais qu'on est pareilles, toi et moi. On a quelque chose enfoui au fond de nous... Quelque chose de pourri. On n'hésite pas à libérer la garce qui sommeille en nous pour parvenir à nos fins. Pas vrai ?

J'avale ma salive, conservant le silence.

— Je te connais mieux que tu ne le penses. Et c'est pourquoi j'ai mené ma petite enquête sur toi... Vois-tu, on a tous une face cachée. Moi-même, j'en ai une ; Miléna, aussi... Même mon demi-frère, que tout le monde pense irréprochable, a ses propres cachotteries... Et toi aussi, la Miss-Je-Sais-Tout qui pète plus haut que son cul en se prétendant parfaite, tu as un vilain, très vilain petit secret. Or je t'ai percée à jour.

En disant cela, elle sort son smartphone de sa poche, tapote rapidement quelque chose dessus, puis me le tend. J'écarquille les yeux, horrifiée, tandis qu'elle fait défiler, un sourire satisfait aux lèvres, des photos de ce que, depuis le début de ma scolarité, je me suis efforcée de dissimuler aux yeux des autres.

Des photos de mon monde. De ma vie. De ma vraie vie. Non pas la vie inventée que j'aime raconter à Marina et Anaïs, mais la réalité. Le jumpy de mon père ; l'immeuble miteux où nous habitons ; ma soeur dans son uniforme au guichet de McDo ; surtout, comble de l'horreur, une photo de ma mère portant sa tenue d'agent de ménage, ici-même, au lycée...

— Ça fait combien de temps que tu prétends à tes copines que t'es riche ? Trois ans ? Quatre ans ? A ton avis, votre amitié survivra à un tel mensonge ? Et que diront tes parents de tous les mythos que tu racontes à longueur de journée ? Est-ce qu'ils savent à quel point leur fille chérie a honte d'eux ?

J'avale ma salive. Sentant un mélange de panique et de colère m'envahir, je me saisis rageusement du téléphone de Marjorie et me mets à supprimer les photos une par une. Prisonnière de mon angoisse, je ne trouve même pas étrange que cette dernière me laisse faire, se contentant de me dévisager d'une manière anormalement calme.

— Tu vois, le problème des filles intelligentes telles que toi, c'est que t'es trop habituée à être la plus maline, du coup t'en viens à sous-estimer les autres. Tu crois réellement que je t'aurais montré ces photos sans les avoir copiées sur mon ordinateur au préalable ? Je me sens limite insultée, là...

La vipère récupère son téléphone, puis commence à s'éloigner en disant :

— Profite bien de ta journée en compagnie de tes copines. C'est probablement la dernière fois qu'elles daigneront t'adresser la parole !

— Attend ! je la retiens, détestant mon intonation suppliante. S'il te plaît, je... Je... J'arrêterai ! C'est promis ! Je vais lâcher Morgan et Miléna... Ne diffuse pas ces photos, par pitié !

Marjorie s'immobilise ; faisant volte-face, elle se dirige vers moi d'un pas assuré avant de me repousser contre le mur.

— Pas seulement eux, rétorque-t-elle. Tu vas lâcher tout le monde, t'entends ? Si j'apprends que tu t'en prends encore à une seule personne que j'apprécie... Alors crois-moi bien, la vérité éclatera et ta vie sera complètement détruite. Est-ce que j'ai été claire ?

— Très... claire...

Abandonnant son air menaçant, elle m'adresse à présent un large sourire hypocrite.

— Parfait ! J'étais sûre qu'on se comprendrait !

S'éloignant réellement cette fois-ci, elle me lance un dernier :

— Bonne continuation, Tracy ! Je t'ai à l'oeil !

— C'est... Tricia..., je rétorque faiblement, mais seul un couloir désespérément vide entend mes paroles.

Mes amies sont particulièrement angoissées lorsqu'elles m'accueillent devant la salle de classe. Encore chamboulée par mon entrevue avec Marjorie, j'ai du mal à dissimuler les tremblements de mes mains.

— Triss ! s'exclame Marina. On a appris ce qui était arrivé !

— Co... Comment ? Vous avez su... ?

— Oui, on sait que Delval la pétasse s'en est pris à toi ! ajoute Anaïs. Tu vas bien ?

Elles croient que c'est Miléna qui m'a mise dans cet état ?

Malgré moi, l'absurdité d'une telle pensée déclenche un rire nerveux, limite hystérique, ce qui les inquiète encore davantage. Cette fois-ci, j'ai vraiment été trop loin ; je croyais m'attaquer à une cible facile... J'ignorais qu'elle avait, parmi son entourage, une garce aussi redoutable que moi. Dire que la vérité a failli éclater... Je regarde mes deux amies et pousse un long soupir de soulagement.

— Anaïs, Marina...

Apercevant le visage d'une troisième fille à qui je n'avais pas encore fait attention, je m'arrête dans mon élan, interloquée.

— C'est Sarah, intervient Marina en comprenant mon trouble.

Elle ajoute à l'attention de la concernée :

— Le prend pas mal, elle a l'air un peu hébétée.

— Oui..., je reprends. Les filles, je voulais vous dire... Que j'étais désolée. Sincèrement. Vous aviez raison sur toute la ligne. Je sais pas ce qui m'a pris ces dernières semaines... Mais il est clair que je me suis perdue...

— Ça, c'est le moins qu'on puisse dire ! approuve Anaïs.

Comment moi, Tricia Omani, ai-je pu laisser un simple mec me détourner de mes objectifs ? Un mec particulièrement sexy et parfait, certes... Cela dit, ça reste un vulgaire être humain. Il n'est rien en comparaison de mon souhait le plus cher, à savoir être la première femme noire élue présidente de la nation française !

— Je vous promets que c'est terminé. Je suis redevenue moi-même.

— Ravie de l'entendre ! répond Marina avec un large sourire. Du coup quel est le plan, maintenant, Triss ?

— C'est pourtant très simple, j'affirme après m'être raclé la gorge, reprenant de plus en plus contenance. Dans un premier temps, dénoncer cet imbécile de Karim et sa bande qui fume une drogue illicite à l'intérieur du lycée. Franchement, ils se prennent pour qui, ces junkies ?

— Bien dit ! confirment-elles en acquiesçant fièrement.

— Ensuite, remonter ma moyenne qui en a pris un sacré coup. Je me suis laissée dépasser par Adam ! C'est honteux !

— Tout-à-fait !

— Enfin, le plus important...

Les trois autres me dévisagent fixement, mes deux meilleures amies frétillant presque d'impatience. Au fond de moi, je sens mon esprit de compétition se réveiller, et c'est avec un sourire en coin ainsi qu'un air déterminé que je prononce cette ultime phrase :

— Gagner l'élection des délégués, bien entendu ! 



---------

C'est la fin de ce bonus, j'espère que ça vous a plu d'être dans la tête de Tricia ! 😁 Une idée que m'avait soufflée cindycalande il y a quelques mois, et que je suis contente d'avoir menée à son terme.

Comme d'habitude, j'ai écrit ce chapitre en m'inspirant d'une musique que vous connaissez probablement : Avril Lavigne — Girlfriend, dont j'étais fane quand j'étais ado ! 😳

https://youtu.be/Bg59q4puhmg

N'hésitez pas à me dire si vous appréciez ce genre de "petit" bonus ! héhé 😁 Je vous fais des bisous, et on se retrouve jeudi pour la suite de "Banale !"  😘 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top