79. M. Courageux
— Ah ! Bon sang de bois !
J'amène machinalement la main à mon oreille droite qui, sans raison apparente, s'est soudain mise à bourdonner de manière particulièrement aiguë. Je vois Aurore froncer les sourcils dans l'écran de mon smartphone.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? s'étonne-t-elle.
— Je sais pas, j'ai l'oreille qui arrête pas de siffler, ce soir !
— La droite ou la gauche ?
J'amène mon index à ma bouche pour l'humidifier avant d'en insérer l'extrémité à l'intérieur de mon conduit auditif en répondant distraitement :
— La droite, pourquoi ?
Sentant le sifflement s'atténuer, je m'adosse contre ma tête de lit en poussant un soupir de soulagement. Lorsque je baisse à nouveau les yeux vers mon smartphone situé dans le creux de mes jambes ramenées en tailleur, c'est pour voir Aurore secouer la tête d'un air désapprobateur.
— Hum, c'est pas bon, ça. Ça veut dire que quelqu'un dit du mal dans ton dos !
Même si je reste dubitative quant à cette croyance populaire, je ne peux m'empêcher de marmonner d'un air sombre :
— Sûrement Fiona. Ou sa meilleure amie, là, cette Léa. Ou peut-être les deux à la fois !
Loin de me rassurer, ma cousine hoche la tête en confirmant :
— Hum, considérant que t'as joué les briseuses de ménage, je dirais que c'est fort probable...
— J'ai rien brisé du tout !
Ma protestation déclenche l'hilarité d'Aurore, comme chaque fois qu'elle ramène ce sujet sur le tapis depuis que je lui ai parlé de ma dernière conversation téléphonique avec Fiona.
Deux semaines se sont écoulées depuis et je suis toujours aussi perdue et perplexe. En temps normal, mon côté impulsif aurait eu tendance à vouloir confronter Adam sur-le-champ, lui demander pourquoi il a menti à Fiona au sujet de notre non-rencard, et aussi pourquoi il ne m'a pas avoué la vérité lorsque nous nous sommes disputés, ce soir-là. J'aurais mieux compris son empressement à vouloir rentrer, ainsi que sa mauvaise humeur qui a suivi les jours d'après.
Mais c'est précisément en me remémorant l'aura particulièrement sombre dans laquelle il s'était enveloppé toute la journée que j'ai préféré éviter de jeter de l'huile sur le feu.
A la place, j'ai donc décidé de demander conseil à Sarah ; puis je me suis souvenue à quel point cette bavarde est incapable de tenir sa langue, et me suis ravisée. Ne pouvant évoquer ce sujet avec Mattéo ou Ilyès, je me suis finalement rabattue sur la seule source extérieure à tout ce drama à qui je pouvais me confier : à savoir Aurore, laquelle s'est royalement foutue de ma gueule lorsque je lui ai demandé ce que, selon elle, l'attitude d'Adam pouvait bien signifier.
— Genre tu te poses vraiment la question, Nat ? a-t-elle rigolé. Moi, ça me semble plutôt évident... il est clair et net que ton ami a développé des sentiments ambigus à ton sujet !
Sur le moment, j'ai détesté la façon moqueuse qu'elle a eu de prononcer le mot "ami" tout en mimant des guillemets avec ses doigts.
Néanmoins, même si j'ai beaucoup nié au début, à force d'en discuter ensemble et de retourner la situation dans tous les sens, j'ai fini par accepter cette possibilité — sans toutefois en être parfaitement convaincue.
C'est pourquoi j'ai procédé attentivement, au cours des derniers jours, à une observation minutieuse du sujet dans le but de rassembler des indices pouvant confirmer ou infirmer cette théorie. Du moins, j'ai essayé ; car, dans les faits, cela s'est avéré plus compliqué que prévu, étant donné que ledit sujet n'a eu de cesse de m'éviter...
Enfin, c'est l'impression que j'ai eue ; mais Mattéo a dissipé mes doutes en affirmant qu'il se comportait comme ça avec tout le monde en ce moment. D'une manière générale, Adam semblait d'une humeur particulièrement maussade, et était devenu encore moins loquace qu'auparavant — chose qu'aucun de nous n'aurait cru possible.
— Je sais pas ce qu'il s'est passé avec Fiona mais je crois qu'ils arrêtent pas de se disputer, ces derniers temps, et que ça lui mine le moral..., m'a-t-il affirmé.
Sur le moment, je n'ai pas eu le courage d'avouer la vérité à Mattéo et, depuis, je vis chaque jour avec le fardeau de ce secret sur mes frêles épaules...
La voix d'Aurore m'extirpe finalement de mes pensées :
— D'accord, j'exagère, tu l'as pas vraiment fait exprès ! C'est pas de ta faute si Adam craque sur toi. Après tout, pour toi, ce rendez-vous était strictement amical...
— Mais pour lui aussi ! je proteste. Il n'y a aucune ambiguïté, tu te fais des films, ma pauvre ! Je l'ai observé attentivement ces derniers jours, et si y'a bien une chose que je peux t'affirmer, c'est qu'il est obnubilé par sa Fiona !
Aurore lève les yeux au ciel.
— Je nie pas la possibilité qu'il l'aime toujours. Mais ça empêche pas qu'il peut avoir des sentiments pour toi aussi. Aimer deux personnes en même temps, ça arrive, Nat !
— N'importe quoi ! Ça arrive que dans les shôjo et les drama coréens, ça ! je lève les yeux au ciel.
Ma cousine pousse un petit soupir d'exaspération mais finit par laisser tomber.
— Bon, oublions Adam pour l'instant. Parle-moi plutôt de ton... petit-ami ! Ah la la, j'ai du mal à croire que je dis ça ! frétille-t-elle sur place.
Je sens mes joues s'empourprer malgré moi.
— Bah... y'a rien de spécial à raconter.
En effet : Antoine et moi, on a du mal à trouver des moments pour se voir. Nous n'avons toujours pas osé nous afficher au lycée, ce qui fait que ses amis ne sont pas au courant de notre relation. Quant aux miens, même s'ils ont affirmé me soutenir, je sens bien que le malaise persiste dès que j'évoque le sujet.
Je n'ai pas voulu parler de lui à ma famille car je sais déjà qu'ils en feront tout un plat, qu'ils voudront le rencontrer et l'inviter à dîner, ce genre de choses... Les Trombière ont une tendance à s'enflammer un peu vite or, moi, tout ceci est trop nouveau pour que je les laisse s'y immiscer. Nous ne pouvons même pas vraiment nous voir le week-end car un grand match se prépare contre le lycée rival, et qu'il doit se concentrer sur son entraînement.
C'est pourquoi nos rares moments ensemble se limitent à quelques balades à la Citadelle lorsqu'il promène son chien, ou à des échanges par messages.
— C'est quand même nul que vous puissiez pas vous voir plus souvent que ça ! soupire Aurore. Il serait temps que vous assumiez au lycée, tu crois pas ?
— Je sais, je sais ! je marmonne en levant les yeux au ciel. On a prévu d'arriver ensemble lundi matin, si ça peut te faire plaisir !
A peine ai-je prononcé ces paroles que j'ai envie de me mordre la langue.
— Oh, vraiment ?
Non, pas vraiment. En réalité, Antoine et moi n'avons rien prévu de tel : j'ai simplement dit ça pour couper court à la conversation. Toutefois, maintenant que je m'y suis engagée vis-à-vis d'Aurore, je sais que je n'ai pas d'autre choix que de m'y soustraire.
— Vivement lundi alors ! enchaîne-t-elle avec un large sourire. Tu me raconteras tout ça en détails...
***
Je me maudis de tous les noms que je connais en allant en cours le jour J. Car voyez-vous, l'inconvénient lorsqu'on invente des mensonges éhontés, c'est qu'à un moment donné, on est obligés de les faire devenir réalité.
J'admets qu'une part de moi espérais qu'Antoine revienne sur sa décision et refuse ma proposition mais, allez savoir pourquoi, voilà que M. Peureux a soudain décidé de devenir M. Courageux !
Alors oui, je sais ce que vous devez vous dire : elle a pas arrêté de se plaindre quand il lui a dit vouloir sortir avec elle en cachette, et maintenant qu'il est prêt à assumer, elle se plaint encore ? Ne sera-t-elle donc jamais contente ? etc, etc.
Sauf que voilà : il existe une différence assez conséquente entre l'idée que quelqu'un ait honte de vous, et celle où vous décidez de vous-même de cacher votre relation pour avoir la paix.
Car oui, après le "Rateaulie-gate", je vous avoue que c'était plutôt appréciable, ces derniers temps, d'être ignorée par mes camarades de classe.
Oui, je sais, c'est un peu ironique de ma part de dire ça, sachant qu'au début de l'histoire je me plaignais d'être invisible au point que personne ne se remémore mon prénom.
Sauf que voilà : après avoir été humiliée publiquement et été la principale victime de moqueries quotidiennes, j'en suis venue à la conclusion qu'au final, ce n'était pas si mal, d'être invisible.
Or, autant vous dire que si Antoine et moi affichons notre relation au grand jour, je sais d'ores et déjà que je peux lui dire adieu, à ma cape d'invisibilité !
Les regards seront à nouveau braqués sur moi, je redeviendrais le centre de l'attention, les gens vont à tous les coups remettre en question notre couple en se demandant ce qu'un mec aussi mignon peut bien fabriquer avec une fille quelconque telle que moi. Oh oui, je les entends déjà, leurs moqueries incessantes, leurs commentaires passifs-agressifs, les...
Une petite pression sur ma main me ramène à la réalité. Antoine m'adresse un faible sourire alors que nous arrivons aux abords du lycée.
— Laisse-moi deviner : t'étais en train de paniquer toute seule en te faisant des films dans ta tête.
Je sens mes joues s'empourprer à l'idée qu'il m'ait percée à jour.
— Grillée...
Il laisse échapper un petit éclat de rire, cet éclat de rire à la fois doux et chaleureux auquel je me suis malgré moi attachée ces derniers jours.
— Pff, c'était obligé ! pouffe-t-il. Alors, dis-moi : on en était où dans le lynchage collectif, cette fois-ci ?
— J'étais à deux doigts de subir une lapidation publique, si tu veux tout savoir...
Antoine amène son poing à sa bouche pour étouffer un nouvel éclat de rire.
— Pas du tout dramatique... ! Si ça se trouve, les gens en auront rien à cirer, tu sais...
— Ma dernière expérience en la matière m'a prouvé qu'en principe, les adolescents en ont toujours quelque chose à cirer. Ils s'abreuvent de la souffrance psychologique d'autrui. Ils en ont besoin pour survivre, crois-moi !
Antoine secoue la tête, mi-exaspéré, mi-amusé.
— Non, ça c'est les Zannies dans le Webtoon que je t'ai fait lire, Nat.
— Ouais, bah j'ai trouvé que ça collait plutôt bien aux gens de notre classe, aussi ! (J'amène les mains à ma bouche de manière paniquée.) Si ça se trouve, on a mis les pieds dans un nid de Zannies ! T'y as pensé ? C'est possible ! Ça expliquerait bien des choses !
— N'importe quoi ! ricane-t-il. Bon, allez, t'es prête ?
Je déglutis en réalisant que pendant que nous discutions, nos pieds nous ont conduit machinalement devant notre salle de classe. Antoine entremêle ses doigts aux miens tout en me soufflant d'une voix douce :
— Allez, courage, Nat, ça va bien se passer. Si ça se trouve, ils vont même pas capter qu'on arrive ensemble !
Facile à dire pour toi, je songe en grimaçant intérieurement, sans réussir toutefois à exprimer cette pensée à voix haute tant ma gorge est sèche. Mes pieds étant comme figés et incapables de bouger, je sens finalement Antoine faire une petite pression sur mes épaules pour me forcer à avancer.
— Par contre, si tu restes plantée là comme un baobab, c'est sûr qu'on passera pas à trav' !
— D-Désolée, je balbutie.
Prenant une grande inspiration afin de m'insuffler du courage, je me lance et fais un premier pas dans la salle de classe, Antoine sur mes talons. Essayant de masquer ma peur, je me mets à serrer sa main de toutes mes forces.
— Arrête de baisser la tête..., me glisse-t-il discrètement.
En effet : je viens seulement de m'apercevoir que je fixais mes chaussures depuis le début. Je décide alors de relever la tête et tressaille en voyant toutes les paires d'yeux nous fixer avec une intensité accrue, tandis qu'un silence total se fait dans la salle.
Malgré le malaise qui s'empare de moi à cet instant, je tâche de conserver mon sang-froid tout en me déplaçant jusqu'à mon bureau, ignorant les chuchotements de nos camarades.
— Ah oui on passe carrément inaperçus, t'as raison ! j'ironise, les dents serrées en un sourire figé, à l'adresse d'Antoine.
Celui-ci n'a pas vraiment le temps de répliquer que je vois Karim se lever de sa chaise en lançant :
— Bah ça alors, je m'y attendais pas !
Je ferme les paupières, me préparant mentalement à subir brimades, moqueries ou questions inquisitrices, quand j'entends quelqu'un enchérir derrière lui :
— Ce serait pas l'autre grosse mytho ?
Je me fige sur place. Après avoir échangé un bref regard avec Antoine, je me retourne et reste bouche bée en apercevant la silhouette d'une personne dont j'avais presque oublié l'existence. Je comprends alors que depuis tout à l'heure, ce n'est pas nous que nos camarades scrutent d'un regard moqueur, mais...
— Tricia ! je laisse échapper dans un souffle.
Cette fois-ci, c'est officiel : après plus d'un mois d'absence, Tricia la mytho est de retour à Charles de Secondat. Et, à cet instant précis, j'ignore totalement s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle.
Musique : Taylor Swift — I Forgot That You Existed
https://youtu.be/p1cEvNn88jM
♪ I forgot that you existed
And I thought that it would kill me, but it didn't
And it was so nice
So peaceful and quiet ♪
Heeeeeeey ! 😁 Comment allez-vous ? Ça fait longtemps, je sais, mais je suis toujours vivante ! Et contrairement à Nat, je n'ai pas oublié votre existence, chers lecteurs. Promis. 👍
Je sais que j'ai mis très longtemps à poser cette suite, car je rencontre une période de creux dans mon écriture en ce moment. L'écriture et moi, c'est phasique et bref, il y a des moments où j'écris beaucoup, et des moments plus du tout. J'ai donc essayé de faire un break total pour voir si ça reviendrait, mais en fait... non lol. 😅 J'ai donc opté pour mon autre technique : à savoir écrire un petit quota de mots par jour. Et c'est ainsi que ce chapitre a finalement vu le jour.
Il n'est pas très long (2k mots), et il ne s'y passe pas grand-chose car il s'agit d'une ellipse, mais le prochain sera plus long. J'en ai déjà écrit une bonne partie et il fait 3k mots pour l'instant donc... il me manque juste le début, mais normalement il devrait être prêt d'ici 15 jours.
Enfin voilà, comme vous le voyez donc Nat n'a pas osé confronter Adam, et celui-ci étant d'une humeur maussade, ça n'aide en rien, forcément. Elle reste donc dans le flou quant à ce qu'il se passe dans la tête du chevelu.
D'un autre côté, elle décide enfin d'assumer sa relation avec Antoine, en craignant les réactions de ses camarades... comprenez-vous son appréhension à ce sujet ? 😕
Mais au final, tout le monde s'en fout puisqu'ils sont tous obnubilés par le retour de Tricia. Vous vous y attendiez ? Êtes-vous content(e)s de la revoir ou aviez-vous oublié son existence, vous aussi ? 😆
A votre avis, qu'est-ce que son retour annonce comme conséquence pour notre chère Nathalie ? 😬
En attendant de lire vos réactions... je vous dis à dans deux semaines ! 😘
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