77. L'appel à un ami

La fin du repas se déroule dans une ambiance des plus maussades. La mine renfrognée, j'ai du mal à défroncer mes sourcils, et aucune des vaines tentatives de Dorian pour détendre l'atmosphère ne parvient à me dérider.

A un moment donné, celui-ci doit comprendre à mes nombreux soupirs et à ma façon de me ronger les ongles que j'ai besoin d'extérioriser ma rancoeur, aussi décide-t-il de s'éclipser un instant en prétextant avoir, à son tour, un appel téléphonique à passer, histoire de me laisser seule en compagnie de Sarah.

A peine a-t-il disparu que je ne peux m'empêcher de lancer d'un ton venimeux :

— J'espère pour toi qu'il va pas lui aussi dire qu'il doit s'en aller histoire de tenir compagnie à je ne sais quelle pétasse !

Sarah fronce les sourcils et réplique assez durement :

— T'exagère pas un peu, là ? On parle de Fiona, là. C'est pas juste une fille lambda, hein. C'est la petite-amie d'Adam, et on est le quatorze février. Tu t'attendais à quoi, au juste ?

— Oui, d'accord, mais elle était au courant qu'on serait ensemble, ce soir ! A mon avis, elle a fait exprès de le harceler de SMS pour qu'il se casse ! Elle a juste tapé une crise de jalousie !

Sarah croise les bras sur sa poitrine et me toise un instant en silence, avant de dire calmement :

— J'en sais rien, Nat. Ça ressemble pas trop à Fiona, de faire ça ; elle a pas l'air du genre jalouse... Surtout que...

Elle ne termine pas sa phrase mais je comprends très bien ce qu'elle a insinué : oui, au final, qu'est-ce qu'une fille aussi belle que Fiona aurait à envier à quelqu'un comme moi ?

— En plus, reprend-elle après s'être raclé la gorge, même si elle était jalouse, j'ai envie de dire qu'elle serait dans son droit. Comme je l'ai dit, c'est la Saint-Valentin et son mec la passe avec une autre fille. Désolée, mais moi aussi, à sa place, j'aurais pas trop apprécié ! Et puis, si ça se trouve, ça n'a rien à voir avec toi. Si ça se trouve, elle avait vraiment un problème... J'imagine qu'on en saura plus lundi, au lycée, quand tout ça se sera calmé.

Je détourne la tête, obtuse, refusant d'admettre que Sarah a peut-être raison, que j'ai peut-être exagéré, que je ne suis pas en droit de me plaindre de quoique ce soit.

— La vraie question, reprend-elle d'un air malicieux, c'est plutôt de savoir pourquoi, toi, ça te chagrine à ce point qu'Adam soit parti retrouver Fiona ?

Je pique un fard devant le sous-entendu évident.

— Va pas t'imaginer n'importe quoi ! je proteste vivement. Je suis juste déçue qu'il tienne pas sa promesse, c'est tout ! Sans compter que... Il m'a dit des trucs vraiment pas cools !

Elle arque un sourcil puis attend patiemment, comme une invitation à lui raconter mes malheurs ; toutefois, Dorian revient avant que je n'ai pu y céder.

— Bon, les filles, ça vous dit d'aller se promener à la Citadelle histoire de digérer ? propose-t-il d'un ton enjoué.

Je me renfrogne encore plus à cette idée ; là, tout de suite, la seule chose dont j'ai envie, c'est de rentrer chez moi me rouler en boule sous la couette pour pleurer ! Et certainement pas de tenir la chandelle à Sarah et son mec !

Pourtant, à force de supplications et d'amadouages, ils parviennent à me convaincre et je finis par accepter de faire un petit tour au parc. A peine sortis du métro, je constate qu'Adam m'a envoyé un message :

✉️L'elfe : Voilà, je suis bien arrivé. Vous avez continué la soirée ou t'es rentrée chez toi, du coup ?

Je tire la langue à mon smartphone et le range dans ma poche sans répondre. Qu'il aille parler à sa Fiona d'amour et qu'il me fiche la paix !

Toutefois, une dizaine de minutes plus tard, alors que nous arrivons à la Citadelle, mon portable vibre à nouveau.

✉️L'elfe : Tu fais la gueule que tu réponds pas ? 🤨

Agacée, je finis par tapoter un message à mon tour :

✉️Biquette : Tu devais pas retrouver ta copine de toute urgence sous peine qu'une météorite nous explose à la tronche ou un truc du genre ? 🙄🙄🙄

✉️L'elfe : Okay, j'ai ma réponse. Tu fais la gueule.

Plusieurs minutes à marcher le long du canal passent avant que je ne reçoive un nouveau message :

✉️L'elfe : J'arrive pas à croire que tu m'en veuilles juste parce que je suis rentré, franchement, t'abuses de ouf

✉️Biquette : Je t'en veux pas à cause de ça. Je suis fâchée à cause de toutes les méchancetés que tu m'as dites ensuite !

✉️L'elfe : J'étais énervé, aussi

✉️Biquette : Et alors ? Ça justifie rien ! Je suis pas ton punching-ball ! C'est pas parce que tu t'engueules avec ta copine que t'as le droit de te défouler sur moi !

✉️L'elfe : Et toi, tu crois pas que t'as grave exagéré en me tapant ta crise de jalousie, là ?

Moi, taper une crise de jalousie ? Non mais pour qui est-ce qu'il se prend ?

Me voyant fulminer toute seule, Sarah finit par s'enquérir de la situation ; elle secoue la tête lorsque je lui montre notre conversation.

— Franchement, ça sert à rien, ce que vous faîtes, là. Vous êtes encore remontés l'un contre l'autre et vous allez juste empirer la situation ! Tu ferais mieux de couper ton téléphone pour ce soir. Laisse passer le week-end, le temps que cette histoire se tasse ; vous en reparlerez lundi.

Les lèvres pincées, je reconnais malgré moi la valeur des propos de Sarah et suis son conseil en éteignant mon portable.

Au début, je lutte contre l'envie de le rallumer sur-le-champ afin de vérifier mes notifications, mais finalement, après quelques minutes, je finis par vider mon esprit et tâcher de profiter de cette balade nocturne en compagnie de Sarah et Dorian.

Enfin, surtout de Sarah, car Dorian a l'air ailleurs, depuis que nous sommes arrivés à la Citadelle. Aux aguets, il agite fréquemment sa tête de tous côtés, comme s'il guettait quelque chose, ou quelqu'un.

Alors que je m'apprête à lui faire remarquer cette attitude plus que suspecte, un aboiement retentit derrière nous, et je sursaute en voyant un chien accourir dans notre direction. De taille moyenne, les oreilles tombantes, son pelage est un mélange de blanc, de fauve et de noir. A peine est-il arrivé à nos pieds que Dorian s'accroupit en s'exclamant d'un ton enthousiaste :

— Wesh, Cookie ! Il est où ton maître ?

— Juste là !

Je tressaille en reconnaissant cette voix, et ose à peine lever les yeux vers son propriétaire. Si je conserve les paupières fermées, je vais peut-être réaliser que tout cela n'est qu'un rêve et me réveiller ?

— Oh, salut, Antoine ! l'accueille Sarah, sans pitié pour ma personne.

J'ose enfin redresser la tête et sens mes joues s'empourprer en apercevant le footeux, un sourire radieux aux lèvres, se tenir devant nous.

— Salut, lance-t-il à la cantonade.

Puis il plante ses pupilles dans les miennes et ajoute de sa voix douce :

— Salut, Nathalie.

— S-Salut, je bredouille timidement.

Je réalise alors qu'il porte actuellement un jogging et un sweat-shirt, contrairement au Antoine toujours soigné et bien habillé auquel je suis habituée au lycée. Étrangement, le voir accoutré de manière plus simple qu'à l'accoutumée me détend, comme si je me rappelais tout à coup qu'il appartenait au commun des mortels.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? s'enquiert Sarah.

— Bah, je promène mon chien. J'habite juste à côté de la Citadelle donc je viens le sortir ici de temps en temps.

— Oh, ça alors ! Quelle coïncidence !

Cependant, elle a beau jouer les étonnées, je remarque très bien le regard complice qu'elle échange avec son petit-ami. Alors, les rouages carburent à fond dans mon cerveau tandis que j'assemble les pièces du puzzle : le coup de fil de Dorian au restaurant n'était visiblement pas si bidon que ça. De toute évidence, il s'est cru dans Qui veut gagner des millions ? et a décidé d'utiliser le joker "Appel à un ami."

Ah, les maroufles ! Faquins ! Scélérats ! Vils menteurs ! Ils m'ont bien eue, les forbans !

L'espace d'un instant, j'en suis presque à me demander si Adam n'était pas dans le coup, lui aussi, puis je me ravise en me souvenant à quel point il ne peut pas s'encadrer Antoine.

Pendant les minutes qui suivent, nous marchons tous les quatre en discutant de tout et de rien. Enfin, en réalité, ce sont essentiellement Sarah et Dorian qui monopolisent la parole, racontant à Antoine les événements de la soirée, tandis que celui-ci hoche la tête et balance quelques commentaires par-ci par-là.

Moi, comme d'habitude en présence de gens qui m'intimident ou que je connais trop peu, je joue les muettes de service. Dorian seul ne me semblait pas très compliqué à affronter, car il a l'air assez abordable, et qu'en plus jusqu'à présent il était en infériorité numérique ; le fait de me trouver en compagnie de Sarah et Adam boostait artificiellement ma confiance en moi et me permettait d'agir à peu près normalement en sa compagnie.

Sauf qu'à présent, les cartes ont été redistribuées ; Dorian n'est plus seul avec mes amis, un de ses potes se trouve à ses côtés, un pote qui ne me laisse pas indifférente et face auquel je ne parviens jamais à être moi-même.

Un pote contre qui je suis encore fâchée, et que je ne m'attendais pas à croiser ce soir — donc, autrement dit, mon cerveau n'a pas eu le temps de se préparer psychologiquement à l'idée de le côtoyer comme je l'aurais fait en sachant que j'allais le voir.

Ajoutez à tout cela la mauvaise humeur dans laquelle je me trouve à cause de ma dispute avec Adam, mais aussi à cause de cette traîtresse de Sarah qui a sûrement marché dans la combine de son mec, et vous comprendrez pourquoi, malgré les vaines tentatives des trois autres de me faire participer, mes lèvres demeurent irrémédiablement scellées.

Au bout d'un moment, les garçons décident de s'arrêter sur un carré d'herbe afin de jouer au frisbee avec le chien ; Sarah et moi, n'étant pas vêtues pour gambader dans la boue, préférons les regarder faire assises sur un banc non loin. Celle-ci pousse des exclamations ainsi que des petits cris d'encouragement adressés aux uns et aux autres. Moi, j'affiche un sourire de façade sans me départir de mon humeur maussade, ce qui me vaut un coup de coude.

— Allez, Nat, tu vas pas faire la tête toute la soirée ? me gronde-t-elle. Oublie un peu Adam et profite du moment présent ; c'est plutôt une sacrée coïncidence qu'on ait croisé Antoine, non ?

Je lui jette un regard appuyé qui en dit plus long que des mots.

— Q-Quoi ? bredouille-t-elle, gênée. Pourquoi tu me fixes comme ça ?

— A ton avis ? je lève les yeux au ciel. Je suis pas débile, Sarah. Je sais très bien pourquoi Antoine est ici ce soir...

— Il te l'a dit ; il promène souvent son chien à la Cit-

— A d'autres ! je la coupe, agacée. J'ai compris que Dorian l'a appelé tout à l'heure. J'ai remarqué vos clins d'oeil et vos coups de coude, hein ! Vous êtes trop pas discrets !

Elle a au moins la décence de ne plus chercher à nier et de me dévisager d'un air navré.

— Désolée, Nat. Mais on s'est dit qu'après l'histoire avec Adam, tu serais peut-être contente de le voir, finalement. Et puis, techniquement, Antoine promène vraiment Cookie ici, en temps normal ; donc une telle coïncidence aurait bel et bien pu se produire ! Dorian a juste un peu forcé le destin en lui disant qu'on comptait s'y promener après le restaurant, et Antoine a avancé la sortie de son chien d'une demi-heure.

— Est-ce qu'il savait que je serais là ? je fronce les sourcils.

— Non, admet Sarah. Dorian lui a dit que t'étais rentrée et qu'on serait que tous les deux. On se doutait qu'il voudrait pas venir si t'étais là, vu comment t'as été froide avec lui.

Je croise les bras sur ma poitrine, de plus en plus contrariée.

— C'est moi qui ai été froide ? je répète, outrée. Tu rigoles, là ? Y'a pas si longtemps, t'étais d'accord avec moi pour dire qu'Antoine avait abusé et qu'il me méritait pas. Alors ça y est, tu sors avec son pote et t'as changé d'avis ? Dorian t'a retourné le cerveau ?

Les lèvres pincées, Sarah fronce les sourcils, signe que je l'ai vexée.

— Tu me connais pas ou quoi ? Je suis pas le genre de fille à changer de personnalité ou à oublier mes amis sous prétexte que j'ai un copain ! J'ai jamais dit que tu devais pardonner à Antoine ou sortir avec !

— Alors pourquoi tu...

— C'est toi qui passes ton temps à râler que t'en as marre d'être célibataire, Nat ! Que tu rêves d'avoir ton petit-ami idéal ! Tu passes ton temps à fantasmer sur tes histoires où la fille pas très jolie finit par sortir avec le beau gosse populaire ! Bah voilà ; tu l'as, ton beau gosse. Mais ouais, on est pas dans une fiction, là, et il arrive avec son lot de défauts, de craintes et d'imperfections, lui aussi ! Parce que, devine quoi ? C'est un être humain, en fait ! Donc à toi de voir si tu lui laisses sa chance malgré tout, ou non.

Elle pousse un petit soupir avant de reprendre d'un ton adouci :

— Je dis pas que ce qu'il a fait est bien ; Dorian et moi sommes d'accord pour dire qu'il est débile de se soucier autant de ce que pensent les autres. Mais Antoine est comme ça ; tu pourras pas le changer. On ne peut pas modeler les gens selon nos envies et nos fantasmes. On doit les prendre comme ils sont. Ou pas. A toi de voir.

— Si j'accepte de sortir avec lui maintenant, je passerais pour une conne aux yeux de tout le monde ! j'objecte. Adam, Ilyès et Mattéo vont dire que...

— On s'en fout de ce qu'ils vont dire ! Tu vois, tu critiques Antoine, mais au fond t'es pareille ! (Sarah secoue la tête.) Quoique tu décides, moi je serais de ton côté. T'as aussi le droit de vouloir être heureuse, Nat. Et je te jugerais pas pour ça. Et ouais, peut-être que les garçons se moqueront un peu de toi, mais si au final cette relation fonctionne et que t'es bien avec lui, ils seront heureux de voir que tu l'es. Parce que ce sont tes amis et qu'ils te soutiendront, à la fin.

Sans que je sache pourquoi, ces paroles me réchauffent un peu le coeur dans le froid hivernal.

— Et puis, ça t'engage à rien, tu sais. Si ça se trouve, vous allez passer du temps ensemble, et tu réaliseras que bah, ça marche pas du tout et ça s'arrêtera là. Pas de quoi en faire un drame ; ça arrive. Mais au moins, t'auras essayé. Tu seras pas restée passive, dans un coin de ton existence, à attendre que ça te tombe dessus...

Elle marque une pause, plante son regard dans le mien avant d'ajouter d'un air malicieux :

— Et peut-être que te voir avec un autre mec servira d'électrochoc à une certaine personne qui t'a laissée en plan ce soir...

Je fronce les sourcils devant le sous-entendu.

— Tu dérailles complètement ! Adam et moi, on est juste amis. Rien de plus !

— Si vous êtes juste amis, comme tu dis, pourquoi vous passez votre temps à vous chamailler comme un couple ? Pourquoi vous vous êtes pris la tête ce soir ? Pourquoi ça t'a autant gavée qu'il rejoigne Fiona ?

Sans le vouloir, je me mets à tapoter mon pied contre le sol, de plus en plus énervée par cette conversation.

— Parce que ! je réponds, obtuse.

— Parce que quoi ?

— Parce qu'il avait promis qu'il resterait avec moi ! Parce que j'ai dit non à Antoine à cause de lui et qu'il me laisse en plan à la première occasion ! J'estime que j'ai le droit d'être contrariée par la situation. Ça veut pas dire que j'ai un crush sur lui ou j'sais pas quoi, stop te faire des idées !

Sarah secoue la tête puis pousse un petit soupir qui fait voleter ses mèches de cheveux.

— Bon, tant mieux alors ; si t'es sûre que tu ressens rien pour Adam, tu peux te concentrer sur Antoine ! rétorque-t-elle d'un air narquois. En plus, tu viens de te plaindre d'avoir refusé son invitation à cause d'Adam... Et hop, le voilà qui apparaît comme par magie ! Ton voeu a été exaucé ! Profite-en !

J'ouvre la bouche pour répliquer que je n'ai jamais souhaité une telle chose mais Sarah ne m'en laisse pas le temps.

Déjà debout, elle hèle son petit-ami au loin et commence à se joindre aux garçons dans le lancer de frisbee. Je la vois souffler quelques mots à Antoine de manière pas du tout discrète, et rougis en voyant celui-ci se diriger vers moi, prenant bientôt la place qu'elle occupait quelques instants plus tôt, à mes côtés sur le banc.

— Hey, Nat. Tu vas bien ? Pas trop froid, avec ta robe ?

Je conserve le regard braqué devant moi tandis que je réponds :

— N-Non, ça va.

— Désolé, je savais pas que tu serais là. Dorian a omis ce détail quand il m'a invité à le rejoindre...

J'ose tourner la tête vers lui :

— Tu serais pas venu, si t'avais su ?

Il se gratte la nuque, mal à l'aise.

— Non, je serais pas venu, admet-il. Je t'ai invitée à sortir, t'as refusé, je vais pas faire le forceur... Et toi, vu la tête que tu tires depuis que je suis arrivé, je suppose que t'étais pas au courant non plus. Je me trompe ?

J'acquiesce, ce qui lui arrache un petit rire.

— J'imagine qu'on a tous les deux été piégés, alors, soupire-t-il en se frottant le nez. Désolé, vraiment. C'est un peu gênant, comme situation...

— Les amis peuvent être gênants, parfois, oui, je confirme en grimaçant.

— De ouf ! En plus j'ai fait aucun effort vestimentaire, continue-t-il en secouant la tête. Vous êtes tous bien sapés et moi j'suis en jogging ! Dans ma tête, j'allais juste promener mon chien avec mon pote ! Sérieux, Dorian a abusé, sur ce coup-là !

Il a l'air si sincèrement contrarié à cette idée que je ne peux m'empêcher de pouffer bêtement.

— Hé, te moque pas ! J'aime pas être mal habillé !

Je décide finalement de le rassurer :

— Ça va, t'es pas si mal habillé que ça, exagère pas ! Et puis, à mon avis, tu pourrais porter un sac à patate que ça t'irait bien, vu que t'es mignon. Les gens beaux le restent quoiqu'ils portent, ils ont pas besoin de faire autant d'efforts que les personnes ordinaires, comme moi !

Il m'adresse un sourire en coin :

— Je rêve ou tu viens de me dire que j'étais mignon, là ?

Je me sens rougir malgré moi face à l'air ravi qu'il affiche, et détourne la tête pour ne pas qu'il s'en aperçoive.

— Bah, c'est pas comme si tu venais de le découvrir ! je marmonne d'un ton bourru. Tu dois bien le savoir, non ?

— C'est pas pareil, de le savoir et de l'entendre dire de la part d'une fille qui nous plaît.

Ma rougeur s'accentue encore, quittant les tons écrevisses pour virer ketchup. Chez moi, c'est pas Cinquante nuances de Grey, mais Cinquante nuances de rouge !

— Toi aussi, t'es mignonne quand tu rougis, enchaîne-t-il d'un air narquois.

J'amène machinalement mes mains à mes joues afin de me cacher.

— Pas la peine de faire le malin ! je lance en plissant les paupières. Je suis toujours fâchée contre toi, tu sais !

Toute trace d'amusement déserte aussitôt ses traits.

— Je me doute bien. Je suis désolé, Nat, vraiment. J'ai pas été délicat... Si ça peut te rassurer, sache que j'ai lâché l'affaire, hein. J'ai bien compris que j'avais foiré et que j'avais niqué toutes mes chances...

— Alors pourquoi tu viens encore me parler ? je demande, agacée.

J'ai dit ça d'un ton plus acide que je ne l'aurais souhaité, pourtant Antoine ne semble pas m'en tenir rigueur car il répond avec un faible sourire :

— Bah, j'espérais qu'on puisse être amis malgré tout... Passer du temps ensemble, se rapprocher, et voir où ça nous mène. Mais bon, si même ça, ça te dit rien, c'est pas grave.

A cet instant, il affiche une moue si penaude que je sens mon coeur se serrer malgré moi et, sans réaliser ce que je fais, je le retiens par la manche alors qu'il est sur le point de se lever :

— Attends, Antoine ! (Je baisse les yeux.) D-Désolée, je voulais pas être aussi sèche. Je suis encore un peu sur la défensive... Mais c'est pas ta faute. Je suis juste pas trop dans le mood, là.

— Ah bon ? s'enquiert-il en se rasseyant. Qu'est-ce qui t'arrive ?

Je prends une grande inspiration avant de lâcher :

— Disons que ma soirée s'est pas exactement passée comme je l'aurais souhaité...

— A cause de ton date qui t'a laissée en plan, c'est ça ?

Je lui jette un regard peiné.

— Dorian t'en a parlé ?

— Ouais, entre autres, admet-il, gêné. Il voulait pas être indiscret, mais... Disons que je lui ai demandé si ton rencard se passait bien. Comme il savait que j'étais un peu jaloux, il a dit ça pour me remonter le moral, je suppose.

— Et ça a marché ?

— Pas vraiment, me sourit-il. Je me suis juste dit que tu devais être triste, et j'ai eu de la peine pour toi.

Je guette ne serait-ce qu'une once d'ironie dans ses propos, mais n'en détecte aucune ; il semble plutôt sincère, sur ce coup-là.

Plus je parle avec lui, et plus le souvenir du Antoine qui m'a énervée lors de sa soirée, il y a quelques semaines, s'étiole, remplacé par l'image que j'ai toujours eu de lui, à savoir ce garçon gentil, bienveillant, et à la voix si agréablement douce.

Il est vraiment différent quand ses amis sont pas dans les parages...

J'ai dû me mettre à le fixer avec insistance, car il s'ébouriffe les cheveux, mal à l'aise.

— Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai encore dit une bêtise, c'est ça ?

— Non, non ! C'est juste que... Je me disais...

Je me mords la lèvre inférieure, hésitant à être honnête, car je n'ai pas envie de laisser échapper quelque chose de vexant ou malaisant.

— Tu te disais... ?

Oh, et puis merde ! S'il veut être mon ami, il apprendra tôt ou tard que je suis parfois d'une franchise un peu trop aiguë !

— Je me disais que je préfère celui que tu es quand tes potes footeux sont pas là. T'as l'air plus... toi-même.

Il écarquille les yeux, puis détourne la tête en se grattant le cou, embarrassé.

— Ouais... Je sais. C'est mon défaut. Je sais pas être moi-même quand je suis avec eux. Y'a que Dorian qui fait exception à la règle, parce que c'est mon meilleur pote.

— Pourquoi ça ? Normalement, si y'a bien des gens avec qui on est censés pouvoir être nous-mêmes, c'est nos amis !

Antoine m'adresse un sourire compatissant tout en secouant la tête.

— Avec tes amis, peut-être ; mais pour moi, c'est différent.

Le regard vague, il ajoute :

— Disons que... J'ai tellement peur qu'ils me trouvent sans intérêt et qu'ils me rejettent, que je sais pas agir naturellement. Alors je me suis construit un personnage.

— Pourquoi ils te rejetteraient ? je demande sans comprendre.

— Parce que je corresponds pas trop au profil du mec sportif et charismatique, en vérité. J'ai pas toujours été comme ça.

Il prend une petite inspiration, puis ose planter ses pupilles dans les miennes tout en m'expliquant :

— Te moque pas, okay ? Mais quand j'étais au collège, j'étais plutôt du genre solitaire et introverti. Dorian était mon seul véritable ami, et, tu vas rire, mais c'est lui qui avais honte de moi, à l'époque. Car lui, il a toujours été ce mec sympa qui s'intègre partout où il va. A traîner avec les gens populaires. Moi, j'étais juste un gars chelou qui passait toutes ses récrés au CDI à lire des comics.

J'arque des sourcils, étonnée par cette révélation. Antoine m'avait plus ou moins expliqué avoir eu des problèmes de timidité, toutefois je ne m'attendais pas à ça.

— Et puis bon, un jour, j'ai fini par comprendre que je développerais jamais de super-pouvoir, et j'ai décidé de me prendre en main. J'ai rejoint l'équipe de foot. Et, pour être honnête, je m'en fous complet du foot, j'étais juste content d'avoir des gens avec qui traîner. Avec eux, j'avais enfin l'impression d'être normal.

Je déglutis et, prise de vertige, je réalise qu'Antoine est juste mon équivalent masculin ; sauf que lui, au lieu d'être dans un shojo manga, il aurait plutôt le profil d'un personnage de shônen. Pas un shônen où les personnages combattent, mais un shônen basé sur le sport.

Comme moi, une bonne partie de son enfance et de son adolescence ont été bercées par les histoires qu'il lisait. Sauf que ce n'était pas des romans ou des mangas, mais des bandes dessinées mettant en scène des super-héros. Comme moi, il a espéré devenir l'un d'entre eux. Et comme moi, il a décidé de prendre sa vie en main pour sortir de ce statut d'éternel solitaire qui  le rendait malheureux.

— Donc tu vois..., continue-t-il. Quand je t'ai dit que je voulais qu'on sorte ensemble en cachette, je pensais pas à... J'avais pas honte de toi ou quoi. C'est de moi que j'avais honte. Parce que la vérité, c'est que le problème vient de moi et seulement de moi. De mon manque de confiance en moi et de ma peur d'être rejeté. Je suis désolé de t'avoir blessée, Nat. Vraiment. C'était pas du tout mon intention.

Je n'ai pas le temps de lui répondre que son chien déboule en courant vers lui, le frisbee en bouche, sautillant sur place pour attirer l'attention de son maître.

— Bon, je crois que Cookie me réclame, s'excuse-t-il avec un sourire gêné. A tout à l'heure !

— Attends ! je m'exclame en me levant. Je... Je viens avec vous.

Voyant que j'ôte mes chaussures pour marcher dans la pelouse, Antoine secoue la tête :

— Tu vas te les geler ! Attends, je vais te filer les miennes...

Joignant le geste à la parole, il me tend ses baskets et, après quelques minutes de réticence, je finis par céder ; je me retrouve donc à traîner les pieds dans des chaussures trois fois trop grandes pour moi, cramponnée à son bras de peur de me casser la figure.

— J'avoue, t'as vraiment des petits pieds ! s'étonne-t-il en inspectant mes bottines. Tu chausses du combien ?

— Du trente-cinq, je réponds d'un ton machinal, concentrée que je suis sur chacun de mes pas.

— Wow ! rigole-t-il. Ah ouais, quand même !

— C'est quoi comme race, au fait, ton chien ?

— Un beagle.

Nous finissons par rejoindre les deux autres et passons les minutes qui suivent à jouer avec Cookie. Ma mauvaise humeur finit par se dissiper entièrement, si bien que dans l'euphorie du moment, j'en oublie complètement Adam, ou ma rancoeur contre Dorian et Sarah.

Même, une part de moi s'affaire à digérer les explications d'Antoine, et je sens que je suis déjà en train de lui pardonner sa maladresse. Au final, je réalise que lui et moi nous ressemblons plus que je l'imaginais.

Une fois Cookie bien essoufflé, Dorian décide de défier Antoine sur le parcours de santé se trouvant non loin. Ce dernier, dont les pieds sont complètement gelés à force d'avoir couru en chaussettes dans l'herbe, pousse un soupir de soulagement en retrouvant ses Stan Smiths.

Lorsqu'il parvient à nouveau à sentir ses orteils, il accepte le défi, si bien que Sarah et moi nous retrouvons rapidement à encourager chacune notre sportif respectif, hilares, tandis que Cookie navigue entre eux, la queue battant dans tous les sens devant tant d'agitation.

Finalement, malgré mon soutien, c'est Dorian qui en sort gagnant, ce qui lui vaut un long baiser langoureux de la part de sa petite-amie et fidèle supportrice. Antoine secoue la tête :

— Désolé d'avoir failli, me lance-t-il d'un ton solennel. Mais j'ai quand même apprécié que tu joues les pom-pom girls.

— Je pouvais pas rester sans rien dire, aussi ! Sinon, Dorian aurait eu un avantage...

— Ouais, déjà qu'il en a un à cause de ses putains de biceps surdimensionnés, là, marmonne-t-il d'un ton agacé. Je me doutais qu'il me battrait aux tractions. Les tractions, ça a toujours été mon point faible ! Chouf ! J'ai des bras de gringalet, par rapport à lui ! Ils sont tout maigrichons, ça me saoule !

Joignant le geste à la parole, il relève sa manche afin de me faire inspecter son membre. Je me retiens de dire que vu le galbe du muscle bien dessiné, ses biceps sont déjà assez développés à mon goût. Adam, lui, il a des bras de gringalets, en comparaison, ça c'est sûr !

— Tu peux t'en prendre qu'à toi-même, aussi ! intervient Dorian, qui a entendu notre conversation. Je t'ai déjà dit de faire plus de pompes !

— Ouais, je sais, mais je déteste les pompes ! gémit Antoine d'un ton plaintif. Autant je peux rester en planche hyper longtemps, autant les pompes... (Il secoue la tête.) C'est ma bête noire !

— Alors dans ce cas, tu resteras un gringalet qui se fait défoncer sur la barre de traction ! ricane son pote.

Puis, sans le laisser réagir, il lui administre gratuitement un petit coup de poing dans le ventre avant de s'enfuir en courant, hilare. Antoine, plié en deux, halète :

— Putain, enfoiré ! Tu vas me le payer ! J'suis peut-être un gringalet mais j'suis ceinture bleue de judo, alors reviens ici !

Il illustre son propos en imitant une fausse garde digne de films d'arts martiaux chinois de bas étage ; les jambes semi-fléchies, un bras recourbé derrière sa tête, l'autre tendu devant lui, et faisant signe à son pote d'approcher à l'aide de son index et de son majeur.

Chicken attaaaaaaack ! chante-t-il avant de foncer sur lui.

Sarah et moi avons du mal à nous retenir de rire face à la parodie de combat ridicule qu'ils nous livrent, le tout accompagné de bruitages de leur propre imitation.

— Pff, ils sont trop bêtes ! pouffe-t-elle.

Une fois leur petite démonstration passée, nous poursuivons notre balade dans la Citadelle.

Plus la soirée avance et plus Antoine et moi parvenons à parler normalement. D'une certaine manière, je crois que le fait d'avoir laissé tomber l'idée d'un quelconque intérêt amoureux entre nous a retiré un poids de nos épaules respectives, dissipant cette gêne permanente qui nous enveloppait quand nous discutions et qui me poussait à dire des imbécilités plus grosses que moi.

A tel point que je me sentirais presque déçue que la sortie se termine quand Dorian regarde sa montre en annonçant qu'il est l'heure de rentrer.

— On va prendre le métro, nous, déclare-t-il en passant son bras derrière la taille de Sarah. Tu viens, Nat ?

— En fait, j'habite à un quart d'heure à peine, donc je vais rentrer à pied.

— Tu veux que je te raccompagne ? me propose Antoine.

Je sens mes joues s'empourprer à cette idée. Même si nous avons décidé pour l'instant d'être de simples amis, je sais déjà que ma mère me fera une tête grosse comme une pastèque si elle voit un garçon me raccompagner !

— Euh... Je...

— Allez, il fait déjà nuit noire, je vais pas te laisser rentrer toute seule ! insiste-t-il. Je vais baliser, sinon...

Je ne peux m'empêcher de voir le regard complice que se lancent Dorian et Sarah avant que cette dernière n'intervienne :

— J'avoue, Nat, il commence à se faire tard, ce serait plus prudent.

J'ai bien envie de lui dire de se la mettre où je pense, sa prudence, car je sais parfaitement ce qu'elle a derrière la tête... Mais je m'abstiens.

— Hum, bon, okay, d'accord, je marmonne.

— Cool ! s'exclame-t-il, un sourire ravi aux lèvres.

Je tressaille lorsqu'il passe son bras derrière mes épaules, m'éloignant déjà de nos amis en les saluant :

— Rentrez bien, vous deux !

Nous marchons en silence pendant les premières minutes du trajet, puis Antoine finit par le briser :

— Bon, du coup... J'espère que ta fin de soirée aura su rattraper tes déceptions.

Mon coeur accélère face au sourire qu'il m'adresse et, à cet instant, j'ai l'impression de le trouver encore plus mignon que d'habitude.

— Euh... Oui, ça va.

— Ça va, seulement ? répète-t-il avec une moue déçue.

— Non, non, plus que ça ! C'était vraiment chouette, je me suis bien amusée et j'ai même réussi à oublier temporairement mon engueulade avec Adam.

Antoine se gratte l'arcade sourcilière.

— Tant mieux, alors.

Un nouveau blanc s'installe entre nous, et c'est encore Antoine qui y met fin :

— Je peux te poser une question ?

— Euh... Oui, si tu veux.

— Adam et toi, vous... Euh... Il y a un truc entre vous ?

Je me rembrunis à sa question, et Antoine se dépêche de se rattraper :

— Désolé, je voulais pas être indiscret ! T'es pas obligée de répondre si tu veux p-

— Il a une copine, je le coupe. Et il a couché avec pendant les vacances. Pour la première fois. Ça répond à ta question ?

J'ai prononcé ça d'un ton haché, sans comprendre pourquoi j'ai eu besoin de mentionner la dernière partie.

— Oh, okay, lâche-t-il en se frottant le nez. Mais du coup, ce soir, vous...

— C'était purement amical, comme rendez-vous. Il voulait pas que j'accepte de sortir avec toi, et vu que sa petite-amie habite loin et qu'il était seul lui aussi, il m'a proposé ça. Mais finalement, elle l'a harcelé de messages pendant le resto et il a fini par se barrer pour lui parler. D'où ma contrariété. (Je hausse les épaules.) Voilà, tu sais tout.

— Donc... T'étais pas déçue parce qu'il te plaît, mais juste parce qu'il t'a laissée en plan ?

— Disons que... On s'est disputés, et il m'a dit des trucs vraiment pas cools. Et je suppose que moi aussi, j'ai dû exagérer... Mais oui, on est juste amis, rien de plus.

Je marque une pause avant d'ajouter :

— J'ai laissé planer le doute là-dessus parce que je voulais que tu sois jaloux. Désolée, je suis un peu fourbe, parfois...

Antoine écarquille les yeux puis se met à rire. Je réalise alors que pendant que nous parlions, nous sommes arrivés devant chez moi.

— Bon, voilà. Tu as accompli ta quête et as raccompagné la jeune fille sans défense que je suis au bercail. Félicitations, héros !

Il hausse des sourcils, un peu surpris, et à cet instant j'ai juste envie de me baffer devant ma débilité.

Putain, t'es obligée de toujours dire des trucs bizarres ? ai-je envie de me gifler intérieurement.

— Pff, t'es marrante, comme fille ! pouffe-t-il.

Sa réaction me rassure un peu, néanmoins je ne peux m'empêcher un petit moment d'auto-dévalorisation :

— Certains auraient plutôt employé l'adjectif perchée...

— Mais non, me rassure-t-il. Tu sais, je pense qu'on a tous un côté un peu perché. Je crois t'avoir laissé entrevoir un aperçu du mien tout à l'heure, quand j'étais en mode Chicken Attack contre Dorian. (Son sourire s'élargit.) Et franchement, je suis content que tu le laisses s'exprimer avec moi, toi aussi. Car ça veut dire que tu commences enfin à être à l'aise en ma compagnie...

Je me mets à fixer mes chaussures.

— Oui, je suppose que je me sens plus en confiance maintenant qu'on a décidé d'être juste amis.

Antoine se racle la gorge :

— Ouais, d'ailleurs, à ce propos...

Je relève la tête, intriguée par son air franchement nerveux, tout à coup. Il m'adresse un sourire gêné avant de demander :

— Est-ce qu'on pourrait... revenir là-dessus ?

Mon sang ne fait qu'un tour à cette question et, j'ai beau avoir très bien compris ce qu'il entendait par là, je décide de feindre l'incompréhension histoire de me laisser le temps de réagir :

— Co... Comment ça ? Revenir sur quoi ?

Antoine se passe une main dans les cheveux mais ne se dégonfle pas :

— Cette histoire d'amitié... Quand j'ai dit ça, je pensais que t'avais un crush sur un autre mec. Mais maintenant que je sais que y'a rien entre vous...

Il prend une petite inspiration pour se donner du courage :

— J'ai pas envie d'être juste ton ami, Nat. Je sais que je mérite pas que tu me laisses une deuxième chance, mais... Si t'acceptes de sortir avec moi, je te promets que j'assumerais devant mes potes.

A cet instant, mon cerveau carbure à toute allure. Les images de cette soirée de Saint-Valentin défilent dans mon esprit ; ma dispute avec Adam en se rendant à l'escape game, suivi de notre réconciliation et de notre moment de proximité après ma crise d'angoisse ; le restaurant, où il s'est montré si attentionné envers moi au début ; puis, finalement, notre engueulade sur le trottoir, les mots, si durs, qu'il a prononcés ; ma discussion avec Sarah sur le banc ; les confidences d'Antoine sur son passé de collégien solitaire ; puis de tous les moments de franche rigolade qui ont suivi dans le parc ; jusqu'à cette promenade qui nous a conduits ici, sur le pas de ma porte.

Alors que, revenue au moment présent, j'ouvre la bouche pour répliquer, Antoine m'en empêche :

— Attends, t'es pas obligée de répondre tout de suite. Réfléchis-y ce week-end et on en reparle...

"T'as aussi le droit de vouloir être heureuse, Nat." Les paroles de Sarah se rappellent soudain à moi et, comme s'il s'était agi de la dernière impulsion nécessaire à mon courage, je ne laisse pas Antoine finir sa phrase et dis avec détermination :

— C'est d'accord.

Il ouvre grand les yeux.

— T'as dit quoi ?

— J'ai dit que c'était d'accord, je répète avec un petit sourire. Je veux bien qu'on sorte ensemble.

— Sérieux ?

Antoine amène les mains à son visage et se laisse retomber contre le muret derrière lui, comme si ses jambes ne suffisaient plus à le soutenir, et pousse un long soupir.

— Putain, je suis trop soulagé ! J'avais tellement peur que tu me rejettes à nouveau ! J'ai dû faire appel à tout mon courage pour oser de te le redemander, tu sais !

Il laisse retomber ses bras puis me dévisage d'un air radieux qui s'avère bientôt contagieux.

— Je suis trop content, là !

En effet, il a l'air tellement aux anges, avec son sourire béat... Moi, j'ai un peu de mal à réaliser, sur le coup. Alors quoi, ça y est, on sort ensemble ? Il y a quelques secondes encore, nous étions deux individus distincts, et désormais, après une simple phrase, nous sommes un couple ? Mais qu'est-ce que ça change, concrètement ? Car là, tout de suite, je ne me sens pas bien différente...

Comme s'il lisait dans mes pensées, Antoine fait un pas vers moi, jusqu'à ce que notre proximité dépasse clairement le stade de la simple amitié. Il pose délicatement une main sur ma taille, tandis que, de l'autre, il vient caresser ma joue. Il s'agit à peine d'un effleurement, comme s'il n'osait pas tout-à-fait me toucher et, pourtant, cela suffit à m'électriser de la tête aux pieds ainsi qu'à me couper momentanément le souffle.

— Du coup..., chuchote-t-il de sa voix douce. J'ai le droit de faire ça ?

Son ton est légèrement haché, comme si, lui aussi, il avait du mal à respirer. Trop intimidée pour parler, je me contente d'hocher timidement la tête.

Ses doigts explorent doucement mon visage, s'aventurant le long de ma mâchoire, jusqu'à mon menton, pour remonter sur mes pommettes, mon front, autour de mes yeux, puis descendent à nouveau sur mon nez, avant de glisser sur ma bouche qu'il caresse de son pouce. Chacun de ses gestes déclenche des frissons le long de ma colonne vertébrale.

Le voilà maintenant qui commence à se pencher vers moi ; cette fois, je suis carrément en apnée. Mais, alors que seul son doigt sépare désormais nos lèvres, il s'immobilise pour s'enquérir avec un petit sourire gêné :

— Ça aussi... J'ai le droit ?

J'acquiesce à nouveau sans mot dire et, après quelques instants d'hésitation, la bouche d'Antoine vient remplacer son pouce sur la mienne. 


Musique : The Chainsmokers & Coldplay — Something Just Like This

https://youtu.be/FM7MFYoylVs

"I'm not lookin' for somebody
With some superhuman gifts
Some superhero, some fairy-tale bliss
Just something I can turn to
Somebody I can kiss" 🎶


Hey ! Vous allez bien ? Désolée pour la journée de retard, mais le chapitre n'était pas terminé, je l'ai fini hier soir. J'ai eu beaucoup de mal à me lancer dans la partie Antoine/Nat, mais au final, je suis plutôt satisfaite du résultat. 😊

J'espère que ce long chapitre (6800 mots) vous a plu. J'ai hésité à le couper en deux mais, honnêtement... Je ne voyais pas trop où je pouvais couper ; donc voilà. 

Qu'avez-vous pensé de la mauvaise humeur de Nat suite au départ d'Adam ? Et de la tentative de la calmer de Sarah ? 

De son échange énervé de SMS avec Adam ? 🤭

Puis du coup fourré que lui ont joué Dorian et Sarah ? Vous vous y attendiez ? 😈

Des conseils que lui donne Sarah, sur le banc ? J'adore cette fille, elle ne prend pas de gants mais elle parle toujours de manière sensée, je trouve. 

Et enfin, de sa conversation avec Antoine ? De ses aveux sur son passé de collégien solitaire fan de comics ? Je sais que ce n'est pas le personnage le plus aimé, et que beaucoup sont dans la team Adalie... Mais j'espère que ce chapitre vous aura fait changer de point de vue sur notre cher footeux. Perso, je le trouve assez mignon et attachant, ici. A voir s'il parvient à le rester une fois retourné au lycée avec ses amis dans les parages... 😬

De leur moment de convivialité dans le parc ? 

Et enfin... D'Antoine qui raccompagne notre Lalie chez elle et lui propose, une nouvelle fois, de sortir ensemble ? Vous attendiez-vous à ce que Nat accepte ? Comprenez-vous pourquoi elle le fait ? Lui auriez-vous laissé sa chance, à sa place ? 

Des pronostics pour la suite ? 😏

En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à bientôt pour la suite ! 😘

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top