72. En couple à cinquante pour cent

— C'est officiel, je déteste la Saint-Valentin ! je déclare tout-de-go en posant mon plateau à côté de celui d'Adam. 

L'air bougon, je jette des regards haineux à la cantine qui a été décorée pour l'occasion. Trop de roses, trop de coeurs, trop de fleurs et, surtout, beaucoup, beaucoup trop de couples à mon goût.

Cela fait une semaine que les cours ont repris et, depuis l'épisode "Antoine le mouton", je me suis prise d'une haine viscérale envers ce qui attrait de près ou de loin à l'amour.

Et pour cause : tout le monde, je dis bien absolument tout le monde autour de moi est en couple. Mattéo a Ilyès et Ilyès a Mattéo, Adam a Fiona, Marjorie a Camille, mon père a ma mère, mon frère a sa petite-amie, et même Aurore a finalement trouvé un rosbeef avec qui roucouler en chantant Wonderwall...

Pourtant, la pire trahison vient de la part de Sarah qui, au lieu de me soutenir dans mon célibat en ces temps difficiles, n'a pas trouvé mieux que de sortir avec le gars rencontré la dernière fois à la soirée !

Celui-ci, Dorian de son petit nom, bien que faisant partie de la section foot ainsi que des populaires, n'a pas le moins du monde honte de s'afficher en public avec elle, lui.

Au moment où je vous parle, ils sont d'ailleurs installés sur une table en tête à tête, à quelques mètres de nous, à se faire des petits bisous et à s'échanger des oeillades emplies d'amour écoeurantes de mièvrerie. A tel point que je ne serais même pas surprise si des émojis coeurs se mettaient à flotter autour d'eux !

Soudain, je sursaute quand mon regard croise celui d'Antoine, lequel mange en compagnie de ses potes sur la table juste derrière eux. Ce dernier m'adresse un faible sourire ainsi qu'un petit signe de la main, ce à quoi je réponds par un doigt d'honneur oculaire.

Alors que je me perds parmi des pensées sadiques dans lesquelles Antoine voit, entre autres, son crâne être rasé ou ses jambes épilées à la cire, la voix d'Adam, à côté de moi, me fait sursauter :

— C'est officiel, moi aussi !

Je ne peux m'empêcher de lui mettre un coup de coude.

— De quoi tu te plains, toi ? T'as ta Fiona !

— Peut-être, mais elle est loin ! rétorque-t-il d'un ton guindé après avoir avalé une bouchée de pommes de terre rissolées. Donc j'ai le droit de râler quand même.

— Pas autant que moi ! je proteste en agitant ma fourchette sous son nez. Je reste prioritaire sur la râlerie car je suis célibataire à cent pour cent, moi, monsieur !

Adam fronce les sourcils et se recule légèrement afin d'esquiver mes gesticulations :

— Vas-y fais gaffe, maladroite comme t'es tu serais bien capable de m'éborgner ! Et puis, t'entends quoi par célibataire à cent pour cent ?

Je prends le temps d'avaler une gorgée d'eau avant de répondre :

— Bah, toi, tu l'es qu'à moitié, quoi. Officiellement t'as une copine, mais on la voit jamais. Donc voilà, t'es en couple à cinquante pour cent !

A ce moment-là, je me mords la lèvre inférieure en voyant les joues du chevelu rougir tandis que ses narines se dilatent sous la colère.

— Ouais bah tu sais quoi, Nat ? lance-t-il d'un ton acerbe. La prochaine fois que t'auras besoin de te plaindre à quelqu'un de tes déboires sentimentaux, oublie-moi !

J'ouvre la bouche afin de répliquer, mais suis coupée dans mon élan par les éclats de rire d'Ilyès et Mattéo, lesquels se foutent ouvertement de nos poires :

— Sont-ils pas mignons à se chamailler comme un vieux couple, Matt ?

— Oh si, adorables ! Je me lasserai jamais de les entendre se bouffer le nez, ces deux-là ! rétorque celui-ci avec un sourire rêveur, la joue appuyée contre son poing.

— Plus distrayants qu'une série Netflix, moi j'dis ! enchérit son petit-ami.

Adam et moi les fusillons du regard avant de leur lancer d'une seule voix :

— Oh, vous, la ferme !

Toutefois, cela ne fait qu'augmenter encore d'un cran leur hilarité.

— Ah la la, c'est bon, vous avez qu'à nous accompagner demain soir ! nous propose Mattéo.

Ilyès ouvre alors de gros yeux :

— What ? T'es ouf ? (Puis, en baissant d'un ton : ) Ce sera plus un rencard si ils se ramènent, hein !

— Une sortie au cinéma, c'est nul comme rencard, Ilyès, rétorque le délégué d'un ton moqueur.

Celui-ci se met à tripoter nerveusement sa fourchette tout en pestant à voix basse :

— Wesh, t'abuse ! Je fais déjà des efforts en acceptant qu'on sorte tous les deux sur un lieu public, j'te signale !

— Du coup, tu choisis le cinéma où personne peut nous voir quand on s'embrasse, c'est ça ? ironise Mattéo.

Il n'a absolument pas cherché à être discret en disant ça, ce qui arrache à Ilyès des coups d'oeil nerveux autour de lui histoire de s'assurer que personne n'ait entendu.

— T'es jamais content, de toute façon, bougonne-t-il finalement, avant de détourner la tête avec une moue boudeuse.

Mattéo soupire puis se penche légèrement vers lui, effleurant le dos de sa main de son index.

— Désolé, souffle-t-il. Je voulais pas te vexer. S'il te plaît, fais pas la gueule.

Je m'accoude sur la table et lance à mon tour, un sourire narquois aux lèvres :

— Sont-ils pas mignons à se disputer, ces deux-là, hein, Adam ?

Ce dernier, comprenant mon manège, abandonne la mine contrariée qu'il affichait depuis plusieurs minutes et entre dans mon jeu :

— Oh si, adorables ! Je m'en lasserai jamais, je crois !

— Plus distrayant qu'avancer ma partie sur Animal Crossing !

— Nianiania ! nous répliquent-ils d'une seule voix en tirant la langue.

Nous nous esclaffons tous les quatre et, à cet instant, j'en oublierais presque mes préoccupations précédentes tellement mon coeur me semble soudain plus léger.

— Bon, sérieusement, vous êtes pas vraiment invités, hein, se reprend Mattéo. J'ai juste dit ça pour être poli, mais j'espérais que vous refusiez.

— T'inquiète, on avait pigé, lui réplique Adam. On comptait pas s'incruster à votre rencard, on est pas désespérés à ce point, Nat et moi !

— Parle pour toi..., je marmonne en amenant mon verre d'eau à mes lèvres.

Le chevelu lève les yeux au ciel.

— On s'en balec, de la Saint-Valentin, Nat ! C'est juste une fête commerciale ! (Il hausse les épaules.) Perso, je pense que je vais me contenter de passer la soirée sur WoW à farmer les hauts-faits de l'événement De l'amour dans l'air avec Fio. Il m'en manque encore quelques uns avant d'obtenir le titre.

Mattéo hausse un sourcil sceptique.

— Genre tu vas l'afficher si tu l'obtiens ? Tu t'appelleras : "Buridg au coeur d'artichaut" sur le jeu, tu vas me dire ?

— N'importe quoi, t'es ouf ! Jamais je le mettrai !

— Alors pourquoi tu veux le farmer, du coup ? s'enquiert Ilyès, perplexe. Ça n'a aucun sens !

Les joues d'Adam s'empourprent sous l'agacement.

— J'aime bien collectionner les titres et les hauts-faits, c'est tout ! Je vois pas où est le problème !

— Mouais, bah si tu veux mon avis, tu ferais mieux d'aller t'entraîner sur les poteaux à Hurlevent, car ton DPS est à chier en ce moment ! lui lance Ilyès d'un air narquois.

— C'est pas ma faute si Blizzard a nerf les guerriers depuis le dernier patch ! Je joue pas une classe cheatée, moi ! s'énerve Adam. Et puis, franchement, de la part d'un mec qui slack en permanence dans les AoE, ça me fait doucement rigoler !

Son interlocuteur balaye sa remarque d'un revers de main.

— Ça m'empêche pas d'être premier au kiki, alors je m'en branle !

— Putain dis pas ça en face de Fiona, sinon elle va te défoncer ! l'avertit Mattéo. Tu lui crames toute sa mana à force de te prendre des dégâts inutiles, t'abuse, en vrai...

— Grave, elle en ras-le-cul de soigner ton cul d'elfe en permanence, j'te signale ! enchérit Adam, agitant son couteau sous le nez d'Ilyès d'un air menaçant.

— Bah c'est son rôle en même temps, non ? proteste ce dernier, hilare. Si les healers se mettent à râler quand ils doivent soigner, où va le monde ?

Etant donné que la conversation continue de dévier sur le jeu et que, même si je m'y connais assez pour suivre désormais, mon intérêt, lui, est aux abonnés absents, je décide de m'éclipser en direction de la fontaine.

Absorbée par la fascinante contemplation de l'eau se déversant à l'intérieur du pichet, je laisse mes pensées me ramener vers les paroles d'Adam. C'est vrai qu'au final, j'ignore pourquoi je fais une telle fixette sur la Saint-Valentin. En quinze ans d'existence, je l'ai toujours vécue seule chez moi. Il s'agit en principe d'un jour ordinaire à mes yeux, sans que ça ne me perturbe plus que ça.

Alors pourquoi aujourd'hui cela me tient-il autant à coeur ? Pourquoi cela m'affecte-t-il plus cette année que les autres ? Peut-être parce qu'au moment où je me suis promis de me bouger afin de devenir une véritable héroïne, il y a plusieurs mois de cela, je m'étais imaginé que la Saint-Valentin verrait la concrétisation de mon projet.

Combien de fois n'ai-je pas fantasmé sur mon premier rencard romantique en compagnie de Mattéo, à flâner dans les rues de Lille en sortant d'un restaurant ou d'un cinéma ? Je secoue la tête en y repensant, amusée par ma propre bêtise et mon immaturité de l'époque.

Oui, je m'étais imaginé que cette année, les choses seraient différentes et que j'aurais un petit-ami lors du quatorze février. Au final, je suis toujours aussi seule ; et de voir tous mes amis, autour de moi, s'épanouir, ne fait que remuer le couteau dans la plaie. Je sais que je ne devrais pas être jalouse ; mais c'est plus fort que moi. A cet instant, cet aspect négatif de ma personnalité ne peut s'empêcher de ressortir.

J'en serais presque à regretter de ne pas avoir accepté la proposition d'Antoine, au final.

A peine ai-je formulé cette pensée que je sursaute en entendant la voix douce de ce dernier derrière moi :

— Salut, Nathalie.

Je me retourne et arque des sourcils étonnés lorsqu'il dépose son pichet à côté du mien.

Pff, manquait plus que lui... Il a un sacré culot de me venir me parler ! Je me demande bien ce qu'il me veut... 


Musique : Anaïs — Mon coeur, mon amour 

https://youtu.be/oXPfYubrxTA


Hey ! J'espère que vous allez bien en ces temps troublés. Prenez bien soin de vous et de vos proches, force et honneur, tout ça. 🙌

Ça me fait bizarre de poster ce chapitre car je l'ai écrit il y a à peine deux semaines haha, j'ai l'habitude d'avoir plus de délai entre l'écriture et la publication. Bref, j'espère qu'il vous a plu, en tous cas, et que l'ellipse ne vous a pas perturbés (j'en fais de + en + dis donc, je suis fière de moi xD). 

Qu'avez-vous pensé de cette ambiance de Saint-Valentin ? J'ai écrit ce début de chapitre avec en tête la musique d'Anaïs, qui me rappelle mon adolescence. Oh la la j'avais 14 ans quand elle passait à la radio, je me sens VIEILLE d'un coup ! 😱T'façon tu sais que c'est une vieille chanson à partir du moment où elle parle de forfait téléphonique, ce truc que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. 😂 Et tout le monde la chantait au collège, c'était devenu l'hymne des célibataires. Bref, j'sais pas si les jeunes qui me lisent la connaissaient, mais bon, c'était bien drôle à l'époque.  🤭

J'étais contente que Sarah se soit trouvé un copain, elle le mérite, après tout. Y'a pas de raison 😆 Même si elle se laisse absorber, comme dirait Anthea_Viki, par le vortex de la b-... Hum, le vortex de l'amour en oubliant un peu ses potes.

Qu'avez-vous pensé de la chamaillerie Adam/Nathalie ? Comme Mattéo et Ilyès, j'adore les voir se prendre le chou ces deux-là ! 😏

Des efforts que fait Ilyès pour sortir en public avec Mattéo ? 

Des espoirs déçus de Nat concernant son énième Saint-Valentin ratée ? 

Et enfin... A votre avis, que lui veut Antoine ? 😬

Réponse dans le prochain chapitre... En attendant, je vous fais des bisous et vous dis à dans quinze jours ! 😘

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