71. Le mouton
— Excuse-moi si je suis directe, mais... J'ai déjà eu de faux espoirs une fois et je veux pas que ça recommence. (Je prends une grande inspiration.) Si tu m'as invitée ce soir, est-ce que c'est parce que... je te plais ?
— Hum, en effet, c'est plutôt direct, déclare Antoine après s'être raclé la gorge. Du coup, je vais me montrer tout aussi franc avec toi, Nathalie... (Il passe une main parmi ses boucles.) Oui, tu me plais.
Incapable d'échapper à ses yeux scrutateurs, je sens que je suis en train de devenir aussi rouge qu'une tomate bien mûre. Cependant, pour la première fois de ma vie, je trouverais presque ça agréable.
— Tu te posais vraiment la question ? continue-t-il après avoir froncé les sourcils.
Je m'éclaircis la gorge.
— Bah, comme tu t'en doutes sûrement, j'ai pas beaucoup d'expérience en la matière, alors... Avec moi, il vaut mieux éviter les sous-entendus et être le plus évident possible, tu vois. Sinon, je risque de passer à côté de tes signaux.
Il fronce les sourcils.
— C'est pour ça que tu m'as refoulé la première fois ? Après notre interview ?
Je baisse la tête, gênée.
— Hum, en gros, oui. Je pensais que tu m'avais invitée par politesse, ou par pitié, ou les deux. Dans ma tête, il était inconcevable qu'une fille comme moi puisse intéresser un mec comme toi.
— Ah... C'était donc ça...
J'ose relever les yeux vers lui. Antoine se frotte le nez, l'air songeur.
— Qu'est-ce que t'entends, au juste, par, "une fille comme toi ?"
— Bah, tu sais... Une fille ordinaire, timide, insignifiante... Je pensais que ton genre, c'était plutôt les Sandy ou les Allison, tu vois, et non pas la petite Nathalie banale.
Il hausse les épaules.
— J'aime bien ta banalité, objecte-t-il.
Je fronce les sourcils.
— Vraiment ?
Antoine fait la moue.
— Les filles comme Sandy ou Allison sont jolies, c'est vrai, mais... Je sais pas, moi, elles m'intimident, en fait. Et puis, c'est difficile de savoir ce qui leur passe par la tête. Elles ont toujours l'air de préparer un mauvais coup ou d'avoir des soucis. Je préfère une fille un peu moins jolie mais normale.
Je sais que c'est supposé être un compliment, pourtant je ne peux m'empêcher de me sentir quelques peu vexée par ces mots. Je détourne le regard d'un air assombri.
— Moins jolie..., je répète d'une petite voix.
Semblant comprendre sa bourde, Antoine essaye de se rattraper :
— Euh, le prends pas mal, hein ! Je te trouve mignonne ! Très mignonne ! Tu me plais, je t'assure !
— C'est bon, je le coupe. Je sais que je réponds pas aux canons de beauté de la société. Ce serait me voiler la face que d'y croire. Je peux pas t'en vouloir pour ça...
— Quand même, je vois bien que je t'ai vexée...
Je hausse les épaules.
— J'ai une autre question et, s'il te plaît, j'aimerais que t'y répondes aussi honnêtement. (Je serre les poings.) Est-ce que tout ça, c'est un genre de pari avec tes potes ?
Il fronce les sourcils.
— Comment ça ?
— Tu sais, le genre de pari : séduire la fille insignifiante et la larguer comme une merde ensuite, foutre un nouveau râteau à Rateaulie histoire de se marrer un bon coup. Je t'en voudrais pas, si c'est le cas, t'inquiète pas. Je me doute que t'en serais pas à l'origine... Mais s'il te plaît, dis-le moi tout de suite, histoire que je sois fixée.
Antoine croise les bras sur son buste, la mine renfrognée.
— Non, c'est pas un pari, répond-il froidement. Et je suis un peu froissé que tu puisses penser que je marcherais dans ce genre de combine. Okay, je suis un mouton, mais je suis pas un salaud. J'aurais jamais accepté de faire un truc pareil, ni à toi, ni à personne d'autre.
Je pousse un soupir de soulagement.
— Désolée, mais il fallait que ça sorte. Je pouvais pas garder cette inquiétude pour moi. Tu m'en veux ?
— Non... Je suppose que je comprends tes craintes, vu ce qu'il s'est passé ces dernières semaines. Mais, si ça peut te rassurer, tu me plais vraiment, et personne m'a demandé de te séduire ou je ne sais quoi. En fait, c'est plutôt l'inverse...
Il marque une pause et je ne peux m'empêcher de lever la tête vers lui.
— Comment ça, l'inverse ?
Antoine se gratte le cou, mal à l'aise.
— Depuis que je m'intéresse à toi, mes potes arrêtent pas de me charrier. C'est pour ça que j'ai pas osé venir te parler ce soir. J'avais pas envie qu'ils se foutent de moi. Désolé. Je suppose que je suis pas assez courageux pour assumer jusqu'au bout.
Je fronce les sourcils.
— Sérieux ? je m'exclame, furieuse. Je dois comprendre quoi, là, au juste ?
— Que si tu veux sortir avec moi, faudra qu'on le fasse en secret.
What the... c'est quoi ce délire ? C'est lui qui m'invite, et maintenant il me sort qu'il accepte d'être mon copain, à condition que personne le sache ?
Je croise les bras sur ma poitrine.
— Oh, eh bien, tu sais quoi ? C'est moi qui suis désolée, en fait ! Désolée d'être venue t'embarrasser, ce soir ! Je voudrais pas entacher davantage ta réputation en te fréquentant trop longtemps, alors je vais retourner dans mon coin de la salle, là où squattent les losers de ma catégorie !
Antoine hausse les sourcils, perplexe face à ma réaction. Je ne lui laisse pas le temps de formuler la moindre phrase, tournant déjà les talons afin de mettre le plus de distance possible entre lui et moi, sans un regard en arrière. A quoi bon ? Je me doute bien qu'il n'a pas fait un seul pas pour chercher à me retenir, de toute manière.
— Nat ? m'intercepte Sarah sur mon chemin. Ça va pas ? Il y a un souci ?
Refoulant les larmes qui montent à mes yeux, je lui adresse un grand sourire :
— Non, tout va bien. Tout va très bien. Je vais aux toilettes, je reviens.
— T'es sûre ? Je peux appeler mon père si tu v-
Je ne la laisse pas finir sa phrase et accélère l'allure jusqu'à la salle de bain où je m'enferme à double tour. Là, je me laisse enfin aller, osant pleurer afin d'évacuer mon chagrin. Pour qui Antoine se prend-il, au juste ? Il a cru que parce que j'étais une fille banale et ordinaire, j'étais prête à tout accepter ? Que j'étais dépourvue de fierté ?
Agacée, je sors mon smartphone et décide de raconter ma mésaventure à Adam par WhatsApp.
✉️L'elfe : Hmm... Je suis désolé, Nat. Même si je dois avouer que ça me surprend pas des masses venant de la part d'Antoine... Ce type est un mouton. Il accorde plus d'importance à son image qu'à n'importe quoi d'autre... Il fallait pas en attendre plus de sa part, hélas...😕
✉️Biquette : J'en ai marre, Adam. J'en ai marre d'être toujours le dindon de la farce ! D'abord Mattéo, et maintenant ça ! Peu importe les efforts que je fais, je me retrouve toujours seule à la fin. Est-ce que c'est vraiment trop demander que d'avoir, juste une fois dans ma vie, un partenaire de danse, moi aussi ? 😞
✉️L'elfe : Si t'as pas de partenaire, alors t'as qu'à danser avec toi-même.
✉️Biquette : Pff ! Mais oui, bien sûr ! 🙄Je vais danser toute seule, comme une conne, au milieu de tous les gens en couple ! Quoi de plus pathétique ?
Adam ne répond pas à ce message mélodramatique et, l'espace d'un instant, je pense l'avoir vexé. Vous comprendrez ma surprise quand je vois que, quelques minutes après, il m'appelle en visioconférence.
Lorsque je décroche, pourtant, la caméra n'affiche rien d'autre que sa chambre, vide. Il a visiblement déposé son smartphone sur son oreiller car j'ai un aperçu de son lit et d'un morceau de la pièce.
— Branche tes écouteurs.
Sa voix m'arrache un sursaut, mais je m'exécute.
— C'est fait, je dis, de plus en plus intriguée.
Adam apparaît alors à l'écran. Il m'adresse un sourire réconfortant puis s'installe sur le bord de son lit, sa guitare sur les genoux, et se met à jouer un air que je ne reconnais pas tout de suite, jusqu'à ce qu'il se mette à chanter :
♪ On the floors of Tokyo
A-down in London town's a go go
A-with the record selection,
And the mirror's reflection,
I'm a dancin' with myself ♪
Il s'arrête soudainement après ce premier couplet.
— Alors, t'as reconnu ? me demande-t-il d'un air très sérieux.
J'essuie les dernières larmes perlant à mes yeux, sentant un sourire se dessiner sur mes lèvres malgré moi.
— Billy Idol, Dancing with myself, je réponds en reniflant.
— GG. Ta culture musicale est pas aussi nulle que ce que je pensais.
— On dirait pas comme ça, mais les Trombière sont des rockeurs dans l'âme ! J'ai été élevée aux airs de Led Zeppelin, Rolling Stones et autres Nirvana, tu sais !
Il hausse des sourcils, impressionné.
— Hum, tu caches bien ton jeu, alors. Attends, bouge pas.
Il pose sa guitare sur son lit puis passe hors-champ quelques instants, avant de revenir lorsque les premières notes de la musique de Billy Idol se mettent à résonner dans mes oreilles.
— Allez, Nat, j'aime pas danser, mais je fais une exception pour toi, ce soir !
A peine a-t-il dit ça qu'il se met à remuer en rythme sur la chanson. Si ses pas sont timides au début, il se lâche de plus en plus au fur et à mesure, allant jusqu'à se saisir de sa guitare afin de faire semblant de jouer tel un rockeur sur scène.
Riant malgré moi, je ne tarde pas à l'accompagner, ignorant le reflet que me renvoie le miroir de la salle de bain de cette folle dingue en train de se trémousser toute seule, son téléphone à la main.
A cet instant, je réalise que c'est un des rares moments depuis le début de la soirée où je m'amuse réellement.
Or, encore une fois, c'est à Adam que je le dois.
Musique : Billy Idol — Dancing With Myself
https://youtu.be/RDd2ga74x68
Hey ! Vous allez bien ? J'espère que l'attente n'aura pas été trop longue ! Bon, la bonne nouvelle, c'est que le prochain chapitre est déjà écrit, donc 100% sûre vous aurez la suite dans 15 jours. Je n'accélère toujours pas le rythme cela dit car je reprends l'écriture doucement, je n'ai pas encore assez d'avance pour me permettre de revenir à un chapitre par semaine.
J'espère qu'il vous a plu en tous cas. En ce qui me concerne il date un peu maintenant, mais je me souviens avoir pris beaucoup de plaisir à l'écrire, donc j'espère qu'il en va de même pour vous. 😊
Qu'avez-vous pensé de la réponse d'Antoine à Nathalie ?
De sa proposition de sortir ensemble en secret car il n'assume pas ? 😬 Vous vous y attendiez ? Beaucoup d'entre vous s'attendaient plutôt à un pari, donc j'espère vous avoir (un peu) surpris(e)s avec ça.
Du refus de Nathalie ? Vous vous attendiez à ce qu'elle dise "non" par fierté ? Êtes-vous plutôt fier(e)s d'elle ? Ou déçu(e)s ? 🤔 Qu'auriez-vous dit à sa place ?
Ensuite, de la manière dont ce cher Adam la réconforte sur fond de Billy Idol ? 🤭 Ah, j'aime trop cette musique ! 🥰
Des pronostics pour la suite des événements ?
En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à dans deux semaines pour la suite ! 😘
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