63. Chevalier arc-en-ciel

L'article du club presse suffit à me racheter une réputation, faisant presque oublier au reste du lycée l'épisode Rateaulie. Bon, je ne suis pas devenue populaire pour autant, néanmoins on ne me désigne plus comme "la tarée ayant pété un câble en EPS après s'être pris un râteau" mais comme "la fille du club presse ayant exposé la face cachée de la mytho". Ce qui me vaut d'être un minimum respectée.

Même les profs ont félicité mon travail d'investigation ; cela m'a aussi valu de remonter quelques peu dans l'estime de mes parents. Lesquels ont d'ailleurs enfin signé mon autorisation concernant le voyage scolaire à Londres, en plus de consentir à ce que je fête mon anniversaire en compagnie de mes amis, la semaine prochaine, pendant les vacances d'hiver.

Tricia s'est éclipsée très vite après l'épisode du gymnase, ne prenant pas la peine de se rendre aux isoloirs afin de voter pour elle — ce qui aurait probablement été son unique voix —, et on ne l'a pas revue depuis deux jours.

D'après les rumeurs qui circulent, j'ai appris qu'elle s'est disputée avec ses meilleures amies. Ces dernières s'avèrent cela dit quelques peu désorientées aujourd'hui, livrées à elles-mêmes sans aucun tyran pour les guider ou leur dire quoi penser, et errent telles des âmes en peine parmi les couloirs du lycée .

— J'espère qu'elle va revenir, me souffle Mattéo à côté de moi. Ça m'inquiète un peu, je dois dire.

Je suis son regard et vois qu'il a les yeux braqués en direction du siège vide de Tricia. Nous nous trouvons actuellement au laboratoire de SVT, à effectuer des travaux pratiques, c'est pourquoi nous avons le droit de parler librement.

A ce moment-là, j'éprouve un peu de peine à l'égard de Karim, le partenaire habituel de la balance, lequel a l'air complètement désemparé face à son exercice. Il faut dire que d'habitude, c'est la déléguée qui prend tout en charge tandis que lui paresse sur sa paillasse.

— T'es bien trop gentil, Mattéo, je réponds d'un ton désapprobateur. Perso, j'apprécie ce répit.

Devant l'air penaud qu'il m'adresse, je me vois obligée de m'adoucir :

— Je suis sûre qu'elle reviendra après les vacances. Elle a trop d'ambition, elle va pas négliger ses études.

— Espérons que t'as raison. De toutes façons, si elle revient pas, c'est moi qui irais la chercher.

Je ne peux contenir un sourire.

— J'étais sûre que tu dirais un truc du genre. Un véritable chevalier servant.

— Un chevalier aux armoiries à l'effigie de l'arc-en-ciel, alors, me glisse-t-il avec un clin d'oeil.

Je pouffe malgré moi à son allusion, ce qui semble le décontracter quelques peu. Si nous pouvons en rire, désormais, c'est que nous sommes tous deux en voie de guérison.

— C'est mercredi prochain, ton anniv, du coup ? s'enquit Mattéo.

— Oui, j'acquiesce. Adam a demandé à ses parents, ils sont okay pour qu'on le fasse chez lui.

— Ça ira ? Ça sera pas bizarre de se retrouver là-bas à nouveau ?

Je soupire. Mattéo vient d'énoncer à voix haute mes inquiétudes concernant cette fête d'anniversaire. Retourner en ces lieux maudits au sein desquels mon coeur a été brisé... On pourrait penser que c'est du suicide.

— Non, à mon avis c'est une bonne idée, j'objecte. Je veux repeupler ces murs de souvenirs joyeux, cette fois-ci. Et puis, on est cools, maintenant, non ?

Il sourit.

— Ouais, on est cools. Ta cousine va venir ?

— Non, ça tombe pas pendant ses vacances, je grimace. Mais la copine d'Adam sera là, je crois.

— Ouais, elle vient chez lui pendant la semaine. Ça te dérange pas au moins ?

Je le dévisage en fronçant les sourcils.

— Pourquoi ça me dérangerait ? J'ai bien aimé Fiona, la dernière fois, au nouvel an. Elle est sympa.

— Hum, okay, répond Mattéo avec une moue dubitative.

— Ben quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Va au bout de ta pensée !

— Non, rien, rien du tout, élude-t-il d'un ton angélique. Bon, allez, faut se remettre au boulot, le TP va pas se faire seul, et vu qu'on est tous les deux nuls en SVT...

Je soupire.

— J'avoue, je suis jalouse de Sarah ! Adam faisait un bien meilleur partenaire que toi !

Mattéo ouvre de gros yeux en m'entendant dire ça, puis a un rictus moqueur que je ne m'explique pas.

— Tu recommences à faire des têtes bizarres, je dis en fronçant le nez.

— Allez, arrête de parler et bosse ! rigole-t-il.

Cependant, à peine avons-nous réussi à nous pencher sur notre travail que trois coups frappés à la porte suffisent à saper notre concentration. Florent, un des surveillants, entre dans la salle : avec son incommensurable politesse habituelle, il ne daigne même pas adresser un bonjour à la prof ou à la classe et se dirige droit vers Antoine.

Sans prononcer une parole, il dépose un papier devant notre camarade puis ressort comme il est entré. Mme Robinet, une grande femme toute sèche et ridée dont la morphologie s'avère davantage proche d'une bûche morte que de celle d'un être humain, hausse un sourcil avant de lâcher un commentaire sarcastique :

— Celui-là, alors ! Il aurait voulu imiter un courant d'air qu'il ne s'y serait pas mieux pris ! Pas étonnant que vous tourniez mal, les jeunes, avec de tels exemples !

Et celle-ci de secouer la tête en claquant sa langue contre son palais pendant plusieurs secondes, pour finalement s'enquérir auprès d'Antoine :

— Eh bien, ne faîtes pas durer le suspens inutilement, M. Guitteaud. Quel était le motif de cette interruption intempestive ?

Celui-ci, mal à l'aise d'être devenu ainsi le centre de l'attention, se racle la gorge avant d'annoncer d'une petite voix :

— Hum, bah... Je crois que j'ai été élu membre du CVL...

A Charles de Secondat, pas d'annonce en fanfare ni de cérémonie : on vous apprend que vous avez gagné l'élection comme ça, en plein cours de SVT, via un simple papier format A4 remis par un assistant d'éducation mal élevé. Encore une fois, la réalité prouve à quel point elle est décevante.

Cela n'empêche pas mes camarades de l'applaudir ainsi que de le féliciter ; certains osent même se lever afin de venir vérifier de leurs propres yeux l'information ou de le congratuler en lui tapotant le dos. Je jette un coup d'oeil vers une Aya furibonde qui, si elle pouvait assassiner d'un regard, serait incarcérée depuis longtemps.

Une pointe de culpabilité m'envahit malgré moi ; car, n'en déplaise à Adam, j'ai effectivement voté pour Antoine hier après-midi — même si je ne l'avouerais jamais, y compris sous l'épilation ! J'ai été faible et ai préféré écouter mon coeur que ma tête. Si tous les électeurs font pareil, rien d'étonnant à ce qu'on se retrouve gouvernés par des incompétents.


Evidemment, Aya passe la récréation à se lamenter ainsi qu'à râler sur le fait que les gens préfèrent donner leurs votes aux personnes populaires et charismatiques plutôt qu'à celles ayant de véritables projets.

— T'façon, en temps que rebeuse, femme et lesbienne, j'avais aucune chance ! maugrée-t-elle dans sa barbe, boudeuse.

Je déglutis, jugeant préférable de garder le silence plutôt que de me montrer hypocrite. Finalement, la mine contrariée de la militante se mue en un masque de haine pure lorsque son rival s'avance timidement vers nous.

Mal à l'aise, Antoine se gratte l'arrière du crâne puis bafouille en arrivant à notre hauteur :

— Hum, sans rancune, Aya ?

Le regard noir qu'elle lui adresse suffit à répondre à sa question.

— Encore une fois, les gens ont préféré élire le mâle alpha, mais à part ça, la vie est belle ! roule-t-elle des yeux.

Les pupilles du footeux s'arrondissent face à ce commentaire acerbe. Mattéo se racle la gorge et, une fois n'est pas coutume, tente de jouer les médiateurs :

— N'y vois rien de personnel, Aya prenait ces élections vraiment à coeur, tu sais.

La mine d'Antoine s'assombrit.

— Et alors ? Vous croyez que je m'en fous, moi ?

— T'as déjà le foot pour remplir ton dossier ! lui rétorque la militante, hors d'elle. Moi, j'ai raté les élections de délégués en début d'année. Le CVL était important à mes yeux. J'ai de vraies idées, contrairement à toi. A part demander à créer une section de pom-pom girls histoire de vous rincer l'oeil pendant vos matchs, ou réclamer des frites toute l'année, t'as quoi comme projets qui pourraient faire avancer le lycée, dis-moi ?

— Justement, c'est à ce sujet que je venais te voir, j'te signale..., bredouille-t-il. Je voulais te dire que j'étais d'accord avec la plupart de tes idées, et j'allais te demander la permission de les défendre. A commencer par ton club LGBT.

L'expression d'Aya s'adoucit sur-le-champ en entendant ça.

— Vraiment ? s'étonne-t-elle. (Puis, d'un ton suspicieux :) Et pourquoi ça ? On peut pas dire que tes srabs schtroumpfs soient les plus gay-friendly que je connaisse !

Il hausse les épaules.

— Je m'en fiche de l'opinion des autres. Je veux faire ce qui est juste.

Mon coeur accélère en entendant ça. Je ne le pensais pas si courageux.

— Hum, et d'où te vient ce soudain anticonformisme ? s'étonne la militante. T'es plutôt du genre à pas avoir un mot plus haut que l'autre, d'habitude.

Le regard du footeux glisse sur chacun de nous, puis s'arrête sur moi. Un sourire se dessine sur ses lèvres tandis qu'il souffle d'une voix douce :

— Disons qu'un modèle inspirant m'a motivé, ces derniers jours.

Je sens mes joues s'empourprer malgré moi tandis que, derrière lui, je vois Adam mimer l'acte de vomir à mon attention. Je ne peux m'empêcher de lui tirer la langue, ce qui n'échappe pas à Antoine qui hausse les sourcils avant de se retourner. Cela dit le chevelu s'est repris entre-temps et le dévisage d'un air impassible, faisant mine de rien. Cette scène m'arrache un sourire malgré moi.

Le footeux s'apprête à dire quelque chose, cependant il est coupé dans son élan par la sonnerie annonçant la reprise des cours. Tandis que nous nous dirigeons vers le bâtiment afin de nous rendre en mathématiques, je sens que quelqu'un me retient par la manche.

— Attends, Nat, me glisse Antoine de sa voix douce.

Il patiente jusqu'à ce que mes amis se soient éloignés avant de s'enquérir :

— Quand est-ce qu'on se retrouve pour l'article ?

Je cligne des yeux sans comprendre.

— L'article ? je répète bêtement.

— Oui, pour le club presse... Au sujet des élections... La dame du CDI m'a dit que c'était toi qui t'en chargeais.

— Hum, elle a dû se tromper, normalement c'était le rôle de Mattéo...

— Je sais, mais j'ai demandé à ce que ce soit toi.

Il me fixe sans ciller, or je sens mes joues s'empourprer sous ce regard scrutateur.

— M-Moi ? je croasse d'une voix plus aiguë que ce que j'aurais voulu.

Mon cri de détresse semble bien l'amuser car un sourire se dessine sur ses lèvres face à ma réaction.

— Oui, toi, confirme-t-il. T'as fait du bon boulot sur l'histoire de Tricia. En plus, t'as une jolie plume, or t'écris pas beaucoup d'articles... Franchement, je trouve ça dommage. Donc je lui ai dit que je voulais que ce soit toi qui t'en occupes.

Okay, alors, laissez-moi récapituler : Antoine Guitteaud, membre de la section foot, populaire, aka le mec super mignon que je mate en cours depuis plusieurs semaines, a réclamé à ce que ce soit moi, Nathalie Trombière, quinze ans dans sept jours, fille en surpoids, timide, insignifiante, tristement banale et indécrottable looseuse, qui se charge d'écrire sur son élection au CVL ?

A l'intérieur de ma poitrine, les battements de mon coeur accélèrent à cette idée, tandis que la panique m'envahit. Et pour cause : cela signifie que je vais devoir passer du temps en sa compagnie. Seuls. En tête à tête. Juste lui et moi. A DISCUTER.

D'accord, j'ai progressé ces derniers mois ; j'arrive à aligner plus de deux mots quand je parle avec un inconnu, je n'éclate plus en sanglots pour un oui ou pour un non, j'ai même réussi à tenir tête à Tricia la Balance.

Pourtant, à cet instant, ma maigre assurance difficilement acquise semble s'être envolée.

Car je m'en sens tout bonnement incapable. 


Musique : The Beatles — Help ! 

https://youtu.be/MKUex3fci5c

Hello ! Comment allez-vous ? 

J'espère que le chapitre vous a plu ! Comme je vous l'ai dit la semaine dernière, on entre enfin dans un nouvel arc narratif qui, j'espère, vous plaira puisqu'il concerne Antoine.🤭

Qu'avez-vous pensé de la discussion de Nat et Mattéo en cours d'SVT ? Contents de les voir se parler à peu près normalement à nouveau ? 

Les résultats des élections sont tombées, sinon et, contrairement à la majorité de vos souhaits, c'est Antoine qui a gagné. C'est nul pour Aya mais terriblement réaliste, hélas... Vos réactions à ce sujet ? Qu'avez-vous pensé de la colère d'Aya ? Et d'Antoine qui veut quand même revendiquer ses idées ? 

Votre avis sur Antoine jusqu'ici ? 😁

A votre avis, Nat va-t-elle se laisser submerger par ses sempiternelles angoisses ou va-t-elle accepter d'écrire cet article ? 😬

En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à la semaine prochaine ! 😘

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