60. Vessie au bord de l'explosion

Etant donné que nous sommes en froid, je m'attendais à ce que Marjorie rejette en bloc l'idée même de nous venir en aide. Qu'elle me narguerait en me disant des trucs du style "Qu'est-ce que t'as cru, Miss Binocle, on est plus amies, que je sache !".

Pourtant, contre toute attente, la harpie a accepté sans rechigner. Pire : elle semblait particulièrement ravie en apprenant l'identité de notre cible.

La veille, après l'irruption de Sarah et moi au foyer des lycéens, celle-ci nous a demandé de nous rendre près du stade de foot à la fin de la journée du lendemain, vêtues de sweat-shirt à capuche et de lunettes de soleil afin de "pouvoir se la jouer incognito".

Arrivées sur place, mon amie tire une tête de cent pieds de long lorsque nous la trouvons en train d'embrasser le blondin de la dernière fois.

— Elle est sérieuse ? s'insurge-t-elle. Elle nous donne rendez-vous ici histoire qu'on la voit en train de rouler des patins avec son nouveau mec ?

Cependant, à peine nous aperçoit-elle que Marjorie s'écarte de lui, nous accueillant à base de :

— Ah, vous voilà ! Vous en avez mis du temps ! On voit que vous venez pas souvent au stade de foot, hein. C'est trop d'efforts pour vous, de marcher jusqu'ici, c'est ça ?

Alors que Sarah se tend déjà à côté de moi devant ce sous-entendu, le petit-ami de la harpie lui donne une légère tape sur la tête avant de la réprimander :

— Commence pas à jouer les langues de vipère, Ririe ! (Puis, braquant ses yeux bleus sur nous :) Vous êtes ses partenaires de crime, pas vrai ? Vous allez vous en prendre à l'autre folle qui stalkait Morgan en début d'année ?

— Euh..., je bredouille, mal à l'aise. O-Oui, c'est ça.

— Camille, intervient Marjorie, je te présente Nathalie et sa copine, euh...

— ... Sarah, répond cette dernière, agacée.

— Voilà, Sarah. Nat et Sarah, je vous présente Camille.

Celui-ci nous adresse un sourire radieux, passant la main parmi ses boucles blondes en s'exclamant d'un ton enthousiaste :

— Salut !

A ce moment-là, je ne peux m'empêcher de me faire la réflexion que ces deux-là ne pouvaient sembler plus mal assortis, tant lui paraît aussi sympathique et chaleureux que Marjorie est froide et antipathique.

— Bon, allez, je vais vous laisser à vos petites manigances, du coup, reprend-il en embrassant la joue de la harpie. Sois pas trop méchante, quand même, hein.

— Je suis toujours méchante, c'est ce qui te plaît chez moi, j'te signale !

— J'avoue, admet-il en grimaçant. C'est aussi comme ça que tu m'as brisé le coeur à plusieurs reprises, vilaine.

Marjorie remet une mèche de cheveux derrière son oreille, mal à l'aise.

— Enfin, c'est pas grave, hausse-t-il les épaules. Je vais pas me plaindre : le sexe est toujours meilleur quand t'as un complot sur le feu !

A peine a-t-il prononcé ces paroles que la harpie fronce les sourcils et lève la main afin de le frapper, mais Camille l'esquive avec agilité en se marrant.

— Crétin ! le réprimande-t-elle, furieuse.

— J'ai hâte d'être à ce soir, du coup ! continue-t-il sans prêter attention à ses vociférations. Allez, à plus !

Amusé par la mine contrariée de sa copine, le footeux s'éloigne en trottinant vers le stade.

— Tu peux rêver pour que je vienne, oui ! lui crie une Marjorie énervée, ce à quoi il répond simplement en formant un coeur à l'aide de ses indexs et de ses pouces.

La harpie a toujours une mine renfrognée lorsqu'elle se tourne vers nous.

— Je ne veux entendre aucun commentaire de votre part à ce sujet, marmonne-t-elle.

Mais c'est plus fort que moi :

— Je croyais qu'il valait mieux se tenir éloignés des schtroumpfs comme la peste ? je la nargue d'un air narquois. Or voilà que tu sors avec l'un d'entre eux ?

Elle hausse les épaules, balayant ma remarque d'un revers de main.

— Camille et moi avons une histoire, hum, disons... compliquée. D'ailleurs, je compte sur votre discrétion ; Miléna et les autres sont pas au courant, ils savent même pas qu'on est déjà sortis ensemble l'année dernière... Or je tiens pas à ce que ça change. Si jamais ça fuite, je saurai que ça vient de vous, donc gare à vos fesses, mesdemoiselles.

— Comme si on avait que ça à foutre d'aller raconter ce genre de trucs ! s'agace Sarah en roulant des yeux. On s'en fiche de ta vie, Marjorie !

Cette dernière la foudroie du regard tout en me demandant d'un ton acerbe :

— Je peux savoir pourquoi tu l'as amenée, elle, au juste ?

— Si je dérange, je me casse, hein !

— Non, reste ! je la supplie, la rattrapant par le poignet. S'il vous plaît. J'ai besoin de vous deux.

Elles se jaugent du regard puis finissent par céder.

— Très bien, marmonne mon amie.

Avant d'ajouter d'un air malicieux :

— Et puis, je vais pas me plaindre de pouvoir mater les footeux en action.

Marjorie hausse les sourcils.

— Là-dessus, je te suis à cent pour cent ! acquiesce-t-elle avec un clin d'oeil.

Et, pour la première fois, ces deux-là se mettent à rire ensemble. Mon corps, jusqu'ici aussi tendu que la corde d'un pendu, s'apaise immédiatement à cette vision. Suite à ça, Marjorie nous fournit notre matériel : une paire de jumelles chacune ainsi qu'une bouteille d'eau.

— On va faire quoi de tout ça, au juste ? je m'enquiers d'une petite voix.

— On va rester planquées jusqu'à ce que ce que je voulais vous montrer se produise. Alors, si vous avez envie d'aller aux toilettes, c'est le moment ou jamais !

La harpie ne cache pas son agacement face au regard de merlan frit que Sarah et moi lui adressons.

— Pas la peine de me dévisager avec ces yeux ronds ! fait-elle en claquant sa langue contre son palais d'un air désapprobateur. Comploter, ça demande de la patience et de l'ingéniosité, mesdemoiselles.

C'est donc ainsi que nous nous retrouvons planquées derrière un buisson, à l'arrière du bâtiment hébergeant les vestiaires, capuche sur la tête et lunettes de soleil sur le nez à guetter... je ne sais pas trop quoi, en vrai, vu que l'autre girafe à frange n'a absolument rien voulu nous dire.

En ce qui me concerne, je m'interroge sincèrement quant à la discrétion d'un tel tableau, mais les deux autres semblent tellement s'amuser de la situation que je passe outre.

Moi qui avais peur que de les réunir nous mène droit à une guerre nucléaire, je réalise qu'il suffit au final d'avoir un ennemi commun pour que les pires animosités s'estompent.

— J'avoue que je m'attendais pas à ce que tu acceptes aussi vite, au vu de notre dernière conversation..., je chuchote à l'adresse de Marjorie.

— Tu veux savoir pourquoi j'ai dit oui si vite ? s'enquiert-elle sur le même ton.

Et celle-ci de se mettre à énumérer ses raisons en comptant à l'aide de ses doigts :

— Petit a, j'adore faire souffrir les gens. Petit b, je déteste cette Tracy.

— Tricia, la corrige Sarah.

— Peu importe. Et petit c...

Elle marque une pause, me dévisageant du coin de l'oeil, puis lâche en soupirant :

— Je te dois bien ça, non ?

Je cligne plusieurs fois des yeux, perplexe, ne sachant que répondre à une telle déclaration. Serait-ce une once de vulnérabilité que j'aperçois dans le regard de la harpie en chef ? Non, impossible, j'ai dû rêver.

Quoiqu'il en soit, je n'ai pas le temps d'épiloguer là-dessus que celle-ci me donne de petites tapes consécutives sur l'épaule en s'exclamant :

— Voilà, ça y est ! Regardez !

Nous nous exécutons toutes les trois, observant les lieux à l'aide de nos jumelles. Honnêtement, j'ai du mal à comprendre où est-ce qu'elle veut en venir.

La scène qui se déroule devant nous n'a rien d'extraordinaire : les lieux, désertés depuis longtemps, sont tout ce qu'il y a de plus calme, la seule présence humaine étant la femme de ménage, laquelle a terminé son service, et traîne péniblement son chariot en direction du placard.

— Et bah quoi ? j'interroge en fronçant les sourcils. Qu'est-ce qu'on est censées voir ?

— Attends encore un peu, me recommande Marjorie. Bon sang, ce que t'es impatiente, Nat ! Il est dix sept-heure trente. Est-ce que vous savez ce que votre camarade Tracy fait tous les soirs ?

— C'est Tri-, commence Sarah, avant d'hausser les épaules, lasse. Bah, en ce moment, elle se prépare aux élections des membres du CVL, donc elle squatte le CDI histoire de bosser sa campagne.

Il n'y avait bien que Tricia pour nous faire un fromage des élections au conseil de vie lycéenne. Car, si dans les séries télévisées ou les mangas se déroulant à l'étranger, lesdites élections semblent toujours avoir de l'importance, autant dire qu'en ce qui concerne les établissements Français, tout le monde se fiche complètement de savoir qui en sera membre.

La plupart du temps, les profs doivent limite nous supplier afin que nous nous présentions... Pourtant, étrangement, cette année, les élèves de Secondat semblent avoir pris cela au sérieux, et le nombre de candidats a explosé, dépassant largement les dix volontaires habituels.

A tel point que la CPE a été obligée d'organiser de véritables élections et, par souci d'équité, de limiter le nombre de postulants à un élève par classe. Or, en 2nd3, trois d'entre nous se sont portés volontaires : Tricia, évidemment. Mais aussi Aya, laquelle, déçue que Mme Grassi lui ait interdit de créer son club LGBT, espère pouvoir profiter du CVL histoire de faire pression lors du prochain conseil d'administration. Et enfin, le dernier concurrent en lice se révèle être... Antoine.

Autant vous dire que sa candidature nous a surpris. Car le footeux n'est, en temps normal, pas du genre à se mettre en avant ; plutôt effacé, il reste souvent avec sa bande d'amis, en retrait.

Au début, j'ai moi aussi été étonnée de ce revirement de situation. Puis je me suis souvenue qu'il m'a avoué, il y a quelques semaines, avoir apprécié l'article que j'ai écrit dans le journal du lycée, car il était lui aussi un ancien timide.

Au fond de moi, j'ai beau savoir que ma loyauté devrait revenir à Aya, je ne peux m'empêcher d'espérer secrètement qu'Antoine sera élu. Entre timides, il faut se soutenir, voyez-vous.

— Tout-à-fait, répond Marjorie à Sarah. Et ensuite, tu sais comment elle rentre chez elle ?

— Sa mère vient la chercher après son boulot, il me semble.

— Et sa mère, elle bosse dans quoi ?

— Je me souviens plus... Elle est rédactrice en chef d'un magazine, il me semble, non ? Quand je traînais avec elle, elle passait son temps à se vanter sur la richesse de ses parents, sur la taille de leur appartement, sur leur BMW flambant neuve ou encore sur les vêtements de marque qu'ils lui achetaient...

— Exactement, répond la harpie, les yeux brillants. C'est exactement ce que je voulais t'entendre dire.

Cette fois, c'en est trop : je ne peux retenir un cri de frustration.

— Oh, mais bordel ! Arrête de tourner autour du pot et dis-nous où tu veux en venir, à la fin !

La harpie a un sourire en coin.

— T'es vraiment pas patiente, hein, me nargue-t-elle. Mais t'en fais pas, t'auras bientôt les réponses à tes questions.

Et pour cause : à peine a-t-elle prononcé ces paroles que nous sursautons en apercevant Tricia, au loin, se diriger vers les vestiaires. Nous nous replions sur nous-mêmes, cherchant à nous faire le plus minuscules possibles derrière le buisson. La girafe à frange nous intime alors de nous taire et d'observer.

Je sais que nous devons rester discrètes, cependant, comme un fait exprès, la branche d'un buisson se met à me chatouiller le nez. J'ai beau la repousser à chaque fois, elle revient à la charge systématiquement.

A peine ai-je réussi à m'en débarrasser que des fourmillements se manifestent dans mes cuisses, témoignant d'un début d'engourdissement. Je gigote sur place, essayant de les faire passer, ce qui me vaut un regard noir de Marjorie.

— T'as des vers ou quoi ? me chuchote-t-elle. Tiens-toi tranquille !

— Nianiania, je marmonne en guise de réponse.

Néanmoins je tâche de me tenir, tentant de faire abstractions de tous les signaux que m'envoie mon corps tandis que je ramène les jumelles à mes yeux afin d'observer la suite des événements. Tricia, adossée contre le mur des vestiaires, pianote sur son téléphone.

— Qu'est-ce qu'elle vient faire là, au juste ? s'enquiert Sarah à voix basse. Elle sort pas avec un footeux, si ?

— Shhh, lui répond Marjorie. Tais-toi et observe.

Au bout d'une dizaine de minutes qui me semblent durer une éternité, une femme finit par sortir du bâtiment. Je cligne des paupières plusieurs fois et mets quelques secondes à comprendre qu'il s'agit de la femme de ménage aperçue un peu plus tôt, laquelle s'est changée, troquant sa blouse de travail pour des vêtements ordinaires.

Celle-ci se dirige sans hésiter vers Tricia, lui adressant quelques mots qui restent inaudibles de notre poste d'observation. La déléguée ne daigne même pas lever la tête vers elle, pourtant, elle la suit d'un geste machinal quand celle-ci commence à s'éloigner.

Elles se dirigent ensemble vers une voiture garée sur le bas-côté et j'écarquille les yeux en voyant Tirica qui, non sans jeter quelques coups d'oeil alentour afin de vérifier qu'aucun élève du lycée n'est dans les parages, monte à l'intérieur.

Okay, je ne suis peut-être pas une grande amatrice d'automobiles, cela dit j'ai suffisamment subi l'émission Turbo sur M6 le dimanche matin à cause de mon père pour savoir que celle à l'intérieur de laquelle elles viennent de monter, ce n'est pas une BMW mais une Renault Clio. Et je ne parle même pas d'une Clio récente, hein. Celle-ci ressemble à un vieux modèle, datant d'avant ma naissance !

— What the... Je pige pas, là, j'admets en fronçant les sourcils.

Marjorie nous adresse alors un large sourire.

— C'est pas bien compliqué, pourtant. Votre camarade Tracy est une grosse mythomane. Ses parents ne sont absolument pas riches. Son père est ouvrier du bâtiment, sa soeur travaille dans un fast-food, quant à sa mère... Elle n'est pas rédactrice en chef d'un magazine en vogue. Elle est femme de ménage, ici même, à Charles de Secondat.

A peine a-t-elle prononcé ces mots que la harpie se met à hausser plusieurs fois les sourcils, geste qu'elle fait lorsqu'elle est satisfaite.

— Tu le savais ? s'étonne Sarah.

— Bien sûr. J'ai mené ma petite enquête quand elle harcelait Morgan, en début d'année...

— Mais alors ! je m'exclame. Tu nous as imposé cette mise en scène digne d'un mauvais film d'espionnage, à rester planquées pendant une heure et demi quitte à me détruire les genoux et à m'en faire exploser la vessie... Tout ça pour un truc que t'aurais pu nous résumer en cinq minutes ?

Elle m'adresse une grimace.

— Oh, Nat ! Tu me désespères ! T'as aucun sens de la dramaturgie, ma parole ! Après un an sans avoir de tes nouvelles, il faut bien pimenter un peu les chapitres si tu veux faire plaisir aux lecteurs !

— Hein ? s'exclame Sarah sans comprendre. Mais de quoi tu parles ?

— Quoiqu'il en soit, reprend la harpie, imperturbable, je vous laisse imaginer ce que ce mensonge implique pour sa campagne électorale...

En effet : depuis le début des hostilités, Tricia n'a eu de cesse d'axer ses arguments sur son côté fiable, honnête, intègre, ainsi que sa transparence à toute épreuve.

Marjorie nous adresse alors un sourire carnassier tandis qu'elle déplore d'une voix faussement atterrée :

— Ce serait vraiment trop bête que la vérité vienne à éclater avant les élections... Vous n'êtes pas d'accord ? 


Musique : Chumbawamba — Tubthumping

https://youtu.be/0AAbY9Pvp6A

I get knocked down, but I get up again
You are never gonna keep me down 
🎶


Et c'est parti pour les nouveaux chapitres ! J'espère que ça vous a plu, j'avoue que j'appréhende un peu vos réactions ! 😅

Cet arc narratif s'ancrera donc dans le cadre de la campagne pour les élections au CVL. Dans la réalité, ces élections se déroulent en début d'année scolaire, or ici nous sommes au mois de Janvier... Mais bon, j'ai décidé de faire une petite entorse au réalisme (de toutes façons, dans la vraie vie tout le monde s'en balec du CVL donc en partant de là... 😂). J'espère que vous me pardonnerez ! 😇

Ah et si vous vous demandez si cette idée m'a été inspirée suite au visionnage de la série The Politician... Vous avez parfaitement raison. Je vous la recommande, d'ailleurs, si vous ne l'avez pas vue (elle est sur Netflix). C'est du Ryan Murphy tout craché quoi, avec des intrigues un peu loufoques qui partent dans tous les sens comme on les aime... Si vous avez aimé Glee vous devriez aimer cette série. 👌

Bref, qu'avez-vous pensé de cette mission espionnage orchestrée par Marjorie ? 😎

Vos impressions sur Camille et sur le couple qu'il forme avec la harpie ? Merci à @MxllDrie d'ailleurs qui m'a inspiré le surnom "Ririe" dans ses commentaires. J'ai trouvé ça tellement mignon que je me suis dit que c'était parfait pour Cam'. 🥰

De la nouvelle 'complicité' improbable entre Sarah et Marjo ? 

De la façon dont le secret de Tricia est amené ?

A votre avis, comment vont-elles s'y prendre pour le révéler au grand jour ? 

En attendant de lire vos retours, je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain pour la suite ! 😘




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