— T'es un putain d'enfoiré, Raphaël !
Le visage de Mattéo est si déformé par la haine que j'ai du mal à le reconnaître pendant qu'il matraque son adversaire de coups. Autour de moi, les élèves les encouragent en scandant "Octogone !" tandis que j'entends un mec s'enquérir auprès de son pote :
— C'est quoi l'embrouille ?
— Apparemment, ils se battent à propos d'une meuf.
— Ah ouais ? Qui ça ?
— J'sais pas, elle est seconde, j'crois.
Je tressaille en entendant cette version hyper altérée de la réalité. Ceci dit c'est surtout la suite qui me fait virer écarlate :
— Woah ! Elle doit être bonne, non ?
— Même pas ! A c'qui paraît, elle a plutôt un physique "moyen moins".
Bordel, ils ont quoi, tous, à utiliser ce système de notation aussi misogyne que rabaissant ?
Ilyès émerge à ce moment de la foule, juste en face de moi, et se précipite vers le délégué pour le ceinturer.
— Arrête, Matt ! Tu vas t'attirer des emmerdes ! lui crie-t-il en tâchant de l'éloigner de Raphaël.
Ce dernier se relève à demi du sol, son habituel sourire moqueur au coin des lèvres malgré son oeil au beurre noir et son nez qui saigne, qu'il essuie avec désinvolture.
La situation n'a pas l'air de l'atteindre outre-mesure car il continue de provoquer son assaillant en se remettant debout :
— C'est ça, écoute donc ta copine !
Il époussette négligemment ses vêtements puis enchaîne de son ton insolent :
— T'inquiète pas, va, je prendrai bien soin de la petite Nathalie...
Je me sens virer écarlate en entendant ça.
Un serpent. Ce type est un putain de serpent, crachant ses mensonges tels du venin !
Mais le pire arrive lorsqu'il prononce la phrase suivante :
— ... de la même manière dont je me suis occupé de cette chère Marjorie.
En entendant ça, Mattéo, furieux, se libère de la prise d'Ilyès et se dirige d'un pas rageur vers le reptile. Les choses se déroulent ensuite très vite : alors qu'il se prépare à frapper, je me précipite sans réfléchir devant lui et me prends son poing en plein dans le sternum.
C'est la première fois que je reçois un coup or, croyez-moi, ça fait mal. Très mal. Le souffle court, je ne parviens plus à respirer tandis que je sens la douleur me traverser de part en part, telle une décharge électrique parcourant l'ensemble de mon organisme.
L'impact est tel que je me sens partir en arrière, cependant quelqu'un me rattrape de justesse, m'empêchant de m'écrouler au sol. Ma tête me semble d'un coup très lourde, à croire que tout mon sang a afflué à l'intérieur de mon crâne, et je n'entends rien d'autre qu'un interminable acouphène.
J'ai juste le temps d'apercevoir de longs cheveux blonds avant que ma vision ne soit brouillée par un millier d'étoiles. Cela ne dure que quelques secondes durant lesquelles je sens que l'on m'assoit avec précaution sur le sol.
Quand ma vue revient, j'aperçois plusieurs paires d'yeux au-dessus de moi. Je reconnais ceux d'Adam d'abord, lequel me soutient pour éviter que je ne m'écroule par terre, ainsi que Sarah...
Ceci dit, les seuls qui m'intéressent à ce moment précis sont ceux, inquiets, d'un Mattéo particulièrement blême. Je vois ses lèvres s'agiter mais n'entends rien à ce qu'il articule.
Tout ce qui m'importe, à cet instant, c'est le gros pansement qui lui barre la joue là où je l'ai griffé. Mes yeux s'emplissent de larmes à cette idée.
Puis, d'un coup, le son revient ; un mélange de cris, de rires, d'exclamations... En somme, un véritable brouhaha qui me ferait presque regretter mon bref accès de surdité !
— ... alie ? Nathalie ? Tu m'entends ? s'enquiert le délégué.
Je tends le bras afin d'effleurer du bout des doigts la compresse sur son visage en articulant d'une voix faiblarde :
— ... suis désolée, Mattéo...
Il laisse échapper un rire nerveux.
— Co... Comment tu te sens ? me demande-t-il d'un air gêné.
J'ouvre la bouche pour répondre lorsque la grosse voix de Pinochette retentit :
— Ecartez-vous ! Y'a rien à voir !
Les élèves agglutinés autour de nous ne tardent pas à déguerpir en voyant la proviseure débarquer, laquelle est interloquée face à la scène qui s'offre à elle.
— Mais bon sang qu'est-ce qu'il vous arrive aujourd'hui ? s'égosille-t-elle. Une véritable... épidémie de violence ! Qui est le responsable de ce bazar ?
Après avoir dégluti, le délégué se lève dans le but de se dénoncer :
— C'est... C'est moi, madame.
Mme Grassi plisse les paupières, le dévisageant de haut en bas, avant d'ordonner :
— Dans mon bureau. Immédiatement !
— C'était... un accident ! je m'empresse d'intervenir. Je... me suis interposée... Il voulait pas... me frapper !
La proviseure me jette un bref coup d'oeil puis rétorque d'un ton sec :
— C'est peut-être votre cas... Sauf que d'après ce qu'on m'a rapporté, c'est différent en ce qui concerne Nelson !
Nos regards convergent vers la direction que pointe son index, nous indiquant Raphaël, assis sur un banc un peu plus loin, entouré par trois filles ; l'une maintient un mouchoir sur son nez, la deuxième tâche de nettoyer le sang qui a coulé, quand la dernière, elle, lui masse les épaules.
Comment un goujat pareil peut avoir autant de groupies ? je songe avec amertume.
— Nelson ! l'interpelle Pinochette de sa grosse voix. Allez à l'infirmerie au lieu de profiter de la situation pour vous faire tripoter !
Raphaël a un sourire narquois mais obéit, accompagné par ses trois admiratrices qui le dévorent des yeux.
— Et vous aussi ! ajoute la proviseure à mon attention.
Sans tarder, elle fait demi-tour en direction de son bureau, un Mattéo penaud sur ses talons, lequel nous adresse un faible signe de la main.
— Je... Je l'accompagne, s'excuse Ilyès avant de partir à leur suite.
Pendant que je les contemple s'éloigner, songeuse, mes réflexions sont interrompues par Adam qui s'enquiert :
— Tu peux marcher, à ton avis ?
— J-Je crois, je souffle.
Le chevelu passe mon bras autour de son cou avant de glisser le sien derrière ma taille afin de m'aider à me relever. Bizarrement, ce simple geste déclenche des frissons sur ma nuque et tout le long de ma colonne vertébrale. Je vacille un peu une fois debout, même si Adam me soutient avec fermeté.
— Comment tu te sens, Nat ? m'interroge Sarah.
— J'ai connu mieux...
— Pourquoi tu t'es interposée de cette manière ? Tu t'es prise pour Wonder Woman ou quoi ? T'as cru que du haut de ton un mètre douze t'allais les séparer ?
— J-Je... Je sais pas..., je bredouille. J'ai pas réfléchi...
— Ouais, on a vu ça, ironise le chevelu. T'as pas beaucoup réfléchi ces dernières heures, en effet. Ton cerveau est en RTT ou bien ?
— Nianiania...
Il laisse échapper un "Hum !" satisfait avant de déclarer :
— Si elle me "nianiania", c'est qu'elle va pas si mal.
Puis il ajoute plus bas, près de mon oreille :
— Espèce de tarée.
Je ne peux contenir un gloussement, ce qui déclenche sur-le-champ une vive douleur au niveau de mon sternum, m'arrachant une grimace.
Mes amis me conduisent ainsi clopin-clopant jusqu'à l'infirmerie où, à peine arrivée, je lève les yeux au ciel en voyant Raphaël, allongé sur un lit, en train de se faire dorloter par ses trois groupies.
Mme Cordier, l'infirmière scolaire, vient à notre rencontre dès qu'elle nous aperçoit. A cet instant, j'ignore la manière dont vous vous l'imaginez, néanmoins sachez qu'elle est très éloignée du cliché de l'infirmière sexy blonde, jeune et mince...
La couleur des cheveux est d'ailleurs le seul point qui concorde : sa morphologie, elle, est plus près de celle d'une Mme Patate qu'autre chose, une Mme Patate qui aurait la peau aussi fripée qu'un poulet tondu. Quant à son caractère... Eh bien disons qu'il s'avère proportionnel à son apparence.
Après m'avoir guidée jusqu'à une cabine individuelle, elle et Adam m'aident à m'installer sur le lit puis l'infirmière demande à mes amis de nous laisser seules. En effet, étant donné l'endroit où j'ai été frappée, je me vois obligée de me déshabiller afin qu'elle m'ausculte.
Au fond, le coup s'avère assez bénin et Mme Cordier m'informe que je m'en tirerai avec un gros bleu. Elle me donne malgré tout du paracétamol avant de laisser mes amis revenir me voir.
— Contente de savoir que c'était pas grand-chose, finalement ! soupire Sarah, soulagée.
— Oui, moi aussi... Mais ça fait mal quand même, un coup de poing, vous savez !
— Sans déconner, ironise le chevelu.
Le silence qui s'ensuit me semble alors lourd de reproches. Mon regard glisse quelques instants sur leurs visages fermés, jusqu'à ce que j'ai le courage de prendre la parole :
— Je tenais à m'excuser auprès de vous pour mon attitude... Sarah, t'avais raison. Je me suis comportée comme la dernière des garces ! Je voulais que vous sachiez que... Je regrette ce qu'il s'est passé aujourd'hui. Et si vous voulez plus m'adresser la parole après ça, je... Je comprendrais.
Adam fronce les sourcils puis m'administre une pichenette sur le front en marmonnant :
— Crétine ! C'est surtout auprès de Mattéo que tu devrais t'excuser.
— Aïeuh ! je proteste en frottant la zone endolorie. Je compte le faire, t'en fais pas ! A vrai dire, j'étais en route pour ça au moment où j'ai vu la bagarre...
Le chevelu me toise d'un air sévère en croisant les bras.
— Mouais. J'attends de voir.
— Je l'avais jamais vu aussi énervé ! je m'étonne. Qu'est-ce qui s'est passé, au juste ?
Sarah pousse un long soupir.
— J'ai pas bien compris, admet-elle. Mais en gros Raphaël a prétendu qu'il sortait avec toi, maintenant.
— Il a fait quoi ? je m'étrangle, les pupilles rondes comme des soucoupes.
Sans plus attendre, je me lève d'un bond de mon lit puis, ignorant les protestations de mes amis, me précipite à l'intérieur de la cabine où se trouve le serpent en m'écriant :
— Raphaël !
Ce dernier m'adresse un sourire moqueur.
— Tiens, voilà ma sauveuse ! ironise-t-il. C'était très sympa de t'être interposée comme ça, jeune pucelle. Vraiment, ça me touche.
Ce surnom arrache des gloussements à ses admiratrices et me fait virer rouge pivoine.
— J'ai pas cherché à te défendre ! je proteste.
— Ah bon ? Tu m'en vois déçu !
Je resserre mes poings.
— Pourquoi t'es allé dire à Mattéo qu'on sortait ensemble ?
Raphaël se passe négligemment une main dans les cheveux avant de demander à ses admiratrices de nous laisser seuls un moment ; elles obéissent à contrecoeur, me jetant des regards noirs au passage.
Le serpent reprend la parole une fois qu'elles ont refermé la porte :
— Bah, parce que je voulais l'énerver. Quelle question ! D'ailleurs, t'aurais mieux fait de m'imiter. L'idée du faux couple était bien meilleure, comme vengeance : tu l'aurais fait rager sans verser une seule goutte de sang... Et surtout sans t'attirer d'ennuis. Quand on veut pourrir la vie des autres, il faut savoir se la jouer fine. Fais-moi confiance, je suis un maître en la matière.
— Garde tes idées tordues pour toi ! je rétorque en croisant les bras sur ma poitrine. Tu t'es trompé de personne ! C'est pas du tout mon genre, ça !
— Ouais, toi ton genre c'est plutôt de te foutre en rogne, de hurler, taper, pleurer, et de réfléchir ensuite, je me trompe ? Tu trouves que ça t'a bien réussi, jusqu'ici ? Je sais pas si tes amis te l'ont dit, mais les exploits de Rateaulie ont fait le tour du lycée, figure-toi. D'ici peu ce sera ton nouveau surnom... C'est vraiment ce que tu veux ?
Hébétée, je cligne plusieurs fois les paupières sans savoir quoi répliquer.
— Ecoute, poursuit-il. Même si t'as été plutôt odieuse tout à l'heure, je suis un mec sympa, donc ma proposition tient toujours. Crois-moi, si on sort ensemble personne osera t'appeler Rateaulie ; au contraire, tu feras pas mal de jalouses. On évitera juste de s'embrasser tant que t'auras ton truc dégueulasse, là...
Pendant un court instant, je dois admettre que cette idée me paraît presque tentante ; le simple fait d'imaginer l'expression incrédule qu'arborerait le Cerbère en me voyant au bras d'un mec aussi canon et populaire que Raphaël suffit à dessiner un sourire rêveur sur mes lèvres...
Puis je secoue la tête afin de la chasser sur-le-champ. Bon sang, ce mec essaye encore de me retourner le cerveau ! Si vous voulez mon avis, il ne s'agit pas de n'importe quel serpent. Ce type, c'est Kaa, issu du "Livre de la jungle" ! Kaaphaël pourrait être son nouveau surnom...
A cette pensée, un frisson de répulsion parcourt ma colonne vertébrale.
— Merci, j'articule d'un ton froid, mais non merci. J'en ai rien à foutre que le lycée entier se moque de moi ou m'appelle Rateaulie. La seule chose qui compte à mes yeux, là, maintenant, c'est de me réconcilier avec mes amis ! Alors tu sais où tu peux te la mettre, ta proposition ?
Sans attendre de réponse, je tourne les talons et quitte la pièce en claquant la porte. L'infirmière hausse les sourcils en me voyant faire, puis nous chasse tous les trois, avec Adam et Sarah, arguant que si je suis capable de hurler sur mes camarades ou de claquer des portes, c'est que je n'ai rien à faire ici.
Nous nous dirigeons ensuite comme un seul homme vers le pilori, où nous trouvons Ilyès en train de faire les cent pas, anxieux, en attendant que le délégué sorte du bureau. A peine m'aperçoit-il que son visage se ferme.
— Qu'est-ce qu'elle vient foutre là, elle ? vocifère-t-il en se dirigeant vers nous d'un pas rageur.
De manière instinctive, je me surprends à lever les mains, paumes ouvertes, en signe de reddition.
— J-Je viens pour m'excuser..., je bredouille d'un ton mal assuré.
Les poings du bouclé se serrent puis il m'aboie presque dessus :
— Tu crois pas que t'en as assez fait, aujourd'hui ? Fous la paix à Mattéo et rentre chez toi !
Je déglutis, décontenancée. Je n'espérais pas vraiment qu'Ilyès me fasse un câlin, cependant une réaction aussi virulente me surprend tout de même. C'est au final Adam qui vient à ma rescousse, interceptant son ami en posant la main sur son torse.
— C'est bon, Ilyès. Pas la peine de faire un scandale. Nat a merdé, elle le sait. Elle veut arranger la situation...
— Ouais, bah si elle avait fait fonctionner son cerveau avant, les choses auraient pas dégénéré et Matt serait pas dans le bureau de la dirlo, à l'heure qu'il est !
— C'est une histoire entre elle et Mattéo, le coupe le chevelu. C'est à eux de régler ça ; tu peux pas t'immiscer là-dedans ou les empêcher de discuter. Tu connais Mattéo, il est pas du genre à aimer les conflits... Il préférera à coup sûr se réconcilier avec elle plutôt que de laisser pourrir le truc.
Bien qu'il n'ait pas l'air enchanté, cette remarque semble suffire à calmer le bouclé, lequel me lance un dernier regard noir avant d'aller s'asseoir sur les chaises rouges du pilori, rapidement rejoint par Sarah et Adam.
Gênée, je reste en retrait par rapport au groupe. Nous demeurons ainsi un moment, les yeux dans le vague, à patienter parmi un silence particulièrement pesant, jusqu'à ce que la sonnerie annonçant la fin de la pause méridienne retentisse et contraigne mes camarades à m'abandonner afin de retourner en cours.
C'est pourquoi je sens ma gorge se serrer quand le délégué finit par sortir de la salle des tortures, une mine contrite sur le visage.
Je comptais sur la présence des autres lorsque ce moment serait venu ; or me voilà désormais face à lui, sans personne derrière qui me cacher.
Pas le choix..., je songe en prenant une grande inspiration. Je vais devoir l'affronter seule.
💢 💢 💢
Alors, tout d'abord... Vraiment, vraiment désolée pour le retard ! 🙇 Je suis assez occupée ces temps-ci et je n'ai pas trouvé un moment pour corriger mon chapitre la semaine dernière. 😭
Donc bref, normalement vous devriez en avoir deux cette semaine du coup (celui-ci et un autre jeudi comme d'habitude). En plus, pour me faire pardonner le chapitre est assez long (2500 mots).
J'espère que l'attente aura valu la peine et qu'il vous a plu, du coup, car j'avoue avoir énormément bloqué sur ce passage. 😣
J'ai fait de mon mieux pour que les réactions des uns et des autres semblent crédibles, cela dit je ne suis pas vraiment satisfaite. N'hésitez donc pas à me faire part de vos retours à ce sujet afin que je l'améliore lors de la réécriture. 😊
Déjà, qu'avez-vous pensé de la bagarre entre Mattéo et Raphaël ?
De Nat qui s'interpose entre eux ?
De Kaaphaël et de ses groupies ?
De la réaction d'Ilyès qui a bien la haine contre Lalie, et d'Adam qui vient à son secours ?
A votre avis, comment va se passer l'entrevue entre Nat et Mattéo ? Réconciliation en vue ou pas ?
Je séchais un peu niveau musique pour ce chapitre, donc j'ai finalement opté pour les Daft Punk — "Face to face", en référence à la fin où Nat se retrouve seule face à Mattéo.
N'hésitez pas à me donner votre avis ou à voter si ce chapitre vous a plu ! ⭐Quant à moi, je ferai de mon mieux pour être ponctuelle cette semaine, promis !
Je vous fais des bisous et vous dis à jeudi pour la suite ! 😘
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