51. Lalie la tigresse

Suite à mon entrevue avec Marjorie, une part de moi se sent presque... libérée. Je dois admettre que j'apprécie d'enfin réussir à exprimer ce que je ressens. Comme quoi, même une créature aussi inoffensive que Nathalie Trombière est capable de montrer les crocs, au final.

Pourtant, ce sentiment d'entière félicité ne dure pas, bientôt remplacé par la culpabilité à l'idée d'avoir blessé des gens que j'aime. C'est vrai que je n'y ai pas été de main morte, quand j'y pense. Depuis le soir du nouvel an, j'ai l'impression de repousser tous mes proches, de trancher un à un les liens qui nous unissent... Or j'angoisse un peu à l'idée de me retrouver parfaitement seule, à cette allure-là.

Suis-je allée trop loin ? Après tout, je n'ai pas vraiment l'habitude de me trouver dans ce genre de situation ; il ne m'était jamais arrivé de me fâcher à ce point avec mes amis auparavant — enfin, en même temps, je n'en avais aucun, donc difficile de se disputer avec des personnes qui n'existent pas, vous en conviendrez.

Une vague de honte m'envahit en repensant à la façon dont je m'en suis prise à Mattéo pendant l'heure d'EPS. C'est vrai que ma réaction était plutôt insensée ; comme lorsque je me suis mise à danser de manière frénétique après qu'il m'ait repoussée au nouvel an, je n'ai pas réussi à me contrôler.

J'ai toujours été colérique et impulsive, ceci dit jusqu'alors ma timidité me permettait de garder un minimum de sang-froid ; à présent, c'est comme si la moindre parcelle de réserve avait sauté pour de bon, libérant le fauve qui sommeillait au fond de moi...

— Mademoiselle Trombière !

Le rugissement de la proviseure me fait sursauter. Après avoir ouvert brutalement la porte, celle-ci me toise de haut en bas de son regard sévère et finit par grogner :

— Entrez !

Prenant une grande inspiration afin de me conférer du courage, j'attrape mon sac à dos puis pénètre la salle des tortures tel un condamné se rendant à l'échafaud.

Je n'étais jamais entrée ici jusqu'à présent or, la première chose qui me frappe, c'est la chaleur étouffante qui règne par rapport aux autres lieux de l'établissement. Ayant du mal à respirer, je me sens obligée d'ouvrir mon blouson tant j'ai l'impression de suffoquer.

Les murs de cette pièce rectangulaire sont tapissés de bleu pastel et recouverts de cadres photos, diplômes, ou autres récompenses semblant flatter l'ego de Pinochette. Une table ronde se trouve juste devant la porte, peut-être utilisée lors des réunions.

L'imposant bureau de Mme Grassi, quant à lui, se trouve à l'autre extrémité. En forme de L, la partie apposée contre le mur héberge un écran d'ordinateur ainsi qu'un clavier. Un nombre important de documents y sont empilés, sans que ça paraisse désorganisé pour autant.

Son siège à roulettes est d'un rouge pétant identique à ceux du couloir, en face duquel se trouvent deux chaises grises, dont l'une d'elle s'avère, à mon grand dam, déjà occupée par...

Tricia la balance. Evidemment.

Celle-ci, à demi retournée, m'adresse un sourire narquois tandis que je m'installe à côté d'elle.

— Bien, bien, bien..., commence la proviseure une fois qu'elle a posé son derrière rachitique sur son siège.

Accoudée sur le bureau, elle croise les mains devant son visage, prend le temps de nous inspecter l'une après l'autre, puis reprend la parole :

— Mlle Trombière, j'imagine que vous connaissez la raison de votre convocation ?

Je déglutis, hochant la tête avec lenteur.

— Mlle Omani, ici présente, a eu la brillante idée d'enregistrer des preuves incontestables de votre odieuse conduite en EPS. Or, bien qu'au vu du nombre important de témoins, ce genre de preuve n'est pas indispensable, j'ai estimé qu'il pourrait vous être bénéfique de constater par vous-même la gravité de votre cas.

Joignant le geste à la parole, elle me tend le téléphone après avoir enclenché la vidéo où l'on voit une espèce de furie grassouillette s'attaquer à un garçon sur le terrain de volley-ball.

J'amène les mains à ma bouche en voyant M. Robert éloigner cette cinglée, au visage déformé par la haine, de sa victime. La scène dure un peu moins d'une minute, mais elle me semble quand même ahurissante.

C'est vraiment moi, cette folle dingue ?

Mme Grassi repose le téléphone sur son bureau puis marque une pause avant de reprendre :

— Je vous remercie, Mlle Omani, de votre coopération.

Tricia dont, à l'heure où nous parlons, la culotte doit ressembler à un véritable tsunami tant elle semble savourer les circonstances, tend la main afin de récupérer son smartphone en susurrant d'une voix mielleuse :

— Tout le plaisir est pour moi, Mme Gra-

— Ceci étant dit, l'interrompt la proviseure, vous n'êtes pas sans savoir que faire usage de votre portable pendant un cours est strictement interdit par le règlement. C'est pourquoi, par souci d'équité vis-à-vis de vos camarades, je me vois contrainte, en dépit de vos nobles intentions, de vous administrer une heure de retenue.

L'air satisfait de la déléguée se décompose aussi sec : celle-ci a désormais la bouche entr'ouverte en une imitation incontestable d'une carpe fraîchement pêchée.

— De plus, il m'apparaît évident que je supprimerai la vidéo de votre smartphone, histoire d'être certaine que celle-ci ne circule pas en dehors de ces quatre murs. D'ailleurs, sachez que si cela se produit, je vous considérerais comme personnellement responsable. Entendu ?

Blême, la déléguée hoche la tête afin d'attester de sa compréhension.

— Parfait ! En ce cas, vous récupérerez votre bien à la fin de la journée. Vous pouvez disposer, à présent.

Pinochette accompagne son injonction d'un petit signe de la main lui intimant de s'en aller. J'admets avoir du mal à ne pas éprouver un malin plaisir face à la mine déconfite qu'elle arbore en quittant les lieux.

Cependant, ce bref moment d'intense satisfaction ne dure pas car, une fois la porte refermée derrière elle, Mme Grassi reporte son attention sur ma personne :

— Bon. Maintenant, à vous, Mlle Trombière.

Je me ratatine sur ma chaise tandis qu'elle me dévisage un moment en silence. En une fraction de seconde, son air calme et posé se mue en une grimace de colère tandis qu'elle se met à me beugler dessus :

— Vous m'expliquez ce qui vous a pris, au juste ? Vous attaquer ainsi à l'un de vos camarades en plein cours de sport ! Vous vous croyez où ? Nous ne sommes ni à Roubaix, ni dans la jungle, ici, mademoiselle ! On règle nos comptes de manière civilisée !

Elle continue ainsi sa diatribe pendant plusieurs minutes sans s'arrêter ne serait-ce qu'un instant pour reprendre son souffle, conservant tout du long un volume sonore élevé qui me détruit les tympans.

Une telle performance m'aurait presque laissée bouche bée d'admiration si je n'en avais pas été la cible. Non, au lieu de ça, je me sens virer écarlate de honte ; les larmes me montent aux yeux en même temps que ma boule de chagrin se met à obstruer ma gorge.

— Quelle idée de le griffer au visage de la sorte ! Vous êtes une jeune fille, pas une tigresse !

Je tressaille en entendant ça ; je me souviens vaguement avoir vu un peu de sang couler, sauf que j'ignorais jusque là s'il s'agissait du fruit de mon imagination ou si cela s'était produit pour de vrai. La perspective du si joli minois de Mattéo abîmé par ma faute suffit à avoir raison de moi : je me mets à pleurer à grosses gouttes.

— J-Je... suis... désolée ! je hoquette en cachant ma figure entre mes mains. Je... je voulais pas ! Je... Je sais pas ce qui m'a pris !

Insensible à mes pleurnicheries, Pinochette continue de m'accabler, impitoyable :

— Ce genre d'attitude est tout bonnement intolérable, mademoiselle. En conséquence, j'estime que trois jours d'exclusion hors de notre établissement vous remettront les idées en place.

Je déglutis, ayant du mal à réaliser ce que cela implique. Moi, la timide et banale Nathalie, exclue du lycée ? Non, c'est impossible ! Je n'appartiens pas à la catégorie d'élèves qui se font exclure ! Je ne suis pas une fauteuse de troubles ! Une heure de retenue, c'est une chose, mais une exclusion...

Et puis les images de la vidéo me reviennent en mémoire, suite à quoi je me rembrunis. Bien sûr que si, que je mérite cette sanction. Après tout, j'ai quand même agressé Mattéo... Je l'ai carrément griffé ! Oh, bon sang, c'est sûr, il ne me pardonnera jamais !

La proviseure me toise quelques instants avant de reprendre :

— Nous allons convoquer votre famille. En attendant, retournez patienter dans le couloir. Profitez de ces trois jours de mise à pied pour méditer sur vos actes.

Obéissante, je retourne au pilori. Tandis que j'attends mes parents, je ne peux m'empêcher de ruminer de sombres pensées.

Difficile de ne pas culpabiliser maintenant que j'ai vu la vidéo de Tricia ; ceci dit, au fond de moi, j'en veux toujours à mes amis de m'avoir menti. Mattéo, Marjorie, Adam, Ilyès... Ils se sont tous bien foutus de ma gueule ! Il ne manquerait plus que j'apprenne que Sarah était, elle aussi, dans la combine ! Ce serait vraiment le pompon !

Malgré moi, je ne peux empêcher mon imagination débordante de m'envoyer des visions fictives des trois geeks en train de se bidonner dans mon dos ou de se moquer de la pitoyable petite Nathalie...

Je secoue la tête afin de chasser ces idées paranoïaques. Il suffit : je dois cesser de me figurer le pire ! Connaissant mes amis, ça m'étonnerait grandement qu'ils se soient livrés à de telles mesquineries. Ça ne leur ressemble pas ! Comment ai-je pu ne serait-ce que l'envisager ?

Depuis la révélation de Raphaël, je n'ai pensé qu'à moi. J'ai blâmé Mattéo de m'avoir menti ; je lui en ai voulu, je l'ai détesté... J'ai même été jusqu'à l'agresser ! Sarah avait raison, dans les toilettes, ce matin. A trop vouloir devenir une héroïne, j'ai développé de vilaines tendances égocentriques !

Désormais, ma colère est retombée, ne laissant place qu'à de la culpabilité. Une culpabilité terrible qui me tord les boyaux de détresse. Pas un seul instant je n'ai songé au délégué ou à ce qu'il a pu ressentir tout ce temps... J'essaye alors de me mettre à sa place, d'imaginer ce que ça doit être, de cacher un tel secret au reste du monde...

Mes poings se serrent. Les larmes me montent aux yeux. J'ai été si terriblement odieuse !

Il faut que j'aille m'excuser.

La pensée me vient d'un coup, telle une évidence. J'inspecte les alentours du regard ; Grassi m'a intimée de rester assise ici, laissant la porte de son bureau ouverte afin de me surveiller du coin de l'oeil.

Rassemblant mon courage, je me lève puis toque timidement à sa porte histoire d'attirer son attention.

— Qu'est-ce que vous voulez, encore ? aboie-t-elle aussi sec.

Je déglutis mais refuse de me démonter :

— Madame... Est-ce que vous m'autorisez à rendre visite à Mattéo, à l'infirmerie ? Je voudrais lui présenter mes excuses...

Pinochette plisse les yeux, suspicieuse.

— Ce n'est pas une manigance visant à vous faire bien voir, au moins ?

— N-Non ! je proteste. Je suis sincère, je vous jure ! Mattéo est mon ami... Je regrette de m'être emportée, et même s'il m'a menti, ça justifiait pas ce que j'ai fait, du coup il faut absolument que l'on se récon-

— Stop, ça suffit ! m'interrompt-t-elle, agacée. Inutile de me raconter votre vie !

Elle se masse longuement les tempes avant d'ajouter d'un soupir las :

— Soit, allez-y, vous avez dix minutes.

Anxieuse, je traverse le couloir d'un pas pressé, appréhendant ma rencontre avec le délégué. Va-t-il me repousser ? Me détester ? Me pardonnera-t-il ou notre amitié sera-t-elle terminée pour de bon ? Qu'importe ; je dois faire ce qui est juste et assumer la responsabilité de mes actes.

Le fil de mes réflexions est soudain interrompu par une exclamation :

— Hé, venez voir ! Y'a baston dehors !

Prise d'un mauvais pressentiment, je m'arrête d'un coup, redressant la tête ; des dizaines d'élèves commencent à s'agglutiner à la fenêtre afin de ne pas rater une miette du spectacle.

— Qu'est-ce qui se passe ? demande une fille plutôt petite qui, dressée sur la pointe des pieds, a du mal à se hisser assez haut. Je vois rien !

— C'est Raphaël ! lui répond sa grande perche de copine. Il est en train de se faire tabasser par un mec de seconde !

Je tressaille en entendant ces mots. Craignant le pire, je fonce en direction de la porte donnant sur la cour que je pousse de toutes mes forces, puis me précipite vers l'attroupement s'étant formé autour de la bagarre.

Après m'être frayé tant bien que mal un chemin parmi mes congénères, j'écarquille les yeux face au spectacle qui s'offre à moi : Raphaël, par terre, en train de se faire refaire le portrait par... Mattéo.

Bordel. De. Putain. De. Merde.



🐯🐯🐯

Il semblerait que cette chère Pinochette se soit trompée, le lycée est bel et bien devenu une véritable jungle 😂

De fait, vous avez peut-être deviné la musique que j'ai choisie cette semaine... "Welcome to the jungle" des Guns N' Roses. Obviously ! 👌

https://youtu.be/o1tj2zJ2Wvg

J'espère que ce chapitre vous a plu en tout cas ! 😁

Qu'avez-vous pensé de la sanction de Nathalie ?

De l'intervention de notre balance préférée ? 😷

De la soudaine prise de conscience de Nat en voyant la vidéo, et de son désir de s'excuser ?

Et, surtout... De la baston entre Mattéo et Raphaël ? 😏👊 Que va-t-il advenir à votre avis ?

Comme d'habitude, n'hésitez pas à voter si ça vous a plu, ainsi qu'à commenter pour me donner votre avis ! 😋

En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain ! 😚

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