5. Pénurie de frites et garde du corps
La sonnerie annonçant la fin de l'heure retentit enfin.
— Yeah ! s'exclame Ilyès en se balançant sur sa chaise. Il était temps, je pète la dalle !
— Ilyès ! le reprend le prof. Le cours n'est terminé que quand MOI, je dis qu'il est terminé !
— Désolé, m'sieur, répond le concerné. J'adore l'histoire m'sieur vous le savez, hein, mais bon, ça nourrit pas un homme !
— Depuis quand t'es un homme, toi ? lui rétorque Mattéo, déclenchant l'hilarité de la classe.
— Allons, ça suffit ! Calmez-vous !
Mais Mr Leroux a beau s'égosiller, les élèves commencent sérieusement à s'agiter, alors il finit par renoncer en marmonnant d'un air résigné :
— Bon bah, bon appétit.
Il n'en fallait pas plus pour le troupeau que nous sommes devenus. Voilà que tout le monde se met à brailler, rigoler, rangeant leurs affaires, courant pour être le premier à la cantine avant que celle-ci ne soit en rupture de frites.
Tandis que Sarah et moi profitons du chaos pour nous faufiler discrètement, nous n'échappons pas au regard laser du prof qui nous intercepte aussitôt :
— Hé, vous deux, n'allez pas vous imaginer que je vous ai oubliées ! Revenez ici, j'ai à vous parler.
Il nous toise d'un air sévère, attendant que le dernier élève ait quitté la salle pour commencer son sermon :
— Allons bon, ce n'était pas sérieux, aujourd'hui, les filles. En temps normal, ça mérite une observation, ça, vous savez !
Nous baissons la tête en signe de repentance.
— Désolée, monsieur, dit ma nouvelle amie d'une petite voix. S'il vous plaît ne nous mettez pas une observation ! On vous promet que ça ne se reproduira pas...
Mr Leroux pousse un long soupir d'exaspération.
— Bon, comme c'était la première fois, je veux bien vous accorder le bénéfice du doute.
Sarah et moi nous lançons un regard soulagé.
— En fait, ça me fait plaisir de voir que vous êtes devenue amies, ajoute-t-il. Le lycée, ça peut être une véritable jungle, vous savez ! Alors il faut savoir s'entraider.
— Ou-oui, monsieur, on répond toutes les deux de nos voix fluettes.
— Bien, vous pouvez y aller... Bon appétit.
Nous n'osons pas trop laisser éclater notre joie devant le prof, et attendons de nous être éloignées dans les couloirs pour le faire.
— Ouf ! J'ai eu peur ! s'exclame Sarah. J'ai pas l'habitude d'avoir des observations, mes parents m'auraient tuée !
— Oui..., je réponds. Il est plutôt cool, finalement, Leroux...
— Il se la joue strict, mais en fait il est sympa.
Quand nous arrivons à la cantine, nous constatons que la queue est déjà bien remplie. Tous les meilleurs desserts sont partis, et nous devons nous contenter d'un vieux yaourt nature. Une fois au niveau du plat principal, nous voyons, impuissantes, les réserves de frites se vider peu à peu. L'ironie est poussée à son paroxysme quand les dernières survivantes partent dans l'assiette d'Adam, juste devant moi. Mes yeux doivent jeter des éclairs car celui-ci hausse les sourcils en croisant mon regard.
— Hum, tu comptes pas me tuer pour des frites, au moins ? me lance-t-il.
Je sursaute en entendant ça, puis retombe dans mes vieux travers de fille timide qui n'ose pas s'affirmer en baissant immédiatement la tête, cachant le rouge qui est monté à mes joues à l'idée qu'il m'ait grillée. Adam ne s'attarde pas davantage avec moi et part rejoindre ses deux acolytes à leur table.
Une fois installées, Sarah et moi avons le même air dépité devant la tronche que tirent nos assiettes.
— RIP, les frites, je marmonne dans ma barbe.
— Oui..., me répond-elle, abattue.
— C'est pas plus mal, pour ce que vous avez, de toute façon, non ? fait une voix stridente derrière nous.
Nous nous retournons d'un même mouvement. Une jeune fille maigrichonne, à la peau noire et aux cheveux composés de plusieurs tresses réunies en un chignon, nous regarde d'un air hautain, son plateau dans les mains. Tricia la Balance.
— Qu'est-ce que tu entends par ce qu'on a ? réplique Sarah.
— Ben, tu sais, l'obésité, quoi.
Je ne l'appréciais déjà pas particulièrement avant, mais là, je suis en train de la détester pour de bon. Pour qui elle se prend, cette conne ?
— Pas étonnant que les filles comme vous vous fassiez victimiser. Vous êtes trop des bolos.
Cette fois, c'en est trop ! Elle m'a vraiment mise hors de moi ! Je prends tout mon courage pour lui dire ses quatre vérités et lui lance un :
— T'as rien de sympa à dire, sinon, pour changer ?
D'une petite voix toute faiblarde...
Oui, je sais, c'est lamentable.
Excusez-moi d'être un personnage si minable.
— Alors, elle parle ? me répond Tricia avec un air narquois.
Et, sans y être invitée, elle pose son plateau à côté de Sarah, se retrouvant face à moi.
— Bah vas-y, installe-toi en plus ! s'énerve ma nouvelle amie. Marina et Anaïs mangent pas à la cantine que t'as besoin de bouche-trous ?
— De la part d'une fille qui nous a collées pendant tout le début d'année, je trouve ça franchement gonflé, rétorque Tricia. Fais pas la maligne parce que t'as trouvé une copine, Sarah. De toute façon, je suis pas là par envie, rassure-toi. Je viens pour jouer mon rôle de déléguée de la classe de 2nd3.
Ah, oui. C'est vrai qu'on a élu cette pimbêche déléguée en début d'année. En même temps, personne d'autre n'était volontaire, et elle nous a tous tellement saoulés avec ça, qu'on a fini par l'élire pour qu'elle ferme sa bouche. Mais au final, elle a l'air de prendre son rôle très au sérieux, ce qui la rend encore plus agaçante qu'avant ! Le pire dans tout ça, c'est que le garçon élu avec elle n'est autre que Mattéo... Elle a donc le privilège de passer du temps en sa compagnie.
Tricia me regarde droit dans les yeux avant de commencer :
— Nadine...
— Elle s'appelle Nathalie ! la coupe Sarah. Tu parles d'une déléguée ! Tu connais même pas les prénoms des élèves de ta classe.
Elle l'ignore royalement puis reprend :
— Nathalie. J'ai appris ce qu'il s'était passé dans le couloir tout-à-l'heure, avec Miléna Delval, et je voulais savoir comment tu te sentais après ça. C'est mon rôle de déléguée d'apprendre avec exactitude tout ce qu'il s'est passé pour pouvoir en rapporter aux autorités compétentes.
Décidément, balancer les gens, c'est son activité favorite, à celle-là ! Moi, j'ai surtout l'impression qu'elle est à l'affût de ragots juteux qu'elle pourra colporter dans tout le lycée.
— D-Désolée, je bredouille. Je suis pas une balance, moi.
La déléguée ne se laisse pas atteindre par ma pique. Elle continue, imperturbable :
— Ecoute... Miléna est une insulte pour l'ensemble de la gent féminine. Je ne connais pas de fille plus vulgaire qu'elle ! Il faut à tout prix que tu ailles parler à la CPE si elle s'en prend à toi. Tu n'as pas à avoir peur d'elle. Mattéo et moi seront là pour te protéger, c'est notre rôle.
Elle prend un air compatissant, poussant le vice jusqu'à poser doucement sa main sur la mienne. Franchement, si je ne l'avais pas entendue nous insulter il y a deux minutes, ses paroles me paraîtraient tout ce qu'il y a de plus sincères. Une vraie comédienne, celle-là.
Je fouille dans ma mémoire, me souvenant qu'elle souhaite devenir politicienne. C'est sûr, elle a bien choisi sa voie : elle a su utiliser les bons mots pour me convaincre. Je dois dire que l'idée d'un Mattéo dévoué à ma personne, me suivant et m'accompagnant partout dans les couloirs, pour faire barrière de son corps contre les brimades, est loin de me déplaire...
— Je... Je verrai, je finis par marmonner en retirant ma main. Mais j'irai parler à la CPE directement.
Sarah me jette un regard en coin avant d'ajouter précipitamment :
— Et elle exige que Mattéo l'accompagne. Pour se sentir en sécurité, tu comprends.
Je dévisage ma nouvelle amie avec des yeux écarquillés. Mais qu'est-ce qui lui prend ? Elle est dingue ?
— Ça me va, répond Tricia. J'en parlerai à Mattéo. Il t'accompagnera voir la CPE à la fin de la journée.
Elle accompagne ces paroles en me tendant la main, comme pour conclure un marché. Je me vois lui donner la mienne, un peu hébétée. La déléguée reprend son plateau, avant de s'en aller d'une démarche satisfaite et assurée.
Sarah éclate de rire une fois qu'elle est partie. Mais moi, je lui en veux à mort, là !
— Mais enfin t'es malade ? je m'énerve. Qu'est-ce qui t'as pris ?
— Oh, excuse-moi ! Je crois que tu voulais dire : merci de m'avoir arrangé un moment en tête-à-tête avec Mattéo.
Devant mon air paniqué, elle ajoute :
— Ça va, relax ! Il va pas te manger non plus. En fait, c'est plutôt lui qui devrait se méfier, vu que tu le dévores des yeux à chaque cours ! Tu crois que je l'ai pas remarqué ? T'es grillée à des kilomètres, Nat !
Au loin, je vois Tricia s'arrêter à la table de Mattéo, Ilyès et Adam. Ce dernier tire d'ailleurs une tronche de six pieds de long en la regardant poser son plateau en face de lui. Ils échangent quelques mots, puis regardent dans notre direction. Mattéo a l'air embarrassé, tandis qu'Ilyès semble se moquer allègrement de lui.
Mon amie attrape discrètement ma main pour leur adresser un petit signe à ma place.
— Arrête ! je gronde entre mes dents.
Mais ma colère s'évapore quand je vois Mattéo me sourire faiblement, avant de me faire un signe à son tour. Mon coeur s'accélère et mes joues commencent à me chauffer. Je baisse aussitôt la tête, trouvant tout-à-coup mes pâtes au beurre particulièrement intéressantes.
— Allez, stresse pas ! me rassure Sarah. Ça va bien se passer, j'en suis sûre. Mattéo est sympa, tu verras.
Facile à dire ! J'aimerais bien l'y voir, moi !
Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui raconter ?
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Huhuhu alors à votre avis, comment Nathalie va-t-elle s'en sortir avec Mattéo ? 😱
Et que pensez-vous de cette chère balance de Tricia ? Elle est assez exécrable, mais c'est un personnage que j'aime bien quand même, je l'admets 😈 En vrai, elle est inspirée d'une gamine que j'ai dû garder quand j'étais animatrice en centre de loisirs, qui passait son temps à rapporter, c'était relou 😂
Pour ce chapitre, j'ai choisi une (vieille) musique assez connue, mais je la vois tellement passer en fond quand Nat s'imagine Mattéo en train de la protéger dans les couloirs 😂 : Bonnie Tyler — Holding out for a hero.
https://youtu.be/bWcASV2sey0
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