49. Fureur et tremblements

Depuis que mon réveil a sonné ce matin, le cours de sport est celui que j'appréhende le plus. En effet : les équipes de volley-ball ayant été constituées lors de la semaine précédant les vacances, je me savais condamnée au groupe de mes amis, donc autrement dit dans l'incapacité d'échapper à Mattéo.

Sauf qu'à présent, l'appréhension a été remplacée par de la colère. Une colère noire et profonde, telle que je n'en ai jamais ressenti, au point d'en avoir les mains qui tremblent de rage !

C'est portée par les ailes de ma fureur que je me dirige d'un pas rapide vers le gymnase, devant lequel les élèves de ma classe sont déjà attroupés lorsque j'arrive.

Mes yeux glissent sur le Cerbère et je me demande si Anaïs a commencé à répandre la nouvelle de mon râteau monumental. J'ai l'impression que tout le monde me dévisage, chuchote ou ricane derrière mon dos ; toutefois, sur le moment, je m'en fiche complètement.

Sans le vouloir, je me mets à grincer des dents quand j'aperçois le briseur de coeurs, au loin, en train de discuter avec les autres. Les poings serrés, je me précipite à travers la foule tel un boulet de canon dès que le prof nous ouvre.

— Nathalie ? m'interroge le délégué, interloqué, lorsque je le percute d'un coup d'épaule.

Sans daigner répondre, je me contente de lui jeter un regard noir avant de me rendre d'un pas rapide aux vestiaires, où j'entreprends de me changer, bientôt rejointe par le reste des filles qui arrivent au compte-goutte. A peine Tricia a-t-elle mis un pied dans la pièce qu'elle s'empresse de me balancer une pique :

— Tiens, Rateaulie, t'es pressée de jouer au volley, aujourd'hui ? Ce serait bien la première fois !

Si ce nouveau surnom me fait tressaillir, il déclenche un ricanement digne de vraies hyènes chez les deux autres têtes du Cerbère. Fronçant les sourcils, je les ignore et continue de m'habiller.

En voyant la scène, Sarah hésite un instant, pousse un long soupir d'exaspération, puis se traîne vers moi à contrecoeur.

— Nat..., commence-t-elle, mais je lui lance une oeillade si dure que cela suffit à la couper dans son élan.

— Garde tes leçons de morale pour toi, je suis pas d'humeur, là ! je lance d'un ton acerbe.

— J-Je voulais pas te faire la leçon... Je voulais m'excuser, j'ai été un peu dure tout à l'heure. Je sais que t'es triste et...

— T'inquiète, je suis plus triste, j'objecte. Plus maintenant.

— Qu'est-ce que... t'entends par là ?

Avant que je ne puisse m'expliquer, Anaïs se met debout sur un banc d'où elle interpelle l'assemblée :

— Ecoutez-moi toutes ! J'ai une annonce à faire !

M'attendant au pire, je déglutis.

— Oh non..., gémit mon amie. Elle va quand même pas...

— Jetez un oeil à vos smartphones ! reprend la rouquine à la voix nasillarde. Un ragot bien juteux a été posté sur le groupe Facebook de la classe ! Vous serez pas déçues !

Inutile de vérifier : les regards moqueurs ou compatissants que me lancent les autres après avoir consulté leurs portables sont loin d'être équivoques. Les voir me prendre ainsi en pitié m'est soudain intolérable.

Ni une, ni deux, voilà que je bondis en direction d'Anaïs, attrape son insupportable tresse puis tire dessus de toutes mes forces. A mon entière satisfaction, celle-ci bascule en arrière avant de se retrouver les quatre fers en l'air.

— Hé ! proteste-t-elle en se relevant. Mais ça va p-

— Ta gueule ! je la coupe, furieuse.

Je n'attends pas de réponse et me précipite vers la sortie. J'ai juste le temps d'apercevoir le franc étonnement de mes camarades avant de fermer la porte avec rage.

Allez toutes vous faire foutre.

— Hé, toi ! s'écrie aussitôt le prof en me voyant faire. Un peu de respect pour les locaux !

Après une longue inspiration, je rétorque d'un ton sec :

— Si vous voulez que je respecte les locaux, commencez par me respecter en retenant mon prénom. Car aussi fou que cela puisse paraître, il s'avère que j'ai bel et bien un prénom : Nathalie. Na-tha-lie. Alors merci de l'utiliser.

L'enseignant écarquille les yeux, perplexe, cela dit je me contente de m'éloigner sans rien ajouter.

J'en ai marre, marre, marre.

Je m'arrête un instant afin de souffler un coup ainsi que d'essayer de me calmer. La perte de contrôle est proche. Inutile de gaspiller mon énergie sur n'importe qui ; le seul qui devrait recevoir le poids de ma colère, à ce moment précis, c'est Mattéo. Je n'en serais pas là s'il avait été honnête dès le début !

Pendant l'échauffement, tandis que nous courons autour du gymnase, je l'entends derrière moi qui m'appelle. Compte-tenu de mon état d'énervement, cumulé à mes tendances impulsives, il me semble dangereux de le confronter tout de suite : c'est pourquoi j'accélère la cadence. Pourtant, malgré mes efforts, il n'a aucun mal à me rattraper.

A quoi servent mes footings matinaux si je parviens pas à le semer ?

— Nat ! halète-t-il en arrivant à ma hauteur. Faut qu'on parle...

Ah ouais, et de quoi, au juste ? Du fait que tu sois gay, peut-être ?

Préférant garder cette pensée pour moi, je conserve les pupilles fixées droit devant sans piper mot.

— Nat, s'il te plaît, arrête de m'ignorer... Je supporte pas cette situation !

Je l'observe furtivement du coin de l'oeil, sauf que son air penaud ne suffit plus à m'attendrir.

Rien à foutre, fieffé menteur ! Briseur de coeurs !

— Fiche-moi la paix ! je me contente de rétorquer, pressant encore le pas afin de le distancer.

Certainement refroidi par ma réaction, il me laisse m'éloigner sans insister.

C'est donc dans une ambiance électrique que débute le premier match de volley-ball. Sur le terrain, la rupture est assez nette avec mes amis d'un côté, et moi de l'autre, solitaire.

Le regard d'Antoine, le sixième membre de notre équipe, glisse du délégué à moi. Au vu de son air gêné, je comprends qu'il a dû, lui aussi, voir le message d'Anaïs sur le groupe Facebook de la classe.

Le métis se gratte le crâne, mal à l'aise, hésitant quant au camp dans lequel se ranger... Après une courte délibération, peut-être est-il pris de pitié car c'est vers ma personne qu'il se dirige.

— Ç-Ça va, Nathalie ? bredouille-t-il, gêné. T'as l'air tendue...

— Oh, vraiment ? j'ironise. Tu te bases sur quels indices, Sherlock ? Mes sourcils froncés, mes poings serrés, ou sur le fait qu'Anaïs ait mis la classe au courant du râteau que m'a foutu Mattéo ?

Antoine écarquille les yeux, probablement déconcerté de m'entendre débiter autant de mots d'un seul coup. C'est vrai qu'on est plutôt éloignés de la fille timide et réservée dont il a l'habitude...

Je me mords aussitôt la lèvre inférieure, regrettant d'avoir déversé mon fiel sur le seul membre de mon groupe qui ne semble pas me haïr. Pourtant, loin d'être vexé, celui-ci laisse échapper un petit rire avant de me taquiner :

— Wow, savage Nathalie ! Rappelle-moi de jamais te mettre en rogne ! Enfin, je sais pas pourquoi ça me surprend, ton article aurait dû me mettre la puce à l'oreille à propos de ton caractère...

Mon article ? je répète, ébahie. Tu... Tu l'as lu ?

— Bah... Ouais. Pourquoi ? Ça t'étonne ?

— Je pensais que personne lisait le journal du lycée.

— C'est vrai qu'en principe je le lis pas en entier... Mais en tant qu'ancien timide, le titre de ton texte a attiré mon attention. J'ai trouvé que tes mots étaient très justes, je m'y suis reconnu.

Je me sens rougir malgré moi, mal à l'aise à cause de ces compliments face auxquels j'ignore comment réagir. Heureusement, notre discussion est interrompue par le coup de sifflet du professeur, suite auquel nous nous empressons de prendre nos positions.

C'est à mon tour de servir, or je déteste cela : à cause de ma petite taille, je suis souvent obligée de mettre toutes mes forces dedans, ce qui, la plupart du temps, me détruit les poignets.

Sauf qu'aujourd'hui, mon objectif n'est pas d'envoyer le ballon de l'autre côté du filet. Non, je verrouille mon viseur sur une cible bien différente... Je fronce les sourcils, inspire longuement... puis frappe.

De toute évidence, je m'avère plus douée pour viser mes équipiers que pour le sport lui-même, car c'est avec une précision sans égale que le projectile atteint la tête du briseur de coeurs. 

Headshot !

Ce dernier se frotte aussitôt le crâne en grimaçant, quand le reste de mes équipiers me dévisagent avec des airs horrifiés.

— Mais ça va pas, Nat ? s'énerve aussitôt Ilyès.

— Oups, désolée, j'ai raté mon service ! je mens effrontément.

— Bien sûr ! On y croit tous !

— Ça va, Mattéo ? s'enquiert Sarah.

— Ouais, t'inquiète...

Non sans m'avoir fusillée du regard, mes partenaires reprennent leurs positions. J'hésite un instant... puis réitère mon tir, prenant de faux airs confus quand mes amis me font les gros yeux.

Excédé, Ilyès commence même à se diriger vers moi d'un pas furieux, sauf que le délégué le retient par le poignet.

— Laisse tomber.

— Mais Mat-

— J'ai dit : laisse tomber.

Résigné, le bouclé me jette un regard mauvais avant de retourner à sa place. Antoine, à côté de moi, surprend mon petit rictus satisfait et ne peut réprimer un gloussement.

— Tire sérieusement, cette fois, quand même, me conseille-t-il à mi-voix.

Malgré ma furieuse envie de faire le contraire, je tâche d'effectuer un service propre, permettant au match de démarrer.

Le jeu dure plusieurs minutes où je ne rate pas une occasion de bousculer Mattéo, jusqu'à ce que ce soit à son tour de servir et qu'il me renvoie la monnaie de ma pièce en projetant le ballon en plein sur ma tête.

La puissance de l'impact est telle que j'en tombe à la renverse. Les membres de mon équipe laissent échapper des "Han !" surpris tandis qu'Antoine se précipite à mon chevet.

— Ça va ? s'enquiert-il en m'aidant à me relever.

— O-Oui, m-merci, je souffle.

Mes pupilles se braquent alors sur le délégué, lequel m'adresse un large sourire puis me nargue d'un ton hypocrite :

— Oups, désolé, Nat ! Apparemment t'as pas l'apanage de la maladresse !

— Putain, vous êtes vraiment des gamins..., soupire Adam en se passant la main sur le visage.

— Vous allez jouer sérieusement, à la fin ? s'impatiente Aya, dans le camp adverse.

Les larmes affluent au bord de mes yeux ; je quitte le terrain et commence à m'éloigner d'un pas rageur afin de dissimuler cet accès de faiblesse.

Les choses n'auraient pas dégénéré si le briseur de coeurs n'avait pas enchéri, m'arrêtant dans mon élan :

— J'espère que t'as pas trop mal, Nathalie ?

Cette fois, c'en est trop. Sa pique moqueuse a raison de moi. Mes poings se serrent. Je me retourne, furieuse. Alors, tout se passe très vite : sans pouvoir plus me contrôler, je sens soudain mes jambes courir droit sur lui.

Mes équipiers n'ont pas le temps d'esquisser le moindre mouvement que je le percute de plein fouet et que nous tombons tous les deux au sol. Je ne réalise pas vraiment ce qu'il se passe ; je sais juste qu'à ce moment précis, je ne suis qu'un amas de colère, de coups, de cris cumulés à des larmes de rage.

— Je te déteste, Mattéo, je te déteste ! je m'égosille en le frappant.

Le délégué se saisit de mes avant-bras, cherchant à m'immobiliser.

— Bon sang, qu'est-ce qui te prend, Nat ? Calme-toi, bordel !

— Sale menteur ! Tricheur !

— Mais de quoi tu parles ?

— Raphaël m'a tout dit ! Je suis au courant !

Je sens alors deux bras m'encercler fermement puis me soulever dans les airs.

— On se calme, jeune fille ! gronde le prof en m'éloignant de ma victime.

Tandis qu'il m'entraîne ainsi de force, je vois le reste de mes camarades me dévisager, certains bouche bée, d'autres hilares. Parmi les dizaines de visages qui me scrutent, j'aperçois Tricia qui, à mon grand dam, a poussé le vice jusqu'à sortir son smartphone afin de filmer la scène.

Je ne peux m'empêcher de lui adresser un doigt d'honneur rageur en bonne et due formes, toutefois l'enseignant ne me laisse pas le temps d'articuler le moindre mot car il m'emmène jusqu'aux vestiaires où il me pousse sans ménagement sous les douches.

— Qu'est-ce que vous...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'il appuie sur le bouton ; l'eau glacée me fait un choc et je dévisage le prof, interloquée, ne réalisant pas tout-à-fait ce qu'il vient de se passer. La seule chose que je comprends, c'est que mes vêtements de sport sont désormais trempés.

— Ça y est, t'es calmée ? vocifère-t-il une fois que le jet s'arrête de lui-même.

— J-Je pense..., je grelotte.

— Parfait ! Car crois-moi, t'auras besoin de sang-froid pour affronter Mme Grassi après ta petite crise de nerfs... Na-tha-lie.

Il m'adresse un dernier sourire narquois avant de tourner les talons. J'écarquille grand les yeux en réalisant ce que ces paroles impliquent.

Comme au début de l'heure, je suis soudain prise de tremblements, mais ce n'est ni à cause de la colère, ni du froid. Non, cette fois, c'est bien la peur qui secoue mon corps : une peur bleue à l'idée de me retrouver nez à nez avec celle que tout le lycée surnomme Pinochette.

⚽⚽⚽

Aaaargh ça m'a manqué de ne pas lire vos commentaires ce lundi 😭 Hélas je ne suis pas près de reprendre le rythme de 2chapitres/semaine car je suis débordée au travail en ce moment ! La vie active, ça craint ! 

J'espère que ce chapitre vous a plu en tout cas ! 

Qu'avez-vous pensé du nouveau surnom de Nathalie et de la façon dont le Cerbère a décidé de l'humilier ?

De la querelle entre elle et Mattéo sur le terrain de volley-ball ?

De ce brave Antoine qui vient en aide à notre héroïne ? 😏

Et, surtout... Du pétage de plomb de Nathalie ? 😂

Sans vous mentir, cette scène m'a été clairement inspirée par la musique de Pat Benatar, "Hit me with your best shot", que, si on était dans une série, j'imagine tout-à-fait en fond sonore pendant le match. 😂

https://youtu.be/x5kisPBwZOM

Des pronostics pour la suite ? 😁

Comme d'habitude, n'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire ou à voter si ça vous a plu ! En attendant de lire vos délicieuses réactions, je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain ! 😘

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