46. Avalanche de mouchoirs

Pendant les jours qui suivent, ma famille, perplexe, cherche à comprendre ce qui ne va pas, venant régulièrement frapper à ma porte afin de me faire sortir de ma chambre. Cela dit, à mes yeux, c'est juste impossible ; je ne veux plus jamais mettre un pied hors de ces quatre murs.

Volets fermés, dans le noir total, je passe mes journées à dormir ou à me morfondre sur mon sort, écoutant une playlist Youtube pour coeurs brisés, et touchant à peine aux plateaux-repas que m'apporte ma mère.

Chaque minute me semble autant interminable que très rapide, à naviguer en un tourbillon de souffrance ainsi que d'auto-apitoiement. Au fond, je regrette quelques peu d'avoir quitté le groupe WhatsApp de mes amis... Mais suis trop fière pour demander à le réintégrer.

D'ailleurs, Mattéo ne m'a envoyé aucun message depuis le nouvel an. Sarah, elle, a bien essayé de me contacter, de même que Marjorie, laquelle a probablement appris ce qu'il s'est passé de la bouche de son demi-frère... Sauf que je ne parviens à répondre à aucune des deux. C'est au-dessus de mes forces.

Au bout de trois jours passés à me morfondre ainsi, c'est Aurore qui finit par tambouriner à ma porte de manière frénétique.

— Bon, Lalie, ça suffit maintenant, ouvre-moi !

Je monte le volume de ma musique sans daigner répondre.

— Lalie ! insiste-t-elle. C'est ridicule ! Que tu veuilles pas te confier aux parents, je comprends, mais à moi tu peux ! Je sais qu'on est en froid, seulement... S'il te plaît, parle-moi... Il fut un temps pas si lointain où on se disait tout, j'te rappelle...

Un court silence s'installe, jusqu'à ce qu'elle reprenne de plus belle :

— Ça a un rapport avec Mattéo, pas vrai ? Il s'est passé un truc lors du réveillon ?

Sa question me fait tressaillir ; les images que j'ai tenté de chasser de mon esprit au cours des dernières soixante-douze heures me reviennent d'un seul coup, m'assaillent de toute part, avant de faire émerger des larmes au bord de mes yeux.

J'ai du mal à me relever. Toujours enroulée à l'intérieur de ma couette telle une chenille dans son cocon, je me dirige vers la porte afin de la déverrouiller, sans mot dire.

Ma cousine met quelques secondes à percuter que je lui ai ouvert ; si bien qu'au moment où elle entre, je suis déjà retournée m'affaler sur mon lit. Cela dit, au lieu de se diriger vers moi, elle entreprend d'ouvrir les volets ainsi que ma fenêtre.

— Ça pue le renfermé, ici, marmonne-t-elle dans sa barbe. Faut aérer !

La lumière du jour me picote les yeux, me forçant à tirer sur la couverture afin de dissimuler mon visage. Aurore entreprend alors de jeter la quantité astronomique de mouchoirs qui jonchent le sol puis, une fois qu'elle a terminé, attrape la chaise à roulettes afin de de se poster juste en face de moi.

— Allez, Nathalie, raconte-moi.

Devant mon silence, elle enchaîne, tentant de deviner :

— Il... a déjà une copine ?

J'agite frénétiquement la tête en signe de réponse négative.

— Il est pas homo, au moins, rassure-moi ?

Lorsqu'elle dit ça, une image fugace remonte à mon esprit : Ilyès qui me dévisage de son regard dur, et Mattéo qui semble se cramponner à lui... Je la chasse sur-le-champ en secouant la tête à nouveau.

— Tant mieux. Un si beau mec, ce serait vraiment du gâchis ! Hmm, du coup... Je suppose qu'il t'a friendzonée ?

En entendant cette douloureuse vérité énoncée de manière si nonchalante, je repousse la couette avant de m'exclamer :

— C'est pas drôle !

— Donc j'ai visé juste... Il t'a dit que t'étais sa meilleure amie, un truc du style ?

— C'est encore plus grave que ça, je me renfrogne en croisant les bras, contrariée. Je lui ai déclaré mes sentiments. Et il m'a repoussée.

— Ce sont des choses qui ar-

— C'est pas fini ! je l'interromps. Le pire, c'est ce qui s'est passé après.

Je prends une grande inspiration puis lâche d'une traite :

— D'abord, il a voulu qu'on reste amis et moi, comme une conne, j'ai dit oui ; je ressentais rien à ce moment-là, rien du tout. Je n'étais ni triste, ni en colère, je... J'étais vide. Complètement vide à l'intérieur. Sauf qu'ensuite, Mattéo a voulu me parler, et là... J'ai explosé. J'ai dit des choses... horribles ! J'ai été affreuse !

J'étouffe un sanglot, me prenant la tête entre les mains.

— C'est sûr qu'ils vont tous me tourner le dos maintenant ! Je vais me retrouver seule, sans personne, comme avant ! C'est... une... catastrophe !

Ma cousine ne dit rien ; elle se contente de venir s'asseoir à côté de moi, sur le lit, ainsi que de m'enlacer. Nous restons comme ça un petit moment, Aurore me laissant pleurer à grosses gouttes sur son épaule.

— Désolée, Nat, finit-elle par soupirer. Ça a dû être dur pour toi. Mais tu sais... Tu souffrais, t'étais énervée, t'avais bu... Nos mots dépassent toujours un peu nos pensées face à ce genre de situation. T'auras juste à t'expliquer avec eux. Je suis sûre qu'ils te pardonneront.

— Comment tu peux en être certaine ? je hoquète.

— Parce que t'as fait pareil avec moi, et que je t'ai pardonnée.

Je relève la tête d'un coup pour la dévisager, perplexe.

— Je... C'est... Ah bon ? Tu m'en veux pas... ?

— Non, c'est fini, me sourit-elle. Je me suis mise à ta place... J'ai réalisé que ça devait pas être facile, d'être ma cousine. Mais contrairement à ce que tu sembles penser, je suis loin de réussir tout ce que j'entreprends.

— Pff, pas la peine de jouer les fausses modestes ! je bougonne en me mouchant bruyamment.

— Je joue pas les fausses modestes ! proteste-t-elle en riant. Je suis sincère.

— Arrête un peu ! T'es le genre de fille qui peut déménager dans un pays étranger et qui parvient à s'y intégrer en un claquement de doigt !

— Ouais... ou pas.

Je la dévisage, interloquée.

Ou pas ? je répète. Qu'est-ce que t'entends par là ?

Aurore se mord la lèvre inférieure, signe de sa nervosité.

— C'est ce que j'essaye de faire croire à la famille, sauf que la réalité est différente. As-tu la moindre idée de ce que c'est que de débarquer dans un lycée où personne ne parle ta langue ? Les gens se moquent de ton accent, ou te font répéter dix fois pour t'énerver, ils font exprès de causer vite histoire que tu te sentes larguée, et quand tu oses leur dire que t'as pas compris, ils lèvent les yeux au ciel.

— Pourtant, je te croyais super forte en anglais...

— Bah, maintenant oui, encore heureux ! Mais franchement, c'était hyper dur, au début. Et puis, même si j'ai quelques amis... C'est pas pareil. Londres est une ville géniale, seulement... C'est très grand. Mon pays et mon ancienne vie me manquent... Au fond, j'ai envie de rentrer.

J'écarquille les yeux de surprise.

— Alors pourquoi tu m'as rien dit, si tu te sentais si malheureuse que ça ?

— Je sais pas..., soupire-t-elle en haussant les épaules. Je suppose que je voulais paraître forte. Chaque fois que j'essayais de te parler, c'est à peine si tu me répondais... Je me disais que t'étais pas vraiment disposée à m'écouter, ou que tu me croirais pas si je me plaignais.

Je me mets à me triturer l'oreille, gênée, avant de reconnaître :

— C'est vrai que j'ai pas été super sympa, de mon côté...

— Et y'a pas que ça... Pardonne-moi d'avoir pensé ça, mais je me disais que le lycée devait être un cauchemar pour toi, donc je voulais pas t'accabler plus que nécessaire. Alors tu comprendras ma surprise quand, une fois rentrée, je réalise que de nous deux c'est toi qui t'en es le mieux sortie, au final ! J'avoue que mon ego en a pris un coup. J'ai même été un peu jalouse.

— Quoi, toi, Aurore, jalouse de la banale petite Nathalie ?

— Bah ouais. J'admets que, égoïstement, j'espérais que rien n'ait changé, tu vois ? Que je retrouverais ma cousine fidèle à elle-même, cette chère Nathalie timide et réservée... Or au final je découvre que la chenille a tissé son cocon, déjà prête à devenir papillon. Ça m'a fait bizarre.

Elle marque une pause, poussant un long soupir, avant d'enchaîner :

— Tu sais, c'est difficile de vivre à l'étranger ; on se sent chez soi nulle part, ensuite. En Angleterre, j'avais l'impression d'être de trop. Sauf qu'une fois rentrée, je réalise que tout le monde a changé, évolué, fait sa petite vie sans moi... Que tu n'as plus besoin de moi. Que même, tu me détestes. Que tu me rejettes... Et que j'ai pas vraiment ma place ici non plus. Ça m'a fait très mal.

Sans pouvoir me retenir davantage, je me mets à pleurer à chaudes larmes.

— Oh, Aurore... Je suis tellement désolée ! J'ai été une cousine horrible ! je sanglote en me réfugiant dans ses bras. Je sais pas pourquoi, quand je m'énerve, je peux plus me contrôler, il y a ce flot de méchancetés qui sort de ma bouche, et...

— Bah c'est pas grave, c'est du passé maintenant ! rigole-t-elle en me tapotant le crâne. Au fond, je préfère savoir qu'on a crevé l'abcès une fois pour toutes.

D'un coup, elle m'attrape la tête entre ses deux mains, me forçant à affronter son regard.

— Désormais, je refuse que tu me repousses ou que tu joues les muettes à nouveau, t'entends ? Et j'exige que tu me racontes absolument tout ce que j'ai raté de ta vie depuis ton entrée au lycée !

Je m'assombris en y repensant.

— A quoi bon ? je soupire. Puisque j'ai tout foutu en l'air...

— Mais non, dis pas ça. Je suis sûre que ça va s'arranger... Vous allez vous réconcilier, avec Mattéo.

— Oui, sauf qu'il est là, le hic. Je sais pas si j'ai envie de me réconcilier avec lui, au fond.

Aurore me dévisage, perplexe.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je me mordille un ongle, mal à l'aise, puis m'exclame :

— J'ai le coeur en miettes ! Vraiment, c'est horrible comme sensation, de se faire rejeter. D'un côté, je regrette ce que je lui ai dit... Et de l'autre, je dois admettre que ça m'a soulagée. J'ai de la rancoeur, là, et j'arrive pas à m'en débarrasser. J'ai peur que si je cherche à le fréquenter à nouveau... Je réussisse pas à me contrôler. Je vais pas pouvoir m'empêcher de dire des méchancetés, et après je culpabiliserai. Alors, d'un côté, il vaut sans doute mieux qu'on se reparle pas tout de suite, lui et moi.

Elle hoche la tête, semblant réfléchir à mes paroles.

— T'as peut-être raison, admet-elle. C'est à toi de voir, au fond. Seulement... tu finiras par t'en remettre. C'est dur pour le moment, mais tu tourneras la page, t'en fais pas ! T'es pas la première fille à vivre un chagrin d'amour, tu sais. Ça ira mieux d'ici quelques temps...

Ces mots me font tressaillir tant ils ressemblent à ceux que m'a dit Adam, le soir du réveillon. Je m'allonge alors sur le dos, et ma cousine ne tarde pas à m'imiter.

— J'y ai vraiment cru, tu sais, je soupire. J'ai vraiment cru qu'il s'intéressait à moi. Je suis stupide, hein ? Qui voudrait d'une fille banale et insipide dans mon genre ?

— Dis pas ça ! T'es ni banale, ni insipide, Nat. Il te faut juste... Sortir un peu de ton cocon. Mais t'as beaucoup changé, crois-moi. T'avais raison, au final... Ça t'a fait du bien d'être débarrassée de moi.

Nous rigolons toutes deux à cette idée, puis restons un moment ainsi, à fixer le plafond en silence, jusqu'à ce qu'Aurore se relève d'un coup afin de chercher une musique sur le PC, dont je reconnais d'emblée les premières notes.

— Cette chanson... C'est celle que ta mère adore, pas vrai ?

— Exact ! Allez, viens danser avec moi, Lalie !

Même si je résiste quelques instants, le rythme entraînant finit par avoir raison de moi... Nous nous retrouvons donc bientôt à nous trémousser comme des folles, reprenant le refrain en choeur :

You can't hurry love
No, you just have to wait
She said love don't come easy
It's a game of give and take

Les paroles résonnent dans mon esprit : comme si la chanteuse, avec sa voix aussi douce qu'apaisante, s'adressait à moi, Nathalie Trombière, personnellement.

Aurore et Adam ont raison. Je ne suis pas la première à vivre une peine de coeur. Cette mélodie le prouve : beaucoup d'autres avant moi ont connu ma situation, or il en sera ainsi encore bien après...

Cette musique met des mots sur tous les sentiments que j'éprouve à l'heure actuelle. Entendre cette vérité douce-amère être fredonnée sur cet air joyeux console quelques peu mon coeur meurtri.

Je ne dirais pas que j'ai tout à coup oublié mon chagrin. Mais je crois pouvoir affirmer que pour la première fois depuis le soir du réveillon, je me sens déjà, d'une certaine manière, un petit peu mieux. 


  😌😌😌 


Gomenasai pour le retard ! J'ai eu une flemme incommensurable de corriger mon chapitre hier (et puis c'était la Saint-Valentin en plus 💖)

Voilà, ce chapitre se termine sur une note un peu plus joyeuse que le précédent, même si c'est pas encore la panacée. Qu'avez-vous pensé de la réconciliation entre Nat et sa cousine ? 😁

La chanson qu'elles écoutent à la fin est un peu un classique : "You can't hurry love" des Supremes ! Je sais que Phil Collins l'a reprise mais je préfère l'originale. Je trouvais qu'elle était relativement adaptée au ton du chapitre et à la teneur actuelle de l'intrigue. 👌

https://youtu.be/YpSr1egPSMI

Voilà, sinon dès lundi ce sera le retour au lycée pour Nat, elle devra affronter ses amis... Des pronostics sur ce qu'il va se passer ? Dispute ? Réconciliation ? 😁

(Instant mauvaise nouvelle) : Je pense d'ailleurs que la semaine prochaine sera la dernière à un rythme de deux chapitres par semaine. En effet, j'ai une petite baisse de régime niveau écriture ce qui fait que mon avance se réduit... Donc maintenant que l'arc "nouvel an" est passé, je pense revenir à 1 chapitre/semaine jusqu'à ce que j'ai à nouveau de l'avance (je préfère faire ça afin de continuer à publier régulièrement plutôt que de vous laisser sans rien pendant une ou deux semaines). 

Vraiment désolée, j'espère que vous comprendrez ! Mais promis, dès que j'aurai repris un peu d'avance j'essaierai de revenir à 2/semaine (j'aimais beaucoup ce rythme). 

Voilà, je vous fais des bisous et vous dis à lundi pour le retour au lycée de Nat ! 😁😘

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