43. Non, le titre ne vous donnera pas d'indice sur la réponse de Mattéo

Cette fois-ci, impossible de revenir en arrière. Les mots sont sortis ; je ne peux plus les ravaler.

J'ai presque l'impression de les visualiser qui s'échappent de ma bouche, virevoltants à l'air libre, puis entrent avec douceur au creux des oreilles de mon interlocuteur, se fraient un chemin le long des conduits auditifs, frôlent ses tympans pour, au final, remonter jusqu'au cerveau...

Je vois les yeux du délégué s'écarquiller d'un coup. Aucun doute n'est possible : ma déclaration a bel et bien atteint son but.

Mattéo ôte sa main de la mienne puis recule de manière instinctive.

Sa réaction est plus explicite que des mots.

Je pensais que s'il me repoussait, mon coeur serait brisé.

En miettes. En mille morceaux.

Sachant la pleureuse que je suis, on aurait aussi pu penser que j'allais fondre en larmes.

Pourtant, curieusement, je ne ressens rien.

Rien d'autre qu'un froid glacial.

— T'as dit quoi, là ? s'exclame-t-il.

— Tu vas vraiment me forcer à répéter ? je grimace. Vu ta réaction, je pense que t'as très bien compris. Pourquoi t'as cet air effaré ? Je vais pas te sauter dessus...

Mes paroles semblent lui redonner contenance. Il se gratte le crâne sans se rapprocher de moi, mal à l'aise.

— Nathalie...

Je serre mes poings par réflexe. Je n'ai guère envie de l'entendre me repousser.

— Économise ta salive ! je rétorque d'un ton qui, malgré moi, est plutôt sec. J'ai compris.

Tandis que j'entreprends de tourner les talons, il me retient le poignet.

— Attend, reste ! Laisse-moi te répondre...

— Pas besoin, Mattéo, j'ai compris. Evitons de prolonger ce moment extrêmement gênant pour tous les deux.

Je sens sa prise lâcher quelques peu, bien qu'il ne me libère pas tout-à-fait.

— On reste amis, hein ? me demande-t-il d'un ton qui, étrangement, est presque suppliant.

Le regarder en face est au-dessus de mes forces, alors je me contente de lever à demi les yeux vers lui ; il a le teint blême, ses traits sont tendus, ses lèvres crispées, et la tristesse mêlée d'inquiétude que je lis sur son visage s'avèrent, aussi étrange que cela puisse paraître, sincères.

— S'il te plaît, Lalie. Dis-moi que ça va rien gâcher entre nous...

C'est un foutage de gueule ? C'est lui qui vient de me repousser, or c'est encore moi qui dois le rassurer ou le réconforter ? De qui se moque-t-on ?

Pourtant, quand je le vois ainsi en proie à l'angoisse, je n'arrive ni à lui en vouloir, ni à le détester.

Non, l'euphorie provoquée par l'alcool a été remplacée par l'apathie.

Une apathie monstre m'ayant enveloppée toute entière sans vouloir me relâcher.

Ça ne me fait rien. Rien du tout.

Serais-je capable de ressentir quoique ce soit à nouveau, un jour ?

Je n'ai aucune difficulté à feindre un sourire. J'essaye d'être rassurante. De me montrer compréhensive.

— Bien sûr qu'on reste amis, Mattéo. T'y es pour rien si je suis pas ton genre de filles. C'est pas comme si tu contrôlais tes sentiments...

Au fond de ma poitrine, le soulagement que je lis dans son regard me pince le coeur.

— Tant mieux..., soupire-t-il en relâchant sa prise sur mon poignet.

Incapable d'attendre davantage, je quitte le balcon précipitamment, me dirigeant vers le buffet d'un pas décidé.

A l'instar de la dernière fois lors de l'épisode "calendrier de l'avent", je suis prise d'une crise maniaque ; je dévore chaque aliment qui me passe sous la main de façon frénétique : chips, mini-pizzas, saucisson, pistaches, cacahuètes...

Je n'ai aucune hésitation à mélanger sucré et salé en avalant des papillotes ; je ne mâche pas, j'engloutis, je gobe.

Inutile de savourer car mon but est simple : ingurgiter le maximum de nourriture, remplir mon estomac, remplir mon corps, remplir le trou béant qui a chassé mon coeur, remplir le vide qui s'installe peu à peu en moi et me dévore à son tour...

— Nathalie !

Le cri de Sarah, à côté de moi, me sort de ma transe. A ses sourcils froncés ainsi que son air concerné, je comprends d'emblée qu'elle sait. Elle sait mieux que personne ce que je suis en train de vivre car elle l'a déjà vécu par le passé.

— Tu fais une crise de boulimie, c'est ça ? me demande-t-elle à voix basse.

En l'entendant prononcer le dernier mot, je relâche machinalement les Pringles que je m'apprêtais à fourrer à l'intérieur de ma gorge. Un sentiment, enfin, s'empare de moi : de la honte, de la honte immense mêlée à la culpabilité.

Soudain, la scène du balcon me revient, alors j'éprouve de nouveau ce besoin de remplir mon ventre afin d'oublier.

— J'avais faim, c'est tout, je mens.

Mon amie ouvre la bouche pour répondre, sauf que je l'ignore délibérément en m'écriant :

— Ilyès ! Tu peux me refaire ton cocktail, là, le Blue machin ?

Celui-ci, en train de servir des verres aux autres, suspend son geste.

— Déjà ? s'étonne-t-il en haussant les sourcils. Il était assez corsé, tu sais, tu ferais peut-être mieux de rester à la bière.

— S'il te plaît, j'insiste en me rapprochant de lui.

— Nat, m'avertit Sarah, je sais pas à quoi tu joues mais je doute que ce soit très raisonnable...

— Si j'en bois assez, l'alcool me fera vomir, je lui donne en guise de réponse.

Le bouclé est aisément persuadé ; c'est même avec un plaisir non feint qu'il me tend mon deuxième Blue Lagoon que, à sa grande surprise, j'avale cul sec.

— Wow... Nat, ça va ? s'enquiert-il, ébahi.

— A merveille ! Un autre, s'il te plaît. Hésite pas à mettre encore plus de vodka.

— Bah dis donc ! Qu'avez-vous fait de la petite Lalie innocente qui n'avait jamais bu de bière ? déplore-t-il en s'exécutant, ravi.

Je commence derechef à l'avaler d'une traite, sauf qu'Ilyès arrête mon geste.

— Euh, sérieux Nat... Vas-y molo, quand même !

Face à leurs airs emplis d'inquiétude, je décide d'être raisonnable et de boire ce troisième verre avec davantage de retenue. Je vois alors que Mattéo vient à notre rencontre et entraîne aussitôt mon amie à l'autre extrémité de la pièce.

— Ça te dit de danser ? je m'exclame d'un ton faussement jovial.

Danser ? répète-t-elle, incrédule. T'es sûre que ça va ?

Ignorant ses interrogations, je lance sur l'ordinateur une musique que j'estime adéquate : Rejection de Martin Solveig. Je fixe le délégué d'un air accusateur tandis que je me déhanche, tirant derrière moi une Sarah tout-à-fait perdue.

Moi, la petite Nathalie timide et renfermée, me trémousse ainsi au beau milieu de gens que je connais à peine ! J'ai vaguement conscience de me comporter de façon de plus en plus insensée, sans parvenir cela dit à me contrôler.

Mattéo, lui, semble atterré par ce spectacle ; je le vois engueuler Ilyès avant de se pencher vers lui afin de lui chuchoter quelque chose à son oreille. L'air mi-taquin mi-fier du bouclé disparaît sur-le-champ, laissant place au même air concerné que le délégué.

C'est cet instant précis que choisissent Adam et Fiona pour réapparaître.

— Oh, on danse enfin ! s'extasie cette dernière. Trop cool !

Elle s'empresse de nous rejoindre, essayant d'embarquer le chevelu, sauf que celui-ci demeure bien droit, je dirais presque un peu tendu.

Les yeux écarquillés, il contemple la scène d'un air perplexe. Son regard glisse de Mattéo à moi, puis de moi à Mattéo ; en un éclair, je vois qu'il comprend la situation mais, démuni, ignore comment réagir.

Fiona, Sarah et moi nous agitons ainsi plusieurs minutes pendant lesquelles je m'efforce de dissimuler le chaos intérieur qui s'est emparé de moi.

Je sautille, tourne sur place, rie de manière exagérée, pousse des exclamations façon "fêtarde euphorique"... Au bout d'un moment, je termine le fond de mon verre d'un seul coup, ce qui arrache un petit cri de surprise à Sarah.

Adam semble alors sortir de sa torpeur car il marche dans notre direction ; une fois arrivé à ma hauteur, il m'immobilise en se saisissant de mes épaules.

— Nat..., se lance-t-il.

 Sauf qu'il n'a pas le temps d'en dire davantage car, au fond de mon estomac, les apéritifs et la vodka que j'ai avalés ne semblent pas faire bon ménage ; pire, les voilà qui remontent à la surface puis, avant que je ne dise quoique ce soit, je me retrouve déjà à régurgiter l'étrange mélange sur les chaussures du pauvre Adam.   

— Je crois que je vais vomir..., je dis un peu bêtement après-coup.

— Sans... déconner..., halète le chevelu avec difficulté.

Je comprends à ses doigts crispés sur mes épaules qu'il contient de son mieux sa colère et ressens dès lors une immense gratitude à son égard.

Devinant l'arrivée imminente d'une deuxième vague de vomissure nauséabonde, je plante le chevelu avant de me hâter en direction de la salle de bain. 


  🤢 🤢🤢 


Bon, vous vous en doutez sûrement vu la fin un peu abrupte, j'ai dû couper le chapitre en deux pour cause de longueur excessive, par conséquent la deuxième partie arrive jeudi. 😓

Cette fois, ça y est... Nathalie a eu la réponse à sa déclaration ! 😰 Au vu des commentaires du précédent chapitre, je sais que la plupart d'entre vous s'attendaient à ce râteau... Je suis maintenant impatiente de lire vos impressions à ce propos !

Qu'avez-vous pensé de ce moment quelques peu gênant ? Et du craquage de Nat entre la crise de boulimie, l'alcool et la séance de danse improvisée ? 😱 Vous attendiez-vous à une telle réaction de sa part ? Quant à Mattéo... Que se passe-t-il dans sa tête actuellement, selon vous ?

Vous avez sûrement deviné la musique que j'ai choisie pour illustrer ce chapitre... Martin Solveig — Rejection (comment ça c'est pas gentil de se moquer ? Je vois pas de quoi vous parlez ! 😇)

https://youtu.be/HNPVFprwmVk

 Je sais que dans la plupart des histoires de ce style, la fille timide et renfermée parvient d'habitude toujours à finir avec le beau gosse... Mais dans "Banale !", ce n'est pas le cas, pour la simple et bonne raison qu'en général, je trouve ça assez idyllique et peu crédible.

Je comprends que les jeunes aient besoin de rêver, mais en ce qui me concerne je préfère rester terre-à-terre et vous préparer, cher(e)s lecteurs(rices), à la dure réalité de la vie. Because life is a bitch. And so is Lily. 

Et vous, qu'en pensez-vous ? Etes-vous déçu(e)s ? Frustré(e)s ? Ou au contraire, trouvez-vous que c'est mieux ainsi ?

Suite de ce chapitre et de la crise de nerfs de Nathalie dès jeudi... Je vous fais des bisous en attendant ! 😘

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