42. Topaz

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Nb : Ça n'arrive pas souvent, mais pour une fois je mets la musique en en-tête et non à la fin, car j'en ai repris le nom pour le titre du chapitre. Cette chanson m'a beaucoup inspirée pour l'écriture de la deuxième partie, quand Nat va sur le balcon et, si nous étions dans une série, je la verrais bien passer en fond sonore à ce moment-là. Voilà, libre à vous de l'écouter en lisant ce passage (ou pas) ! Bonne lecture 😊 

***


Bizarrement, Adam, lui, n'a pas l'air angoissé malgré le rapprochement inexorable de l'échéance, à tel point que je finis par l'entrainer dans un coin du salon afin de le questionner :

— C'est quoi ton secret pour être aussi détendu ? Je suis en flippe total, là, moi !

— Bah... J'ai bu, me répond-il comme si c'était l'évidence-même. Viens, on va demander à Ilyès de te faire un cocktail.

Il m'attrape en une accolade étonnamment chaleureuse — ce qui me confirme qu'en effet, il est loin d'être sobre — puis m'entraîne vers le buffet, commandant un "Blue Lagoon" pour moi.

— Tu crois qu'elle va aimer la vodka ? s'enquiert le bouclé.

— Charge-le pas trop.

— Nat va être bourrée ! chantonne aussitôt le comique de service en s'attelant à la tâche, mélangeant avec un entrain non dissimulé vodka, citron et curaçao.

A peine ai-je avalé une gorgée que le barman en herbe m'interroge :

— Alors ?

— C'est dégueu, je grimace en buvant une nouvelle fois.

Ma réponse fait bien rire le chevelu, quand Ilyès, lui, semble tout penaud.

— Si t'aimes pas pourquoi tu continues à boire ? m'interroge-t-il.

— J'ai besoin d'alcool, j'hausse les épaules comme si c'était la chose la plus logique qui soit.

Mon ventre étant encore désespérément vide, il ne me faut pas longtemps avant de ressentir les effets de mon cocktail cumulé aux deux bières que je m'enfile dans la foulée. Ce qui explique pourquoi je n'éprouve aucune réticence à accepter lorsque Fiona vient me chercher afin de me faire jouer à Guitar Hero.

— Olala, Nat s'improvise musicienne ! s'exclame Sarah, surexcitée. J'ai hâte de voir ça !

— Ça se joue comment ?

— Voilà ta guitare, les notes vont défiler à l'écran, il te suffit d'appuyer sur la bonne couleur au bon moment. Rien de très compliqué !

Etant donné que je suis une débutante, la geekette choisit un morceau assez simple ; sauf que contrairement à elle, je suis loin d'avoir le rythme dans la peau et passe mon temps à louper le coche, appuyant sur les touches soit trop tôt soit trop tard, ce qui me vaut des huées de toute l'assistance, incluant Adam qui se moque allègrement de moi.

Vexée, je rends, dès la musique terminée, la guitare à Fiona en déclinant sa proposition à réitérer l'expérience. Cette mésaventure n'entache cela dit en rien l'euphorie ressentie grâce à l'alcool : j'arrive d'ailleurs à parler plus facilement aux invités.

— Du coup, vous êtes en cours avec Taec, Buridg et Sneaky, c'est ça ? s'enquiert le type aux allures de gothique — Edouard, de mémoire — auprès de Sarah et moi.

— Euh... Tu parles d'Ilyès, Mattéo et Adam ? bredouille mon amie.

— O-Oui, en effet, on se connaît du lycée..., j'interviens.

— Désolé, j'ai trop l'habitude de leurs pseudos ! rigole-t-il. Du coup, c'est laquelle de vous deux la voisine de l'elfe ?

— L'elfe ? nous répétons sans comprendre.

— Ouais, Bu-, euh Adam.

— Pourtant il joue un nain, non ? je demande, incrédule.

— Ça c'est parce qu'il aimerait bien avoir leur beauté virile ou leur musculature, mais regarde-le.

Il encadre mon visage de ses mains afin de tourner ma tête en direction du geek boutonneux, lequel est en train de mettre une énième fois la misère à Ilyès sur Guitar Hero.

En temps normal, j'aurais moyennement apprécié cet accès de familiarité, cela dit l'alcool dans mon sang me rend étrangement malléable.

— Il est pâle, tout fin, et que dire de sa crinière lisse et blonde qui descend jusqu'à ses reins ? Ses reins ! Même vous deux, qui êtes des filles, vous avez pas les cheveux aussi longs ! Ce type ressemble à Legolas, honnêtement. In game c'est peut-être un nain, sauf qu'IRL c'est un elfe de sang. Donc on le surnomme l'elfe, même s'il déteste ça.

— Ah ouais ? je fais avec un sourire en coin. Je sais quoi faire si je veux l'embêter, maintenant, du coup.

— Donc, c'est toi sa voisine de classe ? me questionne Edouard.

— Oui, répond Sarah, moi je suis à côté de Mattéo.

Le gothique hoche gravement la tête plusieurs fois consécutives, de manière quelque peu frénétique, ce qui témoigne de son état avancé d'ébriété.

— Ça va, t'as de la chance, Taec est cool. Il a bien choisi sa classe ; il joue un paladin ! Ce sont des sortes de guerriers de la lumière qui oeuvrent en faveur du Bien.

— C'est vrai que ça ressemble parfaitement à notre délégué ! plaisante mon amie.

— Alors que toi, euh... Nicole...

— Nathalie, je rectifie.

— Ouais, c'est ce que j'ai dit ! Toi, t'as pas de bol, parce que Khazgor, c'est une sacrée tête de con, parfois.

— A qui le dis-tu..., je soupire.

Même si au moment où nous parlons, Adam fait davantage penser à un ours à la guimauve qu'au mec odieux du début d'année — ce qui est probablement dû au mélange alcool/Fiona.

Au final, je m'amuse tellement que j'en oublie de surveiller l'heure ou de m'inquiéter, si bien que le moment du décompte arrive sans que je le réalise vraiment.

Pas de serpentins, de confettis ni de chapeaux débiles chez les Devos — je soupçonne les parents d'être aussi maniaques que leur progéniture —, enfin jusqu'à ce qu'Ilyès dégaine une bombe de fils à serpentin puis nous en asperge en hurlant :

— This is Sparta !

Débute ensuite une course-poursuite géante sous le rire machiavélique du clown de service, au grand dam du chevelu, et à l'immense plaisir de Genn qui, particulièrement heureux de nous voir courir partout, ne tarde pas à accompagner nos cris ainsi que nos éclats de rire de ses aboiements réjouis.

Lorsque le calme revient, la guilde décide de lancer WoW afin de regarder le feu d'artifice d'Azeroth, à Hurlevent, sur l'écran géant des Devos. La main sur le coeur, certains se mettent à fredonner une musique du jeu :

♪ Craignez, craignez, la fille du vent salé ! 
Tels furent ses derniers mots...
Il les livra au gré des alizés
En sombrant dessous les flots... ♪ 

Je vois du coin de l'oeil qu'Adam en profite pour s'éclipser sur le balcon ; ignorant le froid qui me mordille la peau, je pousse la porte-fenêtre afin de l'y rejoindre.

L'intello est assis sur une chaise d'extérieur, sa guitare à la main, en train de gratter les cordes. L'odeur typique de la marijuana me picote le nez, et j'aperçois aussitôt le joint se trouvant près du cendrier sur la table face à lui.

— Bah alors, tu te dégonfles, l'elfe ? je lui lance en m'asseyant à ses côtés, ôtant quelques fils à serpentins restés accrochés à l'une de mes mèches.

Adam me lance un regard noir.

— Qui t'a parlé de ce surnom ?

— L'espèce de gothique, là... Edouard, je crois.

— Il paie rien pour attendre, celui-là, bougonne-t-il. Et sinon, non, je me dégonfle pas, je dirais au contraire que j'essaye de me donner du courage...

Il joue quelques notes d'un air particulièrement mélancolique que je ne reconnais pas. Au bout d'un moment, le chevelu s'arrête un instant afin de tirer une latte sur son joint.

— C'est joli, cette musique. C'est quoi ? je m'enquiers.

Roulette, de System of a Down. C'est l'une des préférées de Fiona, du coup c'est ce que je compte lui jouer avant de me déclarer...

— Oh... C'est très romantique, dis donc !

— Pourquoi tu dis ça d'un air si étonné ? interroge-t-il en plissant les yeux.

Oups, prise en faute, je pense en rougissant malgré moi, signe de ma culpabilité.

— Euh, bah... Je t'imaginais pas vraiment du genre romantique, pour être honnête...

— Mouais, peu importe, grommelle-t-il, vexé.

— Et puis tu me fais douter, maintenant. J'ai rien prévu de tel, moi...

— T'inquiète, à mon avis Mattéo t'en tiendra pas rigueur.

Adam marque une pause, tourne la tête vers moi, m'inspectant quelques instants. Prenant probablement conscience de mon anxiété grandissante, il fronce les sourcils avant de demander :

— Tu veux tirer une taffe ? Ça t'aidera à te détendre.

— N-Non merci, je bredouille. Je préfère garder les idées claires...

L'intello hausse les épaules avant de retourner à sa guitare. Nous restons plusieurs minutes ainsi, en silence, humant l'air frais de cette nouvelle année. Au bout d'un moment, il glisse son joint derrière l'oreille puis se lève en s'étirant.

— Bon, déclare-t-il. Quand faut y aller... Bouge pas, je vais le chercher.

— D'accord...

Les quelques minutes qui s'écoulent ensuite me semblent durer une éternité. Ayant du mal à tenir en place, je fais les cent pas sur le balcon, de plus en plus angoissée, ne réalisant pas vraiment ce que je m'apprête à faire.

Je vais pas y arriver...

Le doute afflue soudain en moi ; s'il me riait au nez ? S'il se moquait de moi ? S'il prenait peur ? S'il ne voulait plus de moi, pas même comme amie ? Est-ce vraiment une bonne idée de me déclarer ? Je ne risque pas de perdre tout ce que j'ai durement acquis ces derniers mois ?

C'est sûr, s'il me repousse, je serais clairement anéantie. Je finirais en morceaux. A ramasser à la petite cuillère ! Il n'y a pas moyen que je me remette d'une telle épreuve.

Peut-être devrais-je renoncer, là, immédiatement ; au final, ça me va aussi bien de rester à jamais en plein fantasme ! Pas besoin de lui dire la vérité ! Mon imagination me suffit amplement, la réalité est tellement décevante...

Le bruit de la porte coulissante interrompt mes sombres réflexions : le chevelu est revenu, accompagné de Mattéo. Je sens d'office mes boyaux se tordre ainsi que mon coeur battre à cent à l'heure. Mes joues me chauffent terriblement, j'ai le souffle court, éprouvant presque des difficultés à respirer.

— Bon, voilà, fait le blond en tapotant les épaules du délégué. Je vous laisse... Bon courage.

Il s'en va sans un regard en arrière, fermant la porte-fenêtre derrière lui.

— Adam m'a dit que tu voulais me parler ? s'enquiert mon crush d'un air interrogateur.

Je ne peux plus reculer.

Je ne dois pas me dégonfler, non. Le verdict doit tomber dès ce soir. Car je sens, enfoui au fond de moi, ce besoin de savoir. Je ne peux plus demeurer dans l'incertitude.

— C'est vrai..., je commence après avoir pris une grande inspiration.

Je gonfle ma poitrine puis ai le courage de lever la tête vers lui avant de reprendre :

— En fait... Je... J-J'ai quelque chose à te confesser...

— Oh...

Même si ce "oh" n'est pas de très bon augure, je ne me laisse pas abattre. Comme si j'avais peur de tomber, je vois ma main s'accrocher à la barrière.

— Je t'écoute, répond solennellement le délégué en me dévisageant avec gravité.

J'essaye de ne pas laisser ses yeux bleus me déconcentrer. J'ignore son air contrit ainsi que ses poings serrés.

— Mattéo... Je...

Cette fois, j'ai réellement l'impression que mon coeur va bondir hors de mon corps avant de sauter du balcon. Le souffle me manque, la tête me tourne... elle me semble lourde, d'un coup. Je ne dois pas lâcher.

Comment est-ce que je peux lui annoncer ça, bordel de cul ?

Je retiens ma respiration. J'ai l'impression que le temps s'est figé autour de nous. Il n'y a que lui et moi, tout le reste a disparu. Volatilisé, envolé. Mes paroles sont en suspens.

A cet instant, c'est encore possible. Mes rêves sont là, bien vivants, pétillants en moi. Si je ferme les yeux, ils peuvent toujours se concrétiser. Ce que je ressens pour lui est peut-être réciproque. Il m'aime sans doute...

Je sens une brise nous caresser tous deux. Mes yeux s'attardent longuement sur lui. Mattéo est déjà agréable à regarder d'habitude, mais là, l'alcool dans mon sang semble le rendre encore plus beau.

Le vent soulève timidement ses cheveux envahis de serpentins, ses joues me paraissent légèrement rosées...

Oui, il m'aime, c'est certain.

J'essaye de m'en convaincre. Je dois y croire. Tant que nous demeurons ainsi, face à face sur ce balcon, tant que je n'ouvre pas la bouche pour prononcer ces mots, alors c'est encore possible.

— Nathalie ? Ça va ? me demande-t-il, posant doucement sa main sur la mienne.

Le charme est rompu. La réalité s'est rappelée à nous dans toute son entièreté. On ne peut rester éternellement en suspens. Parfois, il faut être courageux et affronter la vérité, au risque qu'elle nous déplaise.

Il y a un mois, j'ai fait le voeu de devenir courageuse. Je me suis promis de cesser d'être un faire-valoir, un personnage secondaire, en retrait, passif, attendant qu'un auteur imaginaire s'intéresse à lui et le rende passionnant. J'ai juré de me comporter en héroïne. De fait, en tant que telle, je dois confesser mes sentiments à Mattéo.

Je fronce les sourcils puis le dévisage d'un air déterminé. Je me sens tel un gladiateur entrant dans l'arène, prêt à affronter son adversaire jusqu'à la mort. Ma volonté se raffermit encore.

Je me dis que je n'ai qu'à lui dire simplement, directement, sans métaphore, ni grand discours. De toute façon, les discours et moi, ça fait deux — je pense que vous l'avez compris depuis le temps. Or, si je souhaite gommer ça, il me faudra bien plus qu'un ou deux verres de vodka.

— Mattéo, je... Je t'aime. 


  ❤ ❤❤ 


Oui, je sais ce que vous vous dîtes : "Lily est une véritable bitch de nous laisser sur un tel cliffhanger !". Je le sais. Et je l'assume. NORAJ. 😎😈 

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Êtes-vous impressionnés du courage dont fait preuve Nathalie ? Perso, j'admets être plutôt fière d'elle, car elle partait de loin, quand même ! *essuie une petite larme d'émotion*

Je vous ai déjà mis en en-tête la musique des B-52's qui m'a inspirée l'aspect "temps suspendu" du passage... Du coup pour la fin je vais plutôt vous mettre celle que joue Adam sur le balcon : "SOAD — Roulette"

https://youtu.be/ByBhN_X5nVg

Je vous ai également mis en commentaire un lien vers la chanson que fredonnent la guilde des Insert Coin pendant le feu d'artifice : "La fille du vent salé", pour ceux que ça intéresse.

Voilà, avec ce chapitre, nous sommes arrivés à la moitié de la soirée du nouvel an ! Quels sont vos pronostics pour la suite ?

Réponse et réaction de Mattéo lundi prochain ! J'ai hâte d'y être je dois dire ! fufufu. Mais en attendant... Je vous fais des bisous ! 😘


En bonus... Un petit GIF "This is Sparta" issu du film "300" en l'honneur d'Ilyès 😂 


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