39. -10° chez les Trombière

A la fin de cette affreuse journée qui, grâce à ma complicité retrouvée avec Adam, se termine moins mal qu'elle n'a débuté, je finis par recevoir une message de Marjorie.

Marjorie :
Merde, désolée de pas avoir répondu plus tôt...
Ça a été sur la fin ? T'avais l'air remontée dis donc

Nat : 
C'est pas grave, je savais que tu dormais
J'avais juste besoin d'évacuer ma frustration sur le moment... 😒
Enfin ça va, ça s'est pas trop mal fini

Trois coups frappés à la porte de ma chambre me font sursauter, et je plaque instinctivement mon téléphone contre mon torse, cherchant à masquer ma conversation avec la harpie.

— Ça va, Lalie ? me demande Aurore de l'autre côté. Je peux entrer ?

— Ouais..., je bougonne en guise de réponse.

C'est avec un air peiné qu'elle pénètre la pièce puis vient, bien que je ne l'y aie pas invitée, s'asseoir à côté de moi sur le lit.

— Désolée pour la patinoire..., bredouille-t-elle. Je pensais sincèrement que ce serait une bonne idée...

— Ouais, bah la prochaine fois, abstiens-toi de penser quoique ce soit. Je suis plus la petite Nathalie timide qu'a besoin de sa cousine, tu sais, j'ai appris à me débrouiller seule depuis que t'es partie.

J'ignore pourquoi mon ton est si acide, d'un coup ; c'est comme si je ne pouvais retenir le flot de paroles furieuses sortant de ma bouche.

Sans que je puisse me contrôler, à ce moment-là, j'ai envie de la blesser, de l'attaquer là où ça fait mal. Or, je comprends que ça a fonctionné lorsqu'elle se mord la lèvre inférieure, adoptant une mine confuse.

— Ça va, pas besoin de prendre tes faux airs compatissants ! je m'agace. Fait pas style t'en as quelque chose à foutre... T'étais bien contente de t'incruster et de me monopoliser mes amis ! D'ailleurs, je parie que tu vas encore faire pareil lors du nouvel an, hein ?

Car oui ; à mon grand dam, les trois geeks n'ont pas pu s'empêcher de faire preuve de bonté en l'invitant...

— T'es sérieuse dans ton délire, là ? s'offusque-t-elle. Quand je pense à toutes les fois où tu nous a collés, mes amis et moi ! A toutes les fois où j'ai pris ta défense car mes potes voulaient pas de toi et que je refusais de te laisser en arrière...

— Oh, excuse-moi d'avoir été un si gros boulet !

Aurore prend une grande inspiration avant de répliquer d'un ton presque plaintif :

— Pourquoi t'es si en colère contre moi, Nat ? Sérieusement, depuis que je suis rentrée, tu fais que me repousser et être désagréable avec moi ! Et, en même temps, tu me reproches de t'avoir laissée. Faut prendre une décision, à la fin ! Tu veux toujours de moi dans ta vie ou pas ?

Sa question a le mérite de me calmer ; un long silence s'installe tandis que je cherche mes mots.

Sur le moment, j'ai l'impression de redécouvrir son visage, réalisant que je ne l'ai pas vraiment regardée depuis son retour.

Son teint me semble plus pâle, ses cheveux plus secs, ses joues plus maigres, et... serait-ce des cernes que je vois sous ses yeux ?

— Je... Je sais pas, honnêtement, je finis par soupirer. C'est vrai que je t'en ai voulu, au début. Les premiers mois de lycée ont été un enfer. Sauf qu'au final, je crois que ton absence m'a fait du bien.

— Qu'est-ce que tu veux dire par... "du bien" ?

— Ouais, "du bien", carrément ! J'ai réalisé à quel point j'étais prisonnière de toi et de ton putain de charisme ! C'est toujours pareil : tu débarques quelque part, tu deviens le centre d'attention, puis t'éclipses complètement cette pauvre, pauvre Nathalie !

— Pas la peine de te la jouer mélodramatique...

— Je joue à rien ! C'est exactement ce qu'il s'est passé aujourd'hui !

Mademoiselle Irréprochable se masse longuement les tempes avant de reprendre la parole :

— C'est facile de reporter la faute sur les autres ! Tu veux mon avis ? Si t'as passé une journée pourrie, c'est uniquement ta faute, Nat. Tout le monde s'amusait, c'est toi qu'es restée dans ton coin à bouder sans aucune raison ! Tes amis comprenaient pas ce qui t'arrivait ! Sarah est même venue me demander si c'était ta "mauvaise semaine"...

— Mais bien sûr, c'est parce que j'ai mes règles que je suis chiante ! j'ironise. Ça t'arrangerait, hein ? Non, tu veux que je te dise pourquoi j'étais de mauvaise humeur, en vérité ? Parce que t'as pas arrêté de draguer Mattéo alors que tu sais que je craque pour lui !

— Comment ? J'ai pas touché à ton Mattéo !

— Oh, vraiment ?

Je me racle la gorge afin d'adopter un timbre plus aigu puis me lance dans une imitation de ma nympho de cousine :

"Viens voir, Mattéo, si on allait essayer les bonnets de père Noël ? Huhuhu Mattéo, ça te va à ravir ! Huhuhu je suis végétarienne ! Huhuhu moi aussi je veux m'initier à la wicca, présente-moi ta mère Mattéo ! Huhuhu regardez-moi comme j'assure sur des patins par rapport à cette pauvre loseuse de Nathalie !"

J'ai sorti ce monologue en singeant les manières précieuses de la Belle aux bois dormant, tantôt me caressant les cheveux en ouvrant la bouche telle une demeurée, tantôt en mettant un poing sur ma hanche en une posture absolument pas naturelle.

— T'es sérieuse, là ? s'exclame-t-elle en écarquillant grand les yeux, perplexe. T'appelles ça draguer ? Sans vouloir te vexer, Nat, crois-moi que si j'étais réellement passée en mode attaque, je sortirais déjà avec lui au moment où on se parle !

— Ça va, les chevilles ? Tu te prends vraiment pas pour de la merde, dis donc !

— Quoi ? Mais non, je voulais pas me la raconter, je... Je voulais juste dire que j'ai jamais essayé de le draguer. Je voulais juste... Voir si c'était un mec bien, c'est tout. Il est quand même super canon par rapport à...

Aurore s'interrompt soudainement, comme prenant conscience de ce qu'elle est en train de dire.

— ... par rapport à moi ? je termine à sa place. Tu penses que j'ai aucune chance parce que je suis trop moche, c'est ça ?

— Quoi ? Non, c'est pas... Arrête de me faire dire ce que j'ai pas dit, bon sang, Nat ! Je voulais juste, juste...

— Tu sais quoi ? Ferme ta gueule, en fait. Tu t'enfonces, là.

Je la vois se rembrunir ; serrant les poings, elle se relève d'un coup puis rétorque d'un ton sec :

— Ouais, t'as raison, arrêtons-nous là. T'inquiète pas, va, d'ici deux semaines tu seras débarrassée de ton horrible cousine qui te pourrit la vie.

Elle se dirige vers la sortie où elle marque une pause, m'adressant ces derniers mots :

— Et si ça peut te rassurer, j'avais déjà un truc de prévu le soir du nouvel an, je comptais pas m'incruster au tien.

Mademoiselle Irréprochable quitte ensuite précipitamment la pièce en claquant la porte. Je croyais que lui dire ce que je ressentais me soulagerait, or, sans que je comprenne pourquoi, je me sens soudain très triste.

Comme si quelque chose au fond de moi venait de se briser définitivement, je ne parviens pas à contenir les larmes qui se mettent à rouler sur mes joues.

Les jours qui suivent se passent dans une ambiance très morose. D'aussi loin que remontent mes souvenirs, Aurore et moi pouvions discuter jusqu'à pas d'heure le soir avant de nous endormir.

A présent, nous ne parvenons plus à trouver un seul sujet de conversation, à tel point que j'ai l'impression d'être en compagnie d'une totale étrangère.

Les longs silences et les blancs gênants ont remplacé les moments de rigolade, les batailles de polochons ou les séances de chatouilles.

J'aimerais revenir en arrière, tout rembobiner afin de retrouver celle qui fut autant ma cousine que ma meilleure amie.

Suis-je la seule responsable de cette affreuse situation ? Est-ce moi qui l'ai repoussée ? Ou se complaisait-elle inconsciemment dans ce rôle de fille parfaite volant la vedette à la banale petite Nathalie ?

Malgré nos efforts pour faire comme si de rien n'était face au reste de nos proches, ceux-ci ne sont pas dupes et l'ambiance se révèle particulièrement tendue lors du repas de Noël.

D'habitude, notre famille a l'habitude de nous voir assises côte à côte, discutant d'un débit particulièrement rapide, tel un fond sonore perpétuel qui en vient même parfois à leur casser les oreilles.

Aujourd'hui, nous voilà assises chacune à une extrémité de la table, scotchées à nos téléphones respectifs.

En ce qui me concerne, j'essaye d'occuper mes pensées en inspectant mon fil d'actualité Facebook, étant donné que mes messages sur le groupe WhatsApp de mes amis sont restés sans réponse. Lasse, je finis par en envoyer un à Marjorie :

Nat : 
J'espère qu'il fait meilleur à LA qu'ici ??! 
Chez les Trombière on doit être à -10° depuis qu'Aurore et moi nous sommes disputées... 😣

La harpie me répond presque immédiatement, m'envoyant un selfie d'elle en blouson léger, chapeau sur la tête ainsi que lunettes de soleil sur le nez, agrémenté d'un commentaire narquois :

Marjorie :
Je me disais qu'une photo parlerait d'elle-même 😁
Désolée que ce soit la tempête de glace chez toi
Joyeux Noël en avance (ici il est tout juste midi !)

Nat : 
Merci pour ton soutien dans ce moment de solitude  😭
Les autres sont aux abonnés absents ! 
Un peu plus et je me mettais à chanter du Simon & Garfunkel...

Marjorie :
Oh non pitié, abstiens-toi !!! 😱
T'inquiète, à moi non plus Mattéo a pas envoyé beaucoup de messages
Il doit profiter des vacances pour jouer à fond, le connaissant

Je dois reconnaître que son hypothèse me rassure légèrement ; en ce qui me concerne, je n'ai quasiment pas eu le temps de me connecter à WoW depuis le début des vacances.

Marjorie :
Elle était sérieuse la dispute avec ta cousine ???

Nat : 
Ouais, carrément...
Y'a une super ambiance à table, là 😒

Marjorie :
Arf... Si ça peut te consoler c'est aussi tendu chez moi
Ma mère a pas changé d'un pouce 😐
Franchement je me demande pourquoi elle m'a saoulée pour que je vienne, vu qu'elle arrête pas de me rabaisser et de critiquer mon père et Emilie

Ça me fait penser que depuis samedi, je n'ai pas encore osé demander à la harpie des informations sur la mère de Mattéo, ou sur cette étrange croyance qu'est la wicca. Or il m'est désormais impossible d'en parler à Aurore.

Mattéo nous a invitées à venir chez lui après le nouvel an, cela dit au vu des récents événements, l'initiation de la Belle aux bois dormant semble compromise.

De toute manière, une part de moi ne peut s'empêcher de penser que c'était seulement du baratin afin de paraître intéressante. Ma cousine est la reine du baratin !

Ce n'est pas une complète mythomane ; disons simplement qu'au fil des années, j'en suis venue à la conclusion qu'elle appréciait d'enjoliver légèrement la réalité.

Concrètement, lorsqu'on discute avec elle, il faut se munir d'un filtre "anti-mensonges" afin de savoir démêler le vrai du faux.

— Bon, alors, les cousines, vous avez rien à vous raconter au lieu de pianoter sur vos gadgets ? nous interpelle soudain l'un de mes oncles.

Sa remarque visant à détendre l'atmosphère est accueillie aussi froidement qu'un glaçon dans un igloo.

Avec une synchronisation frôlant la perfection, Aurore et moi levons à peine les yeux, haussons les épaules, avant de retourner naviguer sur nos smartphones.

Cette tentative est la première et la dernière de la soirée ; le reste de la famille, vaccinée par notre réaction, s'abstient du moindre commentaire jusqu'à la fin du repas.

Même le moment des cadeaux ne suffit pas à nous réconcilier. J'avoue ressentir un léger pincement au coeur en ouvrant celui qu'elle m'a acheté.

Ce n'est pas grand-chose, une simple palette de maquillage comportant une petite carte indiquant "Pour la nouvelle toi", seulement cela suffit à me faire ressentir une pointe de culpabilité ainsi qu'un besoin intense de me réconcilier avec elle.

Cependant, lorsque je m'approche d'Aurore afin de la remercier, j'ai l'impression d'avoir affaire à un mur de glace tant son visage est fermé. Cela me ravise sur-le-champ et je me contente de lui murmurer un "Merci" quasiment inaudible.

Hélas, mon père nous surprend pendant ce flagrant délit de proximité et, tout heureux à l'idée de pouvoir utiliser son nouvel appareil photo, nous apostrophe immédiatement :

— Ah ! Les cousines ! Bougez pas !

Son intervention nous crispe toutes les deux ; nous n'osons pas nous regarder, gênées, fixant l'objectif en une posture particulièrement rigide.

— Restez pas si éloignées ! Rapprochez-vous !

A contrecoeur, nous faisons un pas latéral en direction de l'autre, jusqu'à ce que nos épaules se frôlent.

— Allez, encore, encore ! nous encourage-t-il. Bien. Souriez...

Je relève très légèrement le coin de mes lèvres, mais cela ne semble pas satisfaire mon géniteur qui insiste encore, balançant des expressions grotesques qui, quand on était enfant, suffisait à nous faire rire afin de paraître joviales sur les photos :

— Grosse cuisse ! Fesse de poulet !

Sauf que ça ne marche plus vraiment, à présent...

Le seul point positif de tout ça, c'est qu'Aurore s'incrustera pas au nouvel an.

C'est sur cette pensée maigrement réconfortante que mes lèvres s'étirent en un faible sourire, juste avant d'être éblouie par le flash de l'appareil. 

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Et on continue ce rythme de publication à 2 chapitres par semaine ! J'espère que ça vous convient toujours 😁

Chapitre centré sur la relation Aurore/Nat, qui n'est plus vraiment au beau fixe. Est-ce que vous avez déjà été dans une situation similaire, à voir votre relation avec un ami ou un membre de la famille se dégrader à cause du temps ou de la distance ? 

Une chanson qui exprime bien ce sentiment c'est, je trouve, celle de Good Charlotte — Say anything : 

https://youtu.be/tOd5LqUPnfg

J'ai réécrit plusieurs fois ce passage et, pour être parfaitement honnête avec vous, je n'en suis toujours pas satisfaite, mais bon. 😣N'hésitez pas à me donner votre ressenti, notamment si vous voyez des points qui pourraient être améliorés lors de la réécriture.   

En tout cas, à partir de jeudi ce sera enfin le début du nouvel an !  Et sans Aurore, du coup ! 😁 J'ai à la fois hâte et peur d'y être ! xD

Oh et si vous avez envie de rigoler, j'ai commencé à écrire une parodie de "Banale !" que vous trouverez sur mon profil. Ça s'appelle "! elanaB" et c'est complètement wtf. 😂 Ça m'a fait du bien d'écrire quelque chose de pas du tout sérieux !

Voilà, sinon je vous fais des bisous et vous dis à jeudi 😚   


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