38. Trace la glace !
Comment Aurore fait-elle ? Elle parvient toujours à mettre les autres à l'aise, au point qu'ils en viennent à lui confier leurs secrets les plus intimes !
Alors que moi, qui fréquente Mattéo depuis presque un mois, j'ai à peine réussi à lui faire parler de son père... Et encore, il m'a fallu plusieurs verres de bière avant d'oser me lancer !
Tandis que je jalouse intérieurement ma cousine, Sarah se tourne vers le délégué afin de lui demander :
— Pourquoi tu nous l'as jamais dit ?
— Bah, faut dire que ça lui a valu pas mal de problèmes quand on était gosses, intervient le chevelu. Déjà, il était le seul de l'école maternelle à savoir que le père Noël existait pas...
— Genre, tu vas me faire croire que toi, t'as été gosse, Adam ? ricane Ilyès. Et que tu croyais au vieux barbu qui distribue des cadeaux ? Sérieux, j'ai du mal à t'imaginer en train de guetter par la fenêtre, des étoiles dans les yeux...
— Aussi étrange que ça puisse paraître, à cette époque, il était encore naïf, confirme Mattéo.
— Enfin bref, reprend le chevelu en foudroyant le clown du regard. Tout ça pour dire que la fois où il a voulu inviter des potes chez ses grands-parents, ils ont pris peur... Après ça, il a eu droit à des "Ta mère la sorcière !" ou autres sobriquets du genre.
— En tout cas, t'as l'air de bien connaître, Aurore, remarque le délégué. Comment ça se fait ?
— Oh, je me suis renseignée sur le sujet, minaude-t-elle. A vrai dire, j'hésitais à entamer une initiation...
— Bah, si tu veux, vous avez qu'à passer pendant les vacances, avec Nathalie. Ma mère sera ravie de t'en parler.
— Sérieux ? C'est cool !
Quoi, carrément, il l'invite à rencontrer sa mère ?
Cette fois, c'en est trop ; ne pouvant en entendre davantage, je me lève d'un coup avant de déclarer :
— Faut que j'aille pisser.
— Wow, quelle classe, cousine !
Ignorant royalement la pique de mademoiselle Irréprochable, je me dépêche d'aller m'enfermer aux toilettes afin d'envoyer des WhatsApp rageurs à Marjorie.
Malheureusement, à cause du décalage horaire, celle-ci doit probablement dormir car tous mes messages restent sans réponse. Qu'importe, je m'en sers comme d'un défouloir afin d'évacuer mon ressentiment.
Moi qui pensais que la journée ne pouvait pas être plus horrible, je me ravise assez vite lorsque j'apprends la destination que le groupe a choisi concernant la suite de la journée : la patinoire...
Or, vous vous en doutez sûrement, réussir à me mouvoir via des chaussures montées sur des lames acérées, ce n'est vraiment, absolument, inexorablement pas mon truc !
Je fulmine intérieurement sur le chemin, me demandant si l'autre Belle aux bois dormant n'a pas choisi ce lieu exprès car elle sait que je vais m'y couvrir de ridicule.
La vibration de mon téléphone me tire de mes sombres réflexions. Je m'empresse de le sortir de ma poche, pensant qu'il s'agit de Marjorie... Puis suis déçue en lisant le nom de l'expéditeur :
Aurore :
Bon, t'as bientôt fini d'être bougon ?!!! 😠
T'es pénible à la fin, tu fous une mauvaise ambiance !
Oh, vraiment ? Désolée chère cousine de ruiner ton "Aurore show" avec MES amis !
Nat :
Tu t'attends à ce que j'ai le smile ? 😒 T'as vu où tu me traînes ?
T'as oublié que j'étais une bouse intergalactique sur des patins ???!!!
Aurore :
Non, je m'en souviens ! C'est volontaire, justement !
Ça te donne une occasion de demander à Mattéo de t'apprendre... fufufu 😏
J'ai bien envie de lui faire bouffer son "fufufu" et de lui répliquer que je n'ai aucunement besoin d'elle, puis décide d'abandonner, exaspérée.
Comme je m'en doutais, la patinoire est un véritable calvaire ; c'est bruyant, on se les gèle, et surtout, il y a beaucoup trop de monde !
Cramponnée à la rambarde, je regarde, paniquée, les gens glisser à toute vitesse, laissant échapper de petits cris disgracieux chaque fois que quelqu'un passe trop près de moi.
Mattéo, pris de pitié à l'égard de la pauvre créature apeurée que je suis, finit par cesser ses pirouettes afin de s'approcher de moi.
— Un souci, Nathalie ? s'enquiert-t-il.
— Pourquoi tu me demandes ça ? j'ironise de ma voix tremblotante. Je passe un moment génial, là, ça se voit pas ?
Le délégué se gratte l'arrière du crâne avant de répondre :
— Ouais, désolé, compte-tenu de la situation, j'avoue que ma question était un peu débile. Mais au fond, le patin, ça ressemble au roller... Tu sais faire du roller, non ?
— Absolument pas ! s'exclame Aurore en arrivant à notre hauteur après un dérapage de frimeuse. Ni roller, ni patin, ni ski, ni vélo ! Nathalie est une vraie trouillarde.
Je la foudroie du regard, seulement celle-ci ne le remarque pas car elle a la tête tournée en direction de mon crush.
— Toi par contre, t'as l'air vachement doué, Mattéo ! continue-t-elle. Tu crois que tu pourrais l'aider ?
— Euh... Je peux essayer. Viens, Nat, tiens-toi à moi.
— Oui, Nat, tiens-toi donc à lui ! répète ma cousine en me faisant un clin d'oeil volontairement exagéré.
Bordel, Aurore, vive la discrétion ! On dirait ma mère !
Elle s'en va alors en gloussant ; moi, j'ai du mal à calmer les palpitations de mon coeur face aux mains tendues du délégué. La dernière fois qu'une telle situation s'est produite, je me suis carrément évanouie, je vous le rappelle !
J'avale ma salive, priant pour que mes paumes ne soient pas trop moites tandis que je les glisse contre les siennes.
— Ça va ? s'enquiert-il doucement pendant que je fais timidement un pas vers lui.
Je n'ai pas le temps de répondre que je me sens vaciller en avant, jusqu'à me retrouver carrément collée à son torse ; heureusement, il a le réflexe de se retenir à la rambarde, ce qui nous évite de tomber tous les deux.
— D-Désolée..., je balbutie en m'agrippant à son pull.
Je relève timidement les yeux vers lui ; des picotements me prennent à l'intérieur de mon bas-ventre en constatant à quel point nos visages sont proches.
Puis je réalise qu'il doit avoir droit à un gros plan sur mon vieil herpès dégueulasse et baisse aussitôt la tête, mortifiée.
— C'est rien, souffle-t-il en saisissant de nouveau mes mains.
C'est alors qu'Ilyès semble surgir de nulle part :
— Qu'est-ce que vous fabriquez, tous les deux ? nous interpelle-t-il, me faisant sursauter malgré moi. C'est pas le lieu pour se rouler des pelles, hein, j'vous signale !
— Pourquoi, t'es jaloux ? ironise Mattéo.
— Tu sais pas patiner, Nat ? enchaîne le bouclé, ignorant la pique du délégué. T'es probablement la fille la moins douée que je connaisse, je te l'ai déjà dit ?
— Je... t'emmerde...
— Allons, au fond, tu m'adores, admets-le ! rétorque-t-il avec un large sourire.
Ilyès commence à s'éloigner, puis s'arrête à mi-chemin afin de lancer un dernier :
— Mais monopolise pas Mattéo trop longtemps, hein, moi aussi je veux ma part !
— Pff, quel abruti..., soupire mon crush. Ignore-le.
Malgré la délicatesse du délégué, les minutes qui suivent sont un véritable désastre. Entre les nombreuses gamelles qui me font rougir jusqu'aux oreilles et mes petits cris de frayeur dès que quelqu'un passe à proximité, j'ai surtout l'impression de me taper la honte de ma vie.
Quoiqu'en dise Aurore, je ne vois pas ce qu'il y a de romantique dans le fait de me cramponner à lui tel un bambin apprenant à marcher !
Comprenant que je suis en train de nous faire passer un très mauvais moment à tous les deux, je finis par renoncer puis pars rejoindre les gradins où je regarde, dépitée, mes amis s'amuser comme des petits fous sur la glace.
Amère, je sens des larmes de frustration inonder mes joues, essuyant mon nez qui coule à l'aide de ma manche.
Même Adam sait patiner, vous vous rendez compte ? Tiens, d'ailleurs, le voilà qui se dirige vers moi...
— Alors, tu t'amuses bien ? ironise-t-il en me tendant un mouchoir que j'accepte à contrecoeur.
— C'est ça, fous-toi de ma gueule... Tu jubiles, là, pas vrai ?
— Pas vraiment, non. Cela dit, si c'est comme ça que tu me vois, je vais te laisser à ton auto-apitoiement et retourner patiner.
Il tourne les talons en direction de la piste, mais je le retiens :
— Attend ! Je suis désolée... Je voulais pas...
— T'es désolée pour quoi, au juste ? Parce que tu m'as envoyé chier ? Ou parce que ça fait deux semaines que tu fais la gueule pour d'obscures raisons que toi seule sembles comprendre ?
— Je... C'est un mélange de tout ça, je suppose...
En dépit du "pff !" exaspéré qu'il laisse échapper, le chevelu revient s'asseoir à côté de moi. Nous restons silencieux un moment, jusqu'à ce que je trouve le courage de reprendre la parole :
— En vrai, t'avais raison, j'étais vexée que tu m'aies pas parlé de Fiona. Ça m'a saoulée de l'apprendre de la bouche d'Ilyès et Mattéo, en plein cours d'EPS... J'ai eu l'impression que tu me faisais pas confiance...
— Rien à voir ! proteste-t-il. En fait, la raison, c'est plutôt moi. J'avais peur... Je me disais que si je me faisais des idées et qu'elle me repoussait, vous... Je voulais pas que vous vous foutiez de moi.
— Je ferai jamais un truc pareil ! C'est déjà bien assez triste d'être repoussé... J'irai pas remuer le couteau dans la plaie.
— Ouais... Désolé d'avoir douté de ça.
— Et puis, pourquoi elle te repousserait, au juste ?
Adam hausse les épaules avant de sortir son téléphone de la poche de son sweat.
— Regarde.
Il me montre la photo d'une fille particulièrement jolie : yeux marrons, cheveux blonds et ondulés, un nez merveilleusement droit ainsi que des lèvres pulpeuses en forme de coeur... Bref, en quatre mots : Un. Putain. De. Canon.
— C'est... C'est elle, Fiona ? Elle est belle !
— Ouais. Un peu trop belle pour moi, si tu veux mon avis. Quand elle m'a envoyé ce selfie, j'ai flippé à mort. C'est sûr qu'elle va se barrer en courant en me voyant !
— N'importe quoi ! Et depuis quand tu te soucies de ce genre de trucs, toi ?
— Je sais pas. Depuis que je suis amoureux, sans doute.
Il a dit ça de manière nonchalante, comme si ce n'était pas grand-chose, seulement je ne suis pas dupe.
— Tu vois..., reprend-il après un blanc. J'ai toujours été pote avec Mattéo, et chaque fois qu'une meuf venait me parler, au collège ou en primaire, elle cherchait surtout à se rapprocher de lui... J'avais franchement le sentiment d'être son faire-valoir, parfois.
Je tressaille à ces dernières paroles ; j'ai presque l'impression de m'entendre moi ! Je réalise soudain à quel point Adam et moi nous ressemblons...
— T'en as souffert ? je m'enquiers timidement.
— Bof, pas tant que ça, au fond... Je veux dire, avant Fiona, je m'intéressais pas vraiment aux filles. Maintenant, c'est différent. J'ai envie de lui plaire. Je sais pas si c'est grâce à la distance ou aux écrans interposés, mais en tout cas... C'est la première fois que je m'entends aussi bien avec quelqu'un.
— Bah, si tu lui as déjà envoyé une photo et qu'elle compte quand même venir la semaine prochaine, c'est qu'elle a pas eu peur, donc je vois pas pourquoi tu t'inquiètes. Au final, vous êtes tombés amoureux sans savoir à quoi vous ressembliez... Autrement dit, vous vous appréciez pour ce que vous êtes réellement ! Je trouve ça super romantique !
— Si tu le dis, marmonne-t-il, mal à l'aise.
— Du coup, tu lui as déjà déclaré tes sentiments ?
— T'es folle ! J'attends de la voir en vrai...
J'hoche la tête, compréhensive. Nous contemplons un moment les autres patiner, et mes sourcils se froncent lorsque je vois mademoiselle Irréprochable parader fièrement, sous les exclamations admiratives de Sarah.
Faut toujours que tu te la racontes, hein ? "Voyez comme je suis douée dans tout ce que j'entreprends ! Je suis la vraie héroïne de cette histoire !" Nianiania...
— C'est à cause d'Aurore que tu fais la gueule, aujourd'hui ? me questionne soudain Adam, brisant le silence.
— Co... Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Pas difficile à deviner, tu passes ton temps à la fusiller du regard ou à lever les yeux au ciel dès qu'elle ouvre la bouche.
— Oh..., je souffle en m'empourprant. Tu dois me trouver ingrate...
— Non, je comprends parfaitement ton ressentiment. Ta cousine est plus jolie, plus sympa, plus drôle, et elle s'est intégrée à notre groupe en un clin d'oeil... En un mot, elle est parvenue, en une après-midi, au même résultat que toi au bout de plusieurs mois ! T'as des raisons de l'avoir mauvaise.
Je serre les poings en entendant ça.
— Si tu penses me réconforter en disant ce genre de trucs...
— Bah, je dis juste la vérité. Moi aussi, j'ai un cousin plus âgé dont j'ai longtemps été jaloux. Il est photographe culinaire, il vit à Paris... C'est le genre de gars à qui tout semble réussir, et ça me rendait dingue quand j'étais gosse. Maintenant, on est encore un peu en compétition, mais ça va mieux. Je pense qu'il en sera de même pour toi et Aurore d'ici quelques temps.
— J'espère...
Mes yeux glissent sur le délégué ; un sourire attendri se dessine sur mes lèvres tandis qu'il se met à faire des pirouettes avec Ilyès, dans une imitation volontairement ridicule des couples de patineurs professionnels.
— Qu'ils sont bêtes..., je rigole malgré moi.
— A qui le dis-tu ? soupire le chevelu. Pense à moi qui me les coltine depuis trois ans !
Il marque une pause avant de reprendre :
— Au fait, moi aussi je pourrais être vexé que tu m'aies pas parlé de tes sentiments pour Mattéo, tu sais.
Je tressaille puis le dévisage, paniquée.
— Q-Q-Que... Qu'est-ce que tu racontes ? je bredouille.
— Ça va, pas la peine de mentir, j'ai grillé la façon dont tu le matais, je suis pas stupide. T'inquiète, t'es pas la première à tomber sous son charme, pas de quoi avoir honte... Du coup, tu comptes lui dire ce que tu ressens un jour, ou pas ?
— Je... Bah... C'est pas si évident ! On s'entend tous tellement bien, je veux pas briser notre amitié...
— Honnêtement, je pense que tu devrais te déclarer rapidement. C'est pas un truc que tu dois retarder ; plus t'attendras, et plus ce sera douloureux s'il te repousse... Un peu comme quand on arrache un pansement, tu vois ? Faut le faire d'un coup, proprement, net et sans bavure. Ça fait mal sur le moment mais ensuite on est soulagé.
— C'est pas hyper rassurant, ta métaphore ! je rigole malgré moi.
— Je te file juste un conseil, après t'en fais ce que tu veux.
— Oh, j'ai une idée ! je m'exclame soudainement. On a qu'à le faire en même temps !
— De... De quoi ?
Je me tourne vers lui et le fixe très sérieusement.
— Le soir du nouvel an. On se déclare tous les deux, toi à Fiona, moi à Mattéo.
Adam se gratte nerveusement le menton.
— C'est complètement débile ! soupire-t-il. Enfin, si ça peut te donner suffisamment de cran, alors je veux bien me sacrifier.
Nous scellons ce pacte en tamponnant nos poings l'un contre l'autre. Étrangement, l'angoisse que je ressentais jusqu'à présent se mêle désormais à un sentiment nouveau : l'excitation.
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Voilà, fin de ce chapitre "rencontre du troisièm..." euh je veux dire "rencontre avec Aurore".
Pauvre Aurore, elle s'est faite dégommée dans les commentaires lors du chapitre précédent.😭 J'avais de la peine pour elle ! haha.
J'espère que cette deuxième partie aura été moins frustrante à lire, notamment grâce à ce cher Adam. Que pensez-vous de leur réconciliation ? Et des confidences du chevelu ? Et surtout... du pacte qu'ils viennent de sceller tous les deux ? A votre avis, Nat aura-t-elle le cran de s'y tenir ? 😱
En parlant d'Adam, voici la musique qui lui correspond assez bien pour ce chapitre : Wheatus — Teenage Dirtbag. Lui qui ne s'est jamais intéressé aux filles, le voilà qui flippe à mort à l'idée de rencontrer Léa car il pense ne pas être à la hauteur. Car oui, il n'y a pas que les filles qui ressentent ça, après tout !
Voilà, c'est tout pour cette semaine, on se retrouve lundi pour le prochain chapitre ! 😘
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