32. Arrachage de culotte et autres pensées impures
Après quelques joints, Ilyès et Adam finissent par se désintéresser du film et retournent regarder des vidéos débiles sur leurs ordinateurs. Moi, l'odeur suave et légèrement aromatisée du cannabis me picote le nez.
Je tente de l'ignorer afin de savourer pleinement ce moment de répit en compagnie de Mattéo, bien que celui-ci ne dure pas vraiment puisque les deux idiots décident soudainement de faire du vélo d'appartement sans parvenir à grimper dessus, ce qui déclenche leur hilarité.
— Qu'est-ce qui se passe ? je demande en les dévisageant, perplexe. Pourquoi ils ricanent comme des chèvres ?
— T'as jamais vu quelqu'un de défoncé ? répond le délégué, surpris. Bah voilà ce que ça fait. Mesdames et messieurs, voici Adam Devos, premier de notre classe !
Au moment où il dit ça, ce dernier, assis sur la selle, perd l'équilibre avant de se vautrer lamentablement par terre, ce qui fait pouffer le bouclé d'une voix de fillette.
— Ah, les ravages de la drogue..., soupire mon crush en secouant la tête. T'as raison de pas fumer, Nathalie. D'ailleurs, y'a une raison particulière à ça ?
— Ben... Ma mère m'a laissée venir en ayant parfaitement conscience qu'il y aurait du cannabis et de l'alcool, me disant qu'elle me faisait suffisamment confiance et qu'elle savait que j'y toucherai pas...
— Oh, je vois. T'as la pression, du coup. Elle est douée, ta mère, en vrai. Mais elle a rien dit à propos de l'alcool ? demande-t-il en louchant sur mon quatrième verre de bière au sirop — ne me jugez pas, Ilyès sait être persuasif !
— Jusqu'ici, ça va...
— Ouais, enfin, abuse pas trop si t'as pas l'habitude. En plus, t'es un petit gabarit, ça te montera vite à la tête.
— Et toi, tu bois pas ?
Mattéo détourne le regard avant de répondre :
— Non. Mon père buvait... beaucoup. Il avait l'alcool mauvais. Du coup, je crois que ça m'a vacciné.
— Il était... violent ?
Le délégué me dévisage, surpris que j'ose lui poser la question.
— Excuse-moi, je bredouille. Je me mêle de ce qui me regarde pas !
— T'inquiète ! Je te trouve pas indiscrète ou quoi... Ça m'étonne juste un peu, venant de toi.
— Oh, rassure-toi, ça m'étonne moi aussi ! je m'exclame un peu trop vivement à mon goût. Je crois qu'Ilyès a raison, c'est l'alcool qui me désinhibe.
Il se met alors à rire.
— Ouais, ça doit être ça. Enfin, pour répondre à ta question... Il était pas exactement "violent"... Pas physiquement, du moins. Il était un peu brusque, du coup il me malmenait parfois... Mais il m'a jamais frappé. Par contre, psychologiquement... Il pouvait être vraiment horrible. Ma mère a eu du mal à le quitter... Seulement, le jour où elle l'a fait, elle s'est sentie soulagée. Elle avait l'impression de pouvoir respirer à nouveau normalement.
— Je vois...
Je bois une autre gorgée, laissant le silence s'installer entre nous. Enfin, un silence tout relatif puisqu'il est agrémenté des ricanements limite hystériques des deux autres. Poussée par une montée de courage ou d'inconscience, je finis par reprendre la parole :
— Donc, si on récapitule : tu bois pas, tu fumes pas... En gros, si le paradis existe, t'y as ta place direct !
Cette remarque déclenche son hilarité, sans que je comprenne trop la raison : je ne cherchais pas à être drôle... ou du moins pas à ce point.
— Pourquoi tu rigoles ? Je suis hyper sérieuse ! je m'énerve en fronçant les sourcils.
En voyant mon air contrarié, il finit par se reprendre :
— Ah, désolé, sois pas vexée. C'est juste que... On voit que tu me connais pas vraiment. Je suis pas du genre croyant. Mon père l'était... Origines italiennes, famille très catholique... Et bref, il m'a répété plusieurs fois qu'à ma mort j'irai brûler en enfer. Donc t'entendre dire ça, ça a déclenché ce rire nerveux. Rien de personnel.
— Si je peux me le permettre, ton père est un sale con ! je m'emporte. C'est vrai, quoi ! Si toi t'as pas ta place au paradis... Alors tu m'expliques qui l'a, au juste ? Mattéo, il faut que je te le dise maintenant que je suis pompette car sinon j'en aurais jamais le courage...
— Je t'écoute, me répond-il solennellement.
— Eh bien, en fait, il faut que tu saches que je... Je... Je t'...
La manière très sérieuse et attentionnée dont il me fixe me déstabilise complètement, et je ne parviens pas à articuler un mot de plus.
— Je t'admire ! Voilà, je t'admire beaucoup. C'est ce que je voulais te dire ! Haha !
Je ris un peu bêtement afin de masquer ma nervosité. Quand je pense que j'ai failli lui confesser mes sentiments, là, devant deux idiots défoncés qui ne parviennent même pas à tenir assis sur un vélo d'appartement. Heureusement, je n'ai pas ingurgité suffisamment d'alcool pour faire une connerie pareille.
— Tu m'admires ? répète-t-il, interloqué.
— Euh... Oui. Depuis que je t'ai rencontré, t'es un peu mon modèle. Je veux dire, t'es si sociable, si avenant, toujours bienveillant... Tu t'entends avec tout le monde, t'es apprécié, t'es à la fois drôle et compatissant...
— Arrête, tu vas me faire rougir ! rigole-t-il. Je suis pas si irréprochable, tu sais. En vrai, je fais énormément d'efforts afin que les gens m'aiment bien. J'ai ce besoin, au fond de moi, de me sentir accepté, et une peur sans nom d'être rejeté. Donc des fois je me comporte de manière un peu hypocrite, je l'admets, dans le but de plaire. C'est complètement débile... Au fond, j'aimerais ressembler à Adam et me foutre de ce que les gens pensent de moi...
— Dis pas de bêtises ! j'objecte. Tu fais pas partie de ces gens superficiels qui veulent absolument être populaires ! Tu sais pourquoi ? Parce que t'as pas hésité à me défendre devant toute la classe. Tu les as remis en place, quitte à ce qu'ils te détestent tous, t'as osé leur dire ce que tu pensais. Si t'étais aussi hypocrite que tu l'affirmes, t'aurais rien dit et tu les aurais laissés se moquer de moi. Mais tu l'as pas fait. Parce que t'es quelqu'un de bien, en plus d'être courageux. C'est les raisons qui font que je t'admire et que j'aimerais devenir comme toi.
Je ponctue cette phrase d'un léger sourire ; le délégué, lui, se gratte nerveusement le crâne, sans savoir quoi répondre.
— T'es gêné ? je le nargue. J'ai réussi à te mettre mal à l'aise, moi, la petite Nathalie timide ?
— T'es pas si timide que ça, après une bière, vieille pipelette ! ricane-t-il.
— C'est pas seulement la bière... C'est surtout parce qu'on commence à se connaître, du coup je me sens en confiance, avec toi.
— Eh bah, c'est une bonne nouvelle, t'as enfin compris que j'étais pas le grand méchant loup et que j'allais pas te bouffer.
Pourtant, bordel, qu'est-ce que j'aimerais que tu le fasses !
Des images salaces me viennent immédiatement en tête, à base d'arrachage de culotte avec les dents et autres pensées impures classées X...
— Euh, Nathalie, ça va ? T'es toute rouge...
Je secoue la tête afin de chasser ces idées mal placées, n'osant le regarder en face de peur qu'il parvienne à lire mon esprit.
— Oui, oui ! Ça va ! je mens. Juste un petit coup de chaud ! Je... Je vais aux toilettes, je reviens.
Lorsque je retourne au sous-sol après m'être rafraîchie le visage, je constate que les deux drogués ont abandonné le vélo d'appartement et se livrent actuellement à un spectacle improvisé : Adam au ukulélé, Ilyès à la danse (à notre grand dam).
— Hé ben... ça s'arrange pas ! je soupire en m'asseyant sur le canapé aux côtés du délégué.
— Ouais..., grimace-t-il. Je devrais les filmer et foutre ça sur le groupe Facebook de la classe, tiens ! Ça leur ferait les pieds.
— Je suis pas assez défoncé pour te laisser faire ça ! proteste le chevelu en s'arrêtant immédiatement de jouer.
— Hé, pourquoi y'a plus de musique ? s'insurge le bouclé. Adam, remet la musique !
— Nan.
— Pourquoi ?
— Parce que Mattéo veut nous filmer.
— Quoi ?
— Feur.
Cette dernière réplique du chevelu déclenche leur hilarité à tous les deux.
— Les voilà repartis..., je soupire.
Nous les regardons en silence se tordre de rire devant une blague niveau CM1. Une fois calmés, ils se posent lourdement sur le canapé : Ilyès à la droite du délégué, le geek boutonneux à ma gauche, ce qui pousse notre hôte et moi-même à nous rapprocher l'un de l'autre, instinctivement. Nos cuisses se frôlent au passage, accélérant les battements de mon coeur.
— Ah, Matt ! s'exclame le bouclé. Je t'adore, tu sais !
Tout en disant ça, il se met à frotter son visage contre celui de mon crush.
— Oui, mon Yéyé, je sais que tu m'adores. Seulement je t'ai déjà dit cent fois qu'être défoncé était pas une excuse pour te comporter comme un chat et frotter ton museau contre ma tronche !
Ces mots semblent voler à des kilomètres au-dessus de leur destinataire, lequel entreprend finalement de se rouler en boule tel un félin, la tête posée sur les genoux du délégué. Il ne faut pas longtemps avant que nous l'entendions ronfler.
— Quoi, il s'est endormi ? D'un coup ? je demande, interloquée.
— Ouais... C'est l'autre effet de la marijuana, tu vois. L'endormissement.
Au moment où il dit ça, c'est au tour d'Adam de sombrer dans les bras de Morphée. Ou, plus exactement, sur mon épaule. J'avale ma salive face à ce contact non désiré, sans oser le repousser.
— Pff..., je marmonne, agacée. Franchement, il est gonflé de me confondre avec son oreiller !
— Ça va, t'as de la chance, me taquine mon crush, il est beaucoup moins grincheux quand il dort.
— Mouais...
Le délégué baisse la tête et regarde Ilyès en souriant.
— Lui aussi paraît moins débile comme ça, tu trouves pas ? On dirait presque un ange, avec ses petites bouclettes.
D'un air attendri, il se met à caresser les cheveux du concerné. Puis, semblant se souvenir de ma présence, il suspend aussitôt son geste avant de bredouiller, gêné :
— Euh... Lui dis pas que j'ai fait ça, okay ? Mais... Il se laisse jamais faire lorsqu'il est réveillé, aussi. Hum. Et c'est le moment où tu dois me trouver bizarre.
— C'est vrai, je confirme. Quand je pense que t'as osé me traiter de fille cheloue... !
Il s'esclaffe en entendant ma remarque, et je ne tarde pas à l'imiter tant son rire est communicatif. Nous restons encore quelques minutes ainsi, en silence, au milieu des ronflements des deux Belles aux bois dormant. Je ressens des picotements au creux de mon ventre, puis suis prise d'une soudaine envie de poser ma tempe sur son épaule... Alors que je m'apprête à y céder, je suis interrompue au milieu de mon geste par la voix de Mika :
"Tum... Talalalilalitum... Talalalilalit..."
S'ensuivent les premières notes de la chanson Love Today.
— Mon téléphone ! je m'exclame en reconnaissant la sonnerie.
La tête du pauvre Adam retombe lourdement sur le canapé lorsque je me lève, lui arrachant un grognement. Je tâte les poches du sweat... en vain car elles s'avèrent vides.
— Tu sais plus où tu l'as mis ? me demande Mattéo.
Il se lève à son tour, ignorant les protestations du bouclé. Nous cherchons ensemble, guidés par la musique, jusqu'à ce que je me souvienne l'avoir laissé au fond de mon sac à main, lequel est resté sur la chaise que j'ai utilisée quelques heures auparavant. Au moment où je mets finalement la main dessus, il cesse abruptement de sonner.
— C'était qui ? demande le délégué en se penchant légèrement au-dessus de mon épaule, si près que je sens son souffle sur ma nuque.
Ce rapprochement imprévu déclenche des palpitations à l'intérieur de ma poitrine, cela dit je parviens à conserver mon calme en répondant :
— Euh... Mon père. Il doit être arrivé. Je... Je vais y aller du coup.
— Oh... Okay.
J'entreprends d'enlever le sweat qu'il m'a prêté, sauf qu'il pose ses mains sur mes bras afin de m'en empêcher.
— Arrête, t'embête pas. Il fait froid, alors garde-le. Tu me le rendras lundi.
— Euh... D'accord. M-Merci.
— Bah... De rien. C'est juste un sweat.
— Je te remercie pas que pour le sweat, idiot ! Mais aussi pour le reste... Le truc avec Raphaël... D'avoir bien voulu que je m'incruste à votre LAN... Et aussi d'avoir pris le temps d'apprendre à la noob que je suis à jouer à votre jeu.
— Oh, ça... C'est rien. Franchement, c'est plutôt la communauté de World of Warcraft qui devrait me remercier. Je pouvais pas lâcher une fille aussi nulle que toi toute seule en Azeroth ! On a échappé de peu à la catastrophe...
Cette dernière remarque lui vaut un petit coup de poing dans le ventre, qui n'a pas l'air de lui faire très mal. Je n'ai pas le temps d'apprécier la fermeté de ses abdos car un SMS impatient de mon père me rappelle à l'ordre.
— Bon, faut vraiment que j'y aille... Cela dit, tu paies rien pour attendre !
— Pars pas si vite ! Je te raccompagne jusqu'à la porte, quand même.
— Monsieur se la joue gentleman ! je plaisante tandis que nous remontons les escaliers. C'est ta façon de te faire pardonner, après m'avoir taclée ?
— Non, je préfère éviter que tu te perdes, c'est tout, rétorque-t-il d'un air narquois.
Nous faisons notre possible pour ne pas nous faire remarquer en passant près du salon, de peur que Cat me saute encore dessus en me demandant de défiler. Le délégué me raccompagne jusqu'au pas de la porte où, sans que je comprenne trop d'où me vient cet élan de courage, je le prends dans mes bras.
— Toi, t'es plutôt du genre Bisounours, quand t'as bu, visiblement ! rigole-t-il en me rendant mon étreinte.
Je n'ose pas lui dire que ce n'est pas uniquement à cause de l'alcool que j'ai soudain eu envie de l'enlacer, me contentant de savourer ces quelques instants en humant son parfum. Cette brève accolade est interrompue par le bruit de klaxon de mon père.
— A lundi, Mattéo, je souffle doucement.
— Passe un bon dimanche...
En parfait gentleman, il attend que j'aie claqué la portière pour retourner à l'intérieur, après m'avoir adressé un dernier signe de la main. Les yeux de mon paternel oscillent de moi à la portée d'entrée, s'abstenant du moindre commentaire.
— Qu-quoi ? je bredouille, mal à l'aise.
— Rien, déclare-t-il en démarrant la voiture. T'as passé une bonne soirée, ma fille ?
— O-Oui... Très bonne, même...
Tandis que nous nous éloignons, mes yeux restent fixés aussi longtemps que possible sur la maison de Mattéo. D'agréables frissons me parcourent la nuque et les bras en repensant aux trois dernières heures passées en sa compagnie.
Dans ma poitrine, mon cœur palpite très vite et très fort, un peu comme après avoir couru en EPS ; sauf que contrairement à d'habitude, je souhaiterais qu'il continue de battre ainsi pour l'éternité.
------------
Voilà, dernier chapitre sur la soirée chez Marjorie. J'espère que cet épisode vous a plu ! 😁
Que pensez-vous de ce petit rapprochement entre Nat et Mattéo ? De la (presque) déclaration de Nathalie ? Et des aveux de Mattéo sur sa personnalité un peu "hypocrite" ?
Pour être honnête, cette fête n'était pas vraiment prévue à la base. L'idée m'est venue en écoutant "Goosebumps" de Meghan Trainor (cette musique me donne tellement envie de danser haha) :
https://youtu.be/oRXTx57PkFw
A partir du chapitre suivant, ce sera retour au lycée pour tout le monde ! Selon vous, est-ce que cette soirée va changer des choses dans le quotidien de notre héroïne-to-be ?
Réponse jeudi prochain ! Des bisouuus ! 😘
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top