30. Trop bien habillée pour une LAN

A peine avons-nous mis un pied à l'intérieur de la maison que nos oreilles sont agressées par le volume sonore de la musique. Le couloir de l'entrée débouche presque immédiatement sur le salon, où se passe visiblement le gros de la fête.

J'écarquille les yeux en voyant le nombre d'adolescents présents, à croire que le lycée tout entier s'est ramené chez Marjorie ce soir ! Certains sont assis sur le canapé, d'autres squattent le buffet improvisé, et une petite poignée de motivés dansent au milieu de la pièce.

Je repère immédiatement Cat et Miléna parmi la dernière catégorie. Les deux amies se déhanchent comme des folles, ignorant complètement les regards envieux des filles ou ceux, plus appuyés, des garçons. J'admets ressentir moi-même une pointe de jalousie : qu'est-ce que j'aimerais être capable de me mouvoir d'une manière aussi décomplexée !

En revanche, nulle trace de Marjorie ni de Raphaël. Tandis que je scrute les différents visages à leur recherche, Cat, elle, me repère immédiatement ; la fashionista s'arrête de danser puis fonce droit sur moi.

— Nat ! s'exclame-t-elle, ouvrant grand les bras afin de m'enlacer.

Or, comme vous le savez, je ne suis pas une personne très tactile, donc j'accueille cette accolade avec un air crispé, en mode "bien-droite-et-mains-collées-contre-les-cuisses".

— Alors, Mattéo ? lui demande-t-elle en haussant les sourcils. Que penses-tu de mon travail ?

Le délégué ouvre la bouche pour répondre, sauf qu'il est aussitôt interrompu par Miléna :

— Nathalie ! Waouh, t'es canon ! Cat m'avait déjà montré le résultat en photo, mais là tu bats tous les records... T'es trop mignonne !

Les compliments me gênent de plus en plus : je sens que je suis en train de virer écarlate.

— M-Merci, je bredouille, mal à l'aise.

— Hé ! s'écrie Cat, cherchant à capter l'attention des invités. Admirez mon oeuvre, tous ! Nat, prépare-toi à défiler tel un mannequin... ! Hé ! Vous, là-bas ! Venez par ici !

Elle s'éloigne de nous avant de se mettre à rameuter du monde.

— Si vous voulez vous éclipser, c'est le moment ou jamais ! nous dit précipitamment Miléna en se tournant vers nous. Du peu que je te connais, Nat, je devine que t'es pas le genre à apprécier d'être le centre de l'attention, pas vrai ?

— Euh..., je bredouille. J'avoue que si on pouvait éviter ça...

— Compris ! me répond Mattéo. Viens, on va rejoindre les autres.

Il m'attrape doucement par l'épaule afin de me guider hors de la pièce.

— Allez-y ! nous encourage Miléna en faisant un clin d'oeil. Je vous couvre !

Le délégué devant moi, nous croisons plein d'adolescents tandis que nous remontons le long du couloir.

— Wow..., je souffle, impressionnée. Je savais pas que Marjo avait autant d'amis.

— Des amis ? T'es naïve. Il y a aussi bien des potes que des ennemis, et surtout une bonne majorité de connaissances à qui elle a probablement pas adressé plus de trois mots au cours de toute son existence.

— Pourquoi elle les a invités, du coup ?

— Elle l'a pas fait, mais ils se sont incrustés. Ou ont été conviés par leurs propres potes... Un peu comme toi, quoi !

Je m'immobilise, le laissant me distancer, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que j'ai cessé de le suivre.

— Il y a un problème ? s'enquit-il.

— Si ça t'embête que je sois là, je peux rentrer chez moi.

— Hein ? J'ai pas dit ça !

Devant mon air sceptique, il insiste en soupirant :

— Ça me dérange pas que tu sois là, Nat. C'est juste... Je préfère éviter de te laisser seule au milieu des Raphaël et autres psychopathes en puissance. Alors, c'est à toi de voir si ça t'embête de venir au sous-sol avec nous, ou pas.

— Avec nous ? je reprends.

— Bah ouais... Adam, Ilyès et moi. Comme je savais que Marjo allait faire sa fête à la con, et que je voulais pas me mêler à ses potes sans passer pour un asocial, on a organisé une LAN de notre côté.

— Une LAN ? Qu'est-ce que c'est ?

— Ça veut dire qu'on a ramené nos PC pour jouer en réseau... Ensemble, dans la même pièce. Je sais que c'est pas aussi cool qu'une soirée impliquant de l'alcool et des terminales, donc bon, c'est toi qui vois.

J'admets ne pas avoir spécialement prévu qu'Ilyès ou l'autre boutonneux seraient de la partie... Néanmoins, après la séance de "relooking" , additionnée à l'épisode "Raphaël" d'il y a quelques minutes, je crois pouvoir affirmer que niveau social j'ai assez donné, aujourd'hui. Au fond, passer la soirée en compagnie du trio de geeks de ma classe me paraît beaucoup moins effrayant que les épreuves déjà endurées...

— Je vais rester avec t... avec vous.

Le visage de Mattéo se fend d'un grand sourire en m'entendant dire ça.

— Cool ! Je préfère ça plutôt que de te savoir au milieu des requins. Allez, viens.

— Comment t'as su que j'étais arrivée, au fait ? je demande tandis que nous nous remettons à avancer.

Le délégué tourne légèrement la tête et m'adresse ce sourire taquin dont je raffole.

— Je t'ai vue par la fenêtre, en train d'hésiter dix plombes devant la porte. C'était mignon.

— Je... Je commençais à me dire que cette histoire allait me mener à une catastrophe... Or l'arrivée de Raphaël a confirmé ce mauvais pressentiment.

Son sourire s'efface à la mention de ce dernier.

— Ouais... T'as pas eu de bol de le croiser.

Il se gratte l'arrière du crâne avant d'ajouter :

— Lui et moi, on... C'est mon ex... ex-ami d'enfance. On était très proches par le passé, puis... Il a déménagé, du coup on s'est plus parlé pendant un moment. Je l'ai retrouvé il y a un an, quand Marjorie est entrée au même lycée que lui, mais... Bref, il a déconné, en gros. Il nous a blessés, elle et moi. J'ai pas envie d'entrer dans les détails... Enfin, tu méritais de savoir au moins ça. Méfie-toi de ce type, c'est un vrai manipulateur.

— Ok... Je vois... Merci de t'être confié à moi, Mattéo.

Je ne sais pas pas vraiment quoi ajouter, alors nous continuons de marcher en silence, jusqu'à ce que le délégué s'arrête devant la porte du sous-sol. Tandis que je descends les marches, je sens la fraîcheur de la pièce me grignoter la peau, et porte machinalement mes mains sur mes bras afin de me réchauffer. L'odeur typique de ces endroits, un mélange de béton et de poussière, me picote le nez.

Le sous-sol, pas très grand, est une sorte de débarras recouvert d'étagères contenant diverses babioles en tous genres, au milieu duquel trône un vieux canapé griffé en plusieurs endroits, en face d'une télévision ainsi qu'une console de jeux. J'aperçois également un vélo d'appartement, lequel n'a pas dû être utilisé très souvent au vu de la poussière qui le recouvre.

Tous les meubles ont été calés contre les murs, faisant de la place à une grande table de jardin sur laquelle ont été installés deux PC fixes. Ilyès et Adam sont d'ailleurs en train de se battre avec les câbles emmêlés du troisième au moment où nous arrivons.

— Bon sang de merde, Ilyès, ton PC est une vraie poubelle ! Comment tu fais pour jouer là-dessus ?

— Oh ça va, on a pas tous des TOC, j'te signale !

— J'ai pas de TOC, je suis juste soigneux, contrairement à toi.

Joignant le geste à la parole, l'intello glisse son index sur le haut de la tour, avant de le pointer vers son interlocuteur.

— Mate-moi cette poussière ! Tu le nettoies jamais ? C'est quand la dernière fois que t'as passé l'aspirateur ?

— Tu passes l'aspirateur dans ton PC, toi ?

— Evidemment ! Faudra pas venir chialer le jour où il va surchauffer !

Mattéo se racle la gorge afin de capter leur attention.

— Les gars... On a une invitée supplémentaire, ce soir.

Les deux geeks s'interrompent puis tournent la tête vers nous. Ilyès laisse échapper un sifflement en me voyant.

— Oh ! Bah ça... Je savais pas que Nathalie avait une soeur jumelle sexy.

Sa remarque lui vaut aussitôt une tape derrière le crâne de la part d'Adam.

— Quoi encore ? s'offusque-t-il en se frottant la tête. Ça va, je sais bien que c'est Nathalie, je suis pas stupide ! C'était un compliment.

— Un compliment très con, marmonne le chevelu. Salut, Nathalie. T'es vachement bien habillée pour une LAN, par contre.

— Bah..., intervient le délégué. Elle était censée aller à la soirée de Marjorie, mais visiblement des personnes peu recommandables se sont incrustées... Alors je préfère qu'elle reste avec nous. Si ça vous dérange pas.

Nos regards convergent en direction d'Adam, lequel conserve le silence quelques secondes, avant de s'exclamer :

— Bah qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi vous me dévisagez, tous ?

— Peut-être parce que tu peux pas me saquer, je marmonne, agacée.

— Pardon ? s'écrie-t-il. Qui a décrété ça ?

— Euh..., je rétorque. Bah... Toi, à partir du moment où le plan de classe a été mis en place, puis chaque jour qui ont suivi ensuite, où t'as semblé te surpasser pour être de plus en plus odieux et désagréable.

L'intello écarquille les yeux en m'entendant dire ça.

Odieux et désagréable ? Tu t'fous de moi ? Qui c'est qui m'a envoyé bouler comme une merde, l'autre jour, alors que j'essayais d'être sympa ?

Je serre les poings, ouvrant la bouche afin de répliquer quand Ilyès intervient :

— Dis donc, le vieux couple, vous avez fini ? Moi, je m'en fous que Nathalie reste ici ou pas, seulement vu ses sapes elle va se les cailler, Matt. Et puis, elle a pas d'ordi.

— Ouais... Je vais tenter de retrouver mon vieux PC portable. Et une veste. Je reviens.

— Attend ! le retient Ilyès. Je t'accompagne, car visiblement ces deux-là ont plein de choses à se dire !

— Quoi ? nous exclamons Adam et moi à l'unissons.

— Oui, on voudrait pas vous déranger, enchérit le délégué. Tâchez juste de pas vous entretuer le temps qu'on revienne !

Sans nous laisser argumenter davantage, les voilà qui remontent au rez-de-chaussée en ricanant.

— Mais quels gamins..., soupire le chevelu en les regardant partir.

Nous demeurons silencieux un moment, jusqu'à ce qu'il enlève sa veste.

— Tiens, marmonne-t-il d'un air bougon en me la tendant. Ça évitera que t'aies froid.

— Non, ça va, merci, Mattéo est parti m'en chercher une...

— Si tu veux mon avis, t'auras le temps de finir congelée d'ici que ces deux-là reviennent.

— La maison est si grande que ça ? je demande bêtement.

Je vois les lèvres d'Adam se fendre d'un petit sourire moqueur, seulement il n'en dit pas davantage, se contentant de me coller sa veste dans les bras avant de retourner à l'installation du PC d'Ilyès. Je me sens coupable en l'enfilant, car lui se retrouve carrément en t-shirt.

L'odeur de la lessive fraîche légèrement mêlée à celle du tabac envahit mes narines. Certes, on est très éloignés du parfum de Mattéo dont je raffole, cela dit elle m'incommode moins qu'à l'accoutumée.

— M... Merci.

— Ouais..., répond-il d'un ton acide. Etonnant de la part d'un type odieux et désagréable, hein ?

J'avale ma salive puis fais un pas vers lui afin de mieux voir ce qu'il fabrique. Un genou à terre, l'adolescent est en train de brancher les différents câbles dans les ports se situant à l'arrière de l'ordinateur.

— Désolée pour ça, je finis par soupirer. Et désolée de t'avoir envoyé paître, la dernière fois. Met-toi à ma place, aussi... On peut pas dire que t'aies été particulièrement sympa ces jours-ci. Regarde, l'histoire du manuel...

— T'es encore bloquée là-dessus ?

Adam fait mine de se relever sauf qu'il se cogne contre la table, laissant échapper un juron.

— Ça va ? je m'enquiers en me penchant vers lui.

— Mais oui, ça va ! bougonne-t-il, agacé.

Ses yeux se posent alors sur mon décolleté, et il tourne aussitôt la tête dans la direction opposée à la mienne.

— Tu devrais fermer ta veste...

— D-Désolée, je bredouille en remontant le zip, écarlate. Je... J'ai pas l'habitude de porter... Ce genre de vêtements.

— Sans blague...

Il se relève prudemment cette fois-ci, puis allume l'ordinateur avant d'aller chercher deux chaises qu'il pose côte à côte, face à l'écran.

— Installe-toi, reste pas debout.

Je m'exécute en tirant encore sur ma robe, voulant dissimuler mes jambes au maximum. Lorsque je vois que les trois autres geeks sont vêtus normalement, je maudis sérieusement Cat de m'avoir persuadée de m'habiller ainsi. L'intello s'assoit à son tour puis nous attendons en silence que l'ordinateur s'allume, jusqu'à ce qu'il finisse par reprendre la parole :

— Moi aussi, je suis désolé, à propos du manuel. C'est juste que... L'année dernière, j'étais à côté d'une fille à cause du plan de classe. J'ai voulu être sympa, et à la fin elle en a profité, faisant de moi son mulet. Elle ramenait aucun bouquin, je devais tout me coltiner ! Alors j'ai eu peur que tu me fasses le même coup... C'est débile, je sais, et avec le recul je me dis que t'as dû me prendre pour un sacré connard, alors voilà, excuse-moi.

Il ponctue sa phrase d'un faible sourire que je lui retourne.

— C'était donc ça... Je suis pas ce genre de fille, en vrai ! J'oublie pas mon matériel, d'habitude...

— Ouais, je le sais, maintenant.

— Moi qui pensais que t'étais dégoûté de te retrouver à côté du thon à lunettes de service !

Fronçant les sourcils, il répond :

— Qu'est-ce que tu racontes ? J'ai jamais pensé de toi que t'étais un thon ou autre chose, tu sais. En fait, je fais pas suffisamment attention aux gens pour porter le moindre jugement sur eux.

— Hmm... Donc tu penses pas de mal de moi... Ni de bien. Je te suis juste... Indifférente, quoi.

— Exactement ! s'exclame-t-il, les yeux brillants à l'idée que je l'aie compris.

— Pas de quoi te réjouir ! C'est franchement vexant, quand même.

— Ah bon, répond le chevelu en se grattant le crâne. Bah, si ça peut te rassurer... Je te trouve... mignonne, ce soir.

Devant mon air ébahi, il bredouille :

— Euh... J'entends pas par là que tu l'es pas en temps normal, hein... Mais, euh...

Je ne peux contenir un petit rire en le voyant hésiter autant sur ses mots. Pour la première fois depuis l'histoire du plan de classe, je parviens à rester assise à côté de lui sans me sentir mal à l'aise ou nerveuse.

Tandis que je songe à tout ça, Adam se tourne doucement vers moi. Moi, je me perds dans son regard ; mon cœur rate un battement et je me sens en proie à un léger vertige...

Trois mois et demi.

Nous sommes dans la même classe depuis trois mois et demi.

Et je viens seulement de réaliser que ses yeux sont bleus.

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Et voilàààà 30e chapitre posté ! Un peu plus long que d'habitude (2500 mots), j'espère que ça ne vous aura pas gêné(e). 😁 

Alors, vos réactions suite à cette "réconciliation" inattendue entre Adam et Nat ? Et de cette révélation sur la couleur de ses yeux ? Et oui, si vous cherchez dans les premiers chapitres, vous verrez qu'à aucun moment Nat ne mentionne leurs couleurs... Et c'est tout-à-fait volontaire ! fufufu

J'ai choisi le titre du chapitre en référence à une musique de Major Lazer — "Too original". C'est d'ailleurs elle que j'imagine au début du chapitre quand Mattéo et Nathalie débarquent dans le salon. 

https://youtu.be/qPL3NLsP__k

Dans le prochain chapitre, les trois geeks vont initier cette chère Nat à leur jeu favori, "World of Warcraft" ! Héhé 😝 

Rendez-vous jeudi prochain pour voir ça ! Des bisouuuus ! 😘 

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