3. Quiproquo dans les couloirs

J'ai entendu beaucoup de rumeurs sur Miléna Delval. Certaines disent qu'elle a déjà mis K.O. une fille parce qu'elle tournait un peu trop autour de son mec ; d'autres qu'elle et son copain ont couché ensemble dans toutes les salles de classe du lycée ; enfin, la plus connue serait qu'elle a perdu sa virginité à cause d'un pari. J'ignore si ces rumeurs sont à dix pour cent ou à quatre-vingt pour cent vraies... Ce que je sais, c'est que maintenant que je l'ai en face de moi, je ne peux m'empêcher d'être verte de jalousie devant tant d'injustice. 

Miléna est grande et mince. Non, pas juste mince : elle est surtout athlétique, fine, musclée, juste ce qu'il faut. D'ailleurs, comme elle le sait très bien, elle porte un crop top qui dévoile sans complexe son ventre plat, recouvert d'un blouson en cuir, qui ne doit pas pour autant lui tenir très chaud en cette saison. Enfin, je suppose que quand on a un tel physique, on s'habille en mode "été" toute l'année. Je me pince les lèvres d'envie devant ses longs cheveux noirs, lisses et souples, ainsi que face à son regard sombre, si profond. Miléna n'a pas les yeux marron caca comme moi, non, elle a les yeux carrément noirs. 

 C'est sans conteste la fille la plus canon du lycée, donc pas étonnant qu'elle sorte avec Morgan Hawkins, son homologue masculin. Pas étonnant non plus que beaucoup de filles la détestent. 

— D-Désolée..., je bredouille en baissant la tête, n'osant la regarder dans les yeux.

Alors que je fais mine de m'en aller, elle m'arrête :

— Attend. T'as chialé ? C'est pour ça que tu bougeais plus des toilettes ?

Je vois du coin des yeux certaines personnes se retourner. C'est qu'elle parle fort, bon sang ! Elle est pas obligée de m'afficher comme ça ! C'est quoi la suite ? Elle va se foutre de moi et se mettre à me harceler, moi, la pauvre fille de seconde qui cherchait juste un peu de répit dans les toilettes ? On entend beaucoup d'histoires de harcèlement scolaire, aux infos. Franchement, ça me glace toujours le sang. Je ferais une victime idéale, après tout. 

Rien qu'à cette idée, c'est parti, les images du film se déroulent déjà dans mon esprit : je vais devenir la cible principale de Miléna, ainsi que de tous les gens cools et populaires, puis ce sera les gens de ma classe et, si ça se trouve, même les profs. Je serai obligée de supprimer mon compte Facebook pour ne plus voir les horreurs qu'on écrit sur moi. Je n'oserai ensuite plus mettre un pied à l'école... Tout ça pour finir vieille fille, seule avec quinze chats, à jamais sortir de chez moi. Je resterai grosse, moche, célibataire... et surtout VIERGE toute ma vie !

— Hého, y'a quelqu'un ? T'as pleuré, pas vrai ?

Je sursaute, revenant à la réalité, face aux regards empreints de jugement de Miléna. Merde alors, elle attend quoi pour aller pisser ? après tout, c'est elle qui a dit que c'était urgent ! Mais comme d'habitude, je n'arrive pas à dire clairement le fond de ma pensée et me contente de démentir :

— Non ! Je... j'ai des allergies, c'est tout.

— Des allergies ? En novembre ?

J'ose la regarder entre deux mèches de cheveux. Bras croisés, sourcil haussé, sa moue sceptique me laisse comprendre que je suis une pitoyable menteuse.

— Bon, peu importe. Je m'en fous en fait. C'est bon, tu peux rester dans tes chiottes. J'ai encore du temps avant la sonnerie pour en trouver d'autres.

Là, je relève carrément la tête pour la dévisager, étonnée. Quoi, elle me laisse mes toilettes à moi ? Mon refuge ? Mon havre de paix ? Pourquoi ferait-elle ça ? Ça sent l'entourloupe, non ? C'est alors que, ajoutant encore de la bizarrerie à la situation, elle fouille dans son sac puis me tend un paquet de mouchoirs.

— Tiens. Pour tes ... allergies. T'as le nez qui coule.

Je le prends machinalement, sans trop comprendre ce qui est en train de se passer. Donc quoi, Miléna ne serait pas une pétasse finie comme le prétendent les gens ? Elle peut faire acte de gentillesse et de bonté ?

— Ben, tu pourrais dire merci, au moins ! Tes parents t'ont pas appris la politesse ?

Encore une fois, elle a crié, me faisant sursauter malgré moi. Alors que j'ouvre la bouche pour la remercier, une grosse voix nous interrompt :

— Hé, Miléna ! Tu fais quoi ? Encore en train d'embêter une élève de seconde ?

C'est Anthony, un des surveillants.

— Quoi ? Mais non, pas du tout ! proteste Miléna. On discute, c'est tout. Pas vrai ?!

Le temps qu'elle dise ça, Anthony est à côté de nous et nous toise de son mètre 90. Je réalise  que tous les deux me dévisagent, dans l'attente de ma réponse.

— Je ... euh...

"Allez, Nat, c'est le moment de rétablir la vérité, là ! Miléna a été gentille avec toi et, même si c'est grave chelou, tu vas quand même pas lui attirer des ennuis ?" je suis sûre que c'est à peu près ce que vous vous dites en ce moment-même. Sauf qu'entre-temps, un petit noyau d'élèves s'est formé autour de nous, commençant à nous regarder. Je reconnais parmi eux des gens de ma classe. Merde ! Ça commence à être grave la honte, là ! Il faut que je dise quelque chose ! Il faut que...

— Alors ? Il s'est passé quoi ? insiste Anthony.

Mais rien que d'essayer, je sens encore cette immense boule de chagrin me bloquer la gorge et empêcher les mots de sortir.

— Elle a la trouille ! s'exclame le surveillant. Ça se voit qu'elle a pleuré en plus ! Miléna, tu saoules grave ! T'as fait quoi encore?

— J'ai rien fait, je te jure ! Je lui ai juste filé un paquet de mouchoirs pour...

— Pour qu'elle essuie les larmes que tu as fait couler ? la coupe-t-il. Je savais que t'étais une peste, mais je pensais pas que t'étais mesquine à ce point là ! Bon sang, elle t'a fait quoi cette pauvre fille pour que tu t'en prennes à elle ?

Cette pauvre fille... ? Je vois certains élèves ricaner en l'entendant prononcer ces mots. Mais, mais... Il se prend pour qui celui-là pour m'appeler comme ça ? Oui, je sais, vous allez me dire que j'ai passé tout le précédent chapitre à m'auto-dénigrer, et que je me suis moi-même désignée en ces termes quelques paragraphes au dessus... Sauf que moi, j'ai le droit ! Bref, la situation est en train de complètement dégénérer, là, faut vraiment que j'intervienne !

— Non ! je parviens à dire de ma voix faiblarde. Je... Elle n'a rien fait du tout !

— Ah, tu vois ! Même elle, elle le dit ! s'exclame Miléna.

Mais son air triomphal n'a pas l'air de plaire à Anthony, qui réplique, intraitable :

— Mouais ! Qui me dit pas qu'elle dit ça par peur des représailles ? Je vais faire un rapport, c'est tout ! Zéro tolérance niveau harcèlement !

— Ah ouais ? C'est pour ça que vous effacez toujours les horreurs qu'on écrit sur moi dans les toilettes des filles, d'ailleurs ! rétorque Miléna.

Mais à quoi elle joue, là ? Son ton agressif et provocateur ne va pas du tout l'aider ! Elle ferait mieux de ne pas envenimer la situation...

— Avec cette attitude, tu t'étonnes qu'on écrive des saloperies sur toi ? j'entends quelqu'un lui répondre, dans la foule.

Miléna se retourne, mais impossible de savoir qui a prononcé ces paroles.

— Bon, ça suffit, le spectacle ! s'énerve Anthony. Ça va sonner ! Dirigez-vous vers votre prochain cours ! Quant à toi, Miléna, t'as gagné un rapport ! Ton troisième depuis le début de l'année, bravo !

— Ouais, c'est ça...

Une fois qu'il s'est éloigné, j'entends la grande brune ajouter :

— Pauvre con !

La sonnerie retentit et les élèves commencent enfin à s'en aller. J'ai envie de dire à Miléna que je suis désolée, que j'irai tout expliquer à la CPE*... Je rassemble donc tout mon courage, ouvre la bouche, commençant à parler presque sans bégayer :

— Je suis dés...

Mais elle ne me laisse pas le temps de finir ma phrase, me bousculant sur le côté sans ménagement en disant :

— Bon, la pleureuse, ma vessie va exploser si j'y vais pas !

Et la voilà qui me claque la porte au nez. Et moi, je reste plantée dans le couloir, sans trop savoir quoi faire. Suis-je censée l'attendre pour m'excuser ? Ou est-ce qu'elle est déjà passée à autre chose ?

— Nathalie !

J'entends quelqu'un appeler mon prénom, mais je ne réagis pas tout de suite. Personne au lycée ne sait comment je m'appelle, il doit sans doute s'agir d'une autre Nathalie. Je sens alors une petite tape sur l'épaule et la voix féminine répéter son appel :

— Hé, Nathalie ! Tu m'entends ?

Je sursaute puis me retourne. Sauf que la réjouissance que j'ai ressenti à l'idée que quelqu'un sache qui je suis, et que cette personne veuille me parler, s'évapore aussitôt quand je constate qu'il s'agit juste de Sarah, la grosse fille effacée de ma classe.

— Oh... Salut Sarah.

— Tout va bien ? Pourquoi tu restes là ? Tu sais que le prof d'histoire déteste les retardataires !

Je me demande ce qu'elle me veut tout à coup. Sarah et moi, on n'est pas vraiment amies. On ne se parle presque jamais. On s'échange des sourires polis de temps en temps, on se dit bonjour, mais ça s'arrête là. Je n'ai pas cherché à devenir son amie. Quel intérêt de fréquenter une autre loseuse ? En plus, étant toutes deux timides, nos conversations ne risquent pas d'être intéressantes. A vrai dire, avant aujourd'hui, j'ignorais qu'elle était capable de prononcer autant de mots d'un seul coup. J'ouvre la bouche pour répondre, quand la porte des toilettes s'ouvre sur Miléna. Elle hausse les sourcils en me voyant.

— Encore là, toi ? Allez, dégage, je t'ai assez vue pour aujourd'hui !

Et tout en nous bousculant pour passer entre nous deux, elle s'en va dans un nuage de cheveux noirs et de parfum. Une fois qu'elle s'est suffisamment éloignée, j'entends Sarah marmonner:

— Celle-là, alors... une vraie peste ! Allez viens, on s'en va !

Avant même que je puisse protester, elle m'attrape le bras, puis m'entraîne en direction de notre prochain cours.

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Alors, qu'avez-vous pensé de cette rencontre avec Miléna ? C'est une véritable tête brûlée, mais elle a pas si mauvais fond que ça, il paraît... 

Voici une musique qui illustre bien ce personnage : Pink — Trouble. 

https://youtu.be/mFu3YzRnyDU

En vérité, il s'agit du personnage principal d'une autre de mes histoires, qui se déroule un an après celle-ci, je dirais. Elle est en pause pour le moment mais je la continuerai sans doute à la fin de "Banale !". Je trouvais ça sympa de les faire se croiser. 😁

Merci de me lire en tout cas, j'espère que l'histoire vous plait ! N'hésitez pas à voter si c'est le cas, ou à commenter pour me donner votre avis, y compris si vous voyez des fautes ou des points à améliorer ! 

Des bisous 😘

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