29. De l'animosité dans l'air

C'est ainsi que je me retrouve, quelques heures plus tard, debout devant la maison de Marjorie et Mattéo, sans oser appuyer sur la sonnette. Composée de briques rouges typiques de la région et d'une toiture noire tranchant avec le reste, leur demeure est accueillante. Les nombreuses fleurs venant décorer les fenêtres ajoutent encore du charme au tableau.

C'est donc ici que vit le garçon que j'aime...

Je sors mon téléphone pour m'inspecter grâce au mode "selfie". Le maquillage a tenu, de même que la coiffure. J'adresse un faible sourire à mon reflet. Mine de rien, la harpie n'a pas menti en surnommant Cat la "Cristina Cordula du lycée"...

Bon, d'accord, nous ne sommes pas dans un de ces téléfilms clichés où un relooking suffit à transformer la ringarde en véritable bombe atomique ! J'ai toujours ce visage rondouillard, ce nez à fessiers que je déteste, mon bourrelet à l'aisselle et, bien sûr, au moins huit bon kilos en trop... Je suis encore loin d'arriver à la cheville de Miléna Delval ! Néanmoins, pour la première fois depuis longtemps, je me trouve quelque peu mignonne.

Ce que j'apprécie le plus, c'est ma nouvelle coiffure. Auparavant, mes cheveux, bien qu'ondulés, faisaient penser à une crinière ébouriffée. Mes boucles étaient si indomptables qu'on aurait dit qu'elles vivaient leur existence propre, indépendamment du reste de mon corps. Ma coupe ressemblait à celle d'un dresseur de Pokémon qui se serait pris une attaque éclair de Pikachu !

Cela dit, après la séance que m'a arrangée Cat chez son coiffeur, j'ai l'impression d'être une toute autre jeune fille. L'homme qui s'occupait de moi m'a expliqué que je devais les démêler quand ils étaient encore humides, me recommandant des tas de shampoings ou autres soins à appliquer. Il m'a également confié qu'ils étaient particulièrement épais et qu'il les avait effilés afin de les alléger. Moi, il m'aurait raconté n'importe quoi en Simlish que j'y aurais cru.

La seule chose qui compte, c'est le résultat. Mes cheveux forment à présent de belles boucles ondulant jusqu'au bas de mes épaules ; si on met de côté leur couleur châtain, j'oserais presque affirmer qu'ils se rapprochent de ceux d'Aurore. Mon visage, lui, semble beaucoup moins rondouillard grâce aux mèches dégradées qui viennent l'encadrer. Les lentilles, ajoutées au trait d'eye-liner de Catherine, me donnent l'impression d'avoir de grands yeux, et même leur couleur est mise en valeur par le fard à paupière marron-doré.

Après cette séance chez le coiffeur ayant époustouflé les trois autres, nous avons été au centre commercial afin de faire du shopping, en respectant le budget imposé par ma mère. Cat sautillait d'excitation, répétant qu'elle avait l'impression de tourner une émission des Reines du shopping... Sarah s'est même bêtement prêtée au jeu en filmant chaque instant de mon calvaire !

Calvaire, oui, ce mot convient parfaitement aux séances d'essayage qu'elles m'ont imposées toute l'après-midi ! Être forcée de se déshabiller et de se rhabiller non-stop afin d'enfiler un millier de tenues différentes c'est, à mes yeux, la pire torture qui puisse exister. Si vous voulez mon avis, le shopping est une invention du démon en personne !

En parlant de démon, Marjorie se délectait silencieusement de mon désarroi, jusqu'à ce que Cat lui rappelle qu'elle m'avait invitée de force à sa soirée en se mettant en tête de me trouver une robe adéquate pour l'occasion. J'ai tenté de faire de la résistance, mais autant se battre contre le vent ! Elle semblait très excitée à l'idée de présenter son "oeuvre d'art" au reste de ses amis, et voulait de ce fait trouver LE vêtement qui serait "the icing on the cake", selon ses propres mots.

La fashionista a finalement jeté son dévolu sur une robe bleue marine cintrée à la taille par un petit ruban, et évasée — ce qui a l'avantage de dissimuler mes grosses cuisses —, s'arrêtant un peu au-dessus de mes genoux. Mes bras, eux, sont recouverts par des manches en dentelle qui ne tiennent pas vraiment chaud, ce qui explique pourquoi j'ai également enfilé un boléro blanc en laine, lequel se ferme à l'aide d'un bouton au niveau du décolleté.

J'ai également dû enfiler une paire de collants noirs flambants neufs, laquelle finira probablement filée d'ici la fin de la soirée, car c'est là le destin de toutes celles que j'ai portées par le passé. L'ensemble est sublimé par une paire de petites chaussures noires vernies et surtout plates : ma seule victoire face à Catherine qui, à son grand désarroi, n'est pas parvenue à me persuader de porter des talons hauts !

Quand ma famille a finalement pu contempler le résultat à la fin de l'après-midi, ils en étaient bouche bée. J'ai ensuite passé le reste de la journée dans un état de stress intense, les boyaux retournés d'angoisse à l'idée de la soirée qui se préparait. Heureusement, c'est mon père qui m'y a conduite, lequel a eu la délicatesse de rester silencieux durant le trajet — exploit que n'aurait jamais accompli ma génitrice —, me souhaitant simplement "bonne chance" avant de me déposer.

Me voilà donc ainsi, debout sur le porche de Mattéo et Marjorie, avec une furieuse envie de le rappeler et de faire demi-tour. Je me dandine sur place, regrettant amèrement d'avoir accepté de porter une robe tant je suis mal à l'aise ! Tandis que je tire une énième fois sur son extrémité, parvenant à l'étirer jusqu'aux genoux, j'entends une voix masculine, derrière moi, demander :

— Bah alors, tu comptes sonner un jour ou tu vas passer la soirée à admirer cette porte d'entrée ?

Un type assez grand me dévisage fixement. Les cheveux châtains soigneusement plaqués en arrière avec du gel, des yeux sombres, une mâchoire carrée... "classe" est le premier adjectif qui me vient à l'esprit en le voyant.

— On s'est déjà vus, non ? me demande-t-il en fronçant les sourcils. C'est toi la fille qu'est venue nous voir pendant la récréation, la dernière fois ? Celle que Cat devait relooker...

Il avance d'un pas, se penche légèrement vers moi puis laisse échapper un sifflement.

— Eh bien, c'est vrai qu'elle est douée. T'étais une meuf tout ce qu'il y a de plus banale, limite insipide, et maintenant t'es plutôt... mignonne.

J'ignore si c'est supposé être un compliment ou non, cela dit son regard appuyé m'intimide tellement que je ne trouve rien de mieux que de bredouiller :

— Euh... M-merci...

— Je suis Raphaël, au fait.

— Euh... Nat... Nathalie.

— Enchanté, Nathalie, me dit-il avec un sourire ravageur.

Il a prononcé mon prénom d'une façon particulièrement douce, faisant naître des frissons le long de ma nuque.

— Et du coup, t'es une amie de Marjorie, c'est ça ? Vous vous connaissez d'où ?

— Je... Euh... Je suis dans la classe de son frère.

Je le vois hausser presque imperceptiblement les sourcils à la mention de ce dernier.

— Oh... Tiens, tiens... Ce cher Mattéo. Je comprends mieux. C'est lui la vraie raison de ta présence, je me trompe ? Lui... Ou plutôt ses beaux yeux bleus ?

Je me sens virer écarlate en l'entendant énoncer cette vérité à voix haute, de manière si nonchalante. Ma réaction fait naître un sourire au coin de ses lèvres.

— Pas de quoi avoir honte, t'inquiète. Je comprends.

Se penchant encore vers moi, il saisit une de mes mèches de cheveux entre son pouce et son index.

— J'admets qu'il est plutôt attirant, dans son genre..., susurre-t-il en jouant avec.

Mon coeur s'affole à l'intérieur de ma poitrine ; je ne sais vraiment pas quoi penser de ce type.

— Donc comme ça, t'es sa petite protégée ?

Pendant que je réfléchis à une réponse adéquate, la porte s'ouvre sur Mattéo, lequel blêmit en apercevant mon interlocuteur. Son regard glisse de lui à moi et je vois aussitôt ses traits se durcir. Subitement, il se dirige d'un pas décidé vers Raphaël, plaçant le bras sous son cou avant de le coincer contre le mur.

— Je peux savoir ce que tu fous ? lui demande-t-il entre ses dents.

Je n'ai jamais vu le délégué aussi furieux alors cette scène me laisse perplexe. Raphaël, lui, ne semble ni étonné ni impressionné par la situation.

— Tiens, te voilà ! le nargue-t-il d'un air insolent. On parlait justement de toi...

— Ferme-la ! Qu'est-ce que t'étais en train de lui faire encore, espèce de dégénéré ?

Dégénéré ? T'y vas pas un peu fort ? Je lui ai rien fait, à ta copine, t'inquiète. On discutait juste.

— Je... euh..., je balbutie, tentant de désamorcer la situation.

Ma gorge reste sèche, m'empêchant de prononcer le moindre mot. De toute manière, je n'ai pas le temps d'articuler davantage d'onomatopées car Marjorie débarque, écarquillant les yeux face à ce spectacle.

— Raphaël ? s'exclame-t-elle. Je peux savoir ce que tu fous là ?

Elle non plus n'a pas l'air ravie de le voir.

— Eh bien, il faut croire que tes invités avaient envie de fumer une beuh de qualité... Alors ils m'ont appelé. Je suis d'ailleurs quelque peu vexé que tu l'aies pas fait toi-même...

La harpie le toise de haut en bas, puis croise les bras avant de répliquer sèchement :

— Hors-de-question que tu foutes un pied chez moi. Je fais déjà l'effort de te supporter au bahut, j'ai pas envie de voir ta tronche le week-end.

— Allons, Marjo, réfléchis deux minutes. Qu'est-ce que tu raconteras aux autres si tu refuses que je vienne à ta soirée ? Tu serais prête à leur révéler pourquoi vous me détestez, tous les deux ? Moi, je m'en fous, honnêtement... C'est plutôt vous qui cherchez à cacher la vérité.

La pression que Mattéo exerce contre son cou se relâche au fur et à mesure de ses mots, jusqu'à ce qu'il le libère complètement. Le délégué se gratte nerveusement un sourcil tandis que sa demi-soeur change de pied d'appui, décontenancée.

— Voilà, je savais que vous seriez raisonnables, déclare triomphalement Raphaël.

Il tapote les épaules de mon camarade de classe puis se dirige vers la harpie, tendant la main en direction de sa joue, mais celle-ci le repousse rageusement.

— Vas-y, dégage.

Ignorant la réaction de la jeune fille, qui semble l'amuser plus qu'autre chose, il se tourne vers moi et me dit :

— Bon, bah, ce fut un plaisir de te rencontrer, Nathalie. On se reverra sûrement au lycée...

Il commence à s'éloigner puis s'arrête une fois arrivé à la hauteur de Marjorie.

— Au fait, t'aurais pas grossi, toi, récemment ? lui demande-t-il d'un ton doucereux.

Malgré la haine qu'elle semble lui porter, je vois à travers son regard que ces paroles l'ont touchée ; le jeune homme n'attend pas sa réaction, entrant déjà à l'intérieur de la maison. Le délégué avance d'un pas pour le suivre, sourcils froncés, seulement sa soeur l'arrête dans son élan.

— Laisse tomber. Il en vaut pas la peine ! Tu ferais mieux de t'occuper de ton invitée-surprise. Je me charge de lui.

Elle nous abandonne là ; Mattéo et moi nous regardons en silence un moment.

— Désolé pour ça..., marmonne-t-il en se grattant le crâne, mal à l'aise. C'est juste lui qui...

— C'est bon, t'inquiète. T'as pas à te justifier. Enfin, euh... Sauf si tu veux m'en parler, bien sûr, si c'est le cas, je suis prête à t'écouter. Hum... Cela dit, je dis pas ça pour paraître indiscrète, hein... Te sens pas obligé ! Euh...

Il finit par éclater de rire devant mon incapacité à m'exprimer ; ça a beau être à mes dépens, je suis soulagée de ne plus voir la colère défigurer son joli visage.

— Enfin..., soupire-t-il une fois calmé. Méfie-toi de lui, d'accord ? Il risque de revenir à la charge maintenant qu'il sait que toi et moi, on est amis.

Je sens les battements de mon coeur accélérer en l'entendant prononcer ce dernier mot.

— Oh... Alors c'est comme ça que tu me vois.

— Euh... Bah... Ouais, pourquoi ? Je devrais pas ?

— Non, non... Seulement... Des amis, j'en ai pas beaucoup... Ce mot a une signification particulière à mes yeux. Donc ça me touche... Et, euh... Moi aussi, je te considère comme un ami, Mattéo.

Et même un peu plus que ça.

Evidemment, je garde cette dernière pensée pour moi.


--------------------

Youhouuuuu je suis trop contente de pouvoir enfin publier ce chapitre ! 👏J'avais hâte de lire vos réactions suite à l'apparition de ce nouveau personnage ! 😁 

Sorti tout droit du spin-off que j'ai commencé à écrire, Raphaël n'était pas prévu à la base, mais finalement j'ai décidé de le faire apparaître dans "Banale !" pour teaser un peu, et pour rajouter du piquant. Car tout est toujours piquant quand il est dans les parages 🌵

Qu'avez-vous pensé de lui ? Et à votre avis, quel est son lien avec Marjorie et Mattéo ? 

Pour ce chapitre, j'ai choisi Brigitte — Battez-vous :

https://youtu.be/NDchKlVQZ4A

Sinon, ça y est, "Banale !" a atteint les 1k votes, merci à tous et à toutes, ça me fait trop plaisir ! 😱😍 

J'admets que je ne pensais pas qu'ils arriveraient aussi vite, du coup le bonus dont je vous ai parlé n'est pas du tout terminé, et comme j'ai eu une semaine très chargée niveau boulot je n'ai pas pu l'avancer... Mais je ne l'oublie pas ne vous en faîtes pas, je le publie dès qu'il est prêt, promis ! 😖 

Voilà, suite des aventures de Nat à cette soirée jeudi prochain ! Des bisous 😘

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top