28. Des poils sur la glabelle
Marjorie scrute méticuleusement chaque recoin de ma chambre lorsque nous y entrons. Je me demande ce que ses yeux de harpie pensent de la déco très sobre. A une époque, j'ai tenté de me comporter de la même manière que les adolescents de mon âge en affichant des posters d'animaux ou de stars, mais en vrai, ce n'est pas trop mon truc. J'ai juste fait ça afin de rentrer dans le moule, d'"être comme tout le monde", et qu'on ne me trouve pas bizarre sous prétexte que je ne tapissais pas les murs de morceaux de papiers en tous genres.
Sauf qu'avec le départ d'Aurore, sans parler du risque très minime que quiconque vienne un jour chez moi, j'ai décidé de les enlever. Si j'avais su que cette humble pièce serait, quelques mois plus tard, visitée par Marjorie Rivière et Catherine Jones en personne, j'aurais peut-être fait autrement.
Cet endroit est, de ce fait, particulièrement neutre : du parquet au sol, une tapisserie beige sur les murs, un lit simple trônant au milieu, une armoire ainsi qu'une table de nuit sur la gauche, et enfin le bureau où se trouve mon ordinateur.
C'est plutôt étroit, il n'y a pas énormément de coins où s'asseoir ; ce qui explique que la harpie s'installe négligemment sur mon matelas quand Sarah, elle, se met à squatter la chaise en face de mon PC.
— Oh, tiens, tu joues aux Sims ? me lance-t-elle après avoir jeté un oeil à l'écran. Dis donc, ta Sim, c'est ton portrait craché !
Je réalise que j'ai complètement oublié de quitter le jeu avant de descendre.
— Fais voir ! intervient Marjorie en s'approchant, curieuse. Hé ! Le Sim qui t'embrasse, là, il ressemble drôlement à Mattéo, vous trouvez pas ?
— Ah oui ! s'exclame Catherine, venue voir à son tour. Et ils sont sur le lit, oulala !
Me sentant devenir de plus en plus écarlate, je dis afin de détourner leur attention de l'ordinateur :
— Bon, bon, vous vouliez pas inspecter ma garde-robe ?
— Absolument ! me répond la blonde en ouvrant mon armoire.
Elle se frotte longuement le menton puis reprend la parole :
— Où se trouve la suite ?
— La suite ?
— Bah oui, le reste de tes vêtements, quoi. Tu vas pas me faire croire que tout se trouve à l'intérieur de ta minuscule armoire ?
La tête que je fais semble répondre à sa question, car Marjorie s'exclame :
— T'es sérieuse, Nat ? T'as que ça ? Bon sang, même Mattéo a plus de fringues que toi !
— Euh... bah... Je me suis jamais intéressée à la mode, je bredouille.
Je verrai presque les yeux de Cat s'illuminer en m'entendant prononcer ces mots. A vrai dire, je crois que si elle pouvait lancer des éclairs avec, je serais déjà foudroyée sous sa colère.
— Blasphème ! La mode, c'est sacré ! Comment oses-tu te priver d'un univers si riche, si passionnant, si...
— Cat, tu t'emballes, l'interrompt la harpie.
— Hum, pardon. Nathalie, acceptes-tu que je te transmette mon savoir afin que tu deviennes une meilleure version de toi-même ?
J'ouvre la bouche sans avoir le temps de répondre, aussitôt devancée par Sarah :
— Elle accepte ! Transmettez-nous votre savoir, Senpai !
Les mains jointes, mon amie regarde Catherine avec vénération. Un petit sourire de fierté sur les lèvres, la blonde remet sa longue chevelure bouclée en place puis entame son monologue :
— Bon. D'abord, la morphologie. Toi, Nat, t'es un X, ou "sablier". Ça signifie que t'es large du torse et des hanches, mais que t'as la taille très fine. Il faut donc choisir des vêtements qui mettront en avant cet atout. Les robes cintrées sont tes meilleures amies ! Ou alors tu peux en acheter une lambda et mettre une ceinture, par exemple.
— Nat porte jamais de robe, objecte Sarah. Depuis le début de l'année, je l'ai vue uniquement en jean !
— Et pourquoi ça ? me questionne Cat, les yeux empreints de jugement.
— Eh bien... Je... J'aime pas ça, je bredouille. C'est vrai, quoi, quand je porte une jupe ou une robe, j'ai l'impression de me trimballer... à poil.
— C'est une question d'habitude, ça. Tu t'y feras.
Considérant le sujet clos, Cat enchaîne immédiatement sur autre chose. Elle continue de me débiter des conseils de ce style, passant en revue tous les points possibles : vêtements, produits de beauté afin d'avoir une belle peau, maquillage, etc. Je me sens tellement ensevelie sous la masse d'informations que je finis par m'exclamer, excédée :
— Mais y'a pas moyen que je retienne autant de trucs, enfin ! Faudrait que je prenne des notes, ou j'sais pas...
— Ne t'en fais pas pour ça, j'ai tout prévu, me répond la blonde, sortant une clef USB de son sac à main. J'ai créé un fichier PDF où j'ai consigné tous mes conseils. J'y ai même ajouté des liens vers des chaînes YouTube qui font des tuto beauté ou maquillage.
— Oh ! s'écrie Sarah en tapant des mains telle une gamine. Je le veux !
— Décidément, t'as pris ce relooking vachement au sérieux, s'étonne Marjorie. Et du coup, t'as eu le temps de faire la dissert en français ?
— On a une dissert ? Oh, en fait, je m'en fous. Un relooking, c'est hautement plus important !
Son amie se passe longuement la main sur le visage en entendant ça, sans faire de commentaire. Cat consulte sa montre puis reprend :
— Bon, maintenant qu'on a fini la théorie, on va passer à la pratique ! On a encore deux bonnes heures devant nous avant ton rendez-vous chez le coiffeur, le temps nécessaire à un point maquillage et épilation. Après ça, ce sera shopping au centre commercial !
— Ah, tu vas t'attaquer à sa moustache et son monosourcil ? demande la harpie, laquelle s'est nonchalamment allongée sur mon lit, un bras lui cachant les yeux.
— Ma... moustache ? je balbutie, portant machinalement ma main sur ma bouche.
— Marjorie ! la réprimande la blonde entre ses dents. Un peu de tact, didiou ! N'écoute pas Marjo la barjo, Nathalie, tu n'as ni moustache, ni monosourcil.
Pourtant, lorsque j'inspecte avec inquiétude mon visage dans le miroir, j'aperçois effectivement lesdits poils ayant élu domicile au-dessus de ma lèvre supérieure ainsi que sur la glabelle. En voyant ça, je me mets à frotter nerveusement cet espace situé entre mes deux sourcils, cherchant à les faire disparaître.
— Il semblerait qu'elle ait raison, quand même, je bredouille, désemparée. J'ai bien des poils à ces endroits-là ! Ma parole, je suis une vraie Wookie !
— Une quoi ?
— Une Wookie, l'espèce de Chewbacca, intervient Sarah.
— Mais non ! soupire Cat. Regarde-moi.
Elle m'attrape par les épaules afin de me détourner du miroir, m'obligeant à lui faire face.
— Oui, t'as des poils disgracieux à ces endroits-là, cela dit il y a pas de quoi t'inquiéter. En vérité, c'est le cas de beaucoup de femmes, c'est pas dramatique ! Dans ton cas, on est loin de parler de moustache, on évoquera plutôt un duvet. J'en ai un aussi, figure-toi ! C'est juste que le tien est foncé, donc on le voit, contrairement au mien.
— Je fais quoi, du coup ?
— Eh bien... Je te déconseille de l'épiler car, là, tes poils risqueraient de repousser plus épais ! Une simple décoloration devrait suffire. Quant à tes sourcils, ils sont juste un peu broussailleux, on va leur donner une forme, ensuite il faudra les entretenir régulièrement à la pince à épiler. Bref, rien qui ne mérite de te traiter de Chewbacca.
— Moi, je trouve que ce surnom lui irait comme un gant, ricane Marjorie.
— Si t'es venue pour laisser libre-cours à ton bitchmode, fallait rester chez toi ! fulmine Catherine, attrapant mon coussin afin de frapper son amie. Le but d'un relooking, c'est pas juste de rendre la personne jolie, c'est aussi d'aider à lui redonner confiance, à booster son estime de soi. A partir du moment où je suis entrée ici, c'est devenu un espace d'entraide et de bienveillance, compris ? Alors garde tes commentaires acides pour toi, sale vipère !
— Ça va, ça va ! abdique la harpie en riant sous les coups d'oreiller. Je vais tâcher d'être gentille, promis.
J'ai bien envie de répliquer qu'à mes yeux les mots "Marjorie" et "gentille" sont deux contraires fondamentaux... Sauf que Cat, elle, semble satisfaite par cette demi-promesse puisqu'elle se relève tout en remettant ses vêtements en place.
— Parfait ! s'exclame-t-elle. Donc, commençons par décolorer ce vilain duvet.
Tandis qu'elle dit ça, la blonde sort son attirail de son sac à main : deux tubes de crème à mélanger puis à appliquer sur la zone concernée. Cat me supervise et me laisse m'exercer par moi-même, afin que je parvienne à répéter ces gestes. Je finis par appliquer la mixture puis grimace sous les picotements.
— Et maintenant on fait quoi ? je demande en contemplant mon visage dans le miroir, dont la lèvre supérieure se trouve désormais bordée d'une étrange moustache blanche.
— Ça fera effet d'ici dix minutes, ensuite il faudra rincer à l'eau froide. En attendant, je vais m'occuper de tes sourcils. Bon, j'ai juste une pince à épiler alors ce sera pas aussi bien fait qu'en utilisant de la cire. Mieux vaut aller en institut, crois-moi. Enfin bon, j'ai besoin de musique si je veux être concentrée ! Maestro Sarah ?
— A vos ordres, Senpai ! Que voulez-vous écouter ?
— Met-nous Bootylicious des Destiny's Child.
— T'es sérieuse ? s'exclame Marjorie. Cette chanson est aussi vieille que nous ! T'as pas plus ancien encore ?
— C'est une musique i-co-nique ! objecte Cat. D'ailleurs, elle convient parfaitement à la situation ! Car quand j'en aurai fini avec Nathalie, je peux te dire que personne ne sera ready for her jelly ! Elle va être trop, trop canon pour ta fête de ce soir !
— Qu... quoi ? Quelle fête ? je m'exclame, la bouche en coeur.
En voyant la harpie se masser longuement les tempes, son amie comprend qu'elle a fait une bourde.
— Tu leur as pas dit ? s'étonne-t-elle. Ses parents sont absents ce week-end, et ils lui ont donné l'autorisation de faire une soirée.
— T'es dingue ? s'énerve Marjorie. Les secondes sont pas invités !
— Bah ton frère est bien en seconde, non ? Or il sera là, que je sache !
La girafe à frange lève les yeux au ciel en entendant ça.
— Premièrement, Mattéo n'est pas mon frère. Deuxièmement, évidemment qu'il sera là, puisqu'il y habite, je te signale ! Et troisièmement, même s'il est présent physiquement vous le verrez pas : le connaissant, il va passer la soirée enfermé dans sa chambre à jouer à ses jeux vidéo débiles.
— Sauf si deux élèves de sa classe sont présentes ! Si elles viennent, il fera sûrement un effort : il les laissera pas en plan, c'est pas son genre.
— Euh, les filles, intervient Sarah. Je vous arrête tout de suite ! Mes parents voudront jamais que j'aille à une fête comme ça, au dernier moment...
— Et toi, Nathalie ? m'interroge Cat. Ta mère a l'air plutôt cool, je suis sûre qu'elle dirait oui !
Je n'ai pas assisté à beaucoup de fêtes de ma vie. Du moins, pas sans y être accompagnée par Aurore. J'admets cela dit que l'idée de passer la soirée avec Mattéo me paraît très attrayante ; mais sans le soutien de Sarah, ça ressemble juste à une mission impossible !
— Euh... Non, je pense pas qu'elle sera d'accord, je mens.
— Hum ! J'ai du mal à croire ça, réplique la blonde d'un ton catégorique. Allons lui poser la question !
Joignant le geste à la parole, elle se lève puis nous entraîne jusqu'au salon, au rez-de-chaussée, avant de parler de cette stupide fête à ma mère. Laquelle, à la surprise générale — enfin, surtout la mienne, visiblement — accepte sans aucune hésitation.
— T'es sûre, maman ? j'interviens. Je veux dire, c'est une fête pour lycéens plus âgés...
— Oui, et ? Tu seras avec tes amies.
— Mais il y aura probablement de l'alcool ! Pas vrai, Marjorie ?
J'ai bien compris que cette dernière n'était pas particulièrement enchantée à l'idée de me voir m'incruster à sa soirée, donc je compte sur son soutien implicite. Elle semble comprendre immédiatement où je veux en venir car elle surenchérit :
— Ouais, y'aura carrément de l'alcool, Mme Trombière. Et peut-être même de la beuh.
Cat lui fait les gros yeux en entendant ça mais, à notre grand désarroi, cet avertissement n'effraie pas le moins du monde ma mère, qui nous rit simplement au nez.
— Oh, et alors ? J'ai été jeune, moi aussi, vous savez, je sais ce que c'est ! Et puis, j'ai entièrement confiance en Nathalie pour ne rien faire de stupide.
Nous la dévisageons toutes les quatre, bouche bée. Sans le savoir, ma génitrice vient probablement d'obtenir la réputation de "mère la plus cool du monde" en l'espace de quelques secondes.
C'est à ce moment-là que l'alarme mise par Catherine sur son téléphone sonne, me rappelant que j'ai toujours une crème pâteuse en guise de moustache. Je porte machinalement la main à ma bouche au moment où la blonde s'exclame :
— Ah, la décoloration, c'est vrai ! Vite, allons rincer !
Tandis que je m'exécute dans la salle de bain, elle profite que nous soyons seule pour me dire :
— T'en fais pas Nat, j'étais très sérieuse tout-à-l'heure. Je vais te rendre tellement canon que Mattéo pourra pas te résister !
Je déglutis en contemplant mon reflet dans le miroir, commençant sérieusement à angoisser en songeant à cette soirée. Sauf que, face au sourire rayonnant de Cat, ma mâchoire reste paralysée et je ne parviens pas à formuler la moindre objection.
Me voilà donc condamnée, moi, la timide et banale Nathalie, à assister à une fête dans la maison du garçon que j'aime. Or, sans que je parvienne à me l'expliquer, j'ai un mauvais pressentiment...
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Fiouuuu, je poste tard aujourd'hui, mais bon je ne suis pas à la bourre au moins ! 😅
Deuxième partie sur le relooking de Nathalie ! J'espère qu'elle vous aura plu. Je ne sais pas si ça se sent à la lecture, mais j'ai bien galéré à l'écrire, donc je suis contente d'en être venue à bout. Je pense que cette scène mérite d'être retravaillée lors de la réécriture, alors n'hésitez pas à me faire part de vos avis et suggestions pour l'améliorer. 👐
En tout cas, je suppose que vous avez deviné la musique que j'ai choisie pour ce chapitre : Destiny's Child — Bootylicious. 🎵
https://youtu.be/IyYnnUcgeMc
Fin du relooking de Nat dans le prochain chapitre, et début de la fameuse soirée chez Marjorie... A votre avis, que va-t-il se passer ? 😏
Sinon, "Banale !" a dépassé les 7k vues, et se rapproche petit à petit des 1k votes ! 😱 C'est assez dingue, j'ai du mal à réaliser... En tout cas, je vous remercie chaleureusement 💖Et je vous annonce que je prépare une petite surprise pour les 1k votes ! 😁 Il s'agira d'un chapitre bonus du pdv d'un personnage de "Banale !" autre que Nathalie. Mouhahaha !
En attendant, je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain ! 😘
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