27. La Cristina Cordula du lycée
A ma grande surprise, il s'avère que Sarah accueille favorablement la nouvelle lorsque je lui en parle, le lendemain, dans la cour de récréation. Sans trop savoir pourquoi, je me sens quelque peu désappointée quand, après m'avoir inspectée de haut en bas, elle déclare :
— Sérieusement, je pense que c'est une bonne idée. T'en as bien besoin.
J'ai conscience que mon style vestimentaire n'a rien de transcendant, cela dit j'avais espoir que mon amie s'oppose farouchement à ce relooking puisqu'il est orchestré par Marjorie.
— T'es contradictoire ! je m'emporte. C'est vrai, quoi, y'a deux jours tu me disais que je devais pas devenir une pétasse parce que je fréquentais une harpie, or maintenant ça te dérange pas qu'elle me relooke ?
— Bah, d'après ce que j'ai compris, c'est plutôt Catherines Jones qui va superviser les opérations, non ?
— Oui, et alors ?
— Meuf ! Catherine Jones est la fille la plus stylée que je connaisse.
J'hausse les épaules. En ce qui me concerne, j'ignorais qui c'était avant que Marjorie ne la mentionne, hier. Enfin, pour être exacte, j'avais entendu parler d'elle, sauf qu'il m'était impossible de mettre un visage sur ce nom. Joignant le geste à la parole, Sarah m'attrape par les épaules afin de me tourner en direction du groupe de Miléna et de ses amis, plus loin, vers les tables de ping-pong.
Assise sur l'une d'elles, les jambes lovées autour de Morgan, la grande brune s'adonne à tout autre chose que du tennis de table. On dirait qu'aucun des deux n'a tiré de leçon de la retenue d'hier, puisqu'ils sont lancés dans leur activité favorite, à savoir l'aspiration de glotte. A côté d'eux, la harpie discute avec deux autres filles, une rousse et une blonde. C'est sur la deuxième que mon amie attire mon attention, et je dois bien reconnaître qu'elle a une certaine classe.
La première chose que je remarque de là où je suis, c'est son imposante chevelure, composée de superbes boucles blondes. Je me demande amèrement quel est son secret pour avoir d'aussi beaux cheveux ; les miens sont seulement ondulés et j'ai déjà l'impression d'être un sac de noeuds ambulant !
Comme si sa crinière ne suffisait pas à capter les regards, sa propriétaire l'a coiffée d'un immense chapeau bordeau, le genre qui rendrait n'importe qui d'autre ridicule, mais qui, à elle, va à ravir. Son trench coat beige recouvre une jupe crayon lui arrivant mi-cuisse, ses collants opaques descendant jusqu'à des bottines assorties à son couvre-chef.
— Franchement, si c'est elle qui prend en charge ton relooking, j'ai aucun souci à me faire, elle saura s'occuper de toi, t'en fais pas !
J'avale ma salive.
— Oui, enfin, quand même..., je bredouille sans savoir quoi ajouter.
Sarah met les poings sur ses hanches.
— Quand même quoi ?
— Je... Je...
En vérité, je suis surtout morte de peur à l'idée de me retrouver seule en compagnie de Marjorie et Catherine. C'est pourquoi j'avais espoir que mon amie désapprouve cette histoire de relooking, qu'elle pousse une de ces beuglantes dont elle a le secret afin de m'en dissuader. Or, voilà qu'au contraire, elle m'y encourage !
— T'es à court d'arguments, hein ? T'as la trouille d'y aller toute seule, c'est ça ?
Je la regarde avec des yeux de merlans frits.
— Oui..., je dis d'une petite voix. Sarah, accompagne-moi, s'il te plaît !
— Pas sûre que ta nouvelle BFF approuve ma présence...
— Allons lui demander !
Sans réfléchir davantage, je l'entraîne par le bras vers le groupe des populaires.
— Quoi, là, maintenant ? Nat, je pense pas que ce soit une bonne idée...
Je refuse de me laisser démonter par les doutes, avançant d'un pas décidé. Pourtant, une fois devant eux, je sens la peur me paralyser la mâchoire. Je n'avais pas réalisé qu'ils étaient aussi nombreux, ni qu'il y avait autant de garçons. J'ai soudain très envie de faire demi-tour afin de prendre mes jambes à mon cou, sauf qu'entre-temps Miléna m'a aperçue. Celle-ci s'écarte légèrement de Morgan avant de s'exclamer :
— Tiens donc ! Ne serait-ce pas notre chère rebelle en herbe Nathalie ?
Comme à l'accoutumée, elle a parlé d'une voix très forte et tous les regards se sont posés automatiquement sur moi, me faisant virer écarlate. A la mention de mon prénom, la fameuse Catherine hausse un sourcil et demande :
— Oh ! C'est toi ma cliente de ce week-end ?
— Oui, c'est bien elle, intervient Marjorie. Catherine, voici Nathalie. Nathalie, je te présente Catherine, la Cristina Cordula du lycée.
Je vois les pupilles de la blonde s'agiter en tous sens tandis qu'elle me dévisage de la tête aux pieds, imaginant sans doute mille façons d'améliorer mon look.
— Et à côté d'elle, c'est Sarah, sa copine, ajoute la harpie d'un ton nettement moins enjoué.
— Salut, fait cette dernière, légèrement intimidée.
En vérité, une fois les premiers instants de curiosité passés, le reste du groupe s'est rapidement désintéressé de nous, tous étant retournés à leurs conversations/succions de bouches respectives.
— A ce propos, j'interviens après m'être râclée la gorge. Est-ce que c'est possible que Sarah nous accompagne, ce week-end ?
Marjorie fronce les sourcils d'un air désapprobateur ; alors qu'elle ouvre la bouche pour répliquer, Cat la devance en s'exclamant :
— Bien sûr que tu peux venir ! Ce sera beaucoup plus amusant. Et puis, j'aime ton style !
Mon amie semble particulièrement flattée d'avoir été complimentée par son idole en personne. La harpie, elle, lève les yeux au ciel, exaspérée.
— Bon, ben, voilà, c'est fixé, soupire-t-elle. On se voit samedi, Nat.
— J'ai hâte de jeter un oeil à ta garde-robe ! sourit Cat. Oublie pas de nous envoyer ton adresse !
— Euh... oui, je balbutie. A... à samedi.
— Ton adresse ? répète Sarah, interloquée, tandis que nous nous éloignons. Tu les as invitées chez toi ou elles se sont invitées toutes seules ?
Je n'ai même pas besoin de répondre ; il lui suffit de voir mon teint blême ainsi que mon air crispé pour comprendre. Autant vous dire que recevoir ces deux mannequins BCBG me terrifie ! Inviter des gens chez soit c'est... quelque chose d'intime !
Donc quand je pense que Cat et Marjorie vont entrer dans ma chambre, inspecter chaque recoin de cette pièce ridicule, glousser face à la garde-robe la plus terne de l'univers... Enfin, ça encore, ce n'est pas le pire. Non, ma grosse angoisse, c'est de me dire que nous ne pourrons pas échapper à mes parents !
Lorsque le jour J tant redouté arrive, ma mère frétille littéralement d'impatience, toute heureuse de recevoir chez elle mes "amies du lycée". En temps normal, le samedi est une journée particulièrement pépouze, chez les Trombière. Ma génitrice se prélasse habituellement en jogging sur le canapé, tel un phoque affalé devant Netflix. Mon père, lui, bricole au garage ; mon frère squatte souvent chez des voisins ; quant à moi, je reste enfermée dans ma chambre à lire ou à jouer aux Sims. Une famille pantouflarde tristement ordinaire, en somme.
Sauf qu'aujourd'hui, ma mère a complètement délaissé aussi bien son vieux jogging que sa télé ; après avoir astiqué la maison de fond en comble, elle a sorti ses vêtements classes du placard, et est actuellement en train de se refaire une beauté face au miroir de l'entrée. Vincent a refusé les invitations de ses copains, surexcité à l'idée de rencontrer trois "jolies lycéennes". Moi, je me suis levée tôt exprès afin de ranger et nettoyer ma chambre. Seul mon père est resté fidèle à lui-même, expatrié au garage.
— Bon, maman... Récapitulons les règles. Numéro une : pas d'anecdotes gênantes. Je refuse que t'ailles raconter que j'ai fait de la rétention de caca l'année de mes cinq ans ou n'importe quel autre souvenir douteux ! Numéro deux... Pas d'allusions graveleuses au sujet des garçons ou de la sexualité ! Oh, pas la peine de me faire les gros yeux, tu sais que t'adores parler de ça. Numéro trois... M'appelle pas "Lalie" ! Je veux pas que ce surnom s'ébruite au lycée.
— Mais...
— Chut, j'ai pas terminé ! Règle numéro quatre, et j'y tiens beaucoup... Si tu vas aux toilettes, laisse pas la porte grande ouverte, bordel de merde !
Mon interlocutrice pousse un long soupir d'exaspération en entendant ça.
— Oh, pas la peine de faire cette tête ! je la sermonne. Tu sais parfaitement que t'oublies de la fermer à chaque fois. Maintenant, promets de respecter ces règles.
Notre discussion est interrompue par le bruit de la sonnette. Elle fait aussitôt mine de vouloir aller ouvrir la porte, sauf que je la retiens.
— Je suis sérieuse. Pro-mets.
— Oui, oui, très bien, c'est promis ! C'est bon, t'es contente ? Allez, dépêchons-nous d'ouvrir à tes copines !
Elle a dit ça en se frottant les mains, ce qui décidément n'augure rien de bon.
La première arrivée n'est autre que Sarah : je lis immédiatement la déception sur le visage de mon cadet en la voyant. Ma mère, elle, est toute enthousiaste : elle ne la lâche pas d'une semelle, lui posant une myriade de questions à propos de sa famille et de ses centres d'intérêt... Je décide d'intervenir, le rouge aux joues, lorsqu'elle se met à lui demander :
— Sinon, il y a des garçons mignons dans votre classe ?
Hop, en même pas cinq minutes, effraction à la règle numéro deux.
— Fiche-lui la paix !
— Fais pas attention, glousse ma génitrice, Lalie est systématiquement gênée quand on aborde ce sujet !
Exit la règle numéro trois.
— Euh..., balbutie mon amie. Il y en a quelques uns, oui.
Après m'avoir jeté un regard en coin, elle ajoute en souriant :
— Enfin, un, surtout. Mattéo, notre délégué. Je crois qu'il plaît à Nathalie.
Je dévisage Sarah, bouche bée, n'en revenant pas qu'elle ait osé me trahir aussi lâchement.
— Ha-ha ! J'en étais sûre ! s'écrie ma mère en tapant son poing contre la table de la cuisine. Elle voulait rien me dire, mais j'avais deviné qu'un garçon lui faisait tourner la tête, ces temps-ci ! Ce genre de chose n'échappe pas à l'instinct maternel !
L'instinct maternel ? Tu parles ! Si vous voulez mon avis, le seul instinct que cette fouineuse a, c'est celui de la commère sans-gêne !
— Mattéo, c'est son prénom, alors ! reprend ma génitrice avec des airs de conspiratrice. C'est donc à cause de lui que ma fille s'est enfin décidée à porter des lentilles ? C'est aussi la raison qui l'a motivée à se relooker ?
Bon sang, une vraie gamine ! J'hallucine ! C'est à se demander qui est l'adulte, ici !
Heureusement pour moi, notre discussion de plus en plus malaisante est interrompue par le bruit de la sonnette. La vision de Catherine et Marjorie semble convenir davantage à mon petit frère car celui-ci fait en sorte de toujours être dans les parages ; tantôt feignant de se chercher un verre d'eau, d'aller aux toilettes, ou encore de prendre un encas. Pendant ce temps, toutes deux ont droit au même interrogatoire que Sarah.
— C'est très anglo-saxon, ce nom de famille, "Jones"..., fait remarquer ma mère à Cat.
— C'est normal, mon père est anglais, à la base.
— Oh, intéressant ! Qu'est-ce qu'il pense du Brexit, du coup ?
— Maman ! Laisse-la tranquille ! je m'énerve.
— Et toi, Marjorie ? enchaîne-t-elle en m'ignorant royalement. Ils font quoi, tes parents, dans la vie ?
— Hum, Mme Trombière, sans vouloir vous vexer, si je commence à vous parler des histoires de ma famille, ça risque de prendre des heures. Vraiment, il y a matière à écrire un roman ! Mais en gros ils sont divorcés, ma mère vit à L.A. et mon père va bientôt se remarier.
Sarah et moi écarquillons de grands yeux.
— Quoi ? s'exclame-t-on. Elle vit à Los Angeles ?
La harpie hausse les épaules, feignant l'indifférence. Cela dit, je remarque son petit air fier tandis qu'elle remet ses cheveux en place.
— Oui, elle est styliste. On vivait à Paris, avant sa mutation. Elle pouvait plus me garder car elle est overbookée ! Du coup j'ai dû emménager avec mon père, sa fiancée, et Mattéo.
— Mattéo ? la reprend ma mère, le regard pétillant d'excitation.
Son regard glisse de moi à elle, un sourire entendu sur les lèvres.
— Je vois, je vois...
— Bon ! j'interviens avant que la conversation ne dérape complètement. Maman, on adore discuter avec toi, hein, mais on a plein de choses à faire et peu de temps devant nous, alors salut !
Joignant le geste à la parole, j'entraîne les trois autres en direction des escaliers.
— Allez, je leur chuchote, traînez pas, sinon elle va vous tenir la jambe toute la journée !
-----------
Encore une fois je dois couper un chapitre en deux à cause de sa longueur, pardonnez-moi ! 😇
J'espère qu'il vous a plu quand même ! Introduction d'un nouveau personnage (oui, encore un, ça devient la foire cette histoire, j'vous l'dis) : Catherine Jones, pour laquelle j'ai choisi Madonna — Vogue :
https://youtu.be/GuJQSAiODqI
Bref, j'espère que vous arrivez à suivre malgré toutes ces nouvelles têtes qui s'ajoutent à chaque fois. Si vous avez du mal je ferai un post HS pour récapituler un peu qui est qui.
N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre en commentaire, et à voter si vous avez aimé ! 😋 La semaine prochaine, Cat va passer à l'action et s'attaquer à notre chère Nathalie ! Avez-vous des attentes particulières ?
En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain ! 😚
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top