24. Chelous comme vous êtes
J'ai du mal à calmer les palpitations de mon coeur lorsque nous arrivons à proximité du McDonald sur lequel les autres ont jeté leur dévolu. Comme prévu, Mattéo nous y attend, adossé contre le mur, en train de pianoter sur son téléphone. Tandis que nous approchons, Miléna l'appelle par son prénom en faisant de grands signes.
Il relève aussitôt la tête sans m'apercevoir, car je me dissimule lâchement derrière la grande carrure de Morgan. Sauf que Marjorie ne cautionne pas mon petit manège et m'attrape par le cou afin de me faire sortir de ma cachette.
— Regarde qui on a trouvé ! lui lance-t-elle. Un petit agneau sans défense ne sachant pas où manger ! On pouvait pas la laisser toute seule, hein, Matti-chou ?
Le temps qu'elle finisse de parler, nous nous trouvons à son niveau. Le délégué me dévisage, s'abstenant de faire le moindre commentaire.
— Salut, Nathalie, se contente-t-il de dire d'un ton neutre.
— Sa... Salut, Mattéo, je bredouille en baissant la tête.
— Bon, traînons pas ici, je pète la dalle ! s'écrie aussitôt Miléna.
Marjorie approuve ces paroles, car elle passe ses bras derrière le couple puis les entraîne à l'intérieur du bâtiment afin de les éloigner de son presque-frère et moi. Je la vois se retourner subricitement avant de m'adresser un clin d'oeil très rapide. Mattéo ne semble pas vouloir rester seul en ma compagnie, car je le vois leur emboîter le pas un peu précipitamment.
Je ressens un pincement en coeur en le voyant si prompt à s'en aller, le regardant faire bêtement, sans bouger. S'apercevant que je ne le suis pas, il se retourne puis me dévisage d'un air surpris.
— Tu viens ?
Mes joues me brûlent et je me dépêche de le rattraper. Nous pénétrons dans le McDo côte à côte : nos épaules se frôlent à chaque pas, ce qui fait s'emballer mon coeur. Le fast-food est noir de monde, la quasi-totalité des bornes automatiques sont soit hors service soit prises d'assaut, ce qui nous décide à faire la queue au guichet, quelques mètres derrière les trois autres.
L'odeur de la friture réveille ma faim, déclenchant un long et bruyant gargouillement. Malgré le brouhaha ambiant, ça n'échappe pas à Mattéo qui se met à rire.
— Ben dis donc ! T'as pas pris de petit-dej ce matin ? me demande-t-il, un sourire taquin sur les lèvres.
Je suis tellement contente de l'entendre me parler à nouveau que j'en oublie d'être gênée.
— Euh... Non, j'ai pas eu le temps, je bredouille en rougissant.
En vérité, Marjorie m'a fait une scène en apprenant que je mangeais des céréales de supermarché bourrés de sucre. A tel point que ça m'a coupé tout appétit, sur le moment. Enfin, je décide de mettre cette histoire de côté pour me concentrer sur Mattéo.
— Tu... Tu me fais plus la tête ? je marmonne timidement.
Le délégué me dévisage d'un air étonné.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Depuis le Club Presse, j'avais l'impression que tu m'évitais... Comme si tu m'en voulais d'avoir dit du mal de Tricia à Marjorie.
Mattéo se gratte un sourcil, geste qu'il fait souvent lorsqu'il est nerveux ou mal à l'aise.
— Désolé si c'est l'impression que je t'ai donné... Non, je t'en ai pas voulu. Juste... J'avoue que ça m'a gonflé, sur le moment. Mais pas à cause de toi... C'est Marjorie. Elle peut être une véritable peste quand elle veut, crois-moi je sais de quoi je parle ! Or j'ai pas envie qu'elle s'en prenne à Tricia. D'ailleurs, je suis soulagé de voir que t'as fait la paix avec elle et Miléna.
— Euh... Oui. Miléna a appris ce qu'il s'était passé dans les vestiaires, et ça lui a fait... Plaisir, je crois.
— C'est complètement con de faire un truc pareil. Enfin, je parle surtout de la manière dont tu t'es faite choper. Qu'est-ce qui t'a pris ?
C'est la première fois depuis le Club Presse qu'il me regarde à nouveau droit dans les yeux, sauf que ça me met mal à l'aise et me fait baisser la tête.
— Je... Je sais pas. J'ai pas vraiment réfléchi. Je trouvais ça fou qu'on laisse de telles insultes sur le mur des vestiaires... C'est vrai quoi, si le lycée faisait correctement son travail, j'aurais pas eu besoin de faire ça !
J'ai dit ça sans réfléchir, réalisant que mon ton est particulièrement vindicatif. Alors que je me demande si ça ne va pas agacer Mattéo, celui-ci éclate de rire.
— Décidément ! Nathalie la justicière. Au moins, vu la façon dont t'as colorié le truc, ils vont être obligés de tout repeindre, et les insultes auront disparu pour de bon, grâce à toi. Mais bon, t'aurais pu être plus discrète. C'est dommage de se retrouver collée à cause de ça.
Je ne peux pas lui avouer que j'ai fait exprès de me faire prendre afin qu'on soit en retenue ensemble, ou il va réellement croire que je suis une stalkeuse tarée, donc je me contente d'hausser les épaules.
— Pas tant que ça..., je bredouille.
J'ai envie d'ajouter un truc du style : "Ça me permet d'être là, avec toi", sauf qu'évidemment, les mots restent coincés au fond de ma gorge.
— Après tout... Toi aussi t'es collé parce que t'as joué les justiciers... Pour... Pour moi..., je souffle.
Mattéo hausse un sourcil.
— Dis pas n'importe quoi. J'ai été collé parce que le prof est un connard psycho-rigide. Et à cause d'Ilyès, surtout.
— Quand... Quand même, j'insiste. Je voulais te remercier, d'avoir pris ma défense. Ça m'a fait... Très plaisir.
Je me sens rougir en disant ça et me mets à fixer mes chaussures afin de cacher mon malaise. Mattéo ne répond pas immédiatement, puis il finit par soupirer :
— C'était rien, t'inquiètes... Ilyès est...
Il se racle la gorge en me jetant un regard en coin avant de reprendre :
— J'adore ce type, okay ? Mais des fois, il peut être vraiment très con, et ça me fout hors de moi.
Il marque une pause en se passant nerveusement la main dans les cheveux, puis dit de manière presque inaudible :
— En vrai, j'ai entendu votre conversation, avec Sarah, l'autre jour, à l'infirmerie. Sur ta timidité, ce genre de trucs. J'ai bien vu que t'essayais de faire des efforts, ces derniers jours... Alors, sur le coup, quand Ilyès s'est mis à te vanner, ça m'a foutu en rogne.
Je me sens virer écarlate.
— Qu'est-ce que t'as entendu exactement, à l'infirmerie ? je demande, interdite.
— Euh... Bah... À peu près tout, avoue-t-il, mal à l'aise. Vous étiez en plein règlement de compte, j'ai pas osé vous interrompre. C'est comme ça que j'ai su pour l'histoire avec Miléna...
La file avance. Mattéo fait un pas de manière automatique ; moi, mes pieds refusent de bouger. Le délégué s'aperçoit de mon immobilisme et revient vers moi.
— Euh, Nat, ça va ? T'es super pâle... Me refais pas le coup de t'évanouir !
— Pitié, dis-moi que t'as emmené une pelle pour m'enterrer, là, tout de suite ! Je refuse de vivre une seconde de plus tellement je suis gênée.
Comment aurais-je pu me douter que, dès les premières minutes de notre relation, je m'étais déjà couverte de honte devant lui ?
— Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? dit-il en se mettant à rire. Arrête de dramatiser, y'a pas mort d'homme.
— Tu dois me prendre pour la fille la plus cheloue du monde..., je bredouille d'une voix plaintive.
— Je sais pas si ça va te rassurer, mais je t'ai considérée comme une fille cheloue à partir du moment où t'es tombée dans les pommes.
Malgré moi, cette réflexion me fait rire, et je sens ma tension s'évaporer.
— Après tout... C'est vrai que je suis un peu bizarre, parfois, je finis par admettre. Marjorie me l'a dit, elle aussi.
Nous nous remettons à avancer, reprenant une place dans la file d'attente. Les trois autres nous ayant distancés, ils sont désormais à moitié dissimulés par le reste des clients.
— Ouais. Honnêtement, je suis surpris de te voir fréquenter Marjorie. Votre relation a pas super bien débuté... Tu lui en veux pas ?
— C'était juste un malentendu... C'est... C'est passé, maintenant.
Le délégué plisse les yeux. Il fixe un moment Marjorie en train de rigoler avec Miléna et Morgan (enfin, surtout Morgan), au loin, et reste silencieux quelques instants, avant de reprendre :
— Méfie-toi malgré tout... J'aime beaucoup ma presque-soeur, seulement elle peut être légèrement... Tordue, parfois. La laisse pas t'entraîner dans ses délires, d'accord ?
Le délégué reste évasif mais je comprends aussitôt qu'il fait référence à la fixette de Marjorie sur la nourriture. Je repense à la scène à laquelle j'ai eu droit pour avoir osé boire un Coca à Burger King, et demande timidement :
— D'ailleurs... Comment ça se fait qu'elle a accepté de venir à McDo ?
— La réponse à ta question commence par "Mor" et finit par "gan", marmonne-t-il en haussant les épaules.
Devant mon air interloqué, il se reprend :
— Euh... Va pas répéter ça sur tous les toits, hein. Mais bon, quand Marjorie est avec lui, elle essaye de passer pour une fille... normale, et cool. Elle cache ses petites obsessions. Donc là, elle va se forcer à manger du fast-food, juste histoire de pas éveiller les soupçons.
— Comment elle va... gérer ça ? je demande en avalant ma salive.
— Plusieurs possibilités. Numéro une, elle va se faire vomir juste après avoir mangé. Numéro deux, elle va s'affamer tout le reste de la journée pour compenser. Numéro trois, elle va faire beaucoup de sport afin d'éliminer le repas.
Il dit ça presque nonchalamment, seulement je sens au son de sa voix que cette situation l'inquiète plus qu'il ne veut bien l'admettre.
— Ça fait longtemps... Qu'elle est comme ça ?
— J'en sais rien... Elle et moi, on s'est rencontrés que l'année dernière. Avant ça, elle vivait chez sa mère... Quand elle a débarqué, on s'en est pas rendus compte immédiatement... Mais elle avait déjà des troubles alimentaires.
Nous nous rapprochons de plus en plus du guichet, et croisons les trois autres, plateaux en main. Miléna et Morgan vont chercher des places où s'asseoir, suivis par Marjorie. Cette dernière s'arrête à notre hauteur, un sourire béat aux lèvres qui me semble particulièrement déplacé sur son visage de harpie.
— T'as pris quoi ? lui demande innocemment Mattéo.
— Une salade, évidemment.
Le délégué lève les yeux au ciel en l'entendant.
— On vient pas à McDo pour manger une salade, c'est débile !
— Autant limiter la casse, se justifie la harpie. D'ailleurs, Nathalie, c'est ce que t'as intérêt à prendre aussi !
Avant que j'aie le temps de répliquer, elle tourne les talons en s'empressant de rejoindre ses amis. Je me sens gênée qu'elle ait osé me dire ça devant son presque-frère. Je n'ai, cela dit, pas le temps d'y réfléchir davantage car c'est à notre tour de passer commande.
— Deux menus Maxi Best Of, s'il vous plaît, demande aussitôt Mattéo. Enfin, si ça te va ?
Je le dévisage de manière un peu perplexe.
— Mais Marjorie m'a dit...
— C'est à toi que j'ai posé la question, insiste-t-il, sans me laisser terminer ma phrase. Vu comme ton ventre gargouille, ça m'étonnerait qu'une pauvre salade de McDo te cale !
Je dévisage le délégué quelques instants, muette. L'hôtesse se racle la gorge afin de manifester son impatience.
— Euh... Okay, je bredouille. Un... Un Maxi Best Of pour moi aussi, s-s'il vous plaît.
Tandis qu'elle s'affaire sur notre commande, Mattéo prend la parole :
— Écoute, Nat. Marjorie a un vrai problème vis-à-vis de la nourriture, et je comprends bien le manège qu'elle a entrepris avec toi, depuis l'autre jour. Te laisse pas embarquer là-dedans. Je plaisante pas. Je te jure, c'est super important. Si tu commences... C'est pas évident de s'en débarrasser, après. Je dis pas que c'est pas bien de vouloir faire attention à son apparence, ce serait franchement hypocrite vu la société superficielle dans laquelle on vit, mais... Assure-toi que ça devienne pas une obsession. D'accord ?
— D'a... D'accord.
Et, devant le sourire chaleureux qu'il m'adresse, je me dis que je serais prête à avaler autant de Big Macs qu'il le souhaite, pourvu qu'il continue à me regarder de cette manière.
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Vous avez vu comme je suis ponctuelle aujourd'hui ?! *danse de la joie*
Grand retour de Mattéo ici, lequel était absent depuis le chapitre 18 mine de rien ! 😲 Je sais pas vous, mais à moi il m'avait manqué, j'aime beaucoup ce personnage, c'est mon petit chouchou. Il est tellement mignon à s'inquiéter pour tout le monde comme ça 😍 Aaah... *soupir*
Pour ce chapitre, j'ai choisi une musique qui passait à la radio quand je barbotais dans la piscine du camping de Las Vegas cet été (oui je suis clairement en train de me la raconter, mais je me nourris de vos larmes de jalousie 😎) : Alessia Cara — Scars to your beautiful. Je trouvais que les paroles et la vidéo collaient bien avec l'esprit de "Banale !".
https://youtu.be/MWASeaYuHZo
Voilà voilà... Suite des péripéties de Nat à McDo la semaine prochaine ! Des bisous ! 😚
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