21. Baston de boudins
En temps normal, les vestiaires représentent une véritable épreuve, pour moi. Je ne peux empêcher mes yeux de s'attarder sur les corps de mes camarades de classe, ayant du mal à refouler ma jalousie face à l'absence de bourrelet ou de cellulite... C'est souvent le pire quart d'heure de la journée car après ça, je me trouve souvent moche, grosse et repoussante.
En général, je passe ensuite l'heure de sport à maudire intérieurement ces filles minces aux fesses bien moulées dans leurs leggings branchés et flashy. C'est clair qu'en comparaison, mon vieux jogging Domyos effiloché fait pâle figure. Merci maman de ne pas avoir voulu m'en acheter un nouveau ! Et d'abord, depuis quand la mode s'intéresse-t-elle aux vêtements que l'on met pour transpirer ? Franchement, si c'est pas la preuve que notre monde part complètement en vrille...
Enfin, aujourd'hui, c'est différent. Les pensées négatives ne font qu'effleurer mon cerveau, tant je suis remontée contre Sarah. Une fois arrivée aux vestiaires, je ne prête même pas attention aux autres et fonce droit sur mon amie en criant son nom, mais celle-ci continue de m'ignorer royalement tout en enfilant sa tenue de sport. Ce vent monumental déclenche quelques gloussements parmi nos camarades.
— Regarde, on dirait qu'on a affaire à une dispute de boudins ! ricane Sandy en poussant Allison du coude.
— Moi, je mise sur le plus gras des deux, lui répond son interlocutrice, déclenchant l'hilarité de leur petit groupe de pétasses.
— Ouais. Go, Sarah ! On est derrière toi ! Baston de boudins ! Baston de boudins !
Mon amie pousse un long soupir d'exaspération avant de dire :
— Mêlez-vous de vos affaires, ça changera !
L'intervention de mon amie déclenche un long "ouh" général.
— Bah dis donc, c'est que notre gros boudin se rebelle, ironise Allison. Dommage que ta répartie soit planquée quelque part avec ton sens de la diététique.
Comme si elle avait balancé la vanne du siècle, elle conclut cette réplique en tapant dans la main de Sandy, laquelle n'a même pas dû comprendre le sens de ces mots au vu de son QI limité (ça se voit à son grand sourire niais).
— Oh, ta gueule, Allison, intervient Aya, une autre fille de notre classe un peu garçon manqué sur les bords.
— Elle a quelque chose à dire, la lécheuse de minous ?
— Ça suffit ! intervient Tricia. C'est homophobe, ça, Allison.
— Laisse tomber, meuf, fait Aya. Je préfère être lesbienne qu'avoir un prénom sorti tout droit d'une télé-réalité !
Cette dernière réplique sonne comme une déclaration de guerre, et voilà que les deux se mettent à se disputer en haussant le ton de plus en plus fort. Franchement, je décroche complètement de leur prise de bec, trop contente de voir l'attention générale se détacher de nous.
— C'était bien trouvé, ça, de la part d'Aya, marmonne Sarah. Je le pensais mais j'osais pas le dire.
— Ça y est, tu me fais plus la tête ? je demande, pleine d'espoirs.
Elle hausse les épaules.
— Je boude pas ! C'est juste que... Écoute, hier, c'était bizarre. Cette Marjorie, je la sens pas. C'est une vraie garce ! Je lui fais pas confiance.
— Je suis désolée, mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ?
— Ce que je veux, c'est que tu te mettes pas à devenir une pétasse parce que tu la fréquentes, c'est tout.
Je lève les yeux au ciel à cette idée. Moi, la petite Nathalie invisible et insignifiante, devenir une harpie parce que je fréquente une fille populaire ? On voit que Sarah ne connaît pas bien l'auteure... Ce serait vraiment trop cliché si je faisais un truc pareil !
— Mais non, je soupire, t'inquiète pas ! Je resterai moi-même. Je veux pas devenir une girafe à frange bis.
— Vu ta taille, c'est sûr que ça arrivera pas, rétorque mon amie avec un sourire en coin, les poings sur les hanches.
J'ouvre de grands yeux et ma bouche se met à former un "o" ahuri.
— Han ! C'est trop méchant, ça !
— Tu l'as cherché, aussi.
Je me mets à rire malgré moi, bientôt suivie par Sarah. Notre attention se reporte sur la dispute des deux autres quand nous entendons nos camarades crier en choeur "Baston ! Baston !". Aya et Allison sont en train de se bousculer ainsi que se tirer les cheveux.
— Ouais ! Fais-lui mordre la poussière, Aya ! s'exclame mon amie, avant de lever le poing en l'air en rejoignant la clameur générale. Baston, baston !
J'admets que voir Aya mettre une raclée à Allison est un spectacle auquel j'aurais adoré assister... Sauf que c'est sans compter sur Tricia-la-balance, laquelle s'est empressée d'aller prévenir le prof, qui intervient rapidement afin de mettre fin à l'incident. Nous assistons au petit numéro de pleurnicheries d'une Allison prétendant avoir été sauvagement agressée.
En temps normal, personne n'aurait avalé une couleuvre aussi énorme... Seulement, il s'agit de M. Robert, or cet enseignant passe toujours tout aux jolies filles. C'est pourquoi il saute à pieds joints dans le panneau, et emmène uniquement Aya chez la CPE.
— C'est n'importe quoi, marmonne Sarah. Voilà que l'autre pétasse d'Allison s'en tire à bon compte... A croire que dans ce monde, tu t'en sors que si t'es mignonne !
— C'est exactement ça ! je réponds. Elle a tué votre enfant ? Vous êtes sûr ? Quand même, elle est trop belle pour aller en prison !
Malgré notre agacement, nous finissons par en rire ensemble.
— Au fait, me dit mon amie une fois que nous sommes calmées. Ça te va bien, les lentilles.
— Oh, elles se sont réconciliées ? nous interrompt Sandy en passant à côté de nous. Comme c'est attendrissant ! Mais ça veut dire qu'on aura pas de baston de boudins, alors ?
Sarah lève les yeux au ciel, sans répliquer pour autant, donc je décide de suivre sa ligne de conduite.
— En parlant de boudins, vous savez ce que j'ai entendu ? intervient Allison. Il paraît que notre salope-en-titre, Miléna Delval, a été prise en flagrant délit en train de coucher avec son mec ici, à l'intérieur du lycée !
Ce ragot est suivi des habituels airs consternés et autres exclamations de rigueur de la part de ses copines, lesquelles demandent des détails que je choisis d'éviter d'écouter, rougissant déjà jusqu'aux oreilles en entendant des bribes de leur conversation. Au bout de quelques minutes, Tricia ne peut s'empêcher d'y mettre son grain de sel :
— De toute façon, cette meuf est une vraie traînée, c'est bien connu.
— Tellement ! ricane Sandy. Faudra pas qu'elle vienne chialer si elle se fait violer un jour !
La séance de ragots est interrompue par le prof qui commence à nous appeler. La plupart des filles se dépêchent de sortir des vestiaires. Mon amie et moi nous apprêtons à les imiter quand je vois la meute d'Allison se jeter le fameux regard de celles qui préparent un mauvais coup. Retenant Sarah du bras, je lui fais signe de se rasseoir sur le banc afin d'observer discrètement la scène.
Après avoir fouillé son sac, l'un des sbires de la louve alpha en sort un marqueur noir indélébile. Allison s'en saisit, un sourire machiavélique sur les lèvres, puis se met à écrire sur le mur du vestiaire sous les pouffements de ses acolytes. Le manège dure une à deux minutes jusqu'à ce que le prof appelle les retardataires. Entendant ses pas dans le couloir, les filles se retournent précipitamment. Afin de masquer leur forfait, elles restent debouts devant la portion du mur qu'elles viennent de taguer, cachant l'arme du crime derrière leurs dos.
— Vous êtes prêtes ? Alors dépêchez-vous ! s'énerve M. Robert après avoir passé sa tête dans l'encadrement de la porte.
— Oui, monsieur ! répond le groupe d'Allison avec un air angélique.
Elles le suivent quelques instants après, si bien que Sarah et moi nous retrouvons seules. Nous allons immédiatement inspecter le chef d'oeuvre de nos camarades, pour voir qu'elles ont tapissé le mur d'insultes en tout genre à l'attention de Miléna. "Pétasse", "salope", "pute" et autres joyeusetés sans grande originalité...
— Pff, soupire Sarah. Je porte pas Miléna dans mon coeur, mais elle mérite pas ça.
Je serre les poings. Sans que je comprenne trop pourquoi, ça me met franchement en colère, sur le moment. Après tout, Miléna a été gentille avec moi, donc je me dis que si ça se trouve, les saloperies qu'on raconte sur elle sont juste issues de séances de ragots semblables à celle à laquelle je viens d'assister. Des rumeurs lancées par des pestes jalouses et mesquines qui ne réalisent pas la portée de ce qu'elles disent, racontant des mensonges à ses dépens...
Finalement, je me dis que je ne suis pas vraiment différente du groupe d'Allison. D'accord, je n'ai pas balancé de mensonges sur Miléna afin de lui nuire... N'empêche que j'ai moi aussi, à ma manière, contribué à sa mauvaise réputation. Je lui ai attiré des ennuis... Non pas par méchanceté, simplement par... lâcheté. Parce que je suis une petite idiote timide pas fichue d'ouvrir la bouche pour prendre sa défense.
— Allez, Nat, me dit Sarah, interrompant mes pensées. Le prof va finir par nous traîner d'ici par les oreilles si on attend encore.
Nous nous éloignons, lançant un dernier regard aux insultes sur le mur. Mes yeux glissent alors sur le marqueur noir, oublié sur le banc par ses propriétaires. Une idée se met à germer dans mon esprit.
— Vas-y sans moi, je dis en m'arrêtant. J'ai un truc à faire avant.
Je me saisis du marqueur puis le débouche de la même manière qu'on dégaine une arme à feu, déterminée.
— Que... Quoi ? s'exclame mon amie. Qu'est-ce que tu fabriques ? Nat, c'est une très mauvaise idée.
— Au contraire ! C'est une idée brillante ! Déjà, de un, ça rétablira la justice.
— En écrivant des insultes à ton tour ?
— Mais non ! Je vais simplement... Barrer celles qu'elles ont écrites, comme ça on les verra plus. Je sais pas si ce qu'on raconte sur Miléna est vrai ou faux, et franchement, je m'en tape. Seulement, voilà : avec moi elle a été sympa, or j'ai pas été fichue de lui rendre la pareille. Au contraire, même ! Donc je peux au moins faire ça pour elle. Tu vois ?
— Le prof va finir par arriver...
La réflexion de Sarah m'inspire un plan auquel je n'avais pas encore songé.
— Tant mieux s'il me surprend, je dis d'un ton affermi. En fait, assure-toi qu'il le fasse.
Sarah écarquille de grands yeux étonnés.
— Quoi ? Mais t'as perdu l'esprit ou bien ?
— Non, pas du tout ! En fait, je me dis que si je me fais prendre, je serais sûrement collée... Or, qui est en retenue mercredi ? Mattéo.
Je ponctue cette phrase en tapotant mon crâne de mon index, un sourire triomphant sur les lèvres. A ce moment-là, ça me semble être l'idée du siècle.
— C'est la chose la plus stupide que j'ai jamais entendue, oui ! s'écrie mon amie, excédée. Si tu veux traîner avec Mattéo, fais comme tout le monde et fréquente-le dans un cadre... normal !
— Qu'est-ce que la normalité, au fond ? je demande solennellement.
Devant le froncement de sourcils qu'elle m'adresse, je reprends d'un ton suppliant :
— S'il te plaît, Sarah. Je te demande pas de me tenir compagnie en retenue... Seulement... Juste, fais en sorte que Tricia me voie ou un truc du genre ?
Elle me lance un dernier regard désapprobateur avant de quitter le vestiaire sans insister davantage, me laissant seule. Je contemple une dernière fois les insultes défigurant ce mur blanc qui seront, bientôt, repeintes au marqueur noir.
— Bon, maintenant, à nous deux ! Que justice soit faîte !
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Et voilà la fin de ce chapitre coupé en deux ! Cette partie est légèrement plus longue que la précédente. J'ai bien rigolé en l'écrivant je dois dire, alors j'espère qu'il en sera de même pour vous ! 😁
Que pensez-vous de la réaction de Sarah ? Et de l'idée de Nat de vouloir écrire sur le mur pour faire justice à Miléna (et accessoirement se retrouver en retenue avec Mattéo) ?
J'ai écris le dernier paragraphe juste pour avoir un prétexte d'écouter "Paint it black" des Stones hehehe 😂
https://youtu.be/O4irXQhgMqg
Suite de cet épisode lors du prochain chapitre 😈 Je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain 😚
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