20. Tapé dans l'œil ?

Le lendemain matin, angoissée à l'idée de croiser une Sarah qui n'a répondu à aucun de mes SMS suite à l'épisode "Burger King", je fais exprès de traîner les pieds pour arriver en retard en cours.

— Mais bon sang, Lalie, dépêche-toi ! me crie mon petit frère.

Il se met à me secouer (littéralement) sur ma chaise, me faisant renverser le lait ainsi que les céréales se trouvant dans ma cuillère. Plutôt que de m'énerver comme à l'accoutumée, je me contente d'articuler lentement :

— Bon, je vais devoir nettoyer, du coup.

Et, toujours au ralenti, je me lève de ma chaise puis me dirige à pas de tortue en direction du sopalin. Vincent se mord la main afin d'étouffer un cri de rage.

— Arrête de le faire exprès ! fulmine-t-il. Je vais tout dire à maman !

Joignant le geste à la parole, je l'entends s'éloigner en appelant notre génitrice, laquelle débarque quelques minutes après, tandis que je suis en train d'éponger la bêtise de mon cadet.

— Lalie, arrête d'énerver ton frère ! me gronde-t-elle.

— Pourquoi il est si pressé ce matin ? je demande en feignant de bailler. D'habitude, c'est lui qui traîne des pieds.

— Je soupçonne qu'il a rendez-vous avec son amoureuse..., me répond nonchalamment ma mère en haussant les épaules.

J'avale difficilement mes céréales après avoir entendu ça. Je jette un coup d'oeil à Vincent, lequel a viré écarlate suite aux propos de notre mère. C'est donc vrai ! Alors même mon frangin aurait réussi là où j'échoue continuellement ? Et à onze ans en plus ? Une telle révélation m'écoeure carrément, me faisant délaisser mon bol de Coco Pops.

— Tu comptes mettre tes lentilles, ce matin ? s'enquit mon petit frère.

Mes yeux passent des siens à ceux de ma mère, et ce que j'y vois me fait très bien comprendre que secrètement, ils espèrent entendre une réponse négative. J'imagine qu'à ce moment-là, nous avons tous en mémoire la scène catastrophique de la veille où, après avoir désespérément contemplé la boîte de lentilles pendant plusieurs minutes, je me suis décidée à essayer de les mettre...

J'ai laborieusement tenté de les attraper afin de les coller sur mon oeil, comme me l'a expliqué l'opticien, sauf que celles-ci n'ont jamais voulu se fixer. M'échappant sans cesse, l'une a terminé dans l'évacuation du lavabo, tandis que l'autre s'est perdue quelque part sur le carrelage de notre salle de bain.

C'est pourquoi, les yeux rougis de larmes ainsi que d'irritation, cette laborieuse tentative s'est achevée sur trois crises de nerf "façon Trombière" consécutives : la mienne, puis celle de ma mère qui n'arrivait pas à me calmer, toutes deux suivies de mon père que l'on empêchait de dormir. Bref, on aurait dit un asile de fous, ce qui explique que mon frère cadet et ma génitrice me dévisagent actuellement avec ce regard signifiant "Pitié Lalie ne retente pas".

Pourtant, en dépit de leurs supplications muettes, je décide de réessayer ce matin-là ; d'une part car Marjorie me tuera si je débarque sans mes lentilles, et d'une autre car je me dis que c'est une bonne manière de tous nous retarder. Sans que je comprenne trop pourquoi, cela dit, je parviens dès la troisième tentative à fixer mes lentilles à mes pupilles. Je contemple longuement mon reflet, quelque peu étonnée. Bon, il est clair qu'un miracle ne s'est toujours pas produit, et qu'elles ne changent en rien mon visage rondouillard, mon nez à fessiers ou mes cheveux incoiffables.

Pourtant, j'ai quand même l'impression qu'un léger changement s'est produit, comme si je redécouvrais mon visage. Mes yeux, d'habitude rétrécis par les verres épais de mes lunettes, me paraissent soudain plus grands, plus brillants, et mon regard plus pétillant. Je me surprends d'ailleurs à sourire à mon reflet, bientôt interrompue par mon petit frère :

— Bon, t'as fini de t'admirer ? On va être à la bourre avec tes coquetteries !

Vincent a brisé le charme : la jeune fille que je vois dans le miroir me semble soudain bien ordinaire... Pire : ma vision étant affûtée par les lentilles, je remarque plein de nouveaux défauts sur ma peau, auxquels je ne faisais pas attention d'habitude. Dégoûtée, je rejoins précipitamment mon cadet à la voiture.

Je me sens particulièrement vulnérable en arrivant au lycée. Mes lunettes agissaient un peu tel un bouclier, me protégeant de la dureté du monde extérieur. Cachée derrière mes deux énormes verres, c'était une barrière supplémentaire entre les autres et moi, une frontière qu'ils ne pouvaient pas vraiment franchir, une cape d'invisibilité dissimulant mes émotions. Sans elles, j'éprouve la désagréable sensation d'être mise à nue... Franchement, c'est simple : sur le moment, j'ai l'impression d'avoir oublié d'enfiler mon pantalon.

Pourtant, je ne me sens pas particulièrement dévisagée. En fait, tout le monde semble se ficher de moi ainsi que de mes lentilles comme de leur première chaussette. Je ne sais pas trop ce que je m'imaginais, au juste... Que tous les élèves allaient se retourner sur mon passage pour m'applaudir ? Qu'on me déroulerait le tapis rouge ? Que j'aurais droit à une ola ?

Décidément, Nathalie, des fois, t'es grave.

Malgré mes machinations afin d'être aussi lente que possible, la sonnerie ne retentit qu'au moment où je franchis la porte de la salle de classe. Je ne peux m'empêcher de chercher Sarah des yeux ; nos regards se croisent pendant une fraction de seconde, puis elle détourne aussitôt la tête avant de dire quelque chose à Mattéo, déclenchant leur hilarité à tous les deux.

Bien que je meurs d'envie d'aller la voir et de résoudre notre problème, cette vision m'arrête net. Sans que je ne sache trop me l'expliquer, ça me met hors de moi ! D'ailleurs, une petite part de mon être se met à penser qu'elle a fait exprès pour me rendre jalouse. Rageuse, je me dirige vers ma place habituelle puis commence à sortir mes affaires quand j'entends Adam me dire d'un ton guilleret :

— Salut, Nathalie !

Je m'arrête en plein milieu de mon geste puis le dévisage d'un air étonné. Non, vous ne rêvez pas : j'ai effectivement écrit les mots "Adam" et "guilleret" dans la même phrase, sans que ce soit une antithèse !

— Euh... Salut, Adam, je réponds d'un air hébété.

Le boutonneux m'adresse un grand sourire.

— Ça va, aujourd'hui ?

— Ça... ça va.

Je le dévisage, méfiante. Qu'est-ce qui lui prend, tout à coup ? Je ne le pensais pas capable de parler d'un ton si enjoué, ni même de sourire, et encore moins d'être... agréable.

— T'as mis des lentilles ? me demande-t-il distraitement tandis que je m'asseois.

En plus, il a fait suffisamment attention à moi pour remarquer ça. C'est pas possible, il doit encore s'agir d'un rêve ! Je me pince discrètement, ce qui m'arrache un grimace car non, il s'avère qu'aussi improbable que ça puisse paraître, cette scène est parfaitement réelle.

— Euh... oui, je marmonne.

— Ça te va bien !

Mes joues se mettent à me brûler sous ce compliment.

— Mais, mais... Vous êtes qui, au juste ? je finis par laisser échapper.

Il hausse les sourcils.

— Pardon ?

— Qu'avez-vous fait de mon voisin de classe ? j'enchaine. Vous êtes sûrement un alien, vous ne pouvez pas être Adam ! Je vous trouve beaucoup trop sympathique.

Mon voisin de classe se rembrunit aussitôt. Retrouvant son air boudeur habituel, il se contente de marmonner en guise de réponse :

— Bah non, c'est juste que ça m'arrive d'être de bonne humeur, comme tout le monde.

J'ai bien envie de répliquer qu'à mes yeux, "Adam" et "bonne humeur" sont deux termes diamétralement opposés, sauf que le professeur entre dans la salle, interrompant notre discussion. Tandis que nous nous levons pour saluer, je jette un coup d'oeil à mon voisin de classe, réalisant que celui-ci était déjà en train de me regarder. Je détourne aussitôt les yeux en me sentant virer écarlate. Décidément, voilà une matinée des plus surréalistes. Qu'est-ce qui lui prend, au juste ?

D'un geste automatique, j'approche ma main de l'endroit où se trouvent habituellement mes lunettes dans le but de les réajuster, geste que je fais afin de cacher ma nervosité, mais ne rencontre que le vide. Je me demande soudainement si ce n'est pas la raison pour laquelle Adam s'est montré si gentil, ce matin. Est-ce qu'il me trouverait... mignonne ? Se pourrait-il que je lui ai tapé dans l'oeil et qu'il cherche à me... plaire ? Cette idée me fait rougir encore davantage... Cela dit, je dois admettre que c'est plutôt flatteur. Ce serait bien la première fois que ça m'arrive !

Mettant de côté le comportement bizarre de mon voisin, je cherche à capter l'attention de Sarah durant le reste de l'heure, seulement l'agencement du plan de classe ne m'aide absolument pas en ce sens. De plus, il semble que mon amie fasse tout pour éviter de tourner la tête vers moi. Je me dépêche de ranger mes affaires quand la sonnerie annonçant la fin de la première période retentit, sous le regard étonné d'Adam qui laisse échapper un sifflement.

— Ben dis donc ! C'est la première fois que je te vois ranger tes affaires aussi vite, t'es pressée d'aller en tennis de table ?

— Euh..., je balbutie, essoufflée par ma précipitation à bourrer mon sac afin de pouvoir le fermer rapidement. Oui, c'est ça, j'adore le ping-pong !

Il ouvre la bouche pour répliquer, seulement je ne lui en laisse pas le temps et file droit vers la sortie, même si malheureusement Sarah m'a devancée. Bon sang, elle qui est toujours super lente, voilà qu'elle est devenue Speedy Gonzales. Mais ça ne se passera pas comme ça, oh que non ! Sarah Lafleur, je ne te laisserai pas m'esquiver une minute de plus ! 


--------

J'espère que vous allez bien ! 😁 Je suis désolée si ce chapitre vous semble un peu court, en vérité j'ai dû le couper en deux car il était vraiiiiiment trop long pour Wattpad. 

Alors, que pensez-vous de cette chère Nat pour son premier jour sans lunettes ? De l'attitude de Sarah qui l'évite ? Et surtout... Vos réactions suite au comportement des plus étranges d'Adam ? Nat lui plait-elle, selon vous ?  😲 

Enfin, quoiqu'il en soit, dans le doute, je vous mets un classique pour ce chapitre : Tommy James & The Shondells — Crimson and Clover !

https://youtu.be/S5eoH4-5z4w

Des bisous et à jeudi prochain pour la suite de ce chapitre ! 😘 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top