— Tu as fait quoi ?

Les cours sont terminés depuis une heure environ et Sarah a voulu m'accompagner chercher mes lentilles à Euralille, le centre commercial Lillois. Suite à quoi, en bonne grosses que nous sommes, nous n'avons pas pu résister à l'appel du Burger King. J'en ai donc profité pour évoquer le pacte démoniaque scellé plus tôt avec Marjorie, lui faisant recracher son Sprite par les narines.

— Laisse-moi récapituler, dit-elle en se massant les tempes. Cette fille te traite comme de la merde puis décide, on ne sait pourquoi, de devenir ton amie, et toi tu acceptes sans sourciller ? Ça va pas la tête Nat ou quoi ?

— Elle avait de bonnes raisons de m'en vouloir, aussi..., je bredouille en guise de justification.

— Alors là... j'hallucine ! T'es maso, en fait !

— Mais non ! Je suis pas débile ! Une harpie reste une harpie... Seulement, je te signale que cette harpie-là c'est genre la sœur de Mattéo, et que j'ai donc plutôt intérêt à ce qu'on s'entende bien ! Or, la voilà qui me propose de faire la paix... Comment j'étais supposée réagir ? Tu voulais que je lui crache au visage ?

— Et pourquoi pas ? Elle s'est pas gênée, elle, que je sache ! Écoute-moi, Nat. Les filles comme ça, je les connais trop bien. Si j'ai un conseil à te donner c'est de jamais lui faire confiance ! Elle fait pas ça par bonté d'âme, crois-moi, cette garce a sans doute une idée derrière la tête. Méfie-toi si tu veux pas te faire poignarder dans le dos.

J'aspire une gorgée de Coca à l'aide de ma paille tout en réfléchissant aux paroles de Sarah. Je me demande si elle ne serait pas légèrement jalouse de mon soudain rapprochement avec une fille populaire... Enfin, peu importe ses raisons, il y a quand même du vrai dans ce qu'elle dit. À moi aussi l'improbable changement de comportement de Marjorie m'a paru louche.

— C'est noté, je finis par soupirer. Je resterai sur mes gardes, promis.

— Bon, reprend mon amie d'un air malicieux. Du coup, à part ton pacte avec le démon, ça a été fructueux, ce Club Presse ? Mattéo-parlant, j'entends ?

— Pas vraiment, je grimace. J'ai l'impression qu'il m'en veut d'avoir parlé de Tricia à sa sœur...

— Qu'est-ce que t'entends par là ?

— Ben... après, quand il est revenu, il m'a quasiment pas adressé la parole... Il avait l'air... ailleurs, pensif. C'est d'autres gens du club qui m'ont expliqué ce qu'il y avait à savoir... J'ai même pas encore pu le remercier de m'avoir défendue devant tout le monde ! C'est peut-être un peu présomptueux ce que je vais dire, mais... J'avais l'impression qu'il... m'esquivait.

Sarah pousse un long soupir. Dépitée, elle ôte le couvercle de son gobelet puis se met à remuer les glaçons avec sa paille. Moi, je reprends une gorgée de mon soda et regarde distraitement mon téléphone qui vient de vibrer, m'attendant à lire un message d'Aurore. Vous comprendrez ma surprise lorsque je vois qu'il s'agit non pas de ma cousine, mais d'une certaine...

Marjorie :
C'est bien toi la petite grosse que je vois en train de siroter du Coca au Burger King en compagnie d'un cachalot ? 

Je manque m'étouffer avec ma boisson en lisant ça. Je lance aussitôt des coups d'oeil paniqués autour de moi, cherchant la girafe à frange du regard. D'accord, les probabilités pour que les Lillois se rendent à ce centre commercial en hiver sont assez élevées, mais quand même, la part paranoïaque de mon être se demande si elle ne m'a pas prise en filature.

— C'est qui ? me questionne Sarah. Ta cousine ?

— Euh... ouais, c'est ça, je mens.

— Elle raconte quoi ? Quelles sont les news in London ?

Mon amie tend la main afin d'attraper mon smartphone, alors je le plaque vivement contre ma poitrine. Hors de question qu'elle voit ce que Marjorie a écrit à son sujet !

— Rien... d'intéressant, je bafouille. Un truc fa... Familial.

— On t'a jamais dit que t'étais une terrible menteuse, Nat ? fait Sarah en haussant un sourcil. C'est pas ta cousine mais ta nouvelle copine Marjorie, c'est ça ?

— C'est pas exactement ma copine...

— Ah ouais ? Je trouve ça vexant, moi qui pensais que nous étions devenues des best friends forever.

Je sens littéralement une goutte de sueur couler le long de mon front en reconnaissant la voix de la harpie. Visiblement, la malédiction de Bloody Mar(jor)ie a encore frappé, car lorsque nous tournons la tête cette dernière se tient juste à côté de nous, nous toisant d'un air méprisant.

— En tout cas, enchaîne-t-elle en jetant des regards dégoûtés autour d'elle, je te remercie pas de me faire pénétrer dans ce temple du diabète et du cholestérol.

— Personne t'a demandé de venir, marmonne Sarah entre ses dents.

— Peut-être, seulement je m'y suis sentie obligée quand j'ai vu ce que Nathalie était en train de boire !

Sans me laisser le temps de répliquer, elle se saisit de mon verre pour aller le jeter à la poubelle.

— Hé ! je proteste. J'avais pas fini !

— Encore heureux ! rétorque Marjorie, tirant une chaise afin de s'asseoir entre Sarah et moi. Manquerait plus que ça ! Leçon numéro un quand on fait un régime : dire "non" aux sodas. Tu réalises la tonne de sucre qu'il y a là-dedans ? D'une manière générale tu dois bannir toutes les boissons ! Contente-toi de boire de l'eau. Au pire, si tu peux vraiment pas résister, prend au moins du light. C'est pas hyper healthy mais c'est mieux pour les kilos.

Tandis qu'elle nous balance son monologue de régimeuse, je vois Sarah qui, derrière elle, lève les yeux au ciel, remuant la bouche dans une imitation exagérément maniérée de la harpie. Je ne peux retenir un petit gloussement face à une telle vision, ce qui vexe Marjorie.

— Ça vous fait rire ? s'énerve-t-elle en fusillant Sarah du regard, comprenant qu'elle est à l'origine de mon amusement. Pourtant, tu ferais mieux de prendre ça au sérieux, toi aussi. Ton docteur t'a jamais dit que l'obésité réduisait ta durée de vie ?

— Tu penses que ton mode de vie est plus sain, à compter les calories et à te priver en permanence ? Je me demande qui de nous deux est réellement malade...

— Excuse-moi, je vois pas en quoi faire attention à sa santé serait une mauvaise chose... !

— Euh... bon..., je dis en me raclant la gorge, cherchant à calmer le jeu avant que ça ne dégénère.

— Essaye pas de te donner un genre, réplique Sarah sans me prêter attention. Si tu fais ça, ça n'a rien à voir avec ta santé, c'est pour ton apparence ! T'es juste une meuf superficielle...

— Je te demande pardon ? T'es qui, en fait, pour me juger sans me connaître ?

— Non mais je rêve ! s'exclame mon amie. C'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Je suis sûre que tu passes ton temps à juger les gens, toi ! Ose me regarder en face et me dire que t'as pas pensé un truc du style "Qu'est-ce qu'elle fout dans un fast food cette baleine ? Elle se dit pas qu'elle devrait arrêter les frais" ?

A ces mots, je vois les lèvres de Marjorie s'étirer en un sourire venimeux.

— Et bien justement, puisque t'en parles..., commence-t-elle en se saisissant de son téléphone.

Sentant la catastrophe arriver, je tends le bras devant moi afin d'arrêter la harpie. Sauf que, dans ma panique, je renverse le Sprite de Sarah, lequel se déverse sur la table en éclaboussant la robe de mon amie.

— Bon sang, Nathalie ! s'écrie-t-elle. Ça va pas ?

— Désolée..., je bredouille en relevant rapidement le gobelet, utilisant les serviettes pour éponger la table. J'ai pas fait...

— Ouais, c'est bon, laisse tomber, me coupe-t-elle. De toute façon, j'en ai ma claque, je rentre chez moi. J'ai entendu assez de conneries pour aujourd'hui !

Elle a ajouté ça en fusillant Marjorie du regard, laquelle lui adresse un sourire narquois.

— Sarah..., je tente de la retenir.

— J'ai dit : laisse tomber, Nat. On se voit demain.

Je me sens un peu coupable en la regardant partir, même si au fond ce n'est pas vraiment de ma faute si la harpie a décidé de s'incruster. Je me félicite quand même d'avoir réussi à mettre fin à leur discussion avant que ça ne parte trop loin.

— Dis donc, quel caractère de cochon, celle-là ! commente Marjorie, une fois qu'elle a disparu. C'est quoi, son nom ? Vous êtes amies depuis longtemps ?

— Elle... Elle s'appelle Sarah. Ça fait seulement quelques jours qu'on traîne ensemble...

— Je vois...

La harpie reste silencieuse un moment, plongée dans ses réflexions. Soudain, j'ai peur qu'elle me préconise de couper les ponts avec Sarah, qu'elle me dise que je ne dois pas fréquenter d'autres loseurs comme moi, ou quelque chose de semblable... Or, même si on ne se connait pas encore beaucoup, on s'entend bien, et je n'ai absolument pas envie de mettre fin à notre amitié.

— Si tu comptes me demander d'arrêter de la voir..., je commence timidement.

— Hein ? m'interrompt Marjorie. Pourquoi je te dirai un truc pareil ? Au contraire ! Je suis plutôt impressionnée par ton génie. Quand on est pas un canon de beauté, comme toi, avoir un faire-valoir, c'est la base.

— Un faire-valoir ? Qu'est-ce que... Tu veux dire ?

— Oui, prendre une amie moins jolie pour paraître plus belle, ou plus grosse pour sembler plus mince... Ce genre de truc. Je te pensais pas assez fourbe au point d'y songer de toi-même ! On va peut-être réussir à faire quelque chose de toi, finalement.

Alors elle s'imagine que je fréquente Sarah par intérêt ? Je suis tellement interloquée à cette idée que je ne songe même pas à la contredire. Non, tout ce que je trouve à répliquer, un peu bêtement, c'est :

— Donc ça veut dire que t'es le faire-valoir de Miléna ?

Je regrette immédiatement d'avoir parlé sans réfléchir quand je la vois se rembrunir. Ses sourcils se froncent, ses traits habituellement si gracieux se tordent, déformés par une haine pure et viscérale.

— Dis pas n'importe quoi ! me rabroue-t-elle sèchement. Miléna est pas assez intelligente pour raisonner de cette manière. Puis franchement elle a pas besoin d'utiliser un tel stratagème ! Les garçons la remarquent quoiqu'elle fasse. Y'a qu'à voir avec qui elle sort, la garce.

Je sens pointer comme une once de jalousie à travers ces propos, mais suis plus maligne que la fois précédente et garde ma réflexion pour moi.

— Il y a toujours une fille comme ça, dans notre entourage, reprend Marjorie d'un ton acerbe. C'est obligé. La meuf qui attire tous les regards vers elle, que tout le monde adore alors qu'elle a rien d'extraordinaire, et qui te vole en permanence la vedette ! T'en as forcément une, toi aussi, non ?

Malgré moi, ces paroles me touchent plus que je ne voudrais l'admettre, tant elles font écho à mes propres pensées vis-à-vis d'Aurore.

— Bah..., je bredouille, hésitante. Maintenant que tu le dis... Moi aussi, j'ai une Miléna.

A ces mots, je vois le regard de Marjorie s'illuminer. Ses lèvres s'étirent en un large sourire tandis qu'elle me demande en se penchant légèrement vers moi :

— Ah oui ? Ça m'intéresse... Dis-moi tout !

Voilà que, sans trop savoir pourquoi, je me mets à lui parler de ma cousine : à quel point elle est jolie, comment elle est toujours au centre de l'attention... Mon admiration teintée de jalousie se dévoile à chacun de mes mots, sans que je ne parvienne à arrêter l'écoulement de cette cascade de ressentiment.

Une fois rentrée chez moi, je repense à tout ça, et me demande pour quelle raison je me suis mise à raconter ma vie à Marjorie. Peut-être est-ce dû à son côté franc, ou encore à l'impression qu'au final, nous ne sommes pas si différentes, elle et moi. J'avais pourtant promis de ne pas faire confiance à cette harpie, or je lui lui ai livré mes pensées les plus intimes ! C'est sûr, quand elle saura ça, Sarah va me trucider sur place. 

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Et voilà, une petite battle : Sarah vs Marjorie ! Ce chapitre a été assez amusant à écrire pour moi, car c'était comme si deux parties de moi contradictoires se rencontraient... 

Et vous, vous êtes plutôt #TeamSarah ou #TeamMarjo ? 😁 Je pense qu'elles ont un peu raison toutes les deux, et que l'important c'est d'être heureux dans son corps, et en bonne santé ! 

Moi, je suis #TeamMika et la chanson pour ce chapitre est toute trouvée : "Big Girl (You are beautiful)" ! 

https://youtu.be/yDSK91mUNLU

N'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire, c'est toujours un plaisir de lire vos réactions, et/ou de voter si ça vous a plu ! 😆

Je vous fais des bisous et vous dis à jeudi prochain ! 😘

Edit. : Tiens, j'avais oublié mais j'ai gribouillé un truc qui ressemble vaguement à Nathalie. Ça fait longtemps que je n'ai pas dessiné, mais bon j'avais quand même envie de vous partager ça, donc voilà !