16. Baiser mentholé et maracas
— Des lentilles ?
Ma mère en laisse tomber la cuillère avec laquelle elle servait la salade. Mon père, quant à lui, tente vainement de dissimuler sa surprise en buvant une gorgée de bière. Seul Vincent, mon petit frère, ignore royalement notre conversation, trop occupé à dévorer sa part de quiche.
Mes parents me regardent d'un air interloqué. La quarantaine passée, Jeanne et Paul Trombière ont, vous vous en doutez vu qu'ils m'ont engendrée, des physiques plus que quelconques. Les cheveux bruns, une mâchoire un peu trop large ainsi que rondouillarde, un embonpoint bien installé qu'ils m'ont généreusement transmis, le tout sublimé par des yeux marrons caca. Bref, rien de suffisamment exceptionnel pour que leur description ne dépasse un paragraphe, vous ne m'en voudrez pas.
— Je ne suis pas sûre de comprendre, dit ma mère en se rasseyant. Ça va faire quatre mois qu'on t'entend dire haut et fort que tu n'iras jamais commander tes lentilles. Qu'est-ce qui te prend, tout à coup ?
— Rien de spécial, je mens en haussant les épaules. J'ai juste... changé d'avis. Tu devrais être contente, non ? Depuis que je suis revenue de l'ophtalmo, toi, tata Daphnée et Aurore n'arrêtez pas de me tanner à ce sujet. Bah voilà, je suis prête à essayer, maintenant, c'est tout. Pas de quoi en faire un fromage !
Ils échangent un regard entendu. Un sourire que je connais, à mon grand damn, trop bien, se dessine sur les lèvres de ma mère. Question intrusive dans trois, deux, un...
— Donc, fait-elle après avoir pris une bouchée de salade, tu es sûre qu'il n'y a pas une autre raison ?
— Oui, enchérit mon père, un motif particulier à ce changement de position ?
Je baisse la tête sur mon assiette avant qu'ils ne me voient rougir. Bon sang, ce qu'ils sont agaçants, quand ils veulent !
— Je vous dis que non ! je m'énerve en découpant rageusement ma quiche. Jusqu'à présent, j'avais peur... Se toucher les yeux, c'est pas naturel, j'vous signale !
— Oui, t'arrêtais pas de répéter que tu t'en fichais car tu pouvais pas te voir toi-même ! rajoute ma mère.
— C'est ça, elle racontait qu'elle voyait pas l'intérêt de souffrir pour être plus agréable aux yeux des autres, intervient Vincent.
Je le foudroie aussitôt du regard, puis lui donne un coup de pied sous la table.
— Aie ! crie-t-il. Pourquoi tu me frappes ?
— Lalie, n'embête pas ton frère ! s'interpose ma mère, toujours prompte à défendre son petit prince de fils.
Il ne pouvait pas continuer à mâchouiller son repas en silence, ce sale démon ? De même qu'Aurore, mon cadet semble appartenir à la branche familiale gâtée par les fées. Ses cheveux sont châtains clairs et, allez savoir d'où il les tient, mais il a hérité de beaux yeux verts qui illuminent son visage. Quand il sourit, ça lui donne un air charmeur capable de conquérir tous les coeurs à moins de cinq kilomètres à la ronde. Côté caractère, même là nous sommes assez différents : aussi sociable qu'extraverti, Vincent n'a aucun mal à se faire des amis, ce qui explique qu'il soit déjà devenu la coqueluche de sa classe de sixième.
C'est également l'un des seuls qui n'a pas hérité du trait génétique de l'obésité... Enfin, c'est probablement dû au fait qu'il pratique la gymnastique depuis trois ans. Il nous a d'ailleurs ramené plusieurs coupes, devenant de cette manière le petit chouchou de la famille. Bref, quand je le regarde, j'ai le vague sentiment de n'être qu'un brouillon raté.
— Moi, reprend ma génitrice, je pense qu'il y a un garçon, derrière tout ça.
Cette remarque laisse les deux autres pantois.
— Lalie est amoureuse ? s'exclame mon petit frère en ouvrant de grands yeux ronds.
— N'importe quoi ! Arrêtez de vous faire des films !
Sauf que ma vivacité à protester ainsi que mon ton agressif ne font que confirmer ces dires. Ils me regardent tous les trois avec un air moqueur.
— Mais oui, bien sûr, rétorque mon père d'un ton grinçant. On est à Hollywood ici, tu le savais pas encore ? On cherche un titre à notre prochaine création...
— "Nathalie Trombière a un petit-copain" ! rebondit Vincent. De la pure science-fiction !
Bordel, manquait plus qu'ils se mettent à faire des blagues débiles, ces deux-là ! C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Des larmes de rage me montent aux yeux, je me sens virer écarlate de colère, et ma putain de boule de chagrin se remet à obstruer ma gorge, m'empêchant d'articuler le moindre mot.
— Vous... êtes... vraiment... trop... cons ! je hoquette en me levant de table.
Je commence à me diriger vers les escaliers quand j'entends ma mère me rappeler :
— Nathalie ! On n'a pas fini de manger !
— Vous m'avez coupé l'appétit ! je vocifère.
— Oh, Lalie qui n'a pas faim ? L'heure est grave ! ironise mon père.
— L'apocalypse approche, c'est sûr ! acquiesce mon frère.
J'ai juste le temps d'entendre cette dernière remarque sarcastique avant de claquer la porte de ma chambre. Ce qu'ils sont stupides, quand ils s'y mettent, tous les trois ! J'aurais mieux fait de me taire !
Ne pouvant plus contenir mes larmes, je les laisse dégouliner le long de mes joues tandis que je me rends sur Facebook. J'admire une nouvelle fois le profil de Mattéo : la perfection de ses traits ainsi que le charme de son sourire suffisent à m'apaiser. Je repense à notre conversation après l'épisode "CPE", à ses compliments, et cela conforte mon choix de vouloir porter des lentilles. Ça m'est égal si mes parents se moquent de moi. J'estime que c'est un juste prix à payer pour conquérir le cœur du garçon que j'aime.
Je clique sur son nom afin de lui parler. Puis je me souviens de la scène s'étant déroulée plus tôt, dans le bus, ce qui m'arrache un soupir de désespoir. Alors que je me résous à quitter mon écran pour me morfondre sous ma couette, le son des conversations du réseau social m'arrête à mi-chemin. Je retourne sur mon PC, pleine d'espoirs... Mais suis déçue de voir qu'il s'agit juste de Sarah.
Sarah :
Coucou Nat ! Bien rentrée ?
T'as pas répondu à mon SMS ! Je m'inquiétais, moi
Comment ça s'est passé avec Mattéo ? 😁
Je n'ai vraiment, vraiment pas envie de repenser à ça, là, tout de suite. Ni même d'en parler à Sarah. C'est pourquoi je me contente de lui dire que je n'ai finalement pas eu le courage d'aller parler au délégué.
Sarah :
T'es sérieuse ? Nat tu chies dans la colle ! 😩
Dis-moi au moins que t'as demandé à tes parents pour les lentilles ?
Nat :
M'en parle pas...
Je lui raconte la scène du repas.
Sarah :
Ben dis donc, ça m'a l'air d'être des comiques, ta famille 🤔
Nat :
Ouais, de vrais clowns...
Sarah :
Bon, sinon, j'ai une nouvelle qu va te remonter le moral, je pense
J'ai trouvé un moyen de te faire passer du temps en compagnie de Mattéo !
Mais promets-moi de pas te dégonfler cette fois !!
Nat :
...
J'essaierai...
Sarah :
Fais-le ou ne le fais pas, il n'y a pas d'essai
Nat :
Stop citer Yoda vieille geek !!! 😣
Sarah :
T'es mon padawan je te signale, alors tu dois écouter ton Maître
Puis t'as compris la référence donc t'es une geek aussi
Nat :
Bon du coup c'est quoi ton super plan de la mort qui tue pour que Mattéo s'intéresse à moi ?
De la chirurgie esthétique ?
Des fortune cookies, comme ça j'échange mon corps avec Marjorie façon "Freaky Friday" ?
Sarah :
Dis pas de connerie ! Je pensais à un truc réaliste, moi
T'écris pas trop mal, non ?
Nat :
Je me débrouille... J'ai de bonnes notes en français
Sarah :
Figure-toi que notre cher délégué contribue au journal du lycée
Le lundi pendant la pause du midi au CDI
Donc, ma très chère Nathalie, à partir de la semaine prochaine
Tu vas te bouger le cul et t'inscrire au Club Presse ! 😝
Sur le moment, je reste coite en lisant ces mots, mais y réfléchis sérieusement en allant me coucher. C'est vrai que je ne m'intéresse pas au journalisme en temps normal, ce qui explique que je ne m'étais pas inscrite au Club Presse. D'autant plus que le journal du lycée n'est pas vraiment un gros truc à Charles de Secondat. Je pense honnêtement que, hormis ceux qui y contribuent, tous les élèves s'en foutent royalement... Cela dit, si Mattéo fait partie de l'équipe de rédaction, il gagne, en ce qui me concerne, un nouvel intérêt.
C'est sur cette dernière pensée que je m'endors, le sourire aux lèvres.
Tout est blanc autour de moi. Je vois Aurore me faire coucou. Valise à la main, elle saute, puis se volatilise. Je suis seule, à présent. Au loin, des notes de musiques me parviennent. Attirée, aimantée, je marche dans leur direction. Je reconnais les paroles de Blue eyes, ma chanson préférée de Mika.
♪ I'm talkin' bout blue eyes, blue eyes
What's the matter, matter ♪
Une silhouette. Je m'en approche. C'est un garçon. De dos. Torse-nu. Vêtu en... Hawaïenne ? Le jeune homme mystérieux se retourne, et je plonge dans le bleu de ses yeux. C'est Mattéo ! Il se met à danser, tout en jouant des maracas.
♪ Blue eyes, blue eyes
What's the matter matter ♪
Après avoir fait une chorégraphie bizarroïde, il se rapproche de moi. Jetant l'une de ses maracas, il attrape ma main, puis nous dansons ensemble. Je me sens quelque peu surprise d'y arriver, d'ailleurs, car d'habitude, je suis beaucoup trop pataude pour oser me déhancher de la sorte !
♪ Blue eyes, blue eyes
What's the matter with you ? ♪
Mais je n'ai pas le temps de me pencher davantage sur la question, car le délégué m'attrape doucement le menton, me faisant relever la tête afin de m'embrasser. Mon premier baiser ! Je ferme les paupières afin de savourer cet instant. Ses lèvres ont un délicieux goût mentholé.
Notre contact se brise. Le regard bleu de Mattéo m'attend lorsque je rouvre les yeux. Sauf que ce n'est plus son visage. Ni son corps. C'est Adam. Je fais un mouvement de recul, horrifiée, quand je réalise qu'il porte un smoking, et moi, une robe de mariée.
— Je vous déclare... Mari et femme ! tonne la voix de Sarah, laquelle se tient à côté de nous, vêtue en prêtre.
Je remarque que nous sommes devant un autel, à présent. Les élèves de notre classe, en tenue de cérémonie, lancent des acclamations.
Soudain, un cri de rapace retentit, me faisant relever la tête... Je vois alors une créature mi-aigle, mi-Marjorie me foncer dessus et m'attraper le crâne. La douleur de ses griffes pénétrant ma chair est si intense que je me réveille.
L'autel a disparu. Je suis dans ma chambre. Sur mon lit. Et la harpie qui me lacère le visage n'est autre que... mon chat.
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Et voilàààààààà un chapitre que j'avais hâte de publier ! 😁En vérité l'idée de ce rêve d'un Mattéo vêtu en Hawaïenne en train de jouer des maracas m'accompagne depuis un moment... Je n'osais pas vraiment le poster, c'est Anthea_Viki qui m'a convaincue de le faire 😘
Ce rêve faisait partie d'une des premières scènes que j'avais imaginées concernant cette histoire, en écoutant la musique de Mika, que je vous mets ici si vous voulez l'écouter (ce n'est pas le clip officiel car il n'y en a pas, mais je trouve que c'est trop bien fait) :
https://youtu.be/rr4JLM-BaME
Sinon j'ai oublié de le dire la dernière fois mais WTF ON A ATTEINT LES 2K VUES ! 😱 Alors franchement merciiiii à vous de me lire ça me fait très, très plaisir. 💖💖💖
J'aimerais bien faire un petit truc spécial pour célébrer ça, mais je suis à court d'idées je l'admets, alors si vous en avez, proposez-les en commentaires ! Ou sinon on s'en balec tous et on se contente de boire du Champomy, comme vous voulez ! 🥂
Des bisous et à jeudi prochain ! 😘
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