5. Les chuchotements
La nuit avait été agitée, ponctuée par l'absence de Léa dans la chambre. Les mots blessants qu'elle avait proférés avaient troublé mon sommeil, me laissant souffler doucement tandis que mes yeux erraient vers le plafond. Les souvenirs tumultueux de la journée tournaient en boucle dans mon esprit.
Malgré la confusion ambiante, une excitation croissante émergeait à l'idée de mon premier cours de danse. Je nourrissais l'espoir que cette classe apaiserait les turbulences des heures précédentes. Le lendemain arriva, apportant avec lui l'attente impatiente du premier cours tant désiré. La salle était animée par environ vingt-cinq élèves.
Déception légère en constatant que Seo-Ah ne partageait pas ma classe. Elle avait été assignée à la classe A2, tandis que j'étais en A1, l'école divisant la première année en quatre classes de vingt-cinq élèves chacune.
Les filles de ma classe discutaient bruyamment, formant des groupes déjà solidement établis. Mes tentatives pour m'approcher se heurtaient à des cercles apparemment hermétiques. Intégrer cette classe s'annonçait plus difficile que prévu.
Le silence s'installa lorsque Madame Larsen entra, sa canne frappant le sol en cadence, un regard perçant marquant chaque élève de sa présence imposante.
- Je suis votre professeure de danse classique, Mme Larsen, déclara-t-elle d'une voix calme mais imposante. Je m'attends à ce que vous arriviez dix minutes en avance pour vous étirer. Je vous prie d'installer le silence dans vos corps.
La salle de danse était vaste, miroirs couvrant un mur entier, barres de ballet alignées contre l'autre mur. L'atmosphère était empreinte d'excitation et de nervosité palpable. J'étais entourée d'autres élèves, chacun plongé dans ses pensées. Mon cœur battait rapidement en observant les danseurs et danseuses. Des doutes insidieux s'insinuaient dans mon esprit, mais en fixant mon reflet dans le miroir, je me lançais dans un monologue intérieur, tentant de me convaincre de ma propre valeur.
La musique commença, brisant mon monologue. Madame Larsen nous évaluait tour à tour, et bientôt, ce fut mon tour.
- Ruby, dit-elle d'une voix neutre.
Je m'avançai avec confiance, me parlant mentalement. Respire, Ruby. Tu as travaillé dur pour en arriver là. Ne laisse pas les commentaires cruels te définir. Montre-leur ta force et ta détermination à travers ta danse.
Mais alors que je m'exprimais intérieurement, des chuchotements perturbateurs s'élevèrent.
"Elle se prend pour qui ?"
"Je suis sûre qu'elle est nulle."
"Elle a été acceptée parce qu'elle est noire,"
Ces paroles circulaient, alimentant ma détermination à prouver ma valeur. Madame Larsen pressa la télécommande, et instantanément, une mélodie envoûtante emplit la pièce.
Mon corps se mit en mouvement avec une grâce presque surnaturelle. Chaque mouvement était un équilibre parfait entre danse, sauts aériens et élévations des pieds, exécutés avec une fluidité remarquable. La musique nous enveloppait de son pouvoir, et sous son emprise, le ruban que je tenais se déroula gracieusement, traçant des courbes d'une élégance inouïe.
Chacune de ses évolutions était un spectacle visuel captivant, captivant le regard de tous les spectateurs présents.
La musique s'éteignit, et je respirai légèrement, sentant mon cœur battre fort. Madame Larsen m'applaudit, un sourire léger étirant ses lèvres.
- Très bien, Ruby. Je vous mettrai dans la classe B1, un niveau au-dessus. Mais ne croyez pas que tout est acquis, déclara-t-elle sérieusement.
J'acquiesçai vivement, une lueur de satisfaction brillant dans mes yeux. J'avais réussi à faire taire les critiques.
- Les applaudissements étaient-ils vraiment nécessaires ? marmonna une fille à côté de moi avec un air dédaigneux.
- Bizarrement, je n'entends plus de moqueries, lui répondis-je d'un regard confiant.
Madame Larsen distribua nos emplois du temps de danse, et je me sentis fière de le tenir entre mes mains, prête à relever tous les défis à venir.
Les cours prirent fin, et il était temps de prendre nos douches. Alors que nous avions une pause de 2h30 pour nous laver, manger et nous préparer, je rassemblai mes affaires pour quitter la salle, déterminée à continuer à prouver ma valeur.
Alors que j'allais quitter la salle, une main se posa doucement sur mon épaule. Je me tournai pour faire face à Madame Larsen.
- J'ai entendu tout ce que les filles ont dit. Je vais être honnête, tu seras heurtée et confrontée à ce genre de méchanceté envers toi. Laisse-moi te dire de travailler encore plus dur. Ne te rabaisse jamais à leur niveau. Le silence est une arme puissante. La prochaine fois, ne leur réponds pas verbalement, mais réponds-leur avec ton succès.
Étonnée de recevoir ces conseils de Madame Larsen, une professeure réputée pour sa sévérité, j'acquiesçai d'un signe de tête, reconnaissante pour ses conseils inattendus. Je sortis de la salle de danse avec une nouvelle détermination.
Depuis ce conseil, j'avais doublé mes moments d'entraînement. Chaque matin à 4h, je partais courir dehors pour travailler mon endurance. Je fréquentais assidûment les salles de danse et visionnais des vidéos de performances de danseurs étoiles réputés pour reproduire leurs mouvements.
Chaque pas que je faisais et chaque mouvement que je réalisais étaient une affirmation de ma confiance retrouvée et de mon désir de réussir malgré les défis qui se dressaient devant moi.
Les mois s'écoulaient au sein de l'école, marquant un voyage constant vers l'amélioration, que ce soit dans le domaine académique ou artistique.
Chaque jour, je semblais gravir une marche de réussite, chaque note reflétant mon dévouement inébranlable.
Avec Seo-Ah, notre amitié avait fleuri, se transformant en un lien solide. Et contre toute attente, je m'étais faufilée dans les cœurs de quelques autres étudiants, malgré la présence de certaines âmes récalcitrantes qui semblaient résister à la diversité.
Le rythme de mes journées étudiantes s'apaisait, me procurant une gratification que je n'avais jamais ressentie. C'était jusqu'à cette rencontre, un moment qui allait briser cette tranquillité bien-aimée.
Évidemment, à ce moment-là, je n'avais pas la moindre idée à quel point cette interaction allait donner un tournant inattendu à mon expérience universitaire déjà enrichissante.
Une fois de plus devant cette maudite machine, j'introduisis la pièce, une impatience discrète me chatouillant.
Tout comme dans le passé, la bouteille semblait résister, refusant obstinément de quitter son repaire métallique. La soif me dévorait après un cours intensif avec Madame Larsen.
J'ai tambouriné la machine dans une tentative désespérée, mais ma force m'a trahi. J'étais exténuée, des heures d'entraînement intensif depuis l'aube avaient drainé toute mon énergie, et ce, avant même d'entamer la série de cours à 9h30.
Un soupir de frustration s'est échappé alors que je m'éloignais de la machine, les bras croisés, ma frustration grandissant. La question de savoir comment calmer ma soif m'obsédait.
C'est là qu'une présence familière a émergé, le jeune homme charmant qui avait déjà fait irruption dans ma routine. Cette fois-ci, il frappa la machine avec une confiance presque provocatrice, et la bouteille céda enfin à sa requête.
Au cours de cette nouvelle rencontre avec ce jeune homme, j'appris qu'il était un athlète de l'équipe de basketball. Un sourire espiègle fut échangé, suivi d'un échange rapide de paroles entre nous.
- Visiblement, cette machine ne te porte pas dans son cœur, dit-il en souriant.
- Je crois que tu as raison, répondis-je.
Un sourire timide s'esquissa sur mes lèvres, tandis que mes joues prirent une teinte rosée alors que je tentais d'ouvrir la bouteille. D'un geste galant, il la prit de ma main et l'ouvrit, me la tendant avec un sourire en coin.
- Apparemment, tu manques de force dans les bras, lança-t-il taquin.
La chaleur s'éleva sur mes joues, témoignant de mon embarras devant son regard pétillant.
- Avec tous les efforts que je déploie, c'est normal. Je me lève plus tôt que les autres pour m'entraîner, répondis-je, tentant de dissimuler mon léger embarras derrière une gorgée de boisson.
- Tu es courageuse, dit-il, sincérité teintée de respect.
- Eh oui, je n'ai pas vraiment le choix. Je dois me surpasser, répliquai-je.
- Et toi, dans quelle section sportive es-tu ? demandai-je, notant les éclats d'intérêt dans ses yeux, ajoutant une étincelle à notre conversation.
- Je suis dans l'équipe de basket. Ça te dit de sortir prendre l'air ? La chaleur est écrasante.
- Bonne idée ! Tu es en deuxième année, je suppose ? m'enquis-je, un sourire taquin se dessinant au coin de ses lèvres.
- Exactement.
À pas mesurés, nous nous dirigions vers l'extérieur, la chaleur du jour nous enveloppant d'une étreinte bienvenue.
- Oui, exactement. Et toi, en première année ?
La légèreté dans ses yeux indiquait que nous partagions une connexion spéciale. Un silence confortable s'installa brièvement, jusqu'à ce qu'il brise le calme.
- Sinon, comment tu t'appelles ? demanda-t-il, ravivant la conversation avec une curiosité sincère.
- Ruby. PATON Ruby. Et toi ? répondis-je.
- Teddy Nielsen. Un vrai nom de famille finlandais, le plus courant d'ailleurs, mais tu peux m'appeler Ted, dit-il avec un sourire en coin.
- Et moi, français ah ah ah. Même si ma mère est finlandaise, répliquai-je en riant légèrement.
- Oui, ta mère est finlandaise ? commenta-t-il, son intérêt pour ma famille renforçant notre échange.
- En effet, et mon père est français, originaire des îles de France. La Guadeloupe. Cela fait cinq ans que je suis en Finlande.
- Il y a probablement eu un choc culturel, en venant ici ?
- Oui, il y a un choc culturel assez marqué. En France, les étudiants se moquent un peu de ton origine, qu'elle soit noire, blanche ou jaune. Ce qui compte, c'est le feeling. Mais ici, en Finlande, les gens semblent plus hésitants lorsqu'ils voient une personne noire. Ou plutôt, lorsqu'ils me voient : moi !
- Ah oui, je comprends. J'ai vécu aux États-Unis, et là-bas aussi, les Américains sont assez ouverts. Les finlandais , en revanche, sont plutôt fermés d'esprit.
- Je l'avais remarqué. Je te vois souvent aller courir, ça serait bien qu'un jour on fasse du jogging ensemble.
- Ouais, ça serait cool.
***
Mais notre moment a été soudainement interrompu par l'arrivée d'Olivia. Son expression en disait long sur son inquiétude.
Olivia, la plus proche amie de Léa, s'avança vers nous avec assurance, ses cheveux courts ajoutant une touche garçonne à son apparence.
Mes yeux montèrent légèrement pour la contempler, tandis que ma taille, culminant à 1m57, me donnait l'impression d'être une modeste crevette entre ces deux imposants géants que sont Teddy et Olivia.
- Ted, si Léa te voit parler avec ce genre de fille, tu vas te faire tuer, a-t-elle prévenu, l'ombre de la préoccupation planant dans ses yeux.
- Écoute, on n'est plus ensemble depuis un an. Je parle avec qui je veux," répliqua Teddy avec assurance, montrant qu'il était prêt à défendre ses choix.
Portant en moi le désagréable souvenir de Léa, j'ai préféré me retirer en adressant un bref au revoir à Ryan. Même si son charme et sa beauté étaient indéniables, le souvenir de l'animosité que Violette avait manifestée à mon égard était encore trop vif dans ma mémoire.
Léa, cette fille à l'attitude excentrique et au pouvoir intimidant sur les autres. Elle décidait de ne plus aimer quelqu'un du jour au lendemain, et instantanément, cette personne se retrouvait ignorée par tous. Une véritable reine d'un royaume invisible.
Un régime de terreur subtil, une dictature à petite échelle.
La suite au prochain chapitre
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