Chapitre XXXII

— Mm, je me demandais, tu as choisi tes mots de sécurité ?

Hugo avala son aile de poulet avant de hocher la tête. Sous le regard interrogatif de Aaron, il expliqua :

— Si tout va bien, ce sera un simple vert. Si je veux faire une pause, Axelle, c'est le prénom de mon ex et... et si je veux arrêter, père.

Le roux hocha la tête, ne trouvant rien à ajouter, et finit son paquet de frites en regardant le film qu'ils avaient mis sur la télé après avoir été chercher leur repas au KFC. L'étudiant sourit et s'allongea en posant la tête sur ses cuisses musclées et délicieusement confortables.

— J'ai envie de jouer un truc...

— Quoi, demanda le brun en levant le regard vers lui.

— Mm... pourquoi pas... un duo ?

— Tu veux chanter avec moi ?!

Aaron rigola en caressant doucement les cheveux de son soumis qui avait écarquillé les yeux en entendant sa proposition. Hugo était un véritable livre ouvert, il était si facile de comprendre ce qu'il ressentait rien qu'en détaillant ses expressions. 

— Oui... Je suis, de Bigflo et Oli, qu'est-ce que tu en penses ? Pour la fin de tes trois heures de liberté, expliqua l'avocat. 

— Mmm... Je ne sais pas si ma voix va être géniale mais... pourquoi pas.

— Je suis sûr que ça le fera, je vais te filer les paroles et je te ferais signe quand tu devras chanter.

— Avec les mains sur le piano ?

— Avec ma tête, triple nouille, sourit le plus vieux.

Hugo leva les yeux au ciel avant de se redresser pour accompagner son compagnon qui allait s'asseoir sur le banc du piano. Ce dernier lui fit signe de s'asseoir près de lui tout en cherchant une feuille parmi ses partitions. Il sortit avec un sourire celle de Je suis et la posa sur le pupitre avant de demander en faisant les réglages de la caméra qui filmait ses mains sur le piano, assez basse pour masquer leur visage :

— Tu commences quand je te fais signe, ok ? Tu fais le premier couplet, puis moi le deuxième, et ainsi de suite… pour le "je suis", on sera ensemble... ça te va ?

Hugo hocha la tête et se concentra sur la feuille ainsi que le visage du roux. L'avocat sourit, alluma la caméra et commença à jouer les notes, se laissant lentement emporter par la mélodie. Quand ce fut le bon moment, il hocha la tête et son soumis commença à chanter d'une voix claire, accompagnée par sa voix à lui beaucoup plus basse et grave :

Je suis. 

Enfermé, à l'étroit dans ma cellule. Tous les jours le même café mais c'est le temps qui est soluble. Ces bonnes actions que l'on regrette. Ces erreurs que l'on refait. Au parloir je parle autant à mon fils qu'à mon reflet.

Je suis. 

Gelé, j'enchaîne les verres et les hivers. Pour se rassurer les passants doivent tous penser que l'on hiberne. Bercé par le son des pas et le bruit des pièces dans les poches. Entre ce type et mon chien, je me demande de qui j'suis le plus proche.

Je suis. 

Riche, ils veulent me faire croire que c'est une honte. Comme si j'étais responsable de toute la misère du monde. Moi j'dois rien à personne, même si l'argent vient à manquer. Ils veulent tous goûter au fruit de l'arbre que j'ai planté.

Je suis. 

Malade, mais j'préfère dire "futur soigné". Mes pupilles fixent l'aiguille de la montre qui brille sur mon poignet. À l'étroit dans mon corps, j'regarde le monde par le trou d'la serrure. Les gens diront que je n'ai fait qu'agrandir celui de la Sécu.

Je suis. 

Croyant, on me reproche souvent de l'être. On me reproche ma barbe pourtant j'ai la même que Jean Jaurès. On me compare à des barbares auxquels je n'ai jamais cru. Les mosquées sont trop petites alors parfois je prie dans la rue.

Je suis. 

Un peu perdu, mes p'tits poumons se remplissent d'air. Nouveau venu sur Terre. Mes premières larmes déclenchent celles de mon père. Une chance, auprès de ma famille je m'sens à ma place. Mais je n'oublie pas que j'aurais pu naître dans la chambre d'en face.

Je suis. 

Seul, au fond d'un couloir, on demande pas mon avis. J'ai pris de l'âge donc voilà j'ai bien plus de rides que d'amis. J'aimerais partager mes erreurs, vous faire part de mes doutes. Parfois j'me parle à moi-même pour être sûr que quelqu'un m'écoute.

Je suis. 

Épuisé, mais plus pour longtemps j'en suis sûr. Les sonneries de téléphone, la pression ont élargi mes blessures. J'me souviens pas d'la date de mon dernier fou rire. Je suis un homme, bientôt je serai un souvenir.

Je suis. 

Enfin là, cette terre n'est plus un mirage. Je suis, arrivé par bateau mais surtout par miracle. Une nouvelle vie m'attend ici, bien plus calme et plus stable. Ce matin j'ai écrit "tout va bien" au dos de la carte postale. 

Je suis.

Fier, mais comment vous décrire tout ce que j'ressens. Quand je marche en ville, de moins en moins de gens me ressemblent. Dans l'ascenseur, je parle même plus la langue de ma voisine. À force de planter des arbres, y'aura plus d'places pour nos racines.

Je suis. 

Fatigué, mal au dos et mal aux reins. Les rides sur mon visage me rappellent les montagnes de là où j'viens. On m'a menti, et c'est trop tard que je l'ai compris. On dit qu'ce pays n'est pas le mien alors qu'c'est moi qui l'ai construit.

Je suis.

Assis, et le destin a fait que j'me relèverai jamais. Dans cet océan j'ai l'impression d'avoir toujours ramé. Un casse-tête pour monter dans le bus. Aller au taff, passer leurs portes. Souvent les gens me regardent et me répondent que c'est pas de leur faute

Je suis.

Heureux, jeune diplômé. Esprit bétonné, j'ai étonné. Ceux qui rêvaient de me voir abandonner. Ma famille est loin d'ici, j'espère que là-bas ils sont fiers. Je viens de gagner le combat qu'avait commencé ma mère.

Je suis

Confiante, j'regarde ma classe un peu trop pleine pour moi. Et j'leur tiendrais la main jusqu'à ce que la réussite leur ouvre les bras. J'ai compris que parfois, les adultes sont paumés. Parce que les plus grandes leçons c'est eux qui me les ont données.

Je suis. 

Énervé, dans mon quartier on s'ennuie loin de la ville. On écrit, on prie, on crie et j'ai des amis qui dealent. Mon grand frère est au chômage, mon pote se fait 5000 par mois. Au collège c'est le bordel, bientôt j'devrai faire un choix.

Je suis. 

Loin, ce qu'il se passe chez moi n'intéresse pas grand monde. Pour les autres on vit un rêve mais pourtant souvent on tourne en rond. Tout est cher, avec le continent y'a comme une latence. La plage, les palmiers, mais moi j'suis pas en vacances.

Je suis.

Discrète, mon père m'a dit de ne pas faire de vague. Ma religion, un phare guidant mes pas depuis qu'j'ai mis les voiles. C'est drôle qu'il me surveille mais qu'il fasse tout pour. Me donner une leçon en m'empêchant d'aller en cours.

Je suis.

Inquiet, envers ma foi beaucoup de regards hautains. J'reçois des leçons par des types qui ne font rien pour leur prochain. L'humanité n'a pas plus d'coeur, j'vois le monde qui tourne et qui change. Et je suis triste de voir qu'il y a de moins en moins de gens le dimanche.

Je suis. 

Amoureux, et je vois pas qui ça regarde. À part moi et celui avec qui j'partage mon lit le soir. Je l'aime, on slalome entre les insultes et les blagues. Dire qu'il y a peu de temps je n'avais pas le droit de lui offrir une bague.

Je suis. 

Oublié, mes fins de mois se font sur le fil. C'est devenu rare d'aller au restau ou d'aller voir un film. Je suis qu'un chiffre, qu'un vote, qu'une statistique, un point de plus dans la foule. Moi j'suis juste né ici et j'ai l'impression que tout le monde s'en fout.

Je suis. 

Un rendez-vous, 

Un hasard, 

Un match de foot, 

Un mariage.

Une manif', 

Un anniv', 

Une accolade, 

Une bagarre.

Une scène de crime, 

Un jugement, 

Un gosse qui rit

Une erreur.

Une montagne enneigée,

Je suis la pointe de la plume d'un auteur.

Je suis les pleurs d'un départ, 

Je suis la chaleur des bars. 

Je suis une saveur cinq étoiles ou bien le gras d'un kebab.

Les flemmards, les couche-tard, les lève-tôt. 

Les râleurs, les regards dans l'métro.

Un oncle raciste, 

Un concert vide, 

La crise, 

La déprime qui resserre l'étau.

Je suis.

L'excellence

L'élégance,

Ou l’espérance d'une naissance.

Ces campagnes dans l'silence, 

Ces grandes villes immenses et denses.

Je suis, un peu de moi et beaucoup des autres quand j'y pense. Je suis, la France.

Aaron appuya sur les dernières touches du piano en plongeant son regard miel dans celui du plus jeune qui lui sourit, hypnotisé par la lueur malicieuse qui y brillait alors qu'il se penchait à son oreille pour chuchoter : 

— Tes trois heures viennent de se terminer, petit agneau...

Hugo laissa son corps se tendre vers son aîné qui attrapa ses hanches et le fit asseoir sur l'instrument. Il lui ouvrit les jambes et l'embrassa en se glissant entre elles. Ce fut à ce moment qu'il choisit d'éteindre la caméra sans que le jeune homme s'en rende compte, les yeux fermés par le baiser enflammé qu'il lui offrait. Leurs langues se mêlaient avec sensualité, celle du roux dominant la danse alors qu'il glissait sensuellement sa main sous le t-shirt de son amant. Il la remonta habilement vers ses pectoraux en effleurant sa peau douce. Il s'arrêta avant de toucher aux tétons sensibles du plus petit qui n'aurait sûrement pas apprécié.

— Hugo... Déshabille-toi et allonge-toi sur le piano.

— Vous... vous allez me... prendre ici, Prince ?

— Oh que oui...

— Putain, c'est mieux que dans Pretty woman !

— Ton langage, mon agneau, fais attention à ton langage.

— Pardon, Prince. 

Mais il n'avait absolument pas l'air désolé. Ses yeux noisettes brillaient de désir et il s'empressa de laisser tomber ses vêtements pour s'allonger sur le piano. C'était peu confortable, il ne fallait pas se mentir, mais Dieu seul savait à quel point il avait envie de voir son avocat s'enfoncer en lui sur ce putain d'instrument que ses doigts effleuraient avec autant d'agilité. C'était bandant, il n'arriverait pas à le nier. Il sentit l'index de Aaron le pénétrer avec lenteur et commencer des mouvements paresseux en lui, le faisant couiner de frustration. Il tenta de bouger les hanches pour venir s'empaler dessus mais une main ferme et une voix sévère l'en empêcha : 

— Non. Tu ne bouges pas. Ou alors je t'attache. 

Le choix fut vite fait. Se faire attacher revenait à ne plus avoir ce délicieux intrus dans son anus pendant une durée indéterminée alors il préférait rester le plus immobile possible plutôt que de le sentir le quitter ! Il hocha la tête, signifiant à son dominant qu'il avait compris, et resta le plus immobile possible alors qu'il continuait à le faire languir de son long doigt agile. Heureusement pour lui, Aaron ne voulait pas attendre plus longtemps avant de le prendre, alors il accéléra un peu sa préparation en ajoutant son majeur pour faire de délicieux mouvements de ciseaux qui ne manquèrent pas de faire gémir le brun, luttant pour ne pas se tortiller de plaisir. Son troisième doigt vint se glisser entre les deux premiers et alla se loger contre sa boule de nerf, lui arrachant un cri de surprise et de bien être.

Quand son aîné jugea qu'il était assez ouvert pour lui, il se retira et baissa son pantalon, vite suivi par son caleçon. Il prit le préservatif qu'il avait prévu dans la poche de son jean et l'enfila sur son sexe tendu avant de poser son gland contre l'intimité palpitante de Hugo. Il hésita quelques secondes à laisser le brun le supplier de le prendre, mais il avait trop envie de lui pour attendre encore, alors il le pénétra d'un seul coup sec comme il en avait l'habitude. La vive brûlure qui irradia dans son anus fit gémir d'inconfort le plus jeune. Cependant, il savait que ça disparaîtrait vite. C'était comme ça avec son dominant, toujours, un coup sec puis de longs mouvements sur sa prostate qui le menaient vers l'extase. Ce fut d'ailleurs ce que commença à faire l'avocat, se logeant contre le point sensible du plus petit et attrapant fermement ses hanches qu'il se rappelait être une de ses zones erogènes. La chaleur de la pièce devient vite beaucoup plus étouffante et les bruits des deux hommes se mélèrent aux claquements de peau et aux touches parfois malmenées du piano.

— P-Prince... Je vais... jouir !

— Vas-y, Hugo... Mm... Je ne vais pas tenir non plus...

Il n'en fallut pas plus à l'étudiant pour se laisser aller entre leurs torses collés, rapidement suivit par son maître qui jouit dans un grognement de plaisir. Il offrit un dernier baiser à son merveilleux agneau avant de se retirer, à bout de souffle, et de porter le corps fauché de fatigue de ce dernier sous la douche. Une fois propres et vêtu des joggings et t-shirt leur servant de pyjama, les deux amants allèrent dans le spacieux lit du plus grand. Hugo se blottit contre son torse avant de fermer les yeux et s'endormit presque aussitôt. Pourtant, il lui sembla que quand Morphée vint le cueillir, il entendit un murmure, si faible qu'il était persuadé de rêver :

— Je t'aime, mon agneau…

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