Chapitre 3. « You know you're dead wrong, you're in love with a lie »

Bien le bonsoir tout le monde ! Comment ça va ? 

Oui je sais, ça fait un petit moment que j'ai pas publié... Mais comme je disais sur mon compte Insta, c'est parce que je suis aussi en train d'écrire sur les bonus : j'ai une série de bonus sur Alice et Ken de prévue (comme j'avais fait pour Ali), et un bonus sur la relation Hakim-Stine. Voilà voilà, donc en plus des cours, je suis plutôt occupée !

J'espère que les cours et le travail se passent bien pour vous ! Comment s'est passée la rentrée ?

Plein de bisous et bonne lecture ! ❤️

PS : promis je réponds aux commentaires du chapitre précédent avant ceux-là, j'avais juste trop hâte de publier de nouveau et de vous retrouver

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Putain de hmar de merde.

Je compte même plus le nombre de fois où je me suis dit ça à propos de Jude dans toute ma vie. Ce connard prend toujours les pires décisions quand il me consulte pas.

Enfin pour le coup... Je crois que si je dis ça c'est juste parce que j'ai une Anaïs super blessée devant les yeux et que je l'ai rarement vue aussi abattue.
J'arrive pas à prendre parti. Je me dis que mon frère a forcément réfléchi avant d'agir et qu'il a pas pris sa décision sur un coup de tête mais putain... J'aurais aimé qu'il m'en parle avant, surtout que je suis aussi proche d'Ana que lui, voire même plus vu le nombre de discussions qu'on a eu elle et moi à propos de Nina.

D'ailleurs en parlant d'elle, ma copine a toujours pas répondu à mon message de la veille sur mon débrief de ma soirée avec mon père et Kamila mais bon, c'est rien, c'est la rue, on a l'habitude.

D'un côté, je me dis que ce qui a fait sortir Anaïs de ses gonds peut pas être une mauvaise décision puisqu'en soi c'est Tyler qui l'a prise, et qu'il est le mec le mieux placé pour se positionner sur ce genre de truc. Mais en même temps... Putain voir Anaïs en PLS comme ça... Ça pique.

– Il avait pas le droit putain, lâche-t-elle dans un souffle en se laissant glisser contre le mur de ma chambre après avoir insulté mon meilleur pote de tous les noms et m'avoir expliqué ce que Jude a fait.

Je la laisse se calmer quelques secondes, me disant qu'il lui faut au moins ça après les cinq minutes qu'elle a passé à gueuler dès qu'elle a passé le pas de ma chambre, la regardant baisser la tête en respirant fort depuis le bord de mon lit ; je la connais pas depuis super longtemps mais j'ai passé assez de temps avec elle pour savoir qu'un câlin serait mal venu et qu'elle a besoin de redescendre avant de se laisser réconforter.

– Je pense qu'il voulait bien faire, je tente sans trop de conviction au bout de quelques secondes de silence. Il prend toujours les choses trop à cœur, il pensait pas te faire du mal en faisant ça. Fin' pas à long terme en tout cas.

Comme si m'entendre défendre mon frère lui avait donné un regain d'énergie, Anaïs relève brusquement la tête pour me mitrailler du regard alors que je retiens tant bien que mal un « Et merde » auto-flagellateur :

– Il voulait bien faire ? s'exclame-t-elle d'un ton complètement outré. Il voulait bien faire ? Mais à quel moment il sait ce qui est bon pour moi ? Pour mes frères et sœurs ? Putain le mec a passé six aprèm chez moi et il croit pouvoir décider de l'avenir de ma famille ? Et toi tu le défends ? De toute façon j'aurais dû m'en douter en vrai, vous avez un cerveau pour deux.

– Attends nan je le défends pas, je la contredis aussitôt. Je te parle juste en tant que mec qui connaît ce débile depuis sa naissance.

Je m'arrête direct, me demandant si ce que je compte dire à Anaïs sera pas vu comme une trahison par mon meilleur pote.
Cette dernière remarque mon hésitation et fronce les sourcils pour me le notifier. De toute façon je crois qu'elle a capté pas mal de truc au sujet de la dépression de Jude, et puis au pire, je peux essayer de lui expliquer sans pour autant rentrer dans les détails :

– Jude depuis quelques temps, il gardait tout pour lui, absolument tout. Sauf que ce connard c'est une putain d'éponge et du coup y'a pas longtemps on lui a appris à vider son sac avant qu'il pète un câble pour de vrai. Et maintenant bah au lieu de se prendre la tête avec tout, il demande conseil. Je pense que c'est ce qui s'est passé avant que son grand-père appelle le lycée : il était trop dans le mal de te voir dans le mal, il s'est dit qu'il devait faire un truc, mais au lieu d'agir tout seul il en a parlé à un mec qui a eu à faire aux services sociaux pendant une dizaine d'années et qui sait ce qui se passe dans les foyers et les familles d'accueil.

– Putain mais c'est pire ! s'emporte Anaïs. Ce mec je le connais même pas ! Il me connaît même pas ! Et il s'est permis de juger si j'étais en capacité de m'occuper de mes frères et sœurs ? C'est dégueulasse Elyas, tu peux pas prendre parti pour lui.

Alors qu'une larme échappe à sa surveillance et roule sur sa joue, je reste silencieux quelques secondes, essayant de formuler ma phrase dans ma tête avant de parler pour pas que ma pote croit que je prends le parti de Tyler et de Jude en exprimant mon idée :

– Ana'..., je dis doucement en voyant qu'elle baisse les armes puisqu'elle a aucune intention de s'essuyer les joues. Tu sais aussi bien que moi que t'aurais pas pu continuer comme ça. C'est pas parce que t'as dix-huit piges que tout va s'arranger comme par magie. T'es à bout, ça se voit, il te faut de l'aide.

Et c'est ce que Jude a remarqué aussi.
D'après ce que j'ai compris dans ce que m'a dit Anaïs, elle a été convoquée chez le principal vendredi, y'a deux jours. Là-bas elle est tombée sur une assistante sociale et un psychologue scolaire, et ils lui ont plus ou moins fait avouer qu'elle s'occupait de ses frères et sœurs toute seule et que sa mère faisait plus partie du dessin depuis un moment. Hier, dans la foulée, les services sociaux sont venus chercher les quatre plus petits, en laissant seulement Basile parce qu'il a un peu trop résisté et qu'ils ont estimé qu'il était assez grand pour rester avec sa sœur. Pour le moment. Après ça, Anaïs a directement demandé à Jude s'il savait d'où le principal tenait ses sources, et mon meilleur pote a pas pu faire autre chose que d'avouer qu'il en avait parlé à son grand-père, et que Tyler avait appelé le lycée après de longs jours de réflexion. Et même si la nouvelle situation de ma pote m'emmerde au plus haut point, je peux pas m'empêcher de penser que Tyler a eu raison. Il a toujours raison. Ses frères et sœurs auraient fini par gâcher sa vie.

– Mais c'est pas de l'aide ça, c'est..., commence-t-elle en sanglotant. Comment je peux vivre avec ça sur la conscience ? Il avait pas le droit putain, je le déteste.

Sur ces mots, elle fond complètement en larmes en ramenant ses genoux au plus près d'elle pour se mettre en boule adossée au mur de ma chambre. Et cette fois-ci je me lève pour aller m'asseoir à côté d'elle et la prendre dans mes bras. Elle me brise le cœur, mais je suis content de la voir enfin sortir tout ça.

« Je le déteste ». C'est ce qu'elle dit mais je sais très bien qu'elle est amoureuse de ce hmar depuis pas mal de temps. C'est juste plus facile de le tailler tout le temps et de lui faire croire qu'il est un pote lambda qui la fait plus chier qu'autre chose. Alors qu'au final elle est dingue de lui et ça la brise de le voir avec Jasmine.
Parce que Jude est pas du tout un pote lambda : elle aurait réagit bien moins violemment s'il l'avait été. Là elle prend sa décision pour une trahison, et je suis pas sûr que mon meilleur pote arrivera à sauver leur amitié.

Je dis rien pendant quelques secondes, la laissant seulement pleurer dans mes bras, caressant vite fait son bras pour essayer de l'apaiser. Puis j'essaye de trouver les mots que je peux pour la consoler :

– Je sais que c'est affreux, je commence doucement. Tu vas me dire que je peux pas comprendre, et c'est probablement le cas, mais je peux essayer de me mettre à ta place. Juste... Putain Ana', je sais que ce con a été maladroit en faisant ça, il aurait dû t'en parler avant et essayer de te convaincre de faire quelque chose au lieu d'agir dans ton dos. Mais sois honnête avec moi : est-ce que t'aurais accepté qu'il t'aide ? 

Je laisse planer un léger temps de silence, durant lequel ma pote s'apaise un peu, mais je la laisse pas parler pour le moment :

– Y'a fallut des mois avant que t'acceptes qu'il te paye la baby-sitter pour que t'aies quelques aprèm' pour toi, on sait très bien tous les deux que tu l'aurais envoyé chier s'il t'avait parlé de son idée. Alors ok, je sais que c'est une idée de merde et que c'est la pire solution qu'il aurait pu trouver, mais si son grand-père et lui avaient rien fait, c'était quoi ton avenir ? Continuer de travailler au Domac pour élever des gosses qui sont pas les tiens jusqu'à leur majorité en continuant à vivre dans votre appart' pourri en flippant tous les jours pour que personne capte que vous vivez dans des conditions de merde ? Dylan a à peine un an, donc ça veut dire que tu t'uses la santé pendant dix-sept piges en espérant qu'il se casse de chez toi dès qu'il est majeur ? Arriver à trente-cinq piges en ayant vécu pour eux et pas pour toi ? En admettant que tu tiennes jusque là et que tu crèves pas d'un truc de merde avant parce que tu peux pas prendre soin de toi, ou alors que tu te flingues pas avant.

Je me stoppe quand Anaïs se redresse contre moi, et qu'elle s'adosse de nouveau au mur avant d'essuyer ses joues d'un geste rapide tout en regardant devant elle d'un air dur. Je sais pas si ce que je lui dis lui plaît, mais j'ai pas encore fini :

– Et puis merde Ana', tu crois que tes frères et sœurs sont heureux de te voir comme ça ? Lesly elle se sent coupable de te voir te niquer la santé pour eux. Et elle a neuf ans putain ! Elle devrait pas penser comme ça !

D'ailleurs, Lesly ça doit être un sujet sensible chez Jude. Il kiffe la gamine (pareil pour moi), et il doit s'en vouloir de ouf de l'avoir séparé de sa sœur. Je pense qu'il a juste encore espoir que les services sociaux accordent sa garde à Anaïs étant donné qu'elle est assez gérable et qu'elle se retrouverait avec deux grands à la maison.

– Tu peux pas me dire que tu te sens pas un minimum soulagée, je continue en regardant ses yeux s'abaisser vers le sol comme pour témoigner du fait qu'elle sait que j'ai raison. Pas quand t'as un bébé à t'occuper jour et nuit, quand tu dois rester à la maison avec Leelou en attendant de pouvoir l'inscrire à la maternelle, et pas quand Marvin est complètement ingérable. Alors ok, peut-être que ça fait mal sur le moment, mais t'auras toujours la possibilité de leur rendre visite, et pour l'instant c'est pas une fin en soi. Parce que meuf, on va rien lâcher : aucun daron a reconnu son gosse, donc on va faire en sorte que Lorène abandonne tous ses droits sur eux pour qu'ils puissent être adoptés par des bêtes de familles, ok ? Et t'inquiètes, on va aussi faire en sorte que tu récupères la garde de Les' le plus tôt possible, y'a pas moyen qu'ils te l'enl-

– Personne adoptera Marv'.

Sa phrase est sortie d'une voix enrouée, dans un souffle presque inaudible, alors qu'elle reniflait. Son ton était complètement plat, sans aucune émotion. Et pour le coup, je sais pas vraiment quoi répondre.

Pourtant, après quelques secondes j'essaye d'aligner quelques mots pour former une hypothèse que j'espère sera vraie, essayant de me rappeler de mes séances chez la psy quand j'étais petit :

– Parce que personne arrive à le comprendre, même pas toi. Il lui faut un psy à ce gosse, et un gros suivi. Il pourra avoir ça là où il va, et peut-être qu'il va devenir un bête de gamin. Je pense que t'as fait tout ce qu'il fallait pour l'aider, mais que t'avais pas les compétences pour comprendre ses traumas. Pour ça il faudrait déjà que t'arrives à comprendre les tiens. De toute façon ça sert à rien de spéculer pour le moment. Il faut juste laisser le temps faire. Peut-être dans rien qu'une semaine tu vas voir qu'ils sont super heureux là où ils sont ! Pour le moment il faut juste que tu captes que tu leur as donné tout ce que tu pouvais, et maintenant il faut que tu passes le flambeau à quelqu'un d'autre et que tu prennes soin de toi.

Toujours aucune réponse du côté de ma pote, et je suis à deux doigts de me taire pour lui laisser le temps d'emmagasiner tout ce que je viens de lui dire. Mais je peux pas en rester là sans avoir essayé de défendre mon frère pour qu'elle accepte de lui reparler un jour :

– Je comprends que t'en veuilles à Jude, vraiment. Même si ça partait d'une bonne intention, c'est un boulet. Mais meuf... Dans tous les cas le jour où tu te serais pointée devant un juge pour avoir la garde des petits il se serait passé quoi ? Quand tout le monde aurait capté que vous étiez livrés à vous-mêmes depuis des années ? On t'aurait fait confiance direct en te donnant leur garde ? En voyant dans quel état est Marvin ? En captant que Lesly a plus d'anxiété à neuf ans qu'un étudiant en médecine ? Te voile pas la face, on te les aurais retiré direct, et on t'aurait peut-être même pas fait confiance par la suite. Alors que là, t'as plus que deux combats : faire en sorte que Lorène se retire complètement du dessin pour que les plus petits soient adoptés, et te battre pour Lesly en premier. Chaque chose en son temps. Ça sert à rien de détester Jude, ça te fait des problèmes en plus. Surtout que t'es grave loin de le détester.

Ma dernière phrase fait l'effet d'une bombe puisqu'Anaïs tourne brusquement la tête vers moi en m'assassinant à moitié du regard : l'autre moitié m'interroge silencieusement. Je hausse un sourcil incrédule pour lui répondre, tic que j'ai choppé de mon oncle et dont Jude a hérité aussi.

– J'suis pas aveugle, je dis. Je vois bien comment tu le regardes. Dès qu'il dit une connerie en cours t'es fière comme si c'était ton mec. Et dès que Jas' se pointe t'as l'air méga triste.

Et puis c'est vraiment pas la première. Même si mon meilleur pote voit rien et qu'avant Jasmine il est sorti qu'avec une seule meuf pendant genre un mois, toutes les gos sont sur lui. En même temps il est plutôt bg avec son presque mètre quatre-vingt, sa carrure stock et ses yeux bleus. Et puis vu qu'il aime bien se faire remarquer en cours en sortant connerie sur connerie et en faisant le bordel, il attire toutes les meufs sans même s'en rendre compte. Parce que pour s'en aperçevoir il faudrait qu'il regarde quelqu'un d'autre que Jas', et ça je crois que c'est pas prêt d'arriver. Mais je suis pas sûr qu'Anaïs ait envie d'entendre ça.

Alors qu'au début je pensais qu'elle allait se vénère encore plus parce que j'ai ramené le sujet sur le tapis, Anaïs tourne la tête pour regarder le sol devant elle d'un air triste :

– C'est pour ça que ça fait encore plus mal, dit-elle d'un ton monotone.

Je veux bien la croire, elle doit se sentir trahie de ouf et le peu d'espoir qu'elle avait que Jude l'aime un jour se sont sûrement envolés quand elle a capté qu'il était le responsable du départ de ses frères et sœurs en foyer.

Je lâche un faible soupir avant d'aller m'asseoir sur le sol à côté d'elle sans trop la coller.

– T'sais dans un sens s'il a fait ça c'est parce qu'il tient à toi, je lui dis doucement. Sûrement pas comme t'aimerais, mais tu comptes pour lui. Sinon il t'aurait laissé dans ta merde.

À côté de moi, Anaïs acquiesce lentement. Du coin de l'œil, je la vois essuyer rapidement une de ses joues. Je tente de l'attirer contre moi en passant un bras autour de ses épaules, et c'est avec surprise que je la sens se laisser tomber dans ma direction.

– Ça serait plus facile si c'était un gros connard, me dit-elle d'un ton dur. 

Même si elle me voit pas, je pince les lèvres pour signifier que je suis d'accord : je crois qu'elle a bien compris que le mec a un bon fond et qu'il veut juste tout faire pour aider les gens à qui il tient. C'est ce qui fait en grande partie son charme : sous ses airs je-m'en-foutiste il prend tout le temps les choses à cœur et il pourrait se battre jusqu'au sang pour ses proches. Et puis clairement, même si je suis pas encore trop d'accord avec les moyens qu'il a employé, je pense qu'il aurait pas pu faire une plus belle déclaration d'amitié à Anaïs qu'en prenant le risque de la perdre juste pour l'aider à avoir une vie à elle.

– C'est ce que je me dis à chaque fois qu'il me fout dans la merde.

Je dis ça mais on se tire tous les deux vers le bas et on se fout généralement dans la merde à deux depuis tous petits. La faute à nos darons, fallait pas nous élever ensemble.
Je crois que le plus con dans l'histoire, c'est Mikael : il a bien vu ce que le duo Maëlle-mon père a donné en grandissant, je suis même sûr que ma grand-mère et Tyler lui ont raconté quinze-mille histoires de leurs conneries, et pourtant il a quand même réitéré l'expérience en faisant grandir un Clarkson et un Bouhied ensemble. Je sais pas à quel autre résultat il s'attendait.

On reste silencieux pendant de longues secondes avant qu'Anaïs prenne la parole. Et que ses paroles me surprennent tellement elle se met à nue en les sortant :

– Tu crois qu'il passera sa vie avec Jasmine ?

Je suis si peu habitué à l'entendre parler d'une voix aussi faible que ça me brise le cœur.
Anaïs, c'est un peu une Maëlle mais en plus dur et en moins attachante. Alors que ma tante fait souvent exprès d'être froide et agressive alors que c'est un putain de nounours plein d'énergie et de joie de vivre (sauf quand elle s'inquiète ou que ses proches font des conneries graves et qu'elle fait passer toutes ses émotions par l'agressivité), Anaïs est juste froide et vénère par nature. Même moi j'ai peur d'elle de temps en temps tellement elle peut être antipathique. Et elle le fait pas exprès, c'est juste sa façon d'être. Disons qu'il faut juste creuser pour voir au-delà et compenser ce gros défaut avec toutes les qualités qu'elle cache derrière ses airs hargneux.
C'est en étant témoin de ce genre de moment de vulnérabilité que je suis content que Jude ait pris le temps d'apprendre à la connaître pour découvrir qu'elle était pas que chiante. Et qu'il me l'ait présenté. Parce que putain, je la connaissais d'avant puisque c'est une pote de Nina, et j'avais vraiment pas une bonne image d'elle.

– Je pense oui, je réponds sans trop réfléchir. 

Puis, après m'être demandé si le fait de développer mon propos allait lui faire du mal et ayant conclu qu'avec sa question elle attendait peut-être plus qu'un « oui », je me décide à lui donner ma vision du couple Jude-Jasmine :

– Je l'ai jamais vu aussi piqué par une meuf. Genre il voit vraiment qu'elle, j'ai jamais vu ça. Et elle c'est pareil. Ça fait un peu rom-com Américaine de dire ça vu qu'ils ont pas encore leur Bac, mais je pense qu'ils vont finir par se marier et avoir des gosses ensemble. 

Et j'espère pour mon frère que j'ai raison, parce que je sais qu'il se voit pas avec une autre meuf que Jasmine. Et même si j'étais ultra méfiant d'elle quand elle est revenue malgré le fait qu'elle avait pris ultra cher, je pense qu'elle est vraiment faite pour lui tellement elle arrive bien à le cerner et à le canaliser. Avec Anaïs... Ça aurait juste fait des étincelles constamment avant que ça pète. Ça serait un peu revenu à mettre deux caractère comme Maëlle et mon père ensemble. Ou comme Ken et Maëlle.

Anaïs acquiesce doucement, et un bref coup d'œil sur son regard à ma gauche m'indique que je viens juste lui confirmer ce qu'elle savait déjà. Maintenant va juste falloir qu'elle passe à autre chose. Je suis sûr qu'il y a un type bien qui l'attend déjà quelque part. 

Elle doit ensuite sûrement rester avec sa tête sur mon épaule et mon bras autour d'elle pendant encore une ou deux minutes, puis elle décide finalement de se redresser, et on est tous les deux un peu gênés ; en même temps on se connaît pas depuis si longtemps que ça et ça fait que quelques semaines qu'on se voit vraiment que tous les deux en dehors de notre groupe de potes.

C'est en silence que je me lève pour aller me poser sur mon lit et allumer mon ordi. C'est toujours en silence que je l'invite à me rejoindre et qu'elle s'exécute, s'installant à une distance raisonnable de moi. Et c'est encore en silence qu'on passe le reste de l'aprèm devant une sitcom que j'ai déjà vu une dizaine de fois à cause de mon père.

****

– Ça va ? me demande mon père quand je le rejoins dans le canapé du salon après avoir raccompagné Anaïs chez elle. J'ai entendu gueuler tout à l'heure. Tu t'es embrouillé avec ta pote ?

Assis sur le bord du canap', il est penché vers la table basse pour remplir son pilulier de la semaine prochaine. En vrai je pensais pas qu'il serait si assidu avec son traitement, mais pour le coup il pense bien à le prendre et à le préparer en avance pour pas se faire chier tous les soirs à fouiller dans les différentes boîtes de comprimés.

– Ouais t'inquiètes, c'est pas à moi qu'elle en voulait. 

Alors que je pose mes pieds sur la table basse et que je commence à scroller sur mon téléphone, il relève la tête et laisse tomber ce qu'il est en train de faire pour se concentrer sur moi :

– Ah ouais ? Képass ? me demande-t-il.

Je passe cinq minutes à lui expliquer la situation, cinq minutes pendant lesquelles il écoute attentivement sans m'interrompre, affichant un air honnêtement embêté quand je lui parle de Lesli et des conditions dans lesquelles ces gosses ont survécu jusque là. 

– Si c'est Tyler qui l'a fait, c'est que ça devait être fait, conclu-t-il quand j'ai fini de parler en rechoppant des pilules pour les foutre dans les petits tiroirs de sa boîte.

– C'est ce que je me suis dit aussi.

Mon daron s'étend pas plus sur le sujet. De toute façon il le fait jamais : c'est pas qu'il s'en branle de la vie des autres, c'est surtout qu'il a appris à faire la part des choses et à s'occuper seulement des gens qui comptent pour lui. C'est pour ça qu'il se concentre directement sur autre chose, s'arrêtant de nouveau de remplir son pilulier pour me fixer avec attention :

– Et toi ça va ?

J'acquiesce :

– Ouais. Ça m'a fait un peu chier de la voir comme ça, mais je suis surtout content qu'elle ait plus sa charge en plus.

Mon père hoche la tête à son tour :

– Ok. Et en dehors de l'histoire avec ta pote ? Pourquoi t'as de plus en plus de moment où tu phases ?

Aucune surprise à ce qu'il l'ait remarqué, c'est la personne qui me connaît le mieux au monde et de toute façon j'allais finir par lui en parler.

– Nina, je soupire en me laissant tomber contre le dossier du canapé en croisant les bras sur moi. J'ai l'impression de sortir avec un fantôme, c'est de pire en pire.

Mon père fronce les sourcils en reprenant son remplissage :

– Je croyais que ça allait mieux depuis la présentation de votre projet qui s'est super bien passée, dit-il d'un ton interrogateur. 

Je hausse les épaules :

– Bah ouais, je croyais aussi.

On reste sans rien dire pendant plusieurs secondes. Toujours avachis sur le canapé avec les pieds sur la table basse, je fixe le plafond avec la tête basculée en arrière. Pendant ce temps, mon père range ses boîtes de médicaments, et il disparaît dans la cuisine pour aller les poser. Je pourrais décaler dans ma chambre, mais comme on se comprend sans communiquer, je sais qu'il en a pas fini avec moi. Et puis de toute façon je passe très peu de temps seul dans ma chambre, la moitié du temps je suis dans le salon avec lui.

Je sais que Jude veut que je rompe avec Nina. Il me l'a jamais dit, mais je sais qu'il l'aime pas trop, et puis je sens que quand il m'écoute parler d'elle il a un peu envie d'aller la balayer. Pareil quand elle mange avec nous le midi ou qu'elle se rajoute à notre groupe de temps en temps : parfois j'ai l'impression que s'ils étaient que tous les deux, il l'aurait allumé depuis longtemps. Mais il le fait pas parce que c'est mon frère et qu'il sait que je l'aime.
Parce que ouais, j'ai beau me rendre compte que notre relation est à sens unique et que je reçois quasiment rien de sa part, je peux pas m'empêcher d'être fou d'elle. Ça me viendrait pas du tout à l'esprit de la tej', même si j'ai l'impression d'en être encore à l'étape où je ramais pour qu'elle me kiffe pendant qu'elle me rejetait alors que ça fait un an qu'on est ensemble. Ça me rend fou, je sais pas ce qu'elle attend de moi. Je sais même pas si elle m'aime en fait. Mais j'ai pas les couilles de lui demander parce que j'ai trop peur de sa réponse.

C'est ce que j'explique à mon père lorsqu'il revient de la cuisine et qu'il s'installe de nouveau sur le canapé d'angle en biais pour me fixer avec attention. Ce à quoi il répond :

– Sois pas comme j'ai été Gnocchis, s'te plaît.

Je réagis pas au surnom de merde qu'il me donne depuis que je suis né et que je déteste, trop surpris par le sujet dont il est implicitement en train de me parler.

Avec mon père, on parle très rarement de ma génitrice, et ce pour deux raisons : d'abord parce que je sais que même s'il est maintenant fou amoureux de Kamila, il a toujours autant envie de dégommer celle qu'il aimait et qui l'a lâchement abandonné ; et aussi parce que ça fait des années que je considère que cette vieille meuf est morte.

– J'vais pas m'étendre parce que je pense qu'on a tous les deux la flemme de penser à elle alors qu'elle le mérite pas, mais s'te plaît reste pas avec une personne qui ferait pas le quart de ce que tu fais pour elle. Je sais que tu l'aimes et que tu voudrais rester avec elle, mais tu peux pas faire ça si t'as pas une bonne discussion avec elle à propos de là où vous en êtes tous les deux. Parce que si vous êtes pas du tout sur la même longueur d'onde, ça va jamais le faire. C'est comme ça que je me suis retrouvé seul-tout avec un bébé sur les bras. 

Déglutissant difficilement face aux mots si justes de mon père, j'acquiesce lentement : même s'il fait le con la moitié du temps et qu'il a pas un lexique de malade pour exprimer ses idées, mon père est loin d'être un con et quand il s'agit de m'aider il a toujours des conseils de ouf. Je le soupçonne d'avoir tout appris de sa meilleure pote.

– Vas-y dernier truc et après je ferme ma gueule, lance-t-il en s'accoudant sur ses genoux pour me fixer encore plus intensément qu'avant, avec son regard assassin de papa-poule. J'te dis p't'être surtout ça parce que je suis égoïste ; en vrai de vrai, ma souffrance, j'ai pu y faire face. Franchement ça a piqué, j'ai mis super longtemps à m'en remettre, mais vas-y je l'ai accepté. Par contre j'accepterai pas que tu te retrouves dans le même état que moi pour une meuf. C'est hors de question que tu souffres pareil. Et que tu souffres potentiellement encore une fois des années après si elle se repointait comme le daron de Soso quand il a voulu reconquérir Fanny.

Je retiens un froncement de sourcil, comprenant pas trop le rapport entre la tentative de reconquête nulle de l'ex de Fanny alors qu'elle était mariée à Tyler, mais je passe vite outre parce que je sais que mon père a un peu tendance à se perdre dans ce qu'il veut vraiment dire quand il veut aider les gens.

Par contre, ça m'amène à une question qui porte plus du tout sur Nina :

– Ça te ferait du mal si elle revenait ?

Comme s'il s'était attendu à ma question, mon père répond du tac au tac d'un air dégoûté :

– Que dalle. J'ai refais ma vie. Je suis très bien seul avec mon fils. Et toi ?

Bizarrement, je m'attendais pas à ce qu'il me retourne la question. Pourtant c'était quand même couru d'avance. 

Je crois même pas avoir de réponse. Tout ce que je sais, c'est qu'en y pensant sur le moment, en m'imaginant juste devoir faire face à la femme qui m'a abandonné, j'ai envie de tout péter.

– Je pense que je pourrais pas me retenir de lui cracher à la gueule, je lâche finalement dans un ricanement pour montrer à mon père que ma génitrice a aucune putain d'importance dans ma vie.

Ce dernier ricane à son tour, et acquiesce d'un air compréhensif. Je crois qu'il partage le sentiment.

On reste quelques secondes silencieux, juste le temps que je m'aperçoive que mon père est tendu comme un string : sa jambe tressaute nerveusement, et j'ai l'impression qu'il est sur le point de dire un truc à plusieurs occasions mais qu'il se ravise au dernier moment. 

Ça a été comme ça les rares fois où on a été amenés à parler de ma génitrice. Donc je devine qu'encore une fois, même s'il m'assure le contraire en disant qu'il a refait sa vie et tout le bordel habituel, il s'est pas totalement remis de sa fin de relation avec elle.
En même temps je sais pas comment il aurait pu ; de ce que j'ai entendu dans une conversation entre lui et Maëlle quand j'étais petit, elle l'a laissé en lui disant qu'elle l'aimait, et elle a plus jamais donné aucun signe de vie. Il y a forcément un putain de goût d'inachevé dans la bouche de mon père, et surtout une giga incompréhension : à sa place, moi non plus j'aurais pas compris pourquoi on me quittait si on me lâchait en me disant qu'on m'aimait.

C'est parce que je déteste le voir comme ça que je bifurque sur un autre sujet. Il m'a assez aidé sur le sujet Nina, je vais absolument pas appliquer ses conseils parce que j'aime trop cette meuf pour faire face à la réalité, et maintenant c'est à moi de l'aider pour oublier le sujet qu'il a commencé à aborder :

– Burger ce soir ? je demande sans transition. J'ai croisé Sinan tout à l'heure, il m'a dit qu'ils avaient un nouveau burger sur la carte.

– Vas-y, tu payes ? 

– Avec tes sous ouais.

Mon père me sourit d'un air coincé et me jette un coussin à la gueule.

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