Chapitre 6 : Je suis peut-être un connard macho et sexiste

Kal

Je ne suis pas un connard macho et sexiste, mais à l'idée d'accompagner cette nana qui n'a rien d'une aventurière, je vois d'ici les emmerdes à la clé. Les soi-disant « chargés tour opérateur », j'ai déjà donné, et en conclusion, ils me font perdre mon temps. Les excursions que j'offre n'ont rien d'une partie de plaisir ou d'une randonnée familiale. Elles se rapprochent plus d'un stage de survie. Le tour en avion pour survoler l'île, ça, OK, plutôt easy et à la portée de n'importe quel touriste, mais bon nombre de compagnies de voyages le proposent déjà. Si on fait appel à moi, c'est en quelque sorte pour en chier, et ce n'est pas mon genre de ménager qui que ce soit. Alors quand je vois la brune et ses dix centimètres de talons, je sais ce qui m'attend, et elle aussi. La concernant, des jérémiades à n'en plus finir, et pour moi, des envies de la laisser en pâture aux ours.

Ouais, finalement, je suis peut-être un connard sexiste et macho. Mais hors de question que je parte plusieurs jours avec un handicap comme elle. Je pense qu'elle ne s'imagine pas ce qui l'attend avec moi. Et ça, Clara et Carolyn auraient dû le lui dire. Cela aurait évité à chacun d'entre nous une perte de temps et d'énergie.

Après avoir récupéré mon avion, Othello et moi sommes de retour à la maison. Je dépose dans la cuisine mes courses, ainsi que celles que Carolyn a faites pour moi. Comme présumé, sur le dessus de deux des cartons, que je lui ai amenés, était griffonné mon prénom. Je les ouvre et m'active à en ranger le contenu dans les placards. Beaucoup de conserves et quelques produits frais que je balance dans le frigo vide, sans réfléchir une seconde à ce que je compte en faire. Je ne suis pas un grand cuisinier. Rectification, je ne cuisine pas du tout. Comme pour beaucoup de choses, je m'en cogne. Je mange seulement, histoire de survivre.

La tâche terminée, je remplis l'écuelle d'eau d'Oth, quand le téléphone mural se met à brailler.

— Évidemment que c'est elle ! rétorqué-je aux aboiements de mon chien.

Je sais, je fais pitié...

— M'man, décroché-je confiant, mais épuisé à l'avance par le discours que je sens arriver.

— Franchement, Kal, des fois tu me cass...

Elle serre probablement les dents et maintient le reste de sa phrase en suspens. À d'autres que moi, elle aurait placé son cassage de couilles – qu'elle n'a pourtant pas – mais comme je l'ai déjà mentionné, Carolyn tente d'être la mère douce et parfaite que tout fils tourmenté rêve d'avoir.

— Il était convenu que tu t'occupes d'elle. Tu aurais pu a minima lui dire bonjour !

— Franchement, j'ai autre chose à foutre qu'à promener une citadine. Sérieux, est-ce que tu l'imagines deux secondes crapahuter dans les montagnes ?

— On n'en a rien à foutre, Kal, de ce que je peux imaginer ou non ! J'avais promis à Clara que tu gérerais Meghan.

— Meghan ?

— Kaaaal, merde ! Meghan, oui ! La fille de Juneau que tu as snobée et à qui tu as foutu une trouille monstre !

Je souffle dans le combiné et masse mon front, soumis à une migraine naissante.

— Elle sera chez toi dans quelques heures. Peter va te l'amener.

— Quoi !? m'étranglé-je.

— Tu ne m'as pas laissé le choix, Kal. Ils sont déjà en route. Il lui fait visiter la ville avant, ainsi que la partie Est de l'île.

Elle me raccroche au nez, ne me laissant pas le temps de hurler mon refus.

Fait chier, putain !

Je claque les portes des placards de cuisine, pourtant déjà fermées, et me rue vers la chaudière. Je sais que je m'apprête à me faire chier aussi avec cette dernière, mais peut-être le dur labeur m'aidera-t-il à passer mes nerfs.

Je n'ai nullement envie de me farcir cette nana en ce moment, ni qui que ce soit d'autre d'ailleurs. Et par farcir, j'entends respirer le même air, écouter, parler, et partager les prochaines heures, voire jours.

Carolyn sait parfaitement que nous venons de passer la date « anniversaire » et que je ne suis pas à prendre avec des pincettes durant cette putain de période. Malgré moi, je libère ce qui peut se rapprocher d'un sourire amer, en imaginant que ma mère a, justement, parfaitement calculé de me coller quelqu'un dans les pattes en ces temps particulièrement éprouvants. Elle n'imagine même pas dans quelle sorte de plan merdique elle envoie la brune ! Puisque Peter la conduit ici, il pourrait tout aussi bien me remplacer pour lui faire faire la randonnée. Il connaît ces montagnes aussi bien que moi et sait en déjouer tous les dangers. Connaissant mon ami d'enfance, à moins qu'il ne me sorte sa carte du boulot qui l'attend, il ne rechignera pas à accompagner la nana. Ce mec drague autant qu'il respire, et je suis certain qu'il a déjà dû jeter son dévolu sur cette fille. Du peu que j'ai vu d'elle, alors qu'elle m'avait renversé sa tasse de café dessus, je sais qu'elle ne peut que plaire à Peter, tout simplement parce que c'est une fille. Fade et plutôt maigrichonne, elle n'en est pas laide pour autant. Enfin, je crois. Franchement, je n'ai que peu de souvenirs de son visage. Anguleux, pâle, largement dévoilé par ses cheveux tirés en chignon, il me semble. Ou peut-être en queue de cheval, j'en sais rien. Des yeux noirs ou marron ou...

Bordel, mais qu'est-ce que je fous ? Comme si je n'avais rien d'autre à faire que de me rappeler la couleur de ses yeux ! Tout ce que je sais, c'est que j'ai réellement eu envie de l'étriper et que certes, je lui ai fichu la trouille. Tant mieux ! Je m'en carre qu'elle ait sali mes fringues, notamment mon jean que je garde sur moi, malgré les taches, au vu du bricolage qui m'attend. Non, ce qui m'a partiellement gonflé, c'est que j'ai vite saisi que c'était la personne dont m'avait parlé Carolyn au téléphone, la veille. J'avais juste zappé que la personne en question était une femme, qui plus est aux allures de figure de magazine pour working-girls.

Je n'y accorde pas davantage de temps et m'attaque aux travaux prévus, histoire de penser à autre chose, ou pour être exact, pour ne plus penser à rien.

Comme envisagé, je galère à réparer le système de chauffage. Je me suis planté de taille pour une des pièces achetées et ce con de réservoir continue de fuir. Je ferme l'arrivée d'eau du conduit une bonne fois pour toute et peste à l'idée de devoir retourner chez Harold. J'ai néanmoins réussi à remplacer la vanne rongée par la rouille et espère que cela suffira à rétablir l'eau chaude dans la baraque et dans le cabanon. Après deux bonnes heures de travail intensif, j'ouvre le robinet de la cuisine pour affirmer ou infirmer mes talents de plombier improvisé.

— Qui c'est le meilleur ? m'auto-proclamé-je auprès du seul témoin de la maison, alors que de l'eau brûlante s'écoule à grand jet.

Couché dans son panier, Othello relève la tête et redresse ses oreilles, probablement à l'affût d'un mot qui rangerait mes dires dans la catégorie bouffe.

— Me regarde pas comme ça ! Je sais, ouais, mais le chauffage, c'est... secondaire... On a du bois, Oth.

Bordel, je m'effraie moi-même à converser avec ce chien, dont le regard est aussi vif que celui de Frank, le pilier du bar de Carolyn.

En l'occurrence, après avoir jeté un œil vers la cheminée, je constate avec dépit que non, nous n'avons plus de bûches pour nous chauffer. Si je devais toucher du fric chaque fois que je balance « fait chier ! », je serais l'homme le plus riche d'Alaska. C'est pourtant ce que je lâche de nouveau, avant de me rendre dehors pour fendre du bois.

Même si la nuit tombera sur nous dans moins de deux heures, les jours ont sérieusement rallongé. Au cœur de l'hiver, alors que les températures sont au plus bas, on ne dépasse pas les cinq heures d'ensoleillement quotidien. Mais lorsque l'été est à son apogée, le soleil nous marque de sa chaude présence durant plus de dix-neuf heures. Entre deux, comme aujourd'hui, nous bénéficions avec grâce de la lumière naturelle durant un temps presque équivalent à celui de tous les habitants de la planète. Il faut être fou pour vivre ici, et pourtant, je ne me vois habiter nulle part ailleurs.

De m'être déchaîné sur cette fichue chaudière m'a donné chaud. Conscient du froid qui sévit encore, je ne passe pas pour autant de blouson, et c'est en simple tee-shirt que je vais couper mon bois.

Malgré tout, le vent me saisit dès que je pointe mon nez dehors, déclenchant une floppée de frissons sur mes bras dénudés. Sachant pertinemment que d'ici quelques minutes, je serai de nouveau terrassé par la chaleur liée à mon activité de bûcheron, je fais fi de la température extérieure et presse le pas pour regagner l'appentis sur le côté de la maison, près de la route. C'est dans ce dernier que je m'empare de ma hache, ainsi que du bois qu'il me faut fendre en plusieurs morceaux pour en obtenir des bûches de bonne taille.

Je pose le premier morceau sur le billot et laisse lourdement tomber la lame de mon outil dessus, tranchant ce dernier en deux parties identiques.

Othello m'a, bien sûr, accompagné, mais mis à part lui, je n'ai pour autres spectateurs que les arbres de la forêt qui oscillent en silence, soumis au souffle du vent, ainsi que le lac aussi calme qu'à son habitude. Le soleil décline lentement et jette sur lui ses rayons encore puissants. Seuls quelques pépiements d'oiseaux se font entendre, en-dehors de mes cris poussés à chaque fois que j'abats la hache sur le bois. L'exercice demande force et précision, et après la confection d'une petite quinzaine de bûches qui ne me permettront pas de tenir longtemps, je suis déjà en nage. Je lâche ma hache, retire mon tee-shirt gris avec lequel j'éponge mon front et ma nuque, et après avoir réajusté mes gants, je reprends mon découpage.

Malgré ma concentration sur la tâche en cours, les flashs du passé obstruent ma vue et vrillent mes entrailles. Des bribes d'une ancienne vie, durant laquelle je découpais du bois pour quelqu'un d'autre que ma carcasse vide. J'entends sa voix chanter et vois ses doigts caresser sa guitare, comme si elle était là. Je discerne sa silhouette gracile assise à quelques mètres de moi sur le tonneau en bois, pourtant aujourd'hui libre de tout occupant.

Ne me souciant pas du danger que cela pourrait entraîner, je ferme les yeux et mêle mes cris liés à l'effort, à ma colère. Le temps défile sans que je ne me préoccupe de l'heure ou du nombre de bûches que j'ai déjà amassées, et encore moins de l'épuisement que je m'impose. 

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Alors, connard sexiste et macho ou pas ?

Une chose est sûre, va pas faire longtemps le malin, l'ours. Fini la tranquillité ! :)

Bisous Kal-iente jusqu'au prochain.

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