Chapitre 11 : À poil
Meghan
Hisser le poids quasi mort qu'est Kal jusqu'en haut des marches du porche n'a pas été aisé, mais nous y sommes parvenus.
Une fois que nous sommes entrés dans la maison, Peter me désigne du menton le canapé. Après quelques derniers pas difficiles, je suis soulagée de littéralement jeter son ami, complètement soûl, dessus. Ce dernier, inerte, se laisse tomber dans un bruit sourd, sans émettre cette fois un quelconque grognement. Allongé sur le dos, il parvient néanmoins à porter un bras sur son visage pour cacher ses yeux de la lumière, ou de nos regards, voire probablement des deux.
J'observe Peter à la dérobée. Il exécute ses gestes de soin comme si leur pratique était coutumière. Il retire les chaussures de son pote, puis le couvre avec le plaid, arborant le même visage soucieux et triste qu'il affichait dans les bois.
Lorsqu'il estime que Kal est convenablement installé, il me fait signe de le suivre dans la cuisine.
— Un autre café ? me propose-t-il, tandis qu'il s'en fait couler un.
Je décline en secouant la tête et m'adosse au plan de travail, respectant le silence qui remplit la pièce. Je sens bien que Peter est aussi dépité que peiné, et je n'irai certainement pas poser des questions dont les réponses ne me regardent en rien. La seule qui me brûle les lèvres est : Je fais quoi moi, maintenant ?
— Tu devrais aller te coucher, Meghan, répond-il en écho à mes pensées secrètes. Tu te lèves tôt demain et vous avez beaucoup de marche à faire.
— Parce que tu crois vraiment qu'il sera en état de crapahuter dans la montagne ?
J'ai été un peu sèche, mais après tout, il y va aussi de ma survie si je laisse cet homme complètement ivre assurer ma sécurité demain.
— C'est une soirée comme les autres pour lui. Il sera apte dans quelques heures, fais-moi confiance. Mais si tu as des doutes, ce que je comprendrais, je peux te ramener à Sitka.
Plus insistant, tu meurs. Son ton n'est guère plus aimable que le mien. Je ne sais si c'est après moi que Peter est en rogne, ou après Kal, mais ses traits sont toujours aussi tirés, et son regard a gardé cette même lueur funeste qu'il avait dans la forêt.
— Je te l'ai dit, je ne peux pas quitter cette île sans rien. J'attendrai le temps qu'il faudra, mais je dois faire cette randonnée.
Peter hoche la tête, alors que ses yeux continuent de fixer un point imaginaire sur le sol. Il porte sa tasse à la bouche, la vide d'un trait, puis s'en débarrasse dans l'évier. Ses mains posées de chaque côté du bac, il regarde à présent par la fenêtre, toujours enfermé dans son silence de plomb. Je ne sais à quelles pensées obscures il s'accroche, mais de l'intérieur, la nuit paraît si sombre que je suis certaine qu'il ne peut rien distinguer au-dehors, mis à part des nuances de noir.
— Je vais y aller, me lâche-t-il en me faisant soudainement face.
— Et... lui ? J'en fais quoi ?
Je lui désigne Kal de mon pouce, sans jeter un œil vers ce dernier que j'entends ronfler bruyamment.
— Il est installé pour la nuit. Faut juste que je programme son réveil.
Peter se déplace jusqu'à son ami, se penche vers lui et le secoue pour extirper son téléphone de sa poche arrière. Une nouvelle fois, il me donne le sentiment de répéter des gestes, comme un rituel, trop souvent exécutés. Il pianote sur l'écran, puis pose le smartphone sur la table basse, sans un regard pour Kal.
— Je te raccompagne jusqu'au cabanon ?
— Ça va aller, merci.
Je ne connais ce garçon que depuis quelques heures, mais je suis certaine que celui que j'ai face à moi n'est pas le même Peter que ce matin. Trouble et tourments transpirent de ce visage qui m'avait paru jusque-là si jovial, si engageant à l'échange. Il émane de lui un certain abandon, comme une résignation d'un quelque chose dont je n'ai aucune idée, et surtout, qui ne me concerne pas. Pourtant, j'éprouve un accablement des plus empathiques et ressens comme si elle était mienne cette affliction palpable.
— Merci pour tout, Peter. Pour aujourd'hui et pour ce soir.
Je joins à mes paroles reconnaissantes un sourire que j'espère suffisamment généreux, faisant définitivement fi de l'agacement que j'ai au préalable ressenti à son contact. C'est probablement ainsi que je me fais souvent avoir par les profiteurs, mais je suis incapable de rester insensible au malheur. Et celui que je devine chez cet homme m'atteint en plein cœur et annihile mes plus viles défenses.
— Tu as mon numéro, n'hésite pas s'il se passe quoi que ce soit.
Je le remercie à nouveau, puis pars en direction du cabanon, quand lui regagne sa voiture, sans une attention pour mon guide toujours profondément endormi.
Cette journée fut éprouvante, mais surtout, on ne peut plus étrange. Bien que je ne connaisse pas les gens de cette île, j'ai le sentiment d'avoir pénétré dans leur intimité et ce, au-delà de la bienséance, voire de toute envie. Car soyons honnêtes, malgré toute ma sensibilité et ma compassion, je me serais bien passée du spectacle auquel j'ai assisté ce soir. Je me demande ce qui m'attend pour la suite, comment je vais arriver à gérer Kal, mais à cet instant, je préfère ne pas anticiper le pire et ne me focaliser que sur ce qui me fait rêver, à savoir une douche brûlante.
C'est à elle et uniquement à elle que je pense lorsque je pénètre dans la petite cabane. Je suis épuisée, mes muscles sont endoloris, et je porte encore sur moi les traces boueuses du chien de Kal, de mes fringues jusqu'à mes cheveux. Je sens sous mes doigts des mèches entières collées entre elles par la boue.
J'entre dans la salle de bains, fais couler l'eau de la douche et me hâte de retirer mes fringues tachées. Très rapidement, la petite pièce est plongée dans un épais brouillard de vapeur, apportant la chaleur qui me manquait jusque-là. Je me délecte à l'avance du contact de l'eau chaude sur ma peau, et une fois que c'est chose faite, je libère un gémissement jouissif. Les yeux fermés, le visage relevé vers le pommeau, je laisse l'eau me rincer de la saleté, mais également de mes contrariétés. En l'espace de quelques minutes, j'oublie tout.
L'heure tourne et je m'oblige à me laver, au risque de passer ma nuit sous cette douche bienfaitrice. Je shampouine avec générosité mes cheveux emmêlés, les yeux toujours clos, et je...
— NOM DE DIEU !!!
D'un bond, je m'expulse hors de la cabine de douche dont l'eau, devenue subitement glacée, continue à s'écouler à grands jets.
J'ai beau tourner les robinets dans tous les sens, rien n'y fait, la température de la flotte reste aussi froide que celle d'un ruisseau en plein cœur de l'hiver.
— Non non non non nooooon ! Pas ça, pitié, alleeeez, chauffe, je t'en prie chauuuuffe !!
Mais ma supplique n'aboutit pas et l'eau reste horriblement froide.
Je suis couverte de gel douche, ma tête est pleine de mousse, et bien évidemment, je me les gèle. Je m'enroule dans le drap de bain, fourni par mon cher hôte, et ne m'avouant pas vaincue, je persiste encore et encore à ouvrir et fermer les robinets. Mais jamais le miracle n'arrive. Il n'y a plus une seule goutte d'eau chaude.
En moins d'une minute, je fais le tour des possibilités qui s'offrent à moi : je me rince sous l'eau glacée ou je la fais chauffer au micro-onde dans une tasse à café, et demain, soyons clairs, j'y suis encore. Génial... Ou alors, je...
Il dormait si profondément que je suis certaine qu'il ne sentirait même pas un tremblement de terre ou une invasion de l'Armée des Morts. Il me suffirait de me faufiler dans sa salle de bains et, ni vu ni connu, je me rincerais et repartirais en douce, sans avoir réveillé l'ogre. Et dans le pire des cas, il se réveille et alors ? Ce n'est pas ma faute si le cumulus du cabanon est trop petit ou si la plomberie n'est pas en état. Et s'il avait été un minimum accueillant, il m'aurait peut-être prévenue de ne pas m'éterniser sous la douche. En-dehors d'obtenir son respect, je pense également avoir droit à un minimum d'hygiène !
Confiante et gorgée de « J't'emmerde, Ducon » que, me connaissant, je ne prononcerai pourtant jamais, j'enfile ma parka par-dessus ma serviette et glisse mes pieds dans mes boots. Mes vêtements de nuit sous le bras, je cours littéralement jusqu'au chalet. Le savon est visqueux sur ma peau et mes jambes nues me font claquer des dents, autant que ma tête mouillée.
Après avoir collé mon oreille sur la porte d'entrée, je l'ouvre avec prudence et pose un pied dans l'entrée. Je jette un œil empressé vers le salon pour m'assurer que Kal est toujours endormi. De ma place, j'entends ses ronflements. Rassurée, je mets mon deuxième pied à l'intérieur, mais une masse noire me saute dessus et me fait pousser un cri que je tente d'étouffer au creux de mes mains jointes.
— Couché, j'ai dit couché ! ordonné-je au chien en chuchotant.
Bazar, je l'avais oublié celui-ci !
Toujours aussi excité, Othello n'a que faire de mon injonction et continue de m'offrir une « fête » bien trop bruyante et handicapante, quand on veut se faire discret.
Je ne donnerais pas cher de ma réputation si je devais être surprise dans une telle position, à moitié à poil, en train de lutter pour garder ma serviette dessus et pour dégager ce con de clebs qui n'en fait qu'à sa tête.
— Assssssiiiiis !
Cette fois, je me suis montrée bien plus autoritaire, et Othello m'obéit, retournant dans son panier, la queue entre les pattes.
Libérée de son emprise affectueuse, j'avance à pas de loup jusqu'au canapé, afin de m'assurer que son maître est toujours assoupi.
Jusque-là, je ne vois que ses pieds, qui dépassent de la couverture, et le derrière de son crâne. Avançant toujours sur la pointe des pieds, je me tourne vers Othello et, index sur mes lèvres, je lui fais signe de rester sage, alors qu'il lâche des petits jappements pour attirer mon attention.
Je termine de contourner le sofa et me retrouve face au monstre. Ses deux bras sont campés au-dessus de sa tête. Merde, avec celle-ci penchée sur le côté, on dirait la nana de Titanic quand elle pose nue pour Di Caprio. Je me retiens de rire, me gifle intérieurement d'avoir ce genre de pensée débile et déplacée, mais m'accorde la fatigue pour excuse. Ses yeux clos et les grondements qui s'échappent de sa gorge me confirment qu'il dort toujours. Je suis rassurée et devrais foncer vers la salle de bains, pourtant, je reste quelques secondes supplémentaires à regarder cet homme.
Il paraît si inoffensif, là, comme ça, allongé et inconscient. Si paisible aussi. Ses traits se sont détendus, et mis à part l'épaisse barbe qui mange la moitié de son visage, il revêt d'un coup un air innocent, presque enfantin, avec sa peau lisse, sa bouche en cœur et ses longs cils noirs. Seule la présence des bouts de tatouages, qui s'échappent de l'encolure de son tee-shirt, témoignent chez lui d'une face beaucoup moins angélique. Ça et son attitude de connard avec moi. Sans parler de son penchant dramatique pour l'alcool. Il n'empêche que fichtre, ce con est vachement beau !
Et moi, je dégouline de partout et dégueulasse son plancher.
Je me ressaisis, m'arrache à ma séance de matage et fonce dans la salle de bains, dans laquelle je m'enferme.
Je retrouve la petite pièce découverte un peu plus tôt dans la soirée. Ses murs sont aussi en bois, mais cette fois, il règne dans cet espace une chaleur que je n'avais pas trouvée dans le reste de la maison. Sûrement que la jolie baignoire blanche aux pieds de lion y est pour quelque chose. Sa porcelaine immaculée est identique à celle du lavabo, monté sur un joli meuble en bois vieilli. Les étagères sont chargées de serviettes de bain, apportant enfin les touches de couleurs qui manquent cruellement au séjour sans vie.
Je cesse mon observation et me hâte de monter dans la baignoire pour enfin me rincer.
Je tire le rideau de douche et ouvre les robinets.
Béni soit ce jour ! L'eau est chaude, presque brûlante, mais je prends cette température comme mon bonheur du jour et la laisse recouvrir mon corps gelé. Je termine enfin ce que j'avais commencé quelques minutes plus tôt dans la cabane. L'eau s'infiltre entre mes cheveux et emporte avec elle les résidus de shampoing.
Ne me souciant pas une seconde de laisser de l'eau chaude à une éventuelle prochaine personne, je ferme les yeux et laisse le flux masser mon crâne trop malmené durant les dernières heures. Tout est si calme, si apaisant. Mis à part le bruit du jet sur ma peau et la chaleur de son contact, je n'entends et ne ressens rien d'autre.
Je devrais fermer le robinet et aller me coucher, mais je ne...
— AAAAAHHHHH !!! hurlé-je alors que le rideau de douche s'ouvre brusquement.
Comme par réflexe, je retire le pommeau de son emplacement et braque ce dernier sur le voyeur sociopathe qui vient de me coller la trouille de ma vie. Je maintiens le jet sur lui, comme s'il s'agissait d'une arme à feu, sans me soucier une seule seconde de ma nudité ni de l'inutilité de mon geste.
— Bordel, mais arrêtez ! gueule-t-il en essayant de m'arracher le pommeau.
Chose qu'il parvient à faire, après une lutte acharnée, enfin, me concernant.
Des duels silencieux, j'en ai vu un paquet à la télé, mais aucun ne ressemblait à celui-ci. Non, je n'ai définitivement pas le souvenir que dans « Le Bon, La Brute et Le Truand », un des cowboys ait fixé un des deux autres, tout en étant à poil !
Des westerns. Voilà à quoi je pense, au lieu de chercher à bouger, à me cacher, à... j'en sais rien, mais à faire quelque chose de plus efficace que de rester plantée là, nue comme un ver, le syndrome de stress post traumatique impeccablement plaqué sur mon visage. Je suis certaine que mes yeux sont aussi ronds que ma bouche et qu'à ce rythme, ma mâchoire va se décrocher et finir en morceaux au sol.
Aréactive, je regarde Kal, complètement tétanisée. Lui, il ne lui manque plus que les grognements pour parfaire sa physionomie d'ours. Mâchoires contractées, yeux noirs au possible, malgré leur teinte initiale dorée, sourcils froncés. Ça a des sourcils un ours ? Pff, ché pas...
Je ne savais même pas qu'on pouvait autant penser, réfléchir, tout en étant dans une situation si fâcheuse, sans même bouger un orteil. Il me semble qu'il y a un état pathologique qui s'appelle comme ça... Argh, je n'arrive plus à mettre le doigt dessus... Le locked-in-syndrom ! Voilà, c'est ça ! Une espèce d'état neurologique qui vous paralyse complétement, mais dans lequel vous gardez toutes vos fonctions cognitives et qu...
— Qu'est-ce que vous foutez dans ma douche ?
Il gueule à nouveau.
Il est tout rouge de colère.
Il est trempé.
Nom de Dieu, j'ai failli noyer mon hôte ! L'eau ruisselle de ses cheveux jusqu'à ses pieds, autour desquels une énorme flaque s'est formée.
Mes yeux refont le parcours inverse, remontent tout aussi lentement du sol jusqu'à son visage, pour terminer à nouveau sur son regard. Un regard qui se balade lui aussi sur... moi.
Putain ! Je suis à poil, nom d'un carcajou enragé !!!
Cette fois, je parviens à sortir de ma torpeur. Sans réfléchir, je chope le rideau de douche en plastique et tire dessus comme une folle, afin de me recouvrir. Ouaip, avec beaucoup beaucoup trop de poigne...
Si fortement, que je l'arrache des anneaux. Si déterminée, qu'en une seconde, il me drape. Si stupidement, que la barre qui le retenait cède elle aussi et percute ma tête. Si violemment, que j'en perds l'équilibre, glisse et termine de m'assommer en me cognant l'arrière du crâne sur la faïence. Si durement, que j'en perds connaissance – toujours à poil.
#######
Haha, vous verrez, la petite Meghan n'en loupe pas une !
Ici, c'est juste une mise en bouche...
Par contre, quelque chose me dit que son réveil ne va pas vraiment être digne de celui de la Belle au bois dormant (Hihi)
Bisous Kal-iente ***
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