Point de vue de Derek 

Melissa finit par revenir vers nous après plusieurs heures d'attente, la mine exténuée.

— Alors ? la hèle brusquement Peter dès qu'il l'aperçoit.

— J'ai fait passé plusieurs examens à Madison et j'ai trouvé des choses qui ne vont pas vous plaire... commence-t-elle à voix basse.

— Comment ça ? la questionné-je.

— Madison a été abusée sexuellement par plusieurs individus récemment. J'ai retrouvé cinq échantillons de sperme différents sur elle. Après ce viol collectif, elle a été rouée de coups et j'ai relevé plusieurs hématomes sur son corps ainsi que sur son visage. Madison ne souhaitait pas vous en parler mais j'ai réussi à la convaincre du contraire. La perte de connaissance résulte certainement d'une douleur lancinante qui a dû irradier en elle à un moment précis, continue-t-elle alors que nos visages se décomposent au fur et à mesure que nous assimilons ses paroles.

La colère se lit sur le visage de notre oncle qui tremble de tous ses membres. Il a beaucoup de mal à se contenir suite à cette annonce à glacer le sang.

— Où est-elle ? tonne-t-il, le regard furibond.

— Elle va arriver d'ici quelques minutes. Je l'ai laissée dans la salle d'examens le temps qu'elle reprenne ses esprits tranquillement, l'informe l'infirmière d'une voix neutre.

Je suis furieux. Ces salops n'avaient aucun droit de lui faire subir ça. Mon instinct ne m'avait malheureusement pas trompé. Et en toute honnêteté, j'aurais préféré...

Madison venait de vivre un évènement réellement traumatisant et je n'avais pas été là pour elle.

J'attends avec impatience de connaître l'identité de ces monstres pour leur rendre une petite visite. Je n'ai aucun doute sur le fait que Peter et Kieran se joindront à moi. Ma frangine pourra également compter sur le soutien sans failles de ses amis, Brady, Ethan, Allison et Malia, qui ne resteront pas, eux non plus, les bras croisés.

Vous en prendre à Madison était loin d'être une bonne idée... Et croyez-moi, vous n'en sortirez pas vivants...

Mes pensées sont interrompues par les portes qui s'ouvrent sur notre héroïne tant aimée. C'est comme si le monde s'était arrêté et qu'il n'y avait plus qu'elle qui existait. Vous savez, comme ce moment dans les films où le personnage principal arrive au ralenti d'une démarche assurée et en balançant ses cheveux longs et soyeux. La ressemblance s'arrête rapidement. Elle se dirige vers nous, boitillant de temps à autre et plus pâle que d'habitude. Plus elle se rapproche de nous et plus je vois apparaître les nombreux bleus qui la défigure. Je sens la colère monter en moi au fur et à mesure mais tente de faire bonne figure.

Pour elle.

Ces connards ne l'ont pas loupée. Je leur en veux et ne suis pas prêt de laisser passer le cauchemar qu'ils lui ont fait subir. Ils auraient pu la tuer.

Madison, elle, n'a jamais fait de mal à une mouche. Elle est généreuse et fait toujours preuve de délicatesse. Son altruisme lui vaut d'ailleurs beaucoup d'admiration au lycée. Bon nombre de personnes veulent lui ressembler et prennent exemple sur elle. Cela ne la dérange pas plus que cela. Elle a toujours aimé être au centre de l'attention et être admirée.

Peter ne la laisse pas arriver. Il se précipite vers elle et l'attire contre lui, oubliant totalement ce qu'elle vient de vivre et les ecchymoses qui se trouvent sur son corps. Il la serre comme si sa vie en dépendait, protecteur.

Kieran, Jordan et moi-même, attendons notre tour en retrait.

Ma cadette met fin à leur étreinte après plusieurs longues secondes. Son regard noisette croise le mien. J'y lis de la honte et beaucoup de peine. Elle baisse le nez, piteuse. Ce sont eux qui ne devraient plus réussir à se regarder dans le miroir... Elle balaie le reste de l'assemblée et fixe avec attention Kieran avant de finir par s'arrêter sur Jordan, mon meilleur ami.

Je ne l'ai jamais vu dans un tel état. Il l'étudie, les yeux embués de larmes. Madi' semble très touchée par l'émotion qu'il ne parvient pas à dissimuler.

Elle finit par s'approcher de lui.

— Merci pour tout, lui dit-elle, sincère et reconnaissante.

Point de vue de Madison

Le retour à la réalité me frappe de plein fouet. Je ne suis pas morte. Pas encore du moins.

Revoir Jordan ainsi que ma famille m'apporte un peu de baume au coeur. Ils sont au courant. Leur regard a changé. Ils me dévisagent avec pitié, compassion, colère et indignation.

Lorsque j'arrive, Peter se précipite vers moi et m'étouffe pratiquement contre lui. Je grimace de douleur. Mes agresseurs ne m'ont pas loupée. Après plusieurs instants d'enlacement avec mon oncle, j'y mets fin.

Mes yeux s'arrêtent sur Jordan qui m'observe lui aussi. Sa façon de m'examiner est différente. Mon viol et les violences subies ne semblent pas l'arrêter. Il semble être prêt à continuer notre relation naissante, malgré tout ce qu'il a appris. Il ne me toise pas avec pitié. Non. Il me regarde avec compréhension, douceur et tendresse.

Je romps l'espace qui nous sépare et me plante devant lui.

— Merci pour tout, lui dis-je reconnaissante.

— Merci pour quoi ? me demande-t-il, pris de court.

— D'avoir appelé pour que je sois prise en charge ici. D'avoir usé de ton temps pour une personne qui n'en vaut pas spécialement la peine. D'être présent encore maintenant, lui énuméré-je, réellement touchée.

Il lève sa main et m'impose de me taire. Je reste interdite par son attitude autoritaire et ferme aussitôt la bouche.

— Madison, ne le prends pas mal, mais sincèrement, je trouve que je n'ai pas fait grand chose. J'ai tout simplement réalisé que je ne pouvais pas rester les bras croisés à attendre que tu te réveilles. Ta famille s'est montrée toute aussi présente, sinon plus. Sans parler de Melissa qui s'est investie pour te prodiguer les différents soins dont tu avais besoin. me reprend-il d'une voix douce.

Je reste sans voix et perds mon faible sourire, quelque peu blessée. Je pensais qu'il serait touché que je le remercie. Mais c'est tout le contraire. Cela représentait beaucoup pour moi. Tant pis. Je commence à avoir l'habitude de vivre autant de déceptions. Je ne suis plus à une près.

J'ai bien évidemment conscience que ma famille et que Melissa ont joué également un rôle primordial dans cette histoire mais je tenais vraiment à lui exprimer toute ma reconnaissance, qu'il refuse, visiblement.

Il m'observe, attendant ma réponse. Je ne sais même pas quoi dire suite à cela. J'ai beau me triturer les méninges, rien ne vient, comme si mon cerveau n'était plus en mesure de répondre présent.

— Tu as raison. Je vais rejoindre ceux pour qui j'ai de l'importance, finis-je par dire avant de tourner les talons.

En plus des nombreux coups que j'ai subis, je sens mon coeur s'effriter au fur et à mesure que j'avance vers ma famille. Je ne comprends même pas pourquoi je ressens ce genre d'émotions. Je le connais à peine.

Je tente de faire bonne figure et leur adresse un sourire qui doit être aussi fané qu'une fleur qui a fait son temps.

— Je suis heureuse de vous voir, leur dis-je, sincère.

— Nous aussi Madi', m'assure Derek en m'attirant contre lui.

Je vois Jordan, au même moment, s'éloigner et sortir dans le froid hivernal. Mon coeur se serre davantage. Je resserre mon emprise autour de mon frangin, ayant besoin de réconfort.

Peut-être que finalement je me suis trompée sur toute la ligne. Peut-être que l'adjoint du shérif ne souhaite plus me voir suite à ce que j'ai vécu. C'est vrai que parler à une jeune fille qui a été violée, c'est comme parler à une pestiférée. 

Et si ce que j'avais interprété comme un regard de tendresse et de douceur n'était rien d'autre que du dégoût voire de la répulsion ?

— Tu souhaites certainement rentrer pour te reposer ? propose mon oncle, me sortant de mes pensées.

— Oui, en effet. Dormir ne pourra que me faire du bien, réponds-je, épuisée tant moralement que physiquement.

— Alors en route, conclut-il, ne souhaitant pas s'éterniser ici.

Nous nous mettons en marche et le suivons jusqu'à son 4x4 tout terrain. Derek m'aide à m'y installer. Le chemin du retour se fait en silence. Cependant, ce dernier n'est pas pesant. Ces évènements nous ont tous laissés sur les rotules.

Je ferme les yeux et repose ma tête sur l'épaule de Kieran. Ses caresses sur ma hanche m'apaisent. Mes paupières se font plus lourdes. Que j'ai hâte de retrouver mon lit...