Le Dernier Café avant La Fin Du Monde


Le 21 décembre 2024.

Il était 8h47, et je me trouvais dans un café qui sentait le café. Un de ces petits cafés locaux où l'on est toujours accueilli par une odeur de sucre brûlé et de promesses non tenues. La serveuse, Pauline, faisait son habitude : un sourire forcé, un regard de dédain caché derrière son uniforme trop grand. Ce matin-là, elle ne m'a même pas demandé ce que je voulais. Elle m'a simplement tendu un mug et m'a dit d'un air blasé : « Vous connaissez la chanson. »

Elle avait raison. Je connaissais la chanson. Ce n'était pas un matin comme les autres. C'était le matin où, selon les rumeurs, la fin du monde allait frapper. À 12h23 précisément. Un beau chiffre, non ? À croire que les extraterrestres ou Dieu ou je ne sais quelle entité interdimensionnelle s'étaient dits : "Tiens, faisons ça à une heure sympathique, histoire de ne pas trop déranger l'heure du déjeuner."

Je sirotai mon café, observant le reste de la clientèle. Monsieur Lefebvre, le vieil homme en costume, avait ses yeux rivés sur un journal de poche, mais je savais bien qu'il n'avait rien lu depuis dix ans. Il était juste là, présent, pour la forme, pour faire genre « je suis encore vivant, mais pas pour longtemps ».

À côté de lui, Léa, la barista remplaçante, me lança un regard appuyé. Elle n'était là que pour quelques semaines, mais je pouvais déjà sentir qu'elle allait faire sa propre thérapie à travers les conversations que nous n'allions pas avoir. Pas un mot, mais une tonne de non-dits. C'est assez fascinant, le non-dit. La façon dont il envahit l'espace comme une couverture de polar qu'on aurait laissée dans la machine à laver un peu trop longtemps.

Je pris une profonde inspiration. La fin du monde. C'est censé être un événement marquant, non ? Mais je n'arrivais pas à m'enthousiasmer. J'avais l'impression que j'étais comme tout le monde : un peu fatigué, un peu désabusé, un peu déprimé. Et un peu fatigué aussi, mais c'était sans doute un détail.

— Tu crois qu'on va vraiment mourir ? m'interrogea Pauline, comme si c'était une question parfaitement normale à poser un mardi matin, une tasse de café à la main.

Je haussai les épaules.

— Bah... on est encore là, non ? répondis-je, en observant le plafond d'un air pensif. Et puis, la fin du monde, ça doit être moins spectaculaire que dans les films, non ? Je parie qu'on va juste se réveiller un matin, et pouf... plus rien. 

Pauline se frotta le menton.

— Ouais, c'est possible. Mais imagine si ça se passe vraiment comme dans les films ! Genre des zombies, des météores... Ça, ce serait fun !

— Ouais, fun... je répondis, tout en enfonçant ma cuillère dans le sucre. On pourrait peut-être même faire un cocktail. Un 'Zombie Apocalypse', avec du rhum, de la grenadine et des glaçons en forme de crâne. 

Elle éclata de rire.

— C'est ça ! Parce qu'on sait tous qu'après avoir survécu à l'extinction de l'humanité, on aurait vraiment envie de boire un verre avec des glaçons en forme de crâne.

Le ton s'allégea un peu. Et c'est là qu'un bruit étrange se fit entendre, venant de l'entrée du café. La porte s'ouvrit lentement, dans un grincement dramatique. C'était un peu théâtral, et je me surpris à lever les yeux au ciel.

Un homme entra. Il était vêtu d'une combinaison de survie high-tech, équipée de ce que je présumais être un GPS, un pistolet, un kit de premiers secours et probablement aussi un réchaud à gaz (je n'étais pas sûr, mais j'aimais l'idée qu'il était prêt à tout). Il s'arrêta, balaya la pièce d'un regard grave, et s'avança vers le comptoir.

Pauline le fixa un instant, un sourire fatigué aux lèvres.

— Un café ?

— Non, merci, répondit l'homme, en posant son sac sur le comptoir. J'ai un plan pour sauver le monde. Mais d'abord, je voulais savoir si vous avez du lait d'amande.

Je restai bouche bée. Lui, sauveur de l'humanité, en quête de lait d'amande.

Pauline, sans se démonter, répondit : Oui, bien sûr. C'est dans le frigo, au fond à gauche.

L'homme hocha la tête et se dirigea vers le frigo avec une lenteur calculée, comme s'il craignait que chaque geste soit observé par une organisation secrète de l'ombre. Il revint avec sa petite brique de lait d'amande, la tendant comme un trophée.

— Merci. Maintenant, j'ai besoin d'une salle de réunion. Un endroit où je peux élaborer la stratégie pour contrer l'apocalypse, tout en buvant mon lait d'amande.

Je crois que Pauline aurait bien voulu lui répondre quelque chose, mais elle se contenta de le regarder avec l'air d'une personne qui a vu des choses bien plus étranges. Après tout, dans cette époque de fin du monde, l'absurde était devenu la norme.

Le type s'assit à une table, sortit un ordinateur portable dernier cri, et se mit à pianoter furieusement. Je le regardai un instant. Et puis je haussai les épaules. De toute façon, qui était-je pour juger ? Lui, au moins, avait un plan.

Le temps passa. L'heure fatidique arriva. Il était 12h23. Mais à part une légère brise qui entra par la porte mal fermée, rien ne se produisit. Pas de météore, pas de tremblement de terre, pas de zombies enragés. Juste un silence lourd, comme celui qui s'installe après une blague qu'on attendait mais qui n'est jamais venue.

Je m'étirai, un peu déçu, un peu soulagé.

Pauline se tourna vers moi et haussant les sourcils, dit : 

- Bon, et maintenant ?

Je pris une grande inspiration.

— Ben, maintenant, on attend la fin du monde. Mais on pourrait toujours ouvrir un bar à la place, et servir des cocktails avec des glaçons en forme de crâne.

Elle sourit.

— Pourquoi pas. Mais seulement si le lait d'amande est inclus.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top

Tags: #bazar