Elle danse
La pluie s'était enfin arrêtée. Le ciel, débarrassé de ses nuages menaçants, s'était ouvert en une vaste toile azur, invitant le monde à respirer à nouveau. Dans la petite place pavée au cœur du vieux quartier, la danseuse était là, seule, face au vent. Ses pieds nus touchaient à peine le sol, comme si chaque mouvement s'enveloppait de légèreté, chaque geste une promesse d'envol.
Elle s'appelait Lila, et chaque après-midi, elle venait s'installer dans cet espace qui, en dehors des heures de marché, semblait être oublié de tous. Mais Lila n'avait que faire des regards des passants. Elle dansait pour elle-même, pour ce quelque chose d'indéfinissable qu'elle cherchait sans cesse à saisir, comme une mélodie suspendue dans l'air.
Le vent soufflait doucement, caressant ses cheveux, soufflant sur ses bras comme des ailes invisibles. La danse qu'elle exécutait n'était pas simplement une succession de mouvements : c'était une conversation avec la nature, une discussion intime avec l'air, la terre, et l'espace. Chaque pirouette semblait être une réponse à une question qu'elle n'avait pas formulée.
Au loin, une vieille femme, les mains pleines de légumes, s'arrêta un instant, fascinée. Elle avait vu des danseuses dans des théâtres de marbre, des spectacles où les corps s'agitaient sous des projecteurs puissants. Mais ce qu'elle voyait ici était autre chose. Lila dansait sans prétention, comme si elle n'attendait rien, comme si la danse ne faisait que naître du moment même, libre de toute contrainte.
La musique, il n'y en avait pas. Pas de mélodie, pas de rythme dicté par une partition. La danse de Lila était celle du silence, un silence peuplé de bruits de la nature : le froissement des feuilles, le murmure du vent, le bruit de ses pieds effleurant les pavés. C'était la danse du monde, sans frontière, sans limite. La danse du vent.
Les heures passaient. Les rares passants qui avaient fait une halte, curieux ou désireux de se réchauffer un peu sous le soleil timide, laissaient leurs yeux se perdre dans les gestes fluides de la jeune femme. Lila ne se préoccupait pas d'eux, bien qu'elle fût consciente de leur présence. Elle savait qu'il y avait une beauté qui ne se décrivait pas, une beauté qui ne se possédait pas, mais qui était donnée à ceux qui savaient regarder sans attendre de récompense.
Un homme, jeune et maigre, vêtu d'une veste en cuir usée, s'arrêta aussi. Ses mains, nerveuses, se frottaient contre son pantalon. Il regardait Lila comme si elle était un rêve qu'il ne voulait pas effacer. Il la regarda longtemps, sans rien dire, comme si chaque mouvement de la danse l'emportait un peu plus loin de lui-même. Puis, sans un bruit, il se détourna et s'éloigna, emportant avec lui un souffle de légèreté, une sensation d'espace qui n'existait plus ailleurs.
Lorsque le soleil commença à s'incliner à l'horizon, Lila s'arrêta. Elle resta là, les bras levés, comme si elle attendait la réponse du vent, comme si elle attendait que quelque chose en elle se fasse, se déploie. Le silence était total, et dans ce silence, elle sourit, sereine.
Elle savait que sa danse n'était jamais finie. Elle était toujours là, invisible, prête à revenir à la moindre brise, à la moindre étoile. La danse du vent ne cessait jamais, et elle en faisait partie, comme une plume portée par le souffle du monde.
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