Epilogue

Je continuais alors de mentir. Je n’échappai pas à la clinique, au lendemain de mon escapade au studio de danse. J’y restais deux semaines et demi. Je profitais du temps libre excessivement long pour réviser. Penser à mon bac m’occupait l’esprit, et c’est bien ce que je cherchais. Il restait une dernière épreuve, l'oral de français. Je rencontrais comme d’habitude une floppée de psychologues, médecins et aides-soignants. Je repris même du poids. 580 grammes exactement. Je mangeais, racontais ce que voulaient les médecins et m’aérais dans la petite cour de la clinique. Il n’y avait plus les photos pour me tenter, l’environnement apaisant me calma, pour tout dire. La présence livide d’Adriana se faisait même moins présente.

Je me contentais de traîner le fardeau de la culpabilité partout où j’allais. J’ai parfois craqué et pleuré toutes les larmes de mon corps, au milieu de la nuit. Les médecins m’avaient laissé partir pour que je passe mon bac, avec l’obligation de revenir faire des examens deux fois par mois à la clinique. Je devais bien sûr voir mon psy tous les mardis et samedis. Je passai l’essentiel de la fin du mois de juin à travailler. J’obtenu la note très moyenne de 9.92. Je n’eus même pas besoin d’aller au rattrapage, je fus accepté en raison d’un proviseur très sympathique, qui appuya mon dossier. Je pus fêter ma victoire admirable, comme disait ma mère, avec toute la famille au complet. Il eut un petit moment de flottement lorsque ma sœur me demanda si j’allais mieux. J’avais fini par esquisser un petit sourire.
Je passais un bon mois de juillet, mes parents s’étaient pliés à tous mes désirs pour m’offrir un bon été. Visiter l’Amérique du Sud avait toujours été un de mes rêves, et il s’était réalisé pendant trois semaines, partagées entre l’Argentine et le Brésil. J’étais très reconnaissante à mes parents, qui m’avaient offert ce si beau cadeau, même si… J’avoue que je n’avais pas été complétement heureuse. Pourtant je l’avais souhaité de tout mon cœur, mais quelque chose m’en empêchait.
J’ai peur de n’être jamais complétement heureuse, satisfaite. De retour en France, j’avais passé mes examens physiques et psychologiques, qui avaient été concluant. Puis j’avais patienté. Jusqu’à ce jour, qui me terrifiait.

Me voilà donc dans mon lit, fixant le plafond, la gorge déjà serrée. C’était la fameuse journée. Je me levai et pris mon petit-déjeuner avec ma mère, qui fut aux petits soins avec moi.

- Tu… Tu tiens le coup, ma chérie, me demanda-t-elle lorsque j’enfilai mon manteau.

Je hochai la tête doucement. Toutes les deux, on alla à la gare où nous attendait le train. Durant le trajet, je fus incapable de lire le moindre livre, ni écouter la moindre musique, trop plongée dans mes pensées. L’annonce de la gare par la voix grésillant des haut-parleurs me pétrifia. Je restai enfoncée dans mon siège, les doigts plantés dans l’accoudoir.

- On descend, Inès, me signala-t-elle doucement.

Je réussis à me lever et sortir sur le quai, la main de ma mère sur mon épaule. On avança alors, traversant la place du village jusqu’à l’église. C’était un vieux bâtiment, mais on ne s’y arrêtait pas. On contourna la bâtisse jusqu’au cimetière. Mes pieds refusèrent alors de bouger.

- On n’est pas obligé d’y aller, s’empressa de dire ma mère, on peut attendre le prochain train et…
- Je dois le faire, maman.

J’aperçus ma tante, qui marchait lentement dans l’allée entre les tombes, voûtée comme si elle avait pris dix ans de plus. Je m’approchais d’elle et elle me serra très fort dans ses bras. Je fus incapable de lui rentre son étreinte, restant les bras ballants.

- Juan est encore là-bas, m’indiqua-t-elle.

Je me détachai d’elle et avançai. Je passai dans l’allée en prenant soin de fixer mes chaussures. Pourtant le lieu était bien décoré, des gravillons blancs menaient des accès aux rangées de tombes, de nombreux pots débordants de fleurs blanches étaient posés à intervalles réguliers et on pouvait même entendre l’orgue de l’église. Tout avait été placé pour éloigner l’atmosphère austère propre à ses lieux. Je finis par lever la tête et repérer un petit garçon, au bout d’une allée. A l’entente de mes pas sur le gravier, il leva la tête vers moi.

- Inès, tu es là, murmura-t-il.

Et c’est tout naturellement que je le pris dans mes bras. Ses bras se nouèrent autour de ma taille et il enfouit son visage dans mon T-Shirt.

- Ça fait longtemps, hein, lui dis-je en essayant de sourire.
- Un an, me répondit-il.
- Un an, répétai-je.

On resta quelques instants enlacés, et il finit par se détacher de moi.

- Elle est là, murmura-t-il en se décalant.

Après une brève hésitation, je m’approchais. La tombe était simple : du marbre gris et une stèle avec des lettres blanches gravées dessus. Son nom complet et sa date de naissance apparaissait. Je déglutis doucement. Je me sentis soudain bête, avec mon bouquet de lys que j’avais acheté il y a dix minutes au fleuriste du coin. Elle méritait un véritable jardin, avec toutes sortes de fleurs colorées, des pissenlits, des tulipes rouges, des jonquilles jaunes et des roses. Pas un malheureux bouquet blanc. Je le posai néanmoins à côté des fleurs blanches déjà présentes, au milieu de la tombe. De toute façon, elle n’était plus là pour voir cette pauvre tombe bien trop pâle. A cette pensée, ma respiration se coupa. Je tombai à genoux et me mordis la lèvre pour ne pas sangloter. Je sentis des larmes dévaler mes joues, malgré mes efforts.

- Je suis tellement désolée, soufflais-je.
- Pourquoi tu dis ça, me demanda doucement Juan, derrière moi.

Je tournai la tête vers lui. Ses yeux si bleus me rappelaient douloureusement les siens.

- C’est de ma faute, avouais-je enfin, j’aurai dû faire attention, empêcher…
- Inès, me coupa Juan, ce n’est pas de ta faute.

Tous mes muscles se figèrent. Mon cerveau semblait refuser d’intégrer ce qu’il me disait.

- Tu n’y es pour rien, poursuit Juan avec une maturité qui m’étonnait de sa part, elle était déjà… mal dans sa peau. Et Maria l’a incité à faire ça. C’est elle la responsable.

Complétement perdue, je le fixai en silence. Il s’assied à côté de moi et me prit la main.

- Tu… Tu l’as aidé, alors que maman, papa et moi on ne savait pas du tout ce qu’il se passait. Ad… Elle t’aimait beaucoup.
- Mais elle m’a fait promettre que je devais la surpasser et…
- Ne l’écoute pas. Elle pensait que c’était bon pour elle. Mais c’est faux, tu vois bien le résultat !

Il ferma les yeux et sembla sur la point de fondre en larme. Il essuya ses yeux rougis puis reprit.

- S’il te plaît, Inès, promets-moi que tu vas t’en sortir. Pour elle. Pour toi.
- Tu veux dire que… Ce n’est pas de ma faute, lui dis-je avec peine.
- Mais non, Inès, pourquoi ça le serait ? Tu as fait de ton mieux…

Ce fut comme un déclic. Toute la culpabilité fondit avec les larmes. Ce n’était pas de ma faute. J’appuyai ma tête contre son épaule, ayant enfin l’impression que l’étau autour de mon cœur avait disparu. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Maria avait entraîné sa sœur fragile psychologiquement dans un régime insensé. Je n’y étais pour rien. Mes larmes étaient de soulagement, cette fois-ci. Je ne l’avais pas tué.

- Je promets que je vais m’en sortir, murmurais-je, et que je ne vais pas l’oublier.

Juan hocha la tête doucement. Je me relevai, et regardai une dernière fois la tombe. Je me souvins de son sourire, de son rire, de son attitude drôle. Et cela me fit du bien. Je laissai le fantôme d’Adriana au teint livide et aux yeux voilés là où il devait demeurer, sur sa tombe. Je descendis le sentier jusqu’au portail. Ma mère me fit un câlin et je la serrai fort contre moi. Cette visite avait été nécessaire pour que je vois la vérité.

On fit toutes les deux le tour du village, silencieuse, profitant du beau temps. On retourna à la place du village, dix minutes avant le départ. La gare se profilait à l’horizon, entre une rangée de pins et le flanc de la montagne. Je sortis mon appareil photo de mon sac à dos puis cadrai soigneusement.

Clic.

Nouvelle photo. Nouveau départ.

---- Fin ---

Bonjour à tous,
Je n'arrive pas à croire que j'ai vraiment écrit le dernier chapitre...
Laisser Inès et ses souvenirs me fait comme un pincement au coeur, mais je suis vraiment fière de cette fiction. La fin est comme je l'imaginais, depuis le début.

N'hésitez pas à laisser votre avis, même ceux qui d'habitude ne commentent pas, j'aimerai vraiment connaître vos opinions ^^

Merci énormément à mes premières lectrices, ainsi qu'à leur commentaires qui m'ont fait sourire niaisement en les lisant ;)

Encore merci à tous,
À bientôt dans d'autres fictions,

Eva <3

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