Chapitre 5
Cédant à la curiosité et à une soudaine impulsion, je retournai la photo suivante.
Je pense que c’était ma photo préférée, de ses vacances. On pouvait y voir Juan, le petit frère, les sourcils froncés par la concentration. Il observait un jeu d’échec, dont on voyait un bout du plateau de jeu en bas du cliché. Ses boucles brunes tombaient avec désordre sur ses tempes et son front, et la clarté du soleil mettait en valeur ses yeux bleu gris, qui avait une teinte plus clair sur cette photo. Une vraie bouille d’ange.
***
- Arrête de me prendre en photo, protesta-t-il en croisant les bras.
Je posai l’appareil photo sur la table, l’air de rien.
- Joue, au lieu de parler sans arrêt.
Il avança soudainement sa tour et me mangea ma reine. Je perdis mon sourire, et ce fut à son tour de me sourire malicieusement. Des éclats de rire nous parvinrent de la maison, suivit du claquement de la porte d’entrée. J’en fus étonnée, car depuis quelques jours, l’ambiance n’était au beau fixe. Les sœurs se parlaient à peine, à cause de l’incident de la soirée. Adriana avait fini par inviter sa sœur faire une après-midi shopping, car selon elle, Maria ne pouvait résister à l’enthousiasme quand elle faisait les boutiques. Et ça avait apparemment marché. Les deux jumelles firent leur apparition sur la terrasse en souriant.
- Ah, vous êtes là tous les deux, s’exclama Adriana.
J’avais passé l’après-midi à jouer avec Juan aux échecs, et j’étais en train de perdre lamentablement.
- Inès, on pensait faire un peu de rangement dans nos placards, on pourra te filer des fringues si tu veux, me proposa Maria.
- Ah, bien sûr, je viens, m’exclamais-je, bien contente d’écourter l’humiliation des échecs.
Et voilà pourquoi je me trouvai, dix minutes plus tard, au milieu d’une montagne de vêtements, dans la chambre que se partageait les jumelles.
- Ça pourrait t’aller, cette chemise, fit remarquer Adriana en me tendant le vêtement.
Certains de ses habits m’allaient, du moins, ceux qu’elles avaient depuis quelques années. Elle m’avait en effet dit qu’elle n’avait pas toujours été aussi mince que maintenant.
J’avais déjà récupéré une paire de sandales à talons compensés de la part de Maria, et un T-Shirt décoré de jolies motifs d’Adriana. La chemise m’allait aussi, je la rajoutai donc à la pile.
- Merci beaucoup, dis-je en souriant.
- Ad’, tu ne voudrais pas ce pantalon noir, demanda Maria, j’avais oublié que j’en avais un autre lorsque je l’ai acheté.
Sa sœur essaya le pantalon, mais elle eut du mal à le faire passer au niveau des cuisses.
- C’est trop serré, constata Adriana en grimaçant.
- Ah bon ? Parce que moi, la taille était parfaite.
Je jetai un regard à Maria, pas sûr que la remarque soit appropriée. Maria était plus fine que sa sœur, car elle faisait beaucoup de sport, et n’avait que des muscles. Adriana, quand à elle, avait des formes plus prononcées, plus féminines que celles de sa jumelle. Mais je préférai de loin le physique d’Adriana : je trouvai les courbes féminines plus jolies.
- Bon, dommage, dit Adriana en retirant le pantalon.
- Si ça ne te va pas, cette jupe ne t’ira pas non plus, soupira Maria en jetant dans un coin une jupe patineuse rose.
Les yeux d’Adriana s’agrandirent en voyant le vêtement.
- Oh elle est trop belle, s’exclama-t-elle.
- Mais c’est du 36, répliqua un peu trop sèchement Maria à mon goût, pour qu’elle t’aille, il faudrait que tu fasses un peu de sport.
Ah oui. Le sport pour Maria, c’était comme les maths pour mon père.
- Demain, je vais faire un petit footing, annonça Maria en écartant un tas de vêtement qui traînait par terre, vous voulez venir ?
- Non merci, dis-je aussitôt.
Je ne voyais pas l’intérêt qu’on pouvait avoir à courir.
- Je ne sais pas trop, hésita Adriana.
- Allez, on ne le fera pas trop tôt, petite marmotte, sourit Maria.
Elle retira un short de la pile de fringue.
- Bon, d’accord, concéda Adriana en essayant une paire de bottine.
Maria se fendit d’un grand sourire en enfilant le short.
- Génial ! C’est le tien, non, demanda-t-elle à Adriana en désignant le short qu’elle-même portait.
Adriana hocha la tête.
- Il est très joli, je le garde. Mais il va falloir que je mette une ceinture.
Elle éclata d’un petit rire. Je commençai à penser que ses remarques sur le physique de sa sœur devenaient de plus en plus insupportable.
***
Je poussai la photo sur le côté, tandis que les brumes des souvenirs se dispersaient peu à peu. La machine était enclenchée. C’est bon, plus rien ne pouvait l’arrêter à présent. Comme moi. Je retournai la photo suivante, avide de souvenirs.
A peine ais-je le temps d’observer attentivement le cliché que la tempête de souvenirs débarqua, m’enlevant avec elle.
***
Sitôt la photo prise, le véhicule tressauta au contact d’une route en terre, abandonnant le béton derrière lui. Je me félicitai d’avoir pris la photo à temps. La vallée illuminée de soleil disparut derrière une rangée de pin. Parfois, un flanc de la vallée apparaissait entre deux arbres, mais c’était beaucoup trop furtif pour avoir le temps de prendre une autre photo. Dommage, car le ruisseau en bas de la vallée, ainsi que les arbustes sur un des flancs rendaient le paysage très beau. La voiture poursuivit sa route escarpée, entre les nombreux ravins et fossés. Je revenais de la ville, ayant accompagnée mon oncle faire les courses. Depuis trois jours, Maria tirait sa sœur de son lit vers neuf heure pour aller courir. Celle-ci finissait toujours par la suivre, généralement à contrecœur. J’en avais un peu marre de passer mes matinées seule, j’avais donc proposer à mon oncle de l’aide pour les courses.
Leur maison se trouvait à l’écart du moindre village, et à un quart d’heure de voiture de la ville. Le chemin de terre finit par déboucher sur le sommet de la colline, donnant une vue imprenable sur les environs. Après quelques minutes de route, la maison finit par apparaître. La région était pleine de relief, ce qui enchantait Maria, qui faisait souvent de la randonnée. Moi, un peu moins, même si le paysage demeurait très beau. Je sortis du véhicule puis transportai les nombreux sacs de courses à l’intérieur. J’avais profité, au supermarché, pour faire le plein de biscuits et de bonbons. Mon oncle avait fermé les yeux sur ça, car il était aussi gourmand que moi.
Alors que je rangeai des bouteilles de laits dans le frigo, les jumelles débarquèrent dans l’entrée.
- Salut tout le monde, s’exclama Maria en faisant des étirements.
Elle semblait en pleine forme, et prête à faire un marathon.
- J’en peux plus, s’écria Adriana en s’écroulant sur le canapé.
Par contre, elle était beaucoup moins en forme. Elle respirait bruyamment et était tout en sueur.
- Il est presque 11h, remarquai-je, vous arrivez plus tôt normalement, non ?
- C’est à cause d’elle, s’écria Adriana.
- Bah quoi ? C’est bien de changer de chemin de course, répliqua-t-elle.
- Elle nous a fait contourner toute la colline !
- Tu veux avoir un ventre plat, oui ou non ?
- Oh arrêtez les filles, s’exclama mon oncle.
Je terminai de ranger les courses puis versai de l’eau fraîche dans deux verres.
- Tenez !
- Je t’aime, s’écria Adriana puis vida le verre d’une traite.
Elle monta ensuite dans la salle de bain pour, selon ses dires, « se débarrasser de cette sueur de merde ».
Maria attrapa une pomme et croqua dedans en marchant dans la cuisine. Elle passa devant un des placards qui étaient ouvert et se figea.
- Attends, c’est quoi ça ?
J’y jetai un coup d’œil rapide.
- Des madeleines, des Granola et des Oréo aussi…
- Tu es inconsciente, ou quoi, s’énerva-t-elle, Adriana est en plein régime, et toi tu la tentes avec toutes ses cochonneries pleines de sucres !
Je n’en croyais pas mes oreilles.
- Attends, tu te fous de moi, là ? Ce n’est pas manger quelques biscuits qui va la faire grossir ! Et je ne vois pas pourquoi tu veux qu’elle fasse un régime, elle est très bien comme ça.
- Sa décision de faire un régime ne te regarde pas, s’exclama-t-elle.
Elle me lança un regard noir, puis s’en alla. C’était du grand n’importe quoi. Vraiment.
Et j’avais la désagréable impression que ça ne faisait que commencer.
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