Chapitre 3
Rester à la maison allait me rendre folle. Cette absence de bruit, ma mère qui me couvait du regard, cette saleté de boîte en bois sur l'étagère du salon... Je décidai donc de me bouger pour aller au lycée. Mon année de première était une vrai catastrophe : j'avais raté la rentrée car j'étais restée dans une clinique de soin jusqu'en novembre. Puis je m'étais absentée régulièrement, pour une durée de généralement une semaine, avec comme excuse : rechute.
Avec ma blessure au genou, ça allait faire 5 jours que j'étais absente. Je filai à la douche et profitai de l'eau chaude pendant cinq petites minutes. L'eau se teintait de rouge au contact de mes pieds, mais finit par s'éclaircir. Je coupai l'eau puis me plantai devant le miroir pour procéder à l'examen matinal. Je tâtai mes côtes, vérifiant qu'on les sentait bien, puis pinça la peau de mon ventre. Je pouvais à peine la décoller. Un petit sourire s'esquissa sur mes lèvres. Je passai mes mains sur mes cuisses - encore trop robuste à mon goût, puis descendis sur mes mollets. Que de la peau, encore une fois. Un peu satisfaite par ce constat, je brossai mes dents et mes cheveux tout en surveillant l'heure. Il restait dix minutes avant que je ne sois officiellement en retard. J'enfilai un jean coupe large et un sweat unisexe, puis filai dans l'entrée, passant devant ma mère étonnée.
- Mais où est-ce que tu vas ?
- Lycée, répondis-je prestement en mettant mes bottines.
Elle essaya bien de me persuader de rester me reposer, mais c'était peine perdue. Je franchis la porte, mon sac à l'épaule puis me rendis au lycée. Après exactement 7 minutes de marche rapide, j'arrivai devant un grand bâtiment en arc de cercle qui s'étalait sur la moitié de la rue. Je me mêlai à la foule de lycéens puis montai dans ma classe, ne voulant pas perdre mon temps à chercher mes amies dans les centaines d'élèves dans la cour. Ceux de ma classe était habitués à mes absences fréquentes, et ne me firent donc aucune remarque dès que j'entrai dans la salle. Certains de me firent un petit sourire ou me saluèrent.
Mes amies étaient au début très soucieuses de ma santé, surtout quand j'avais refait surface en novembre. Face à mon mutisme, elles avaient rapidement perdu de leur détermination. Maintenant, lorsque je m'absentais plus de deux jours, je recevais un message d'une d'elles à propos de ma santé et quand je reviendrai. C'était très gentille de leur part, car beaucoup aurait coupé contact avec moi, agacé de mon comportement.
La sonnerie retentit, mais ça n'empêcha pas les élèves de se dépêcher. De ma place, je voyais des bandes traîner dans les couloirs, peu désireuses de se rendre en classe. Le professeur débarqua quelques minutes plus tard, précédée de mes amies qui s'empressèrent de s'installer. Le prof d'anglais rendit les copies d'une interrogation que je n'avais pas faîte. Pas grand-chose d'intéressant ne se déroula ce matin. Mes amies mirent deux cours à se rendre compte de ma présence. Assise à une extrémité de la classe, je passais inaperçue. La fameuse heure du déjeuner sonna. Je dis bien fameuse, car c'est une heure redoutée.
Après une file d'attente interminable, j'accédai au self, aux côtés de mes amies. Je posai le plateau en plastique jaune sur deux barres métalliques horizontales, puis je choisis méticuleusement la nourriture. Je pris assez pour ne pas attirer l'attention des surveillants, qui se croyaient en ce moment diététiciens. « dis donc, Inès, tu devrais prendre une salade, c'est bon pour la santé », « tiens, prends les sardines, c'est remplis de protéines ».
A chaque repas, ils me sortaient des conseils à la con de ce genre. Je pris un yaourt, la pomme la plus abimée du panier et une assiette de pâte. Je m'assieds à une table de quatre avec mes amies, puis commençai alors une scène digne d'un Oscar.
Je me mis à couper chaque penne en deux en faisant semblant de mâcher. Une de mes amies me posa une question, et je fourrai une bouchée de pâte dans ma bouche. Ainsi, elles me voyaient manger et étaient donc rassurées. Après avoir massacré mes pâtes, je passai à la pomme. Je l'avais choisis, car la peau était toute plissée à un endroit. Je la coupai en deux et, ô surprise, le fruit était pourri. L'intérieur de la pomme était constellée de tâches brunes. Je la posai dans mon assiette avec un petit soupire feint, puis m'attaquai à mon yaourt. J'en pris une bouchée, puis fourrai ma serviette et le couvercle du yaourt dedans.
Voilà une affaire rondement bien menée.
Je me laissai aller contre le dossier de ma chaise, satisfaite. Je participai un peu à la conversation, mais j'étais vite perdue. Je n'avais pas participé à tel évènement, ni a tel discussion dont elles parlaient. On se leva et se mit dans la file d'attente pour poser nos plateaux. Les habituels gratteurs se pointèrent et voulurent nous dépasser en rasant le mur. Je me décalai pour les empêcher, mais l'un d'entre eux força le passage d'un coup d'épaule. Il se tourna vers moi avec un œil moqueur.
- Hé, l'anorexique, tu n'aies pas assez maigre ! Regarde, j'ai réussis à passer, s'exclama-t-il.
Ses cons de potes éclatèrent de rire. Je sentis mes doigts se crisper sur les bords du plateau. Je détestais qu'on m'appelle comme ça. Lorsque j'avais débarqué après 2 mois d'absence au lycée, les rumeurs s'étaient propagées en voyant mon corps, qui avait perdu toutes les rondeurs d'antan. Personne ne savait ce qui s'était réellement passé. Donc tous croyaient que c'étaient de leur rôle d'émettre des hypothèses. Avec mes absences fréquentes pour cause de « rechute », ça été le gasoil jeté sur les flammes.
J'étais devenue l'anorexique du lycée, celle qui était tellement maigre qu'on voyait tous ses os. Et me voilà avec cette étiquettes scotchée sur le front.
- Mais ferme ta gueule, Martin, s'exclama Lise, une de mes amies.
Le dénommé Martin ricana puis le reste de sa bande nous dépassa. Je dus encore patienter puis posai mon plateau sur le tapis roulant. Je marchai vers la sortie et Martin se tourna vers moi.
- Olala, regarde tu as un bourrelet ! Dépêche toi d'aller vomir !
En plus, ce con ne connaissait rien à ce sujet. L'anorexie et la boulimie étaient deux maladies différentes. Mais visiblement, la connerie prenait toute la place sur le peu de matières grises qu'il avait.
- Pourquoi, au lieu de te moquer des autres, tu ne te moques pas de ta pauvre connerie ? Elle est sans limite, elle, rétorquai-je en traçant mon chemin.
S'en suivis une ribambelle de noms, tels que « sac d'os », « coton tige », ou l'habituel « anorexique ». Je ne m'arrêtai pas jusqu'à m'enfermer dans une cabine des toilettes. Je soulevai mon sweat et tâtai avec fébrilité mon ventre. Juste de la peau. Je soupirai de soulagement. C'était un mensonge, juste un gros mensonge. Je sortis, ne fis pas attention aux regards jugeurs des filles, puis faillis percuter ma prof de français.
- Inès, je vous cherchais ! J'ai avec moi les DST que vous avez manqué, ainsi que leur correction. Le bac de français est dans à peine deux semaines, il est impératif que vous refassiez ses devoirs.
- Ah euh... Oui bien sûr, répondis-je.
- Vous avez quelque chose de prévu, maintenant ? J'aimerai bien vous aider au CDI.
J'avais beau ne pas aimer cette matière, cette prof la rendait intéressante. Elle était vraiment passionnée, et soucieuse de la réussite de ses élèves. Je lui souris, car j'avais bien besoin de soutien scolaire.
- Non, non, merci beaucoup pour l'aide !
Je passais ainsi le reste de ma pause déjeuner sur l'art de bien rédiger une dissertation, ainsi que sur le chapitre actuel : la poésie à travers les âges.
Résultat : je faillis arriver en retard en cours de maths. Pourtant c'est un des seuls cours que j'appréciais. Je m'installai puis m'aperçus que le prof distribuait une feuille d'énoncées.
- Aujourd'hui, je vous rappelle qu'il y a une interro, déclara-t-il.
Et merde. Le prof passa entre les rangs puis sursauta en me voyant.
- Je ne vous avez pas vu, vous m'avez fait peur !
Il s'attendait à des excuses, ou je rêvais ? C'était lui qui ne m'avait pas remarqué. Je gardai les lèvres closes, bien décidée à ne pas lui sortir la moindre excuse.
- Bon, pour l'interro, vous pouvez la faire... Si vous n'y arrivez vraiment pas, je ne vous mettrai pas de note.
Je le remerciai puis essayai de me remémorer le dernier cours de maths. L'exercice sur le cours, je fus incapable de répondre à la moindre question, mais je me rattrapai sur les autres exercices. Finalement, tout n'était que logique. J'avais hérité de l'esprit mathématique et logique de mon père, ce qui m'a permit d'intégrer la filière S. Certains énoncés causaient un vide intersidéral dans mon esprit. Je réussis à me débrouiller pour la suite puis rendis mon devoir.
Après une heure d'ennuie total en SVT où le prof rendit des copies, la sonnerie me libéra. J'essayai de me frayer un chemin entre les rangées de table et le groupe d'élève habituel qui essayait de gratter des points avec le prof, puis j'aperçus le con du déjeuner, Martin. Il riait avec deux trois gars de ma classe, qui faisaient partie de sa bande. Je pris soin de l'éviter puis me hâtai de sortir de l'établissement. Le lycée était énorme, c'était le seul publique de la ville. J'étais une parmi des centaines dans la vaste cour.
De retour chez moi, ma mère bondit sur moi.
- Alors ça c'est bien passé ? Tu as mangé ? Personne ne s'est moqué de toi, demanda-t-elle avec angoisse.
Je la rassurais sur tous les points. Elle me posait régulièrement cette dernière question, depuis qu'un jour où j'allais particulièrement mal et que j'étais revenue du lycée en larmes, à cause de la bande à la con de Martin. Elle avait passé des dizaines de coup de fil au principal, mais ça n'avait rien fait. Juste l'inquiéter encore plus.
Je la dépassai et filai dans ma chambre, non sans avoir jeté un coup d'œil à la boîte en bois, qui semblait me narguer depuis le haut de l'étagère.
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