Chapitre 11
Vingt minutes furent nécessaires pour que je traverse une bonne partie de la ville, jusqu’au Quartier de Sport. Je m’engageai dans l’allée silencieuse, dépassant le gymnase et la salle de musculation. L’ambiance était assez glauque, les petits lampadaires vissés au sol jetaient une lumière orangée sur le chemin, et formaient d’inquiétantes ombres. Le moindre recoin, arbuste semblait être la cachette idéale pour une créature sortit tout droits des contes et légendes de mon enfance.
Je pressai le pas en jetant des regards anxieux puis arrivai enfin devant le bâtiment abritant le studio de danse. Je n’avais plus de clé, mais je connaissais cette bâtisse depuis déjà plusieurs années. Je savais notamment que la fenêtre des toilettes restaient toujours déverrouillée, car la poignée était cassée. J’arrivai devant la fameuse vitre, qui était tout de même bien haute. Je ne pouvais pas l’atteindre sans aide. Je me mis alors à déplacer une jardinière en plastique dur jusqu’au mur. Cela me prit au moins un quart d’heure, j’étais souvent prise de vertige. À bout de souffle, je finis par monter dessus puis poussai le bâtant de la fenêtre. Après avoir un peu forcé, la fenêtre s’ouvrit. Je me hissai à la force des bras, et réussis à passer par l’encadrement en bois. Avoir un corps si maigre m’était utile, en ce moment. Je regardai le carrelage en bas, peu désireuse de me laisser tomber à cette hauteur.
N’ayant pas d’autres choix, je finis par glisser en avant. Je tendis les bras et mes mains percutèrent le sol à peine une seconde plus tard. Je basculai en arrière, rentrai la tête et mon dos s’étala sur le carrelage avec un bruit sourd. Ma respiration se bloqua un instant, je dus me redresser pour que l’air passe dans mes poumons. Je m’assieds un instant pour reprendre des forces. Les coins de ma vision était flous. Je cillai, et j’y fis plus clair.
J’allai à tâtons dans le couloir, puis le suivis jusqu’à la vaste pièce principale. De larges fenêtres rectangulaires perçaient les murs à intervalles réguliers, permettant ainsi d’éclairer la pièce à la pâle lumière de la lune et des lointains lampadaires. Le plafond était haut, rendant cette pièce encore plus grande. Des miroirs recouvraient tout un mur, ainsi que des barres en bois d’exercice. D’autres miroirs étaient disposés sur les autres murs, en plus petite quantité. Ce studio n’avait pas la même ambiance sombre et effrayante de l’extérieur.
Il m’apaisait.
Je me mis au centre, en tailleur puis posai ma main à plat sur ma poche. Je sentais les plis de la photo. Ainsi, tout allait ce terminer maintenant. J’avais en même temps hâte et peur. Dans quel état allais-je revenir, après? Encore plus démolie ? J’espérai le contraire. De tout mon cœur.
La main tremblante, je sortis la photo pliée en deux puis l’étalai à plat sur le parquet. A peine mes yeux se posèrent dessus que je fus emportée par le flots de souvenirs.
***
Je regardai l’écran de l’appareil photo, examinant le cliché. Je zoomais sur la terrasse, l’herbe verdoyante du jardin et les arbustes qui délimitaient la propriété. J’étais arrivée chez mes cousines il y a à peine un quart d’heure, et je venais de prendre en photo le jardin depuis le seuil de la terrasse. Dans un coin de la photo, j’avais capturé Juan en plein saut dans le trampoline. Un petit sourire s’esquissa sur mes lèvres puis je continuai de détailler les coins. Un détail m’interpella. Sur l’accoudoir d’une chaise en osier tout à droite, on pouvait voir un bâton.
Je levai les yeux et m’approchai de la chaise. Je me figeai. Ce que j’avais pris pour un bâton était un bras. Mon regard se porta plus haut, sur un visage livide, avec un nez droit, une mâchoire arrondie et des yeux gris terne comme les nuages qui obscurcissaient le ciel.
- Adriana, soufflais-je.
Je la reconnaissais à peine, elle avait tant changé. Tout son corps n’était que de la chair tendu sur des os. Aucune trace des formes féminines qui la caractérisaient auparavant. On voyait clairement les côtes sur sa peau pâle, les os de ses hanches se dessinaient sur le tissu fin de son short noir et des chevilles osseuses plongeaient dans des baskets de course. Seule une brassière de sport rose couvrait sa poitrine. Elle était complétement plongée dans ses pensées, les yeux dans le vague.
- Adriana, répétai-je en posant ma main sur son épaule.
Elle sursauta brusquement et je sentis ses poils se hérisser. Elle regarda autour d’elle, déboussolée. Son regard perdu croisa le mien et elle sembla un moment ne pas me reconnaître.
- Inès, tu es là, murmura-t-elle.
Je m’accroupis pour être à sa hauteur.
- Oui, je suis revenue pour toi, lui confiai-je.
- Mais pourquoi ?
Elle était si frêle, enfoncée dans ce siège qui semblait l’avaler.
- Je m’inquiétais beaucoup pour toi, et j’avais raison, constatai-je, tu ne vas vraiment pas bien.
Elle fut prise d’un petit rire en baissant ses yeux sur moi.
- Tu t’inquiètes beaucoup trop, ma petite cousine, et ça depuis longtemps. Mais tu n’as pas à t’en faire pour moi.
Elle posa ses deux mains à plat sur l’accoudoir puis se leva. Je tendis les bras pour l’aider, mais elle s’avança de quelques pas.
- Je vais très bien Inès, répliqua-t-elle en sortant un tube en plastique de la poche de son short.
Adriana en sortit au moins cinq comprimés et les avala sec. J’écarquillais les yeux, mais elle balaya mes craintes d’un geste.
- Ce sont des vitamines, ne fait pas cette tête ! J’en ai besoin pour faire de la course.
- Attends, faire quoi ?
Et sans prévenir, elle se mit à marcher d’un pas rapide vers le clôture.
- Adriana, l’interpellai-je en vain.
Je poussai un juron, puis me débarrassai de mon sac en bandoulière et de mon appareil photo. Je rejoignis ma cousine presque en courant. Elle escalada la barrière en bois, qui n’était pas bien haute, et je l’imitai.
- Attends Adriana, lui criais-je alors qu’elle s’éloignait en trottinant.
Elle ralentit en se retournant.
- Tu ne vas pas courir, quand même ! Je parie que tu n’as rien mangé aujourd’hui !
Elle haussa les épaules en rassemblant ses cheveux ondulés en une queue de cheval.
- Tu n’en sais rien, répliqua-t-elle. Je cours tout les matins, et ce n’est pas aujourd’hui que je vais m’arrêter.
Elle était visiblement très têtue et voulait faire sa course à tout prix.
- Je t’accompagne alors, décrétai-je.
- Comme tu veux.
Je ne pouvais pas la laisser courir seule. Je la suivis jusqu’à un sentier de terre, qui serpentait sur le flanc de la colline. Au bout d’à peine dix minutes, j’étais essoufflée et épuisée. Adriana continuait de courir, elle. Je me forçai à la rattraper, pestant et jurant dans ma barbe. Le sentier monta, à mon plus grand malheur, et la rangée de pins à droite se dispersa jusqu’à disparaître. On pouvait voir un grand lac dans la vallée, ainsi que des plages artificielles dans un coin. C’était très fréquenté, j’y étais même allée quelquefois durant mon séjour ici. Le sentier s’enfonça de nouveau dans des bois, nous replongeant dans l’ombre crée par les branches des arbres au dessus de nous.
Je voyais Adriana plus loin, dont la queue de cheval s’agitait à chacun de ses mouvements. Je passai la paume de ma main sur mon front en sueur puis fermai les yeux. J’avais hâte que cette course cesse. J’ouvris les paupières. Un bruit sourd se fit entendre. Il n’y avait plus personne sur le chemin. Je cillai, puis remarquai une forme gisant sur l’herbe.
- Adriana, criai-je en courant jusqu’à elle.
Elle gémit en pressant sa main sur sa poitrine, à gauche.
- Oh mon Dieu, qu’est-ce qu’il t’arrive, m’exclamais-je paniquée.
- J-J’ai mal, souffla-t-elle.
Je m’agenouillai à côté d’elle, ne sachant que faire. Le SAMU. Je devais appeler le SAMU. Je tâtai les poches de mon jean jusqu’à ce que je me rappelle que j’avais laisser mon téléphone dans mon sac en bandoulière. Qui était sur la table de la terrasse. Je voulus me gifler pour ce manque de jugeote.
- Inès, murmura Adriana.
Je levai les yeux vers elle.
- Je ne sais pas quoi faire, m’exclamai-je paniquée.
- Je n’y suis pas arrivée…
- Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Je pris son poignet entre ma main et écoutai les battements de son cœur. Ils étaient irréguliers et je sentais à peine la pulsation.
- Inès, tu dois m’écouter, s’écria-t-elle soudainement en enroulant son autre main autour de mon bras.
- Quoi ?
- Je n’y suis pas arrivée, je suis trop faible, chuchota-t-elle, mais toi, j’en suis sûr que tu peux.
Elle était en plein délire, son regard était illuminé d’une lueur inquiétante et elle ne semblait pas se rendre compte de son état de santé alarmant.
- Qu’est-ce que je peux faire, lui demandais-je doucement pour la calmer.
- Devenir meilleure que ma sœur, meilleure que moi-même, s’écria-t-elle en ouvrant grands ses yeux.
Sa poitrine se soulevait avec difficulté, sa respiration se faisait hiératique.
- Comment je peux t’aider ?
Aller prévenir d’autres gens ou rester près d’elle ? Elle fut prise d’une violente quinte de toux qui dura de longues minutes.
- Promets-moi, promets-moi que tu y arriveras, pour moi, souffla-t-elle d’une voix rauque.
Son regard gris s’accrocha au mien.
- Je te promets, m’empressais-je de dire.
Elle fut soudain apaisée. Sa tête reposa sur l’herbe et ses muscles se détendirent. Je déplaçai sa tête sur mes cuisses pour la permettre de mieux respirer, même si sa respiration se faisait de plus en plus sifflante.
- Au secours, hurlai-je, de l’aide s’il vous plaît !
Mais il n’y avait personne, sur le chemin. Qui allait se promener par cette chaleur ? Tout le monde était au lac. Une idée me traversa l’esprit. Lorsqu’on était passé sur une partie du chemin où on voyait le lac, il y avait plus bas sur le flanc de la colline une route où circulait les voitures, pour aller aux plages artificielles.
- Adriana, je vais aller chercher de l’aide, lui murmurai-je en me levant.
Je n’étais même pas sûr qu’elle m’ait entendu. Une peur bleue me tordait le ventre : qu’elle ne soit plus vivante à mon retour.
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