Chapitre 10

Comme d'habitude, je m'installai confortablement dans un siège de la salle d'attente, en attendant que le psy termine de parler à ma mère. La porte était entrebâillée, je pouvais donc entendre certaines phrases.

- J'ai vraiment l'impression qu'on est retourné au début, après ce qu'il s'est passé chez ses cousines, s'écria soudainement ma mère.

Quelques secondes s'écoulèrent avant que j'aperçoive la silhouette du psy, qui ferma la porte. Je soupirai longuement puis me perdis dans la contemplation du plafond.
Je n'étais pas d'accord avec ma mère. J'étais un véritable zombie, après le mois de juillet. À la différence que je ne pensais pas à manger. On est restée en Toscane trois jours, avant que je fasse un malaise et que je sois conduite au service d'urgence d'un hôpital italien. C'était horrible. Je ne comprenais rien de ce que les médecins disaient, je passais la moitié de mon temps à l'état de légume à cause des médicaments et à chaque fois que j'émergeais, je croisais le regard fou d'inquiétude de ma mère. On m'a ensuite transféré dans un hôpital spécialisé dans les troubles alimentaires en France, dont un endroit paumé dont je ne me souviens même plus du nom. J'y ai passé tout le mois d'août, un tuyau enfoncé dans ma peau pour ne pas que je meure de faim. Car oui, je ne voulais rien avaler. Absolument rien. Mes parents m'ont fait encore déplacé, pour aller dans une clinique privée près de là où j'habitais. C'était plus pratique pour eux, et surtout ça a contribué à ma rémission. J'ai mangé un bol de soupe début septembre, devant les regards émus de mes parents. Mais je ne pouvais toujours pas marché. J'ai vu ensuite des psychologues à la pelle, dont seulement quelques uns m'ont réellement aidé.

J'avais l'impression d'être revenu à l'état d'enfant : je réussissais les actions basiques par étape. En mi-septembre, j'ai réussis à m'alimenter seule. Ensuite, j'ai pus marcher.
C'est pourquoi j'ai intégré la classe de première si tard.

L'entretien entre ma mère et mon psy se termina. Une fois chez moi, je me mis aux révisions. Le bac de français était dans seulement une semaine. Au lycée, les révisions se poursuivirent. Je me mis totalement au travail, souhaitant plus que tout d'obtenir des notes pas trop mal. L'été avait à peine commencé que la chaleur s'accentua. Travailler dans une salle bondé avec 30°C à l'extérieur sans clim, c'est l'horreur.

Le jour J, je me réveillai avec une boule au ventre. Mes parents furent aux petits soins avec moi, et ma mère insista pour m'amener en voiture. J'arrivai donc au lycée avec vingt minutes d'avance. J'en profitai pour réviser une dernière fois mes petites fiches Bristol, puis m'aperçus que ça ne faisait que m'embrouiller davantage. Je mis mon casque sur les oreilles puis lançai le Requiem de Mozart. J'échappai aux discussions stressés des autres élèves ainsi qu'à l'agitation ambiante. Mes yeux se fermèrent. Ma respiration se calma. J'avais l'impression d'être dans ma bulle. La sonnerie se fit tout de même entendre par-dessus les notes de musique. Je rentrai dans la salle où régnait une tension presque insupportable puis m'assieds. Une feuille d'examen me faisait face. Je galérai à remplir l'en-tête, avec le numéro du centre d'examen à écrire, qui était composé d'au moins dix chiffres, puis me penchais sur l'énoncé.

La musique que j'avais écouté m'avais détendu, ce pourquoi je passai l'examen calmement, contrairement à ma voisine qui se tortillait sur sa chaise et jetait des regards furtifs autour d'elle. Les épreuves se succédèrent le jour suivant, et je les abordai avec le même calme. Des piques de stress apparaissaient lorsque je n'avais aucune idée de la réponse de la question, mais je m'obligeai à me remémorer la mélodie du Requiem.
Complétement absorbée par les révisions, je ne mangeai pas non plus. Mon ventre me faisait mal, malgré le fait qu'il soit habitué aux privations.

Je quittai la salle de l'oral des TPE, soulagée. Ça c'était plutôt bien passé, j'avais fait équipe avec deux de mes amies, qui avaient bien bossées.

- Dis Inès, ça te dit de venir chez moi, me proposa Lise, une de mon groupe, il faut fêter la fin des exams'!

J'hésitai quelques instants, mais finis par accepter. Renouer avec mes amies me faisaient comme un baume au cœur.

- Non mais franchement les jurys étaient grave sympa, s'exclama Emilie, la deuxième de mon groupe.

Lise et Emilie continuèrent de décortiquer les questions des jurys, leur réactions... On descendit les escaliers et je m'apprêtais à faire une remarque à propos des jurys lorsque les coins de ma vision se floutèrent. Je faillis rater la marche, et je m'agrippai fermement à la rampe.

- Ça va, s'inquiète Lise en s'arrêtant.
- Oui, oui, je n'ai juste pas vu la marche, la rassurais-je en esquissant un sourire, quelle idiote je suis !

Je rejoignis le palier du premier étage en frottant mes yeux alors que les vertiges reprenaient. Pas maintenant ! Je voulais juste m'amuser avec mes amies. Je me remis à descendre les escaliers en me concentrant sur chaque marche. Toute mon attention concentrée sur mes pas, je ne m'aperçus pas qu'une groupe de gars dévalaient les escaliers à toute vitesse, excités par la fin des examens. Lise me tira brutalement hors de leur chemin, rendant le monde soudainement flou. Je l'entendis me parler, mais je ne comprenais rien. Je cillai à nombreuses reprises. Des ombres se mouvaient devant moi. Je posai mon pied sur la marche suivante, la respiration bloquée. Je sentais les battements effrénés de mon cœur dans mes tempes. L'air étouffant m'oppressait et refusait d'entrer dans ma gorge. Une pression se fit sentir sur mon épaule. Je devais avancer. Mon pied avança. Dérapa. Les murs se mirent à bouger. Comme si j'étais dans un bateau. La douleur explosa dans mon épaule et mon crâne. Je me sentis rouler. Rouler. Rouler encore. Un élancement dans ma mâchoire particulièrement violent rendit ma vision noir.

Des images apparurent. Moi avec dans une chaise roulante. Encore moi avec des médecins italiens. Je ne comprenais toujours pas. Mes parents affolés. Mon petit frère qui me regardait avec des grands remplis d'incompréhension. Ma sœur, venue de Paris, qui discutait avec animation avec moi. Elle semblait déçue. Dégoûtée. Effrayée. Puis moi en novembre. Les regards jugeurs. Les moqueries. Les moqueries qui me faisaient pleurer, la nuit. Du dégoût dans leurs yeux. Du dégoût, du dégoût, du dégoût partout où je passais. Insupportable.

Des cris me firent revenir à la réalité. Je quittai les souvenirs en ouvrant les yeux.

- Putain, elle se réveille !

Les formes se précisèrent peu à peu, les visages s'affinèrent et le flou se retira.

- Ça va, s'exclama une fille à ma droite.

Lise me regardait avec angoisse. Un cercle de curieux s'était formé autour de moi. Des mains m'aidèrent à me relever. Un professeur se fraya un chemin entre les élèves amassés dans le palier du rez-de-chaussée. J'avais dévalé toutes ses marches, dis donc. Un garçon me tendit mon sac, que je suspendis à mon épaule.

- Mademoiselle, je vous accompagne à l'infirmerie.

Il sortit un mouchoir de sa poche qu'il pressa contre ma tempe. Je grimaçai en touchant ma blessure. Du sang couvrait ma tempe gauche et commençai à couler sur ma pommette.

Le prof m'amena jusqu'à une petite pièce au premier étage, qui avait l'air de tout sauf une infirmerie. Lise et Emilie me suivirent, l'une tenant ma veste et l'autre mon sac. Une petite dame enrobée me fit asseoir et m'examina méticuleusement.

- Vous avez eu de la chance, vous n'avez pas besoin de points de sutures, pas comme le pauvre petit Samir, soupira-t-elle.

Cette histoire avait fait le tour du lycée. Il y a deux ans, un gars de seconde nommé Samir était tombé dans les escaliers et dans le coma par la même occasion. Il s'était réveillé une semaine plus tard, avec un traumatisme crânien qui lui avait fait perdre des capacités motrices. Depuis, le lycée avait mis des protections en caoutchouc sur le bout des marches. Enfin, après que les parents aient lourdement insisté. C'était sûrement grâce à ses protections que je ne m'étais pas réveillé à l'hôpital. Merci Samir. Je ne savais pas si c'était vraiment approprié de penser ça, mais bon.

- Vos parents sont sur le chemin, déclara-t-elle après avoir passé un coup de fil.

Son regard me dévisagea des pieds à la tête.

- Je pense qu'il serait temps de faire un examen.

Je me fis mesurer et peser. Ses yeux s'agrandirent à la vue du chiffre affiché sur la balance. Je détournai le regard. Ma mère débarqua dans la pièce dix minutes plus tard.

- Oh mon Dieu ma chérie, ça va ?

Son regard se porta sur ma blessure à ma tempe. L'infirmière discuta avec elle, s'exprimant avec de grands gestes affolés. Je m'assieds sur une chaise, épuisée. Mes amies me rendirent mes affaires avec un sourire.

- J'espère que ça va aller mieux, me dit Emilie.

Je leur souris en retour. Ma mère me prit par le bras puis m'aida à rejoindre la voiture. Je me sentais faible, mes jambes avaient du mal à suivre la démarche pressée de ma mère. Elle ne prononça pas un mot du trajet du retour. Je ne pus échapper au dîner, encadrée de mon père et ma mère.

- Cette situation a beaucoup trop duré, déclara ma mère, on te ramène à la clinique privée demain.
- Comment ça, m'exclamais-je.
- Tu es à peine capable de marcher, répliqua mon père, l'accident d'aujourd'hui le montre bien.

J'étais à court d'arguments. Je leur adressai le regard le plus noir que je pus, dans un dernier recourt. Je fixai sans ciller ma mère, qui pâlit.

- Ne me regarde pas comme ça, Inès ! Ça suffit maintenant !

Je repoussai mon assiette et je me levai brusquement. Mon père fut plus vif et m'attrapa le bras.

- Lâche-moi, hurlais-je.

Surpris, il se figea et je fonçai dans ma chambre. J'étais si furieuse que je pris le paquet de livres dans une étagère et le balançai contre le mur. Je poussai un cri étranglé en saccageant tout ce que j'avais sous le bras. Mais le massacre ne dura pas longtemps. Je fus rapidement prise de vertige. Je m'écroulais sur le lit. Mes parents n'allaient pas lâcher l'affaire. J'allais passer l'été, sinon plus, dans la clinique, avec un tuyau planté dans le bras. Je devais terminer mon voyage de souvenirs ce soir. Avant que ça ne soit plus possible. Mais pas ici, mes parents risquaient de débarquer à tout instant. J'attendis alors qu'ils aillent se coucher. J'enfilai un épais sweat puis ma veste en cuir noir. Une fois mes New Balance aux pieds, je m'engageai silencieusement dans le couloir. Je déverrouillai la porte qui émit un bruit mécanique. Je me figeai. Aucun bruit suspect.

J'ouvris lentement la porte puis m'en allait, pour le dernier voyage.

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