Voilà. C'est moi.
Théo était prêt. Il avait même dix minutes d'avance en partant de l'appart qu'il louait. Il avait son sac à dos, comme d'habitude, son blouson et la boule au ventre. Il avait peur de tout faire foirer.
Il arriva deux minutes en retard. Sur un banc, un jeune adulte brun, cheveux lisses à lunettes, faisait frénétiquement tourner autour de son index gauche un trousseau de clefs. Ça a suffi à le rassurer.
Il n'avait qu'à dire salut. Voilà. Inspire, expire. Tout va bien se passer.
« Salut, Samuel.»
Pas de réponse. Peut-être ne l'a avait-il pas entendu ? Il s'installa à côté de lui, et lui sourit.
« Salut, Samuel, ça va ?
- Salut Théo. Ça va, et toi ? »
Samuel rangea son trousseau de clefs, qui étaient en réalité en plastique, en riant à moitié. Il parlait assez fort, et très vite, sans aucun contact visuel. Théo tremblait. Le trac, la joie, l'excitation... Ça se mêlait dans sa tête. Il n'osait plus rien dire, Samuel n'ouvrit pas non plus la bouche. Ils souriaient tous les deux, un peu bêtement.
« Tu as pris le bus, non ?
- Oui. Je ne pensais pas arriver avant toi.
- Tu attends depuis longtemps ?
- ...depuis longtemps ? Oui, un peu... Ça fait un quart d'heure. Je crois que le bus était plus rapide que prévu, il n'est pas encore et quart. »
Il était visiblement stressé. Très stressé. Non, Samuel était sur le point de faire une crise d'angoisse. Théo en faisait au collège, il reconnaissait les signes avant-coureurs. Soudain, une voiture passa en klaxonnant. Samuel, qui tremblotait, se figea brusquement.
« Ça-Ça va ? Attends, on va aller dans un lieu plus calme ! » souffla Théo.
Il lui tira doucement le col, et Samuel s'accrocha instinctivement à la manche du blouson. Le bruit semblait beaucoup le gêner... Le Café Amalikk était calme. Ça irait.
Une fois derrière la vitrine anti-bruit, Samuel parut plus détendu. Il se balançait légèrement d'avant en arrière, en regardant la table. Théo le regarda quelques instants en souriant, puis ouvrit son sac en essayant de faire le moins de bruit possible. Il sortit une trousse et un bloc de dessins.
« Saluuut ma petite graine de truc, lança Lina, tu t'es trouvé un ami grâce à l'annonce ? On remercie qui, hein ?
- Merci ? Je te présente...
- Samuel, c'est toi du coup ! Théo m'a beaucoup parlé de toi. Tu es cuisinier au Poivrier, c'est ça ?
- Oui, dit Samuel en fixant la table.
- Bon, les garçons, qu'est-ce que vous voulez ? Comme d'hab, Théo ?
- Ouais, comme d'habitude. Tu veux quoi, Samuel ?
- Un café noir, s'il-vous-plait, répondit-il.
- Ok, parfait ! Je vous aborde ça de suite ! Théo, fais de la place sur cette table. »
Une fois Lina éloignée, Samuel se leva pour voir ce que dessinait son ami, en triturant une branche de ses lunettes.
« Elle n'aime pas que tu dessines ici ?
- Si, c'est juste que je m'étale, et ça l'énerve un peu.
- ...un peu... Tu vas faire quoi ?
- Comme d'habitude, sourit Théo. Je vais dessiner les gens qui passent ou quelqu'un au pif dans la salle, ou toi... Je verrais.
- D'accord... Tu me dis quand tu as fini, ok ? demanda-t-il en se rasseyant
- Promis, promis... Tu fais des maquettes, c'est ça ? Tu fais comment ?
- J'ai le plan dans ma tête, je prends mes outils et mon matériel et voilà, je fais. Je faisais les galaxies quand j'étais enfant, j'ai la Voie Lactée en papier mâché...
- La Voie Lactée ? Aucun gosse est capable d'en faire autant... Comment t'as fait ?
- T'as fait ? Heu... Je ne sais pas, je me levais tous les matins à cinq heure pour travailler dessus deux heures, et le soir je me couchais deux heures plus tard... En dix ans, on avance vite. Quatorze-mille-six-cent-huit heures. Maintenant, on me dit de faire autre chose, mais j'aime bien faire la Voie Lactée le soir. J'avais commencé par le Soleil, puis Mercure, Vénus, Terre, la ceinture d'astéroïdes, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. J'ai mis une semaine pour faire la ceinture de Kuiper. Je faisais le Bras d'Orion après, puis celui du Sagittaire et ainsi de suite. Le pire, c'était les échelles. Respecter les distances quand la Terre fait la moitié de la taille d'une abeille, c'est assez compliqué... »
Théo l'écoutait parler. Samuel n'avait pas vraiment une belle voix. Il parlait vite, sans articuler, et mâchait certains sons. Mais il y avait cette passion dans le ton, la même que Théo utilise quand il parle d'un projet, ou du dernier film qui l'a intéressé, ou de sa série préférée. Il commença à colorer aux marqueurs, puis se saisit de ses crayons de couleurs.
« Voilà ! sifflota Lina en apportant les commandes. Le café noir, le café sucré... Quatre cinquante, s'il-te-plait. »
Samuel s'était tut. Théo paya, et Lina, se sentant de trop, tourna les talons. Samuel reprit là où il en était, en alignant méthodiquement les fournitures de l'étudiant en art. Par sorte, taille et couleur.
« Mais qu'est-ce que tu fais ? Pourquoi mélanger feutres et crayons ? »
Il lui sourit, et lui montra la coloration.
« Ça rend mieux pour les volumes. Regarde (il se saisit de son Copic vert, et de trois crayons) si je mets que du vert marqueur, c'est moche. Si je rehausse avec les crayons... Comme ça, c'est plus classe, ça fait mieux le relief.
- Oui, c'est mieux comme ça... Mais ça fait bizarre. »
Théo regardait Samuel ordonner ses affaires, et boire lentement son café. Un ami. Il avait du mal à se rendre compte. Il pensa rapidement au gars de sa classe de Terminale, dont tout le monde ignorait l'existence jusqu'aux révisions du bac. Il se rappelait s'être dit qu'il finirait pas comme ce type, et qu'il se sentait supérieur à lui car, au moins, personne n'écorchait ni son nom ni son prénom lors de l'appel. Qu'est-ce qui lui était arrivé, à lui ?
« Ta tasse refroidit, le café va être froid.
- Ah ? Ouais, sans doute. »
Il remarqua que son interlocuteur semblait un peu déstabilisé par sa réponse. Un ami... Théo avait toujours un peu de mal à se figurer.
S'il était devenu plus proche de ce gars, Lina n'aurait pas passé de petite-annonce. Samuel n'aurait pas appelé. Ils n'auraient pas discuté pendant des mois par SMS avant de décider de se rencontrer. Et il n'y aurait pas ce silence gênant. Sans y penser, les traits brouillons d'un garçon à l'air farouche se dessinèrent sous son crayon.
Il gomma. Nan, on dirait une fille. Il devait mélanger avec une autre personne.
« Tu savais qu'il y avait des planètes naines dans la ceinture d'astéroïdes et dans la ceinture de Kuiper ? lança Samuel, s'étant mis à jouer avec ses clefs en plastique.
- Euh non... Les planètes ça n'a jamais vraiment été un centre d'intérêt, mais c'est cool de savoir ça.
- Tu mettrais quoi à la fin de la phrase ?
- Pardon ? »
Samuel le regarda dans les yeux, ou plutôt fixa un point derrière Théo en voyant à travers ce dernier, et dit rapidement d'un ton sec, ce qui voulait plus signifier que c'était une évidence plutôt qu'une moquerie :
« Ben... En smiley.
- Ah ! Deux-points, D majuscule. »
Ça les fit sourire.
Une famille entra dans le café. Un homme grand, blond-châtain, un peu militaire. Une... Personne ? Cheveux courts bruns, de taille un peu plus petite, filiforme. Une fillette à la peau chocolat au lait, avec une jolie couette et un pull à rayures, visiblement contrariée.
« Ils sont mal-assortis », commenta Samuel.
Il n'avait pas tord, et même Théo pouvait le voir. Il trouvait une allure de prof à Cheveux-Courts-Noirs. Une matière bien barbare, comme les Maths, l'Histoire ou la Philo. Ce type était aussi le genre à faire balader des cochons dans les rues pour se foutre du gouvernement.
L'autre, on aurait dit un cliché de la tête du flic ripou, or il ne semblait pas en avoir le caractère. Il semblait même... Du genre à s'effacer.
Oui, ils n'étaient pas assortis. Et leur fille s'agitait en faisant du bruit, ce qui perturbait Samuel.
« On est pas là pour juger...
- Mais c'est la vérité ! Et...
- Calme-toi. »
Il avait couvert les bouts de plastique avec sa main, et voulait faire comprendre à Samuel qu'il devait respirer et se détendre.
Ça ne fit qu'empirer son état de stress apparent. Théo éloigna ses mains.
« Tu voudrais qu'on aille ailleurs ?
- Ouais... S'il-te-plaît... »
Ils vidèrent ensemble leurs tasses, puis Théo fourra son bazar dans son sac. Enfin, ils partirent du Café. Loin de la petite fille qui allait exploser.
« Le bruit te dérange, non ? Tiens, dit Théo, c'est des boules quiès. »
Samuel les prit précautionneusement, et se boucha les oreilles avec. Il s'accrocha à un pan du blouson de Théo immédiatement, tandis que celui-ci le guidait jusqu'à chez lui.
C'était une petite résidence étudiante tranquille et calme. Il y avait un hall d'entrée avec code, et une cour avec des tables et des barbecues. Tous les appartements donnaient sur ce même coin. Théo sortit ses clefs, et ouvrit la porte de son lieu de vie au troisième.
L'appartement était minuscule, mais suffisant grand pour vivre sans être oppressé. Il était surtout silencieux à cette heure de la journée.
« Bienvenue chez moi ! »
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