Chapitre 1 : Savannah
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Bonne lecture à toutes !
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— OK, Savi, regarde-moi.
Mon amie fait naviguer son index et son majeur entre mes yeux et les siens afin de retenir toute mon attention quelque peu dispersée après les trois shots de téquila que je viens de m'enfiler.
— Pour corser un peu les choses, tu vas nous prouver que tu peux encore draguer un mec dans un bar.
— Euh... jamais de la vie !
— Allez ! renchérit Jill, cette saleté de blonde qui me fait office de meilleure amie et qui me regarde à présent avec cet air que je connais par cœur.
Celui qui te dit : « Oh mais pète un coup, ça te détendra ! », et qui a le don de m'agacer.
— Honnêtement Sav, c'est juste un défi. Ça fait des lustres que tu n'es pas sortie et encore plus longtemps que tu n'as pas couché avec un mec. Il doit y avoir des toiles d'araignées là-dessous...
— Hé ho ! protesté-je sans pouvoir m'empêcher de rigoler.
— Hmm, hmm, conteste mon amie en me secouant son doigt sous le nez. Ne me fais pas le coup du « hé ho », Jill et moi allons choisir une cible et tu devras choper son numéro. C'est aussi simple que ça. Des tas de nanas le font tous les jours, tu as vingt-sept ans et tu n'es pas encore demeurée, alors ça ne devrait pas trop te poser de problèmes.
— Je te remercie de ta sollicitude... C'est ridicule, on n'a plus dix-sept ans.
— Il n'y a pas d'âge pour s'amuser, poulette, insiste Jill en souriant de toutes ses dents. Alors, Tiff, t'as une idée de cible ?
— Mmm, voyons voir. Lui est trop petit, lui trop chauve...
Je les observe un instant, toutes excitées à l'idée que moi, leur amie soi-disant « coincée » et discrète se lance dans ce défi d'ados pré-pubères. Je souris, tiraillée entre la tendresse que j'éprouve pour elles et l'exaspération.
— Lui là-bas ! s'exclame Tiffany d'un sourire un peu trop enthousiaste.
Je crois que l'alcool a déjà sérieusement commencé à attaquer ses facultés cérébrales...
— Oh mon Dieu, il est paaaaarfait !
Jill tape énergiquement dans ses mains, complètement surexcitée. Je grimace en levant les yeux au ciel. Avec cet air de peste machiavélique, ma très chère meilleure amie ressemble comme deux gouttes d'eau aux adolescentes pourries gâtées de l'émission My Super Sweet Sixteen sur MTV.
Jill Sanders, la petite blonde aux yeux verts, que je connais depuis l'âge de six ans et Tiffany Wilde, la grande brune aux yeux bleus que j'ai rencontrée le premier jour de mon entrée à l'université, me regardent, un air de défi plaqué sur leurs visages diaboliquement angéliques. L'habit ne fait pas le moine, croyez-moi. Ces deux diablesses sont les pires chipies que la terre n'ait jamais portées. Si elles sont toutes les deux très belles, mes deux amies possèdent des personnalités très différentes l'une de l'autre, mais bizarrement très compatibles. Alors que Jill est de nature plutôt calme et posée, Tiffany est, au contraire, une vraie tornade. Pourtant, lorsque je les ai présentées l'une à l'autre il y a plusieurs années, cela ne les a pas empêchées de devenir proches. Et pour être tout à fait honnête, je crois qu'à cet instant précis, je le regrette sincèrement.
Bande de cinglées !
Je me décide enfin à regarder dans la direction montrée par mes deux amies pour découvrir un type assis dans un box en compagnie d'une femme.
Mon Dieu.
Il est loin d'être moche. Ça se corse. Choper le numéro d'un mec lambda OK, je peux gérer, mais lui... Je le détaille rapidement et malgré la distance qui nous sépare, il a l'air carrément canon. Brun, sexy et plutôt stylé on dirait un acteur ou un mannequin, en tous cas, il en a l'attitude et l'allure. Une barbe de trois jours recouvre ses joues et ses cheveux, courts sur les tempes bien que décoiffés sur le haut du crâne, le rendent – appelons un chat un chat – sexy à tomber. Il porte un jean, un bomber sombre et un tee-shirt clair qui, de loin, paraît mouler son torse musclé. Tout cela me semble, à première vue, bien au-dessus de mes moyens.
Je déglutis difficilement, ressentant une certaine panique m'envahir. Je n'y arriverai pas, ma confiance en moi a ses limites.
— Vous me surestimez, les filles, jamais ce type n'acceptera de me filer son numéro.
— Il est trop sex' ! Allez vas-y, m'encourage Tiffany en me tirant de mon tabouret.
— Mais regardez ! Il est déjà avec quelqu'un...
Ma tentative pour me sortir de ce guêpier semble vaine lorsque cette dernière me répond :
— Non regarde, elle part ! Allez go !
— Et si c'était sa femme ?
— C'est sûrement sa sœur ! intervient Jill en me faisant un clin d'œil.
— Tu connais beaucoup de frères et sœurs qui sortent ensemble en tête-à-tête à onze heures du soir ?
— Savannah...
Jill me lance un regard faussement menaçant et quand je me retourne, je constate en effet, que la femme qui accompagne le type est en train de se lever. Mon dieu, pourquoi ai-je accepté de sortir avec ces deux folles ce soir ?
Mauvaise idée, très mauvaise idée...
Pourquoi le fait d'être célibataire serait-il un défaut en soi ? Pourquoi le fait de n'avoir effectivement couché avec personne ces neuf derniers mois est-il à ce point répréhensible ? On n'est pas toutes obligées d'être des Marie-couche-toi-là, si ? Je suis peut-être vieux jeu, mais j'ai du mal à me donner au premier venu, juste pour dire au monde : « R.A.S, j'ai des rapports sexuels hein, je suis une femme normale ! ». Mais merde, laissez-moi tranquille avec mes toiles d'araignées.
— C'est bien parce que c'est vous... mais c'est la première et la dernière fois !
— Go ! s'exclament-elles en même temps.
Bon gré, mal gré je me dirige vers le box du type et je sens que mes mains sont déjà moites. Heureusement que j'ai mis ce jean hyper moulant qui me fait de jolies fesses et ce tee-shirt décolleté, songé-je pour me rassurer.
OK. Reprends-toi, ce n'est pas le moment de penser à ton décolleté.
Je m'avance, pas vraiment rassurée, les deux mains recroquevillées dans les poches arrière de mon jean tout en balayant la salle du regard. Depuis que nous sommes arrivées en début de soirée, la foule des buveurs s'est considérablement étoffée. Comme la plupart du temps, les différents écrans plats situés de part et d'autre de la grande salle diffusent bruyamment un quelconque match de foot. Ici pas de décoration sophistiquée, le pub est resté le même depuis sa construction en 1897. Lambris de bois sombre et comptoir en cuivre côtoient de vieilles publicités de whisky épinglées un peu partout autour du bar.
C'est ici que la plupart des Irlandais du quartier viennent pour se retrouver et boire joyeusement de la Guinness ou de la Kilkenny. Le Tracey's est un lieu chaleureux et familial qui a le mérite de respecter la vie privée de sa clientèle. Dans ce pub, pas de paparazzis ou autres indiscrets. Kenneth, le patron, en a même fait son mot d'ordre. Vous pouvez très bien être le Dalai Lama en personne, nul ne viendra vous embêter. Il paraît d'ailleurs que Colin Farrell et Pierce Brosnan y ont leurs habitudes.
Je me faufile entre les clients en prenant soin de ne bousculer personne. L'air est lourd et ma peau n'a jamais été aussi collante. Je meurs de chaud. Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? J'aurai vingt-huit ans en septembre et voilà que je tremble comme une feuille à l'idée d'aborder le premier beau gosse venu. C'est totalement ridicule. Personne n'intimide une Lone Star State Girl, et surtout pas la fille unique de Lavon Shawn. Du nerf, Savannah ! Tu en es tout à fait capable !
A un mètre de sa table, je n'en suis plus si sûre. Jill et Tiff ont probablement raison, je dois être rouillée. En même temps, pour la belle du sud que je suis, aborder un mec est contraire à tout ce qu'ont pu m'inculquer ma mère et ma grand-mère. Chez moi, ce sont les mecs qui font l'effort de se déplacer, pas les nanas. C'est un défi, idiote ! Il n'est même pas au courant de ton existence..., me sermonne ma conscience.
Je jette un rapide coup d'œil derrière moi et croise le regard de mes amies, hilares, les pouces levés en signe d'encouragement. Je respire un grand coup et continue ma route jusqu'à la place vide en face du type. L'air faussement nonchalant, je m'assois devant lui en me glissant agilement sur le simili cuir abimé de la banquette. Mon naturel m'épaterait presque... A croire que le fait de m'incruster à la table de parfaits inconnus – sexy – soit un exercice totalement habituel pour moi. Le type lève les yeux, légèrement surpris par cette intrusion, mais très vite, son visage redevient impassible. Nous nous regardons quelques secondes sans rien se dire, simplement en s'observant mutuellement. Ses yeux me détaillent brièvement et je constate non sans embarras, que j'ai sous-estimé la beauté de l'inconnu. Ouaip, je viens de m'asseoir à la table du plus beau mec du bar sans même y avoir été invitée.
Génial, tout bonnement génial.
Avant de me faire envoyer sur les roses et de l'entendre me dire de déguerpir, je me mets à parler vite. Trop vite.
— Sachez que j'agis sous la contrainte et que si ça ne tenait qu'à moi, je ne me serais jamais assise sur cette banquette... collante. (Je grimace, me rendant compte que mes fesses se sont posées sur une surface inconnue et poisseuse. Berk.) Vous allez très certainement me prendre pour une cinglée, mais je vous assure, je ne vais pas vous embêter très longtemps.
Son silence m'engage à poursuivre.
— Vous voyez les deux filles là-bas ? (Il incline légèrement la tête avant de jeter un coup d'œil vers la table haute où sont accoudées Jill et Tiffany). Ces deux petites... pestes, oui je crois que c'est le bon mot...
Sa bouche aux lèvres pleines se plisse pour esquisser un léger sourire.
Juste ciel...
Non, mon pote, évite de sourire, s'il te plaît, si tu ne veux pas que je perde le fil...
— Euh... donc oui je disais, ces deux pestes qui me servent accessoirement de meilleures amies m'ont lancé un défi...
L'inconnu me fixe, ni surpris, ni agacé, tout en continuant à boire tranquillement de petites gorgées de sa Guinness. Il semble même amusé de la situation. Il ne sourit peut-être plus mais je peux le lire dans ses yeux dont je n'arrive pas à discerner la couleur. Son mutisme et sa proximité m'intimident. Il dégage quelque chose que j'ai du mal à décrire. Quelque chose de fort, de sexuel et d'interdit.
Je n'ai jamais ressenti ça ou côtoyé quelqu'un comme ça et pourtant des beaux mecs, j'en ai rencontré des tas dans ma courte vie. Je suis même sortie avec certains membres de cette espèce très particulière, mais jamais l'un d'entre eux ne m'avait fait cet effet-là. C'est très attirant et perturbant à la fois.
Ses longs doigts virils aux ongles parfaitement soignés jouent négligemment avec les rebords de son verre et je me prends à imaginer quel effet cela serait de les sentir sur moi... en moi. Outrée par mes pensées délirantes, je sens mes joues rosir violemment et je prie intérieurement pour que la pénombre du bar lui cache ce détail embarrassant. Et lorsque j'entends le titre Pink du groupe Aerosmith retentir dans la grande pièce bruyante, je retiens de justesse un éclat de rire.
Voilà qui est très à propos...
— Un défi ? demande-t-il finalement d'une voix un peu rauque teintée d'un léger accent irlandais, sortant ainsi de son silence.
Oh merde. Je ne m'attendais pas à ça, c'est tellement... érotique.
— Un défi, confirmé-je en tentant de me concentrer sur notre conversation et non sur sa voix sensuelle qui provoque, malgré moi, de légers picotements le long de ma colonne vertébrale.
— Vous, en l'occurrence. Vous êtes le défi. Alors voilà ce que je vous propose : si vous pouviez m'écrire n'importe quel numéro sur une serviette en papier pour prétendre que je vous plais, que vous avez envie de me revoir et cætera, ça m'arrangerait énormément.
Il me jauge un instant sans rien dire et j'ai soudainement envie de disparaître vraiment, vraiment loin.
Ne me rembarre pas, ne me rembarre pas...
Il ne manquerait plus que la fille qui l'accompagne se pointe. Enfin sa femme, vu son alliance. En même temps, rien d'étonnant là-dedans. Quand on est beau comme lui, on appartient seulement à trois catégories. La première est celle des enculés. Ceux qui prennent, consomment et jettent. Des purs produits de la société moderne, si on peut encore l'appeler comme telle. La seconde est celle des hommes mariés. Trop bien pour rester sur le marché bien longtemps. Après l'histoire ne dit pas s'ils sont fidèles, mais cette sous-catégorie est totalement rédhibitoire pour moi. Et la troisième est celle des gays. Et là, pas besoin que je vous fasse de dessin.
— Vous ne voulez pas mon vrai numéro ?
Il me demande ça d'un air étonné, ses sourcils se fronçant légèrement de surprise. Oh là là...Cette voix, cet accent. Il était déjà sexy muet, mais là c'est le pompon. Je ne peux m'empêcher de frissonner à nouveau tant il irradie d'ondes sexuelles qui me coupent le souffle.
— Aussi charmante que soit l'idée de pouvoir plaire à un type comme vous, primo, vous portez une alliance, donc je présume que la charmante jeune femme qui est partie aux toilettes est votre femme, deuzio je ne recherche pas de relation, quelle qu'elle soit. Ce n'est pas vraiment mon truc.
Ses yeux prennent le temps de me détailler, et comme tout à l'heure, j'ai envie de disparaître de la surface de la Terre. La caresse de son regard me réchauffe et m'électrise comme aucun autre ne l'a jamais fait auparavant.
Pas de relation, mon cul, oui !
— Vos yeux, de quelle coul...
— Bleus, le coupé-je, un peu brutalement. Vous pourriez faire ça pour moi, s'il vous plaît ?
Je le supplie du regard, pathétique, espérant ainsi en finir le plus rapidement possible avec cet étrange échange qui me met de plus en plus mal à l'aise.
Le fait qu'il ait remarqué la couleur de mes prunelles me plonge dans un état proche de la panique. Mes yeux sont... différents. Beaucoup de gens les voient violets. Pourtant, jusqu'à preuve du contraire, cette teinte d'iris n'existe pas encore, à moins d'être doté du gène Alexandria, ce qui n'est pas mon cas. En réalité, je trouve que la plupart des personnes exagèrent, pour moi, ils sont tout simplement bleus. Bon, disons qu'ils tirent sur le mauve, mais cela reste léger. Malgré cela, je sais qu'ils sont hors du commun et que lorsqu'on les a remarqués, on ne peut plus oublier mon visage. Et s'il y a un truc que je ne veux pas dans cette ville, c'est bien qu'on se souvienne de moi. Ces putains d'yeux sont une vraie plaie.
— Et vous ? Vous y gagnez quoi ?
Il a retrouvé son air sérieux. Je crois qu'il a compris mon désir de changer de sujet.
— La paix ?
Je plonge mon regard dans le sien et un sourire énigmatique se dessine au coin de ses lèvres avant qu'il n'attrape le sous-verre sous sa pinte et sorte un stylo de la poche intérieure de son blouson. Je le regarde inscrire des chiffres au verso.
Il joue le jeu, miracle !
— Voilà, dit-il en me tendant le numéro.
— Merci infiniment.
Au moment où j'attrape le bout de carton, nos doigts s'effleurent et une décharge électrique parcourt mon corps de tout son long. Ses yeux s'arriment aux miens et ce que j'y lis fait dérailler mon cerveau. J'oublie tout. Où je suis, mon nom, mes fesses collantes, son alliance. Absolument tout. Je suis propulsée dans une sorte de bulle où le monde qui m'entoure tourne au ralenti et où seul le désir à l'état brut qui se reflète dans son regard a de l'importance. Rien d'autre. Je n'entends plus rien, ne vois plus rien, à part lui et l'évidente tension sexuelle qui flotte à présent entre nous.
Si un regard pouvait baiser, ça serait celui-là.
Putain.
Sous le choc de la sensation qui nous a visiblement tous les deux pris de court, aucun de nous ne prononce un mot, jusqu'à ce que je remarque ses lèvres bouger. Mon cœur se met alors à battre très vite. Bien trop vite. Je sors d'un coup de mon état de transe, réalisant que nous sommes toujours dans ce bar bondé. Il faut que je me tire vite fait d'ici. Ça commence à devenir craignos...
Un homme marié, sérieusement Savannah ?
Je me lève précipitamment de la banquette pour l'empêcher de parler et lâche dans un bafouillement lamentable :
— Euh... et bien... bonne soirée et... merci.
— De rien, murmure-t-il sans rien ajouter d'autre.
Je me retourne et déguerpis aussi vite que possible.
Bordel de Dieu. C'était quoi ça ? Dans quel pétrin me suis-je encore fourrée ? Je zigzague à travers la foule, le souffle court, avant de retrouver la table où mes amies m'attendent en bavardant vivement.
— La voilà ! s'écrie Tiffany. Aloooors ?
Je leur montre le sous-verre en guise de trophée et Jill se met à brailler tout en dansant sur son siège.
— Attends, il t'a vraiment filé son numéro ! Oh mon Dieu, trop bien !
— Merci de croire à ce point en mon pouvoir de séduction... marmonné-je, sarcastique.
Tiffany éclate de rire.
— Cal... il t'a même filé son prénom ! Bien joué !
— Attends, quoi ? m'exclamé-je en lui arrachant le carton des mains.
— Purée Sav, calmos ! Vous avez parlé de quoi pendant tout ce temps ?
Je fixe l'écriture régulière et masculine. Cal... c'est donc comme ça qu'il s'appelle. Ou alors il m'a donné un faux nom qui va avec le faux numéro. Enfin, si c'est un faux numéro... Je glousse spontanément en pensant à cette éventualité complètement saugrenue.
— On l'a perdue, je crois, se moque Tiffany.
— Bon t'accouches ou quoi là ?
Je me décide enfin à regarder mes deux amies qui me scrutent, les yeux plissés, clairement en attente de réponses à leurs questions.
— Bah non que dire ? Il n'a simplement pas pu résister à mon charme dévastateur. Il a même dû me supplier pour me laisser son numéro. Quelle tragédie, pauvre homme !
Tiffany et Jill pouffent de rire.
— Mais bien sûr ouais, fais la maligne... me charrie Jill en passant son bras autour de mes épaules pour me serrer tendrement contre elle.
Elles semblent si contentes pour moi que je n'ose pas leur avouer que tout ça n'est qu'une supercherie. Aucune bombe sexuelle ne m'a délibérément donné son numéro ce soir. Malheureusement...
Quoi ? Comment ça « malheureusement » ?
Mais qu'est-ce qui cloche chez moi ? Alors il suffit d'avoir un semblant de conversation avec un beau gosse pour foutre en l'air toutes mes bonnes résolutions sur l'amour, le sexe et les relations en règle générale ? Et puis quoi encore ! Non, non, non, je ne suis pas venue à Londres pour trouver l'amour. Surtout pas.
Lorsqu'un groupe de filles se met à crier juste derrière nous, nous nous retournons simultanément pour entendre l'une d'elles expliquer aux autres :
— Putain les meufs, il y a Callahan O'Shea juste derrière vous !
Elles parlent si fort que l'on peut entendre toute leur conversation. Nous suivons leur regard pour découvrir mon inconnu, toujours assis là où je l'ai laissé. Je fronce les sourcils, sans trop comprendre ce qui se passe.
— T'as vu son dernier film ? répond une autre. Il y a une scène de sexe où il est carrément à poil, genre on voit presque tout quoi ! Il a un de ces corps... mon Dieu, une tuerie !
— Qu'est-ce qu'il fait ici tout seul ? intervient l'une des filles de la joyeuse bande.
— Je peux peut-être me dévouer pour aller lui tenir compagnie...
— Quand je pense qu'il est marié ! Quel gâchis !
— Tu sais comment ça se passe, les plus beaux sont soit gays, soit mariés. Mais je les préfère mariés que gays, surtout lorsque l'on sait quelle importance accordent les célébrités à la fidélité.
Les filles se mettent à rire comme des idiotes.
— Tu m'étonnes, pourtant depuis qu'il est marié, on ne le voit plus nulle-part. Quand il était mannequin, il passait son temps dans les clubs. Il est sorti avec un bon paquet de top-modèles, si vous voyez ce que je veux dire... Il apparaissait dans tous les magazines, que ce soit dans les pages pub ou people.
Après un ou deux autres éclats de rire, nous pivotons pour retrouver notre position initiale quand je ne remarque sur le visage de mes deux amies une sorte d'incrédulité presque comique.
— Nom de Dieu, Savi... commence Tiffany sans finir sa phrase.
— Quoi ?
Face à leur stupeur, je commence à perdre patience.
— Non sérieux, qu'est-ce qu'il y a ?
Jill me regarde, presque admirative.
— Je me disais bien qu'il me faisait penser à quelqu'un... murmure Tiffany pour elle-même.
— Allô ? Je ne comprends rien, c'est qui ce mec ? demandé-je complètement paumée.
— T'es sérieuse ? Elle est sérieuse là ? demande Jill une seconde fois à Tiffany en me montrant du doigt.
Tiff plisse les yeux tout en se rapprochant de moi.
— Savi, tu n'as jamais entendu parler de Callahan O'Shea ? Mais mince alors, je ne me souviens pas que tu aies vécu dans une grotte ces cinq dernières années ! Merde, ce mec est une putain de star internationale ! Tu n'as vu aucune de ses pubs, aucun de ses films ? La moitié des femmes de cette planète fantasment sur cette bombe aux yeux gris et au corps d'Apollon !
Je les regarde, confuse, sans trop savoir quoi dire face à son explication.
— Et bien, disons que je ne suis pas très friande de ce genre de magazines...
— Mais enfin, Sav ! s'écrie Jill. Mis à part le fait qu'il apparaisse dans la presse people, c'est un excellent acteur ! Il a reçu un Oscar l'année dernière pour son rôle dans Exodes. Tous les réalisateurs se l'arrachent, impossible de passer à côté de ce mec... à moins de vivre effectivement en ermite dans une grotte ! C'est un peu comme si tu me disais que tu ne savais pas qui est Ryan Gosling...
La moue perplexe que j'esquisse fait glousser Tiffany.
— Oh, c'est pas vrai !
De désespoir, ma meilleure amie se tape le front avec son poing
— Rooh ça va, je plaisante ! Je sais quand même qui est Ryan Gosling. J'ai vu son film, avec Sandra Bullock qui se passe en Alaska...
Les filles éclatent de rire en réalisant que je suis en train de me moquer d'elles. Qu'on se le dise, je suis nulle en acteurs de ciné mais je sais quand même faire la différence entre Ryan Gosling et Ryan Reynolds.
— Par contre, il faut que je vous avoue un truc...
Les filles se regardent et s'approchent avec circonspection.
— Oui ? demandent-elles en chœur.
— Et bien, disons que... disons qu'en fait, je vous ai un peu menti.
— Mais encore ?
Jill fronce les sourcils. Elle me connait, et elle sait que je vais lâcher quelque chose qui ne va pas lui plaire.
— Et bien pour tout vous dire, ce n'est pas vraiment son numéro...
— Quoi ? hurlent-elles en même temps.
Leur regard incendiaire me fait reculer légèrement sur mon siège. Aïe, je savais que ça allait mal passer...
— Tu as fabriqué une fausse preuve ? s'indigne Tiffany en secouant le dessous de verre sous mon nez.
— Non ! Enfin, c'est-à-dire que...
Et je leur raconte l'intégralité de mon échange avec le bel acteur, en omettant bien évidemment la partie sur la tension sexuelle, qui n'a d'ailleurs pas quitté une seule seconde mon corps depuis que je l'ai laissé seul à sa table. Elles m'écoutent attentivement sans me couper la parole.
— Tu es une petite garce, jure Jill dans sa barbe une fois que j'ai fini mon histoire, avant qu'un sourire presque fier vienne illuminer son visage. Mais bien joué, j'admire ta témérité. Mettre carte sur table directement, c'était plutôt risqué.
Tiffany se marre en secouant la tête.
— Je n'arrive pas à croire que tu nous aies roulées ! Et surtout, je n'arrive pas à croire qu'il ait joué le jeu, LE Callahan O'Shea. Le mec qui n'a qu'à claquer des doigts pour choper une nana...
— Bien sûr qu'il a joué le jeu ! Tu l'as vue ? Elle est tellement belle qu'elle pourrait damner un saint.
— Arrête, Jill, ça n'a rien à voir.
— Pfff, arrête avec ta modestie à deux balles ! Mais merde, regarde-toi dans une glace pour changer. Dis-le lui, toi !
Je souris. Jill ne jure pas souvent, mais ce soir c'est un vrai festival. C'est drôle. Très drôle. Tiff acquiesce en rigolant.
— Elle a raison ma belle. Avec ou sans tes yeux magnifiques, tu es la plus belle fille que je n'aie jamais vue. Désolée, Jill...
— C'est bon, rigole cette dernière.
— Et c'est Miss Kentucky qui te le dit. Je peux te dire que question beauté, j'en connais un rayon.
— Je ne sais pas laquelle de vous deux a la plus mauvaise influence sur l'autre, mais ça ma plaît, ris-je en portant ma bouteille de bière à mes lèvres.
— Callahan O'Shea, voilà un nom qui pue le sexe... ricane Jill.
— Il te plait ? me demande Tiffany, ses yeux bleus pétillants de malice braqués sur moi, tout en ignorant la réflexion de Jill.
— Quoi ? Non ! dis-je un peu trop précipitamment. Enfin, en toute objectivité... il est plutôt pas mal oui.
— En toute objectivité ? Allez déconne pas, je pourrais lui lécher le cul !
J'explose de rire en l'entendant, crachant par la même occasion la gorgée de bière que je venais tout juste d'avaler.
Tiffany est la plus délurée de mes deux amies. Ancienne Miss Kentucky, cette mannequin d'un mètre quatre-vingt à la silhouette qui ferait pâlir Gisele Bündchen [1] – je vous laisse imaginer – est une croqueuse d'hommes. Une vraie de vraie. Rien ne lui résiste ou presque. Elle est folle mais géniale. Et pourtant, sous cette apparence un peu superficielle, c'est une jeune femme adorable et une excellente amie. Quand je l'ai rencontrée en première année d'histoire de l'art, elle avait déjà des rêves de mannequinat plein la tête. C'est donc sans grande surprise qu'elle a rapidement abandonné ses études le jour où l'agence IMM Models lui a proposé son premier contrat. Et bien qu'elle voyage beaucoup, elle a fait de Londres son point d'ancrage lorsque j'ai décidé de m'y installer.
Tandis que Jill est bien plus réservée. En couple depuis ses dix-neuf ans, cette dernière ne fait jamais de vague question relation sentimentale. Pour elle, il n'y a aucun doute, le beau Matt Williams est l'homme de sa vie. J'ai d'ailleurs toujours été assez impressionnée par son assurance en la matière. C'est vrai, dans le monde détraqué qu'est le nôtre, où la tentation et le divorce sont rois, il est assez incroyable d'être sûre à ce point-là de ses sentiments, surtout à cet âge.
Jill et moi avons toutes les deux grandi à Dallas. Nos pères étaient partenaires en affaires et nos ranchs voisins. Petites, nous étions inséparables. Nous faisions presque tout, ensemble, si bien que l'on nous surnommait les sœurs siamoises. Par chance, en grandissant, nous n'avons rien perdu de cette extraordinaire complicité.
Quand j'ai décidé de partir à Londres pour changer d'air, elle s'est tout de suite proposée de m'accompagner. Elle était disponible à ce moment-là et Matt, dont le métier lui permet de travailler partout, était ravi de voir autre chose que les Etats-Unis. Elle ne pouvait pas me laisser vivre ça « seule ». C'était important pour nous de réaliser cette aventure ensemble. A vrai dire, je ne sais pas ce que je ferais sans elle. S'il y a bien une personne sur Terre qui peut me comprendre, c'est Jill. Nous avons vécu toutes les deux le même type d'enfance, évolué dans le même cercle étouffant, fait de richesse et de privilèges. Mais contrairement à moi qui suis célibataire, elle a la chance d'avoir un petit-ami. Il est sa planche de salut. Il n'est ni riche, ni arrogant et surtout, il ne la considère pas comme un trophée, ce que bon nombre d'hommes de ce milieu font la plupart du temps.
J'aime profondément mon père, c'est un homme aimant et généreux avec ses proches, mais j'ai trop souvent vu ma mère reléguée au rôle de tapisserie, n'ayant à se préoccuper que de galas de charité et autres événements mondains. Elle n'en est pas forcément malheureuse, mais je sais pour ma part, que c'est une vie que je ne pourrais jamais supporter.
Quand Jill tapote l'épaule de Tiffany pour lui montrer une photo sur son téléphone, j'en profite pour jeter un coup d'œil vers la table d'O'Shea, mais le box est désormais vide. En y repensant, je ne suis pas étonnée qu'il soit si célèbre. J'ai tout de suite senti qu'il n'était pas comme les autres.
Soudain le fil de mes pensées me fait rougir de honte. Bon sang, je me suis ridiculisée devant une star planétaire.
Fantastique.
Il a dû me prendre pour une idiote. « Vous ne voulez pas mon vrai numéro ? », tu parles ! Il n'y a que moi pour rencontrer Callahan O'Shea sans savoir que c'est Callahan O'Shea. Oui parce qu'apparemment, tout le monde le sait sur cette foutue planète !
Un léger sentiment de déception m'envahit, suivi par un étrange malaise. Ce que nous avons ressenti en nous touchant, je ne l'avais jamais ressenti avec mes ex. C'était si... fort, que j'en ai encore des fourmis au niveau du point de contact. Je suis presque sûre qu'il a éprouvé la même chose, mais je ne le saurais jamais. J'ai quand même du mal à croire que l'attirance soit totalement réciproque. Soyons honnête, le mec est marié et quand bien même il tromperait sa femme, ce n'est pas sur moi qu'il jetterait son dévolu. Sans vouloir me rabaisser, bien entendu...
Pour tout avouer, je n'ai eu que trois amants dans ma vie, dont deux relations très sérieuses qui se sont finies lamentablement. Je croyais les aimer, ils croyaient m'aimer en retour et puis, ce n'était pas vraiment ça. Ça n'a jamais été vraiment ça. Jusqu'à ce soir. C'est tout bonnement bien la première fois qu'un simple effleurement me remue à ce point. Quand mon corps se réveille enfin après des mois d'hibernation, il faut que cela soit avec un canon, célèbre et... marié. Non mais franchement ! Il faut bien avouer que mon karma a un certain sens de l'humour.
— Savi ?
— Hmm...
— T'es avec nous, ma belle ?
— Elle est avec Cal, je crois, ricane Tiffany en sirotant son Bloody Mary. Tu vas appeler le numéro ? Histoire d'être sûre que ce n'est pas le vrai...
— Ce n'est pas le vrai, Tiff, arrête de rêver !
— Bah appelle, tu en auras la certitude.
— Hors de question que j'appelle. Le mec est marié, ça mènerait à quoi ? « Salut, ça te dirait de tromper ta femme avec moi ? ». Non mer-ci !
— Envoie-lui au moins un SMS.
— Non.
— Bipe-le.
— Non.
— Rohhh allez, t'es vraiment pas drôle ! râle Jill en donnant un petit coup de poing sur mon épaule. Bon bah du coup, on se reprend des shots ?
— Ouaip, rétorqué-je, ravie de changer de sujet.
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Allongée sur mon lit, je n'arrive pas à fermer à l'œil. Je ne sais pas si c'est la chaleur qui m'en empêche ou les événements de la soirée qui défilent en boucle dans ma tête. Mes draps sont tout froissés à force de changer de position toutes les trente secondes. D'un coup de pied, je les fais valser sur le sol en soupirant. Et dire que j'avais réussi à me le sortir de la tête entre le moment où je suis arrivée chez moi et celui où j'ai pris ma douche. Mais apparemment l'attirance est trop forte pour s'évanouir complètement.
Merde, merde, merde.
Un homme marié, ce n'est tellement pas moi. C'est perdu d'avance. Mais mon abruti de cerveau n'a pas l'air d'être d'accord, et ne parlons même pas de mon corps, qui, si je l'écoutais, ferait déjà le pied de grue devant chez lui comme un fan hystérique. Je suis trop troublée et ça me met mal à l'aise. Quand je repense à sa voix, à son regard... les papillons de mon estomac réalisent des triples saltos arrière.
Du calme, les gars.
Après ma douche, je n'ai pas pu m'en empêcher. Je me suis jetée sur Google pour collecter la moindre information sur lui. Oui, je l'avoue, j'ai regardé les vingt-cinq premières pages de Google Images, comme une psychopathe – en bavant sur mon clavier. Mais qui fait ça, sérieusement ? A peu près toute nana normalement constituée ayant accès à internet, me charrie ma conscience en ricanant.
Peut-être qu'il n'y a pas que mon corps qui est un fan hystérique, finalement. En même temps, quelle nana n'aurait pas envie de le lécher des doigts de pieds au menton, en découvrant les photos de sa campagne de pub pour sous-vêtements Calvin Klein ?
Tout ça ne va pas vraiment m'aider à trouver le sommeil. Il faut que j'arrive à me focaliser sur ma recherche d'emploi. Je ne suis pas venue à Londres pour perdre mon temps à rêvasser comme une adolescente de quatorze ans.
Enfin, je crois.
[1] Célèbre mannequin brésilien.
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