Chapitre 26 - À visage découvert

TW : sexe explicite

À compter de cette nuit, Miracle veilla plus fréquemment sur Lukas. Elle guetta les signes de son éveil, qu'elle sentait proche. Tout ce temps, elle nourrit des angoisses grandissantes au sujet de la réaction qu'il aurait en découvrant l'identité de sa soignante. Celle-là même qui avait bien failli le tuer. La sorcière qui s'était immiscée jusque dans sa couche, avait effleuré sa peau pour ensuite enfoncer ses doigts pointus et acérés dans sa poitrine, animée d'une force à laquelle il n'avait pu s'opposer, malgré tous ses efforts. Celle qui revenait encore aujourd'hui dans les cauchemars de son inconscience fiévreuse, pour lui arracher son âme. Miracle ne comprenait que trop bien l'agonie du jeune homme. Elle ressemblait de manière presque troublante aux tourments qu'elle connaissait depuis l'enfance, avec son rêve horrifique et récurrent. Qu'elle soit responsable d'une telle souffrance chez un être cher lui brisait le cœur, l'accablait d'une culpabilité écrasante. Elle comprit alors que le corps de Lukas guérirait bien plus vite que son esprit, et c'était à cette tâche qu'elle devait maintenant se consacrer.

Elle délaissa Moniyah. Malgré les sollicitations insistantes de la louve, elle ne pouvait se résoudre à quitter longtemps son patient des yeux. L'animal en manque d'attention poussait du museau la main de sa compagne, mais cela avait pour seul effet de l'irriter de plus en plus, jusqu'au moment où l'adolescente ouvrait la porte et faisait signe à la louve de sortir prendre l'air. Moniyah s'absenta ainsi pendant des périodes de plus en plus longues et finit par passer la journée entière dehors, à courir les bois enneigés. Miracle profitait de ces moments de tranquillité pour mettre au point sa stratégie de reconquête de Lukas. Il ne l'avait jamais vue à visage découvert, ne connaissait même pas la couleur cendrée de sa peau. Lui apparaître sous son vrai jour, malgré l'étrangeté de sa carnation et de ses cheveux, serait certainement la solution la plus simple. Elle en avait assez de se cacher derrière des masques. Mais le jeune homme était familier de sa voix, là résidait le véritable problème. S'il reconnaissait son timbre de gamine, il ferait le lien avec la sorcière de ses hantises. Elle envisagea un moment de garder le silence, mais écarta l'idée, car elle n'avait rien pour écrire, et de plus son épisode d'aphasie, suite à l'attaque du fou dans l'hôpital, avait largement suffi à la vacciner des vertus du mutisme. Non, elle ne voyait qu'un seul moyen de modifier sa voix au point de la rendre méconnaissable, et il n'était guère agréable.

Dans les instants où Lukas s'apaisait, où elle sentait que les images de son esprit le laissaient en paix, elle remplaçait les pansements des ses plaies au flanc, car l'infection tardait à guérir. Ces soins accomplis, elle se leva, ôta sa chemise, ouvrit la porte et sortit dans le jour qui déclinait. Le vent glacial l'accueillit à bras ouverts. Torse nu dans la neige, vêtue de son seul pantalon et de ses chaussures élimées, elle courut loin au travers de la prairie couverte de blanc. Elle traça un sillon dans le manteau cotonneux, entre les buissons et les arbustes qui formaient d'étranges dômes immaculés. Elle brûla toute son énergie, tira de toutes ses forces sur les muscles de ses jambes pour courir, marcher, avancer ne serait-ce que d'encore un pas, puis un autre. Jusqu'au point où elle s'écroula dans la neige. Allongée dans l'épaisse couche glacée, la sueur de son front figée par le froid, elle vit le soleil loin dans le ciel, qui perçait les nuages et les frondaisons des pins. Elle entendit le silence. Et alors, malgré la fatigue de sa course effrénée, elle sentit monter en elle une colère blanche, sans objet précis, si ce n'était elle-même et sa faute envers Lukas, qu'elle comptait bien réparer, à tout prix. La colère se mua en une résolution inflexible qui transcendait le souci de son bien-être, de son intégrité physique. Elle prit une grande respiration et hurla.

Hurla.

Et hurla encore.

Un hurlement primal, rauque et sauvage, qui lui arracha la gorge.

Elle crut entendre au loin un écho fugace de son propre cri. Ou peut-être l'avait-elle rêvé. Elle resta longtemps allongée ainsi dans son cercueil de glace. Quand le soleil toucha l'horizon, elle se leva, grelottante, et suivit sa propre trace jusqu'au chalet. Elle recommença le lendemain. Et le jour suivant.

La fièvre vint dès le premier soir. Moniyah s'était déjà endormie après être rentrée de sa longue escapade de la journée. Assise sur son fauteuil devant la cheminée qui craquait, Miracle sentit un étau brûlant s'installer lentement mais sûrement autour de son crâne. Elle passa la nuit à grelotter et suer à grosses gouttes, mais cela n'entama en rien sa résolution.

Au deuxième matin de ce traitement de choc, sa gorge lui donna l'impression d'avoir doublé de volume et il lui devint pénible de se nourrir, tant le passage de la nourriture la faisait souffrir. Déjà, sa voix s'était réduite à un maigre filet d'air. Après sa deuxième sortie, ses poumons se joignirent au concert de ses symptômes. Une toux profonde et grasse saccadait sa respiration, devenue sifflante. Ses bronches sonnaient comme un vieux tonneau plein de mazout. Elle se savait mûre pour la rencontre avec Lukas. Mais pour être bien certaine de ne pas guérir trop facilement de sa crève auto-infligée, elle retourna une troisième fois dehors, braver le froid et la neige pour se rendre encore un peu plus malade.

Son cri éraillé monta au ciel entre les branches des pins indifférents. À bout de forces mais satisfaite, elle s'extirpa de son lit de poudreuse et marcha péniblement jusqu'à la hutte. Elle poussa la porte, tapa des pieds, retira ses bottes trempées, ramassa sa chemise sur le dossier du fauteuil et s'enveloppa dans le châle de laine qui lui tenait compagnie dans ses nuits fiévreuses et sans sommeil.

Puis s'immobilisa.

Il était assis sur la banquette. Il l'observait de ses yeux noirs où se reflétaient les flammes de la cheminée. Elle resserra l'écharpe sur ses épaule, d'un geste pudique.

« Tu es réveillé, croassa-t-elle en français de sa voix de fumeuse de Gitanes.

Qui es-tu ? répondit-il d'un ton agressif. Quelle créature étrange es-tu, et pourquoi parles-tu la langue de l'Ordre ?

Mon nom est Miracle. » Les paroles étaient sorties sans qu'elle ne les eût préméditées. Elle n'en pouvait plus des masques et des faux-semblants. Elle se rendit compte qu'elle ne désirait plus qu'une chose, lui dire la vérité. Elle s'assit donc face à lui et poursuivit. « Je suis humaine, comme toi, mais je viens d'un autre monde. Ma couleur de peau ne t'effraie pas, j'espère. Tu sais ce que signifie mon nom dans ta langue ?

— Oui. » Il traduisit, visiblement déconcerté. « Et non, tu ne me fais pas peur.

— J'ai pris soin de toi ces derniers jours. Tes blessures ne sont pas encore guéries, mais ça ira.

— Je me souviens que... C'est très confus. On m'a fait arrêté, les prêcheurs m'ont montré sur la place publique, puis d'autres gens m'ont emmené, dans un lieu très sombre. Ils m'ont attaché et un homme m'a... Il m'a pris du sang. J'étais si faible. J'ai perdu conscience. Cela a duré longtemps.  Et puis il me semble que quelqu'un est venu.

— C'est Toniyah qui t'a sauvé. » Elle grimaça en disant ces mots, car voilà qu'elle lui mentait à nouveau. Mais elle ne pouvait faire autrement, sans risque de le braquer. « Elle t'a mené jusqu'ici, où tu ne crains rien, pour que je m'occupe de toi.

— Où sommes-nous ? jeta-t-il soudain avec un regard inquiet vers les fenêtres où le jour déclinait.

— Dans un abri isolé que Freydjan m'a prêté. » Elle venait peut-être d'en dire un peu trop. La mention du Blême alluma une étincelle dans les pupilles de Lukas.

« Tu connais le Blême ?

— Absolument. Je suis la fille de Désiré et Jenovefa »

Cette phrase parut sidérer le jeune homme, pourtant il ne sembla pas douter de la véracité des propos de son interlocutrice.

« Et où se trouve Toniyah ?

— Elle n'est pas loin. Mais n'aie pas peur, elle ne te veut aucun mal. En fait, elle n'a jamais souhaité te nuire. Elle s'en veut terriblement de ce qui t'est arrivé. »

Il mit la main à sa poitrine, comme si la douleur venait de se réveiller. Ses yeux se plissèrent et il regarda Miracle avec méfiance.

« Tu dis que Toniyah se sent coupable ?

— Tout à fait. » Elle déglutit et sa gorge lui fit l'effet d'un sac de verre pilé. Ses mains tremblaient et son corps tout entier était couvert de sueur froide.

« Elle m'a suivi jusqu'à Pribam ? Elle a cherché ma trace dans la capitale ? C'est elle qui m'a délivré des fanatiques qui m'avaient enlevé ? Elle qui m'a emmené ici, en lieu sûr ? »

Miracle acquiesça à chaque question, de plus en plus mal à l'aise, car elle ne voyait pas où il voulait en venir. il se leva alors, renversa la table et pointa un doigt accusateur vers son torse nu.

« Alors comment explique-t-elle ça ?

— Elle ne ... elle ne ... »

Il paraissait évident qu'il avait fait le rapprochement entre l'adolescente à la voix cassée qui lui faisait face et celle qu'il avait autrefois connue masquée, et qui l'avait blessé. Elle esquissa un geste vers sa poitrine. Il eut un léger recul, mais la laissa poser délicatement les doigts sur les cicatrices. Ils vinrent se loger parfaitement dans les cinq dépressions circulaires autour de son cœur. La clé parfaite d'une serrure inviolable.

« Je ne voulais pas... sanglota-t-elle. Je n'avais pas conscience de ce que je... » Elle leva vers lui des yeux remplis de larmes de remords. Le châle glissa de ses épaules et tomba au sol.

Il la pressa soudain contre lui, l'enlaça entre ses longs bras réconfortants et joignit ses lèvres aux siennes. L'étreinte, à la fois douce et passionnée, prit Miracle par surprise. Elle s'y abandonna et rendit à Lukas la fougue de son baiser. Alors que leurs langues s'emmêlaient, la fièvre s'empara de son âme et embrasa tout son être. Une fièvre bien plus brûlante que celle qu'elle avait ramenée du froid. Cette flamme avala en un instant la raison, la culpabilité, la maladie, les doutes, les souffrances, les épreuves, les promesses et les mises en garde. Comme si elle n'avait vécu que pour ce moment. Pourtant, elle n'était plus totalement elle-même. Son cœur battait une cadence électrique, tandis que leurs peaux nues l'une contre l'autre paraissaient dégager des étincelles. Ses mains découvraient peu à peu les aspérités d'un corps masculin, la rondeur de ses épaules, l'épaisseur de ses cheveux. Elle le laissa parcourir la courbe de son dos, se perdre dans sa longue tignasse crépue, s'égarer vers l'ovale de ses seins. Elle le repoussa sur la banquette. Elle voulait ce qui allait se passer.

Avec des gestes tremblants de désir et d'appréhension, elle délaça son pantalon. Il paraissait aussi anxieux qu'elle, mais tout autant emporté par la passion, aussi il l'imita et lui ôta son bas de laine. Lorsqu'il découvrit sa culotte en coton imprimé, ornée d'une licorne et d'un arc-en-ciel, il s'arrêta une seconde, surpris. Elle lui prit le visage entre les mains et, plus pour se donner courage que par bravade, lui souffla à l'oreille :

« Te déconcentre pas, playboy. Tu vas me faire passer l'envie. »

Elle l'embrassa à pleine bouche et glissa la main entre ses jambes. Son sexe s'y trouvait, dressé de désir. Il fit glisser la culotte et lui agrippa les reins. Elle se pressa à cheval contre lui et sentit ses hanches contre les siennes, dont les mouvements se mirent en cadence. Ils s'unirent dans un gémissement commun. Lorsqu'elle le sentit en elle, une grande douleur lui déchira les entrailles, et elle se pressa fort contre lui. Il prit sa réaction pour du plaisir, ce qui n'était pas tout à fait faux.

Tandis qu'ils se donnaient l'un à l'autre, trois larmes affluèrent, coulèrent le long des joues de Miracle et roulèrent jusqu'à l'épaule de son amant. Une pour le bonheur d'avoir retrouvé Lukas. Une autre pour lui avoir offert sa virginité. Une autre pour fêter la rencontre de deux âmes, seules et effrayées, qui trouvaient en cet instant fugace un peu de répit.


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Voilà un chapitre que je méditais depuis un bon moment. Et maintenant vous allez me traiter de pervers. Si c'est le cas, je vous trouve bien injustes. Après tout ce que Miracle a traversé, les passages gores et morbides, elle a bien droit à un peu de réconfort. Et nous aussi, par la même occasion.

J'espère avoir traité cette scène comme il faut, sans trop de clichés. Je voulais le faire sans pudeur, mais sans non plus tomber dans le gras vulgaire. Il me semblait important de faire en sorte que la première fois de Miracle soit écrite avec ce qu'elle mérite de sensibilité. Dites-moi si j'ai eu juste ou pas. (J'ai peur)

Mais je vous rassure, les péripéties ne sont pas finies. Le finale de l'axe de Svata Zeme approche à grands pas...

Bon, il est l'heure d'aller dormir. Je vais guetter les petites étoiles. 😉👇⭐️

Garnath out

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