BONUS: Elle ou son Ombre (Epic Inked Battle : Round 2)

Voici le texte que j'ai écrit pour l'étape 2 du concours. Les résultats tardent à tomber, mais je vous offre d'ores et déjà ce bonus.

Désiré court à perdre haleine, glissant sur les pentes abruptes et rocailleuses de la montagne. Une flèche siffle à son oreille et vient ricocher contre une pierre. Ces bâtard d'orques ne lâchent rien. Ils vont finir par le choper, à ce rythme.

Soudain, il s'arrête net au bord d'une falaise. Cette fois, il est fait comme un rat. Il entend les grognements de la troupe sauvage qui se rapproche. En contrebas, une rivière rugit. Il tire une grimace et secoue la tête. Ces trucs-là ne marchent que dans les films. Et pourtant, entre une mort certaine aux mains des cinglés de la montagne, et le saut de l'ange dans une pataugeoire, le choix est vite fait.

Il prend une grande impulsion et s'élance, pédalant des bras et des jambes en l'air. Le vide le happe et le précipite dans les flots. Dans la confusion du choc et des bulles qui l'enveloppent sous l'eau, il se réjouit de ne pas s'être écrasé comme une merde sur un gros caillou. Lorsqu'il refait surface, luttant contre le courant, il ne peut s'empêcher de s'écrier:

« Je suis vivant, putain, je suis viv... »

Le choc contre sa tête est si soudain que la douleur ne parvient pas jusqu'au cerveau, et le noir l'engloutit.

Le clapotis de l'eau et le chant des oiseaux. Des planches de bois rudes contre sa joue. Désiré entrouvre les yeux et distingue la forme gracieuse d'une femme assise devant lui, qui mène sa barque au moyen d'une rame. Son manteau sombre laisse échapper une cascade de longs cheveux noirs de jais.

« Où est-ce que...

— Pas maintenant, rétorque sèchement la batelière. L'Argentine est capricieuse, aujourd'hui. »

Désiré sent la tension et la concentration dans la voix de l'inconnue. De ses gestes rapides et habiles, elle guide l'embarcation sur les flots tumultueux, dont les remous heurtent les parois de la barque. Enfin, le courant se calme, et la batelière semble se détendre.

« L'Argentine ?

— Les elfes la nomment Celebrant.

— C'est vous qui m'avez sauvé la vie ?

— À plus d'un titre, étranger. Les orques sont sur tes traces. Tu aurais péri noyé si je ne t'avais tiré des flots. Et cette rivière traverse les terres de la Lorien, dont les elfes tuent les étrangers. Surtout ceux dont la peau reflète la noirceur de leur âme.

— C'est quoi votre problème avec le blanc et le noir, dans ce putain de monde ? »

Elle se retourne, et son visage le laisse ébloui, son regard lui transperce la poitrine de part en part.

« D'où viens-tu, étranger ? Des terres de l'Est, peut-être ? Et que te veulent les orques de la Moria ? Pour quel peuple espionnes-tu les sbires de Sauron ? »

Mais Désiré reste bouché bée, incapable de répondre quoi que ce soit. Elle lui ressemble tant, c'en est si troublant qu'il ne sait même plus quelle question elle vient de lui poser. Il retrouve même cette petite fossette au creux de sa joue lorsqu'elle est contrariée. Et pourtant, elle ne donne pas l'impression de le reconnaître. Pourrait-il s'agir de sa Jen bien aimée ?

« Comment vous vous appelez, mademoiselle ?

— Tes manières sont tout aussi étranges que ton accoutrement, fait-elle en se détournant pour dissimuler son embarras. Mon nom est Gwenhild, fille d'Héored, fils de Déor.

— Moi c'est Désiré, fils de Kondo N'Kanté. Mais je l'appelle Baba.

— Silence, maintenant. Nous pénétrons bientôt en territoire elfe. Les sentinelles ne doivent pas te trouver.

— J'en vois deux dans un arbre, là-bas, murmure Désiré.

— Allons, tu fanfaronnes. Ils nous auront repérés, et ils te décocheront une flèche en pleine gorge bien avant que tu ne t'aperçoives de leur présence.

— En attendant, il faut que je me planque.

— Dissimule-toi sous mon manteau, et ne bouge sous aucun prétexte. »

Désiré tire sur lui la large cape que lui offre sa guide, et se recroqueville au fond de la barque. Un long moment passe. Même l'odeur de ce vêtement lui rappelle celle de la peau de sa douce fiancée. La senteur familière lui fait tourner la tête et lui arrache un soupir.

À cet instant, une voix masculine et autoritaire hèle l'embarcation. Gwenhild répond quelques mots dans une langue fluide et musicale, sur un ton à la fois ferme et détaché. Un silence s'ensuit, puis une poignée de syllabes retentissent. Désiré regrette de ne pas avoir sous la main une petite dose de sa potion de Tadikwa.

Le calme reprend, rythmé par les coups de rame à la surface de l'eau. Désiré se laisse bercer par cette douce musique. Au bout d'un long moment, la cape est arrachée et le soleil l'éblouit.

« Tu devras m'expliquer comment tu savais que ces sentinelles nous attendaient précisément à cet endroit.

— Ben comme je vous l'ai dit. J'ai une bonne vue.

— Je n'y crois pas une seconde. »

Elle se retourne et ne décroche plus un mot. Un crépuscule doré tombe sur les berges arborées, lorsqu'enfin elle se dirige vers la rive. Après avoir solidement amarré l'embarcation, elle décrète:

« Nous allons camper ici. Demain, nous atteindrons l'Anduin, qui nous mènera aux contreforts du Rohan.

— Si tu le dis. Je peux t'appeler Gwen ?

— Gwenhild, ce sera parfait. »

Désiré l'observe tandis qu'elle ramasse du bois sec et allume le feu. Sa gestuelle souple et assurée, ses discrets coups d'œil dans sa direction. Tout chez elle lui rappelle la Jenovefa qu'il a connue. S'agit-il d'une projection de sa bien-aimée dans ce monde bizarre ?

Quand elle sort de son grand sac des ustensiles de cuisine, il se lève et l'interrompt.

« Laisse-moi faire. »

Avec les quelques ingrédients à sa disposition, dans ces conditions spartiates, il entreprend de cuisiner un ragoût dont il a appris le secret avec le chef Nadaud. C'est au tour de Gwenhild de l'observer, de ses grands yeux noirs brillants dans la lumière les flammes.

Désiré remue doucement son ragoût qui mijote. Tous deux échangent un regard intense, par-dessus les braises qui s'élèvent vers les étoiles.

Il se lève précipitamment, humant dans le vent une odeur familière. En un éclair, la pointe d'une lame rejoint son épaule. Le yeux pleins de détermination de Gwenhild le fixent, depuis l'autre extrémité d'une épée courbe.

« Où crois-tu aller ?

— Chercher des herbes pour la tambouille.

— Ne te moque pas de moi, on n'y voit pas à trois coudées.

— Suis-moi, si tu veux. C'est juste à côté. »

À pas mesurés, Désiré s'éloigne de la lueur du camp, guidé par son flair et la lueur du clair de lune. Il écarte quelques buissons et tombe sur son ingrédient.

« De l'Elenuë, s'exclame Gwenhild.

— Chez moi, on appelle ça de l'estragon. »

De retour à la marmite, il incorpore quelques brins de l'herbe aromatique. La batelière continue de l'épier avec une curiosité à peine dissimulée, et griffonne sur un parchemin au moyen d'une plume et d'un encrier.

« Tu écris ? hasarde Désiré.

— Rien d'important. Seulement quelques pensées. »

Jen aussi tenait un journal, pense Désiré. Et gauchère également.

« C'est prêt, fait-il en lui tendant une écuelle fumante. T'en penses quoi ?

— Incroyable, rit-elle, la bouche à moitié pleine. J'ai rarement dégusté un plat aussi goûteux. De quel genre d'alchimie s'agit-il ?

— Appelle ça de la magie, si tu veux, s'esclaffe-t-il.

— Tu es une personne étonnante,  Désiré, fils de Kondo N'Kanté.

— Tu ne crois plus que mon âme a la couleur de ma peau ?

— Aucun serviteur du mal ne saurait réaliser une chose aussi bonne. »

Jenovefa aussi avait su voir plus loin que le noir de sa peau. À nouveau, leurs yeux se rencontrent, le temps d'une seconde où leurs esprits communient sans un mot, dans une étreinte enflammée.

« Hmm, il faut nous hâter de manger, se détourne-t-elle en passant la main dans ses cheveux. Une longue journée nous attend, à l'aube. »

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