34. Accrochage
« Tu crois qu'ils nous ont repérés ? s'inquiète Piaget.
- Bah sûrement. J'ai de super bons yeux, mais eux, ils ont des jumelles.
- Pourquoi ils bougent pas, alors ?
- Ils nous savent à leur merci, intervient Freyd. Comme une mouche sur une toile d'araignée, nous pouvons nous débattre, mais il nous est impossible de nous échapper. Le temps joue en leur faveur.
- Si on peut pas s'éloigner d'ici, on fait quoi ? On charge dans le tas ?
- C'est notre seule option, j'en ai peur.
- Avec ça ? » Le blond hirsute désigne la carcasse rouge pâle de la Peugeot 504 stationnée dans le fossé. « Désolé de vous casser votre délire, les mecs, mais notre comité d'accueil est équipé d'armes automatiques. Cette boîte de conserve va terminer en passoire avant d'avoir atteint la moitié de la distance. Et nous avec.
- Je soupçonne que les gardes conventionnels seront doublés de renforts spéciaux en provenance des régiments d'Éther.
- Donc on court au suicide, conclut Désiré.
- Pas forcément. Analysons la situation. Nous devons être suffisamment lourds pour briser leurs lignes de défense, suffisamment blindés pour résister à leur feu, et suffisamment mobiles pour rapidement les distancer.
- T'as un tank sous la main, monsieur le magicien ?
- Tu ne crois pas si bien dire, mon cher Clément. Mais nous avons un autre problème. Il nous faudra éliminer Briseis au passage, faute de quoi...
- On se retrouvera de nouveau face au même problème, comme si on avait rien fait, complète Désiré.
- S'ils sont malins, ils la mettront en lieu sûr, et nous ne l'atteindrons jamais. Nous avons la chance qu'elle donne les ordres. Son arrogance la poussera à vouloir nous capturer elle-même.
- C'est un gros coup de bluff, commente Désiré.
- Et on devra improviser un max.
- Exactement. Un plan sans aucune subtilité, avec une minuscule chance de réussite, et plein de paramètres incontrôlables. Vous êtes partants ? »
Désiré échange un coup d'œil avec son ami flic, puis répond :
« On attend quoi ? »
Freyd va se camper au milieu de la route et tire une carte blanche de sa poche.
« Reculez. Je vous préviens, ceci est ma dernière esquisse. Je la gardais de côté pour une circonstance exceptionnelle.
- Allez, c'est bon. Arrête de faire ton malin et fais chauffer la magie. »
Le grand pâle adresse un doigt d'honneur au blondinet et pose les yeux sur le papier cartonné entre ses phalanges.
Rien ne se produit, pendant plus d'une minute. Le soleil brûlant accable les visage et tape sur les crânes. Soudain, un tourbillon prend forme, où se mélangent comme dans un mirage les formes et les couleurs. Le vortex gagne en taille, et finit par engloutir la frèle silhouette de l'Étherien. Puis les nuances s'assombrissent et se précisent. Les lignes ondulent, pour enfin se stabiliser. Enfin apparaît sur l'asphalte le profil massif d'un engin blindé, orné d'une étoile rouge sur chaque flanc.
Désiré se hâte de le contourner pour retrouver son compagnon. Il le découvre genou à terre, appuyé contre la carrosserie du véhicule, à bout de souffle.
« Ça va aller, mec ?
- Prenez vos affaires dans la voiture, lâche-t-il entre deux respirations. Profitons de l'effet de surprise.
- Ouais mais on a un gros souci, intervient Piaget. Comment on va décider qui va conduire ? »
Le blond surexcité n'attend même pas la réponse à sa question, et détale vers le coffre de la 504.
« Je vais gérer la manœuvre, déclare Freyd après avoir repris son souffle, en se levant péniblement.
- Non, fait sèchement Désiré, les yeux plein de détermination. J'ai été chauffeur de bus à Bobigny pendant quatre ans. Je peux conduire un engin de guerre. »
Cet argument imparable est couronné par des exclamations en provenance de l'intérieur du blindé.
« Wah putain ! Y a même des kalash à l'intérieur. »
Désiré lance un regard interrogateur au propriétaire.
« C'est un BTR-152 que j'ai acheté à une vente aux enchères de l'Armée Rouge. Ils ont démonté la mitrailleuse, mais ils ont accepté de me fournir quelques équipements de compensation. Capacité de 19 personnes, blindage 15 milimètres, neuf tonnes, six roues motrices, autonomie 700 kilomètres. Tu pourras gérer cet engin ?
- C'est dans mes cordes.
- Les clés sont sur le contact. »
Désiré cale derrière son siège le sac de sport noir contenant ses affaires, pose par-dessus son arc de compétition, et installe le carquois à portée de main. Il démarre le moteur, qui tousse une fumée noire avant de tranquillement ronronner à son régime de diesel.
« Accrochez vos ceintures. Prochain arrêt, le Soudan. »
Il démarre en faisant ronfler le turbo. Les voitures arrêtées au milieu de la route se rapprochent. Désiré remarque que les véhicules empruntent une déviation sur la droite, qui les mène à un complexe fortifié et ceinturé de grilles et de barbelés. Tout droit, des barrières ont été disposées en travers de la route, derrière lesquelles sont postés quatre soldats armés. Des écriteaux en arabe indiquent clairement l'obligation de passer par le poste de douane.
« On fonce tout droit ! hurle Freyd.
- Oui, Commandant. »
Il met les roues de gauche dans le sable pour remonter la file de voitures, et appuie à fond sur l'accélérateur. À travers la minuscule vitre blindée, il voit les gardes s'agiter et faire de grands gestes. Le blindé n'a pas encore dépassé la déviation que déjà, les premières balles ricochent sur le capot. Une pluie d'étincelles jaillit devant la fenêtre, dans un concert d'impacts, mais Désiré maintient sa direction. Il sent à peine une petite secousse au moment où le pare-choc défonce la barrière.
Ils longent maintenant les installations du côté égyptien, où les soldats se mobilisent tandis que retentit une sirène. Désiré reste concentré sur la voie qui continue devant lui. Près de cent mètres plus loin, des hommes viennent se poster pour les arrêter. L'individu au centre... Le cœur de Désiré fait un bond dans sa poitrine lorsqu'il reconnaît Kairos. Sur son épaule, il tient un...
« Lance-roquettes ! » crie-t-il. Le projectile s'élance dans leur direction. Désiré fait une embardée vers la gauche qui emmène le blindé en-dehors de la route et l'envoie se planter, museau en avant, dans le sable du fossé. Le missile explose et lève l'arrière du véhicule de plus d'un mètre dans les airs.
Les passagers se retrouvent assomés par ces deux impacts successifs. Désiré lutte pour rester conscient et chasser le vertige qui lui secoue la tête. Ses tympans sifflent rageusement, pourtant il entend les balles ricocher de part et d'autre de la carrosserie. Ils sont pris en tenaille. Derrière eux, les égyptiens. Devant, Kairos et ses hommes.
« Démarre ! Démarre ! » hurle-t-il au moteur qui peine à repartir.
Piaget jette deux grenades fumigènes par la lucarne arrière, puis fait feu sur les assaillants du côté égyptien.
« On va se faire démonter, si on reste ici. Faut bouger ! » crie-t-il.
Soudain, la porte arrière s'ouvre en grand. En se retournant, Désiré distingue, en ombre chinoise devant l'épaisse fumée blanche, l'immense silhouette d'une monstrueuse bête féroce.
« Ondrej, non ! Tu vas te faire tuer. Vrat' se !
- C'est qui, ça ?
- Démarre cet engin et tire-nous de là, fait Freyd en venant agripper le col de Désiré. Que son sacrifice ne soit pas vain. »
Tandis que Désiré martelle la pédale d'accélérateur en tournant la clé dans le contact, il entend des cris de soldats dont les accents ne lui semblent pas humains, et soudain retentit le long et puissant hurlement d'un loup.
« Viens me montrer ce que t'as dans le ventre ! » résonne la voix rauque de Kairos.
À cet instant, le moteur du blindé russe s'ébranle et repart, dégageant davantage de fumée aux alentours. Désiré enclenche la marche arrière et remet le véhicule sur la route.
Au milieu d'un groupe clairsemé de soldats, Kairos assène de furieux coups de poing à la tête d'un monstrueux loup noir, dont les mâchoires serrent son épaule gauche et les longs bras musclés lui enserrent la taille.
Désiré démarre en trombe et les dépasse. Freyd se dirige à l'arrière et porte assistance à Piaget, qui tente de fermer la portière.
« Adieu, mon ami. » sanglotte le grand maigre d'une voix brisée par l'émotion.
Renonçant à comprendre ce qui vient de se passer, Désiré porte son attention sur la route, et peine à croire ce qu'il découvre.
Une femme se tient seule au milieu de la route, fermement campée sur ses pieds, une expression de défi sur le visage. Briseis, en combinaison militaire, ses longs cheveux blonds dans le vent, tend la main vers le véhicule qui approche. Que tient-elle entre le pouce et l'index ? Désiré met le pied au plancher et fonce droit sur la frêle jeune femme.
L'avertissement de Freyd arrive un peu trop tard.
« Méfie-toi, Désiré. Elle est en train de... »
Dix mètres à peine avant d'écraser l'Étherienne, le blindé percute de plein fouet un obstacle surgi de nulle part, et est stoppé net dans sa course. La violence de l'impact enfonce tout l'avant du véhicule. La tête de Désiré heurte le volant. Freyd et Piaget se retrouvent projetés à l'avant et s'affalent l'un sur l'autre.
Chacun tente de reprendre ses esprits aussi vite que possible, en essayant de comprendre ce qui vient de se produire. Soudain, un coup puissant enfonce le toit et secoue l'habitacle.
« Sortez ! » glapit Freyd.
Ses camarades ne se font pas prier. Ils attrapent leurs armes et ouvrent la porte latérale. Le temps qu'ils sortent, un nouveau coup éventre le toit du blindé.
En sortant, Piaget lève les yeux et s'écrie : « Mais qu'est-ce que c'est que cette ... »
Une fois sorti, Désiré suit son regard et sa mâchoire se décroche.
Un géant de près de trois mètres, intégralement vêtu d'une lourde armure rutilante. Le colosse tient contre son corps un massif écu d'acier qui semble peser le poids d'un homme, et de l'autre main, il abat frénétiquement sur le blindé une épaisse lame que deux personnes ne parviendraient pas à soulever. Une trainée de sang coule du heaume sur le plastron.
« Elle en esquisse un autre ! » prévient Freyd.
L'image de Briseis tournoie et se déforme. Les contours d'un nouveau géant en armure se stabilisent.
« Hé, gros tas ! Regarde par ici ! » beugle Piaget en direction du premier mastodonte.
Le flic vide alors le chargeur de sa kalachnikov sur le titan. Les balles ricochent sur le plastron sans parvenir à traverser l'armure, mais plusieurs projectiles viennent se loger dans le colleret. Le géant laisse tomber son arme, porte la main au cou, puis tombe à genoux. Son corps s'effondre derrière la carcasse du blindé, sans pourtant émettre le moindre bruit.
L'attention de Désiré est attirée vers le nouveau protecteur de la princesse, qui s'avance à grands pas.
« Distrais-le, Piaget ! ordonne-t-il
- Pas de souci, mon pote, répond le flic en insérant un nouveau chargeur dans son arme.
- Désiré, il faut empêcher Briseis d'en invoquer davantage. »
En effet, comme l'indique Freyd, Briseis se tient derrière son garde, et un nouveau vortex prend forme au bout de ses mains.
Le titan s'approche. Désiré bande son arc et vise la jointure du heaume. La flèche siffle et percute le haut de l'écu. Le géant lève alors le bras et abat puissamment vers le sol son espadon. Freyd tire à lui son camarade et lui évite de justesse de se faire écraser par l'arme, qui fracasse le bitume à un petit mètre de Désiré.
La voix de Piaget retentit : « Hé, c'est moi que tu cherches, grosse truie ? » Le blond fait feu, mais ses balles ne suffisent pas à percer l'épais blindage du colosse. Cet assaut a néanmoins pour effet de détourner son attention, et le géant se détourne légèrement de la ligne de mire de Désiré.
« Vise ses mains ! » lance Freyd.
Désiré arme sa flèche, visualise pendant un instant la trajectoire de son tir, et retient son souffle. Il décoche son projectile, qui frôle la hanche du géant avant de continuer sa course. Personne ne voit s'il a atteint sa cible, mais un cri aigu vient confirmer que Briseis est touchée.
Le géant semble en proie à la confusion la plus totale. Piaget continue de le provoquer, et parvient à attirer son attention. Il n'en faut pas plus à Freyd pour se ruer à l'assaut de l'Étherienne.
Briseis se tient le poignet, et la flèche de Désiré a transpercé sa main droite. Distraite par la douleur, elle n'a pas vu Freyd s'approcher. Ce dernier lui assène un puissant uppercut qui l'envoie au sol, inconsciente.
« Oh les mecs, j'ai besoin d'un petit coup de main. »
Piaget se trouve en mauvaise posture, à court de munitions face au géant qui menace de l'écraser impitoyablement.
Désiré encoche une nouvelle flèche. Le dos de l'armure semble beaucoup moins protégé que l'avant. En particulier, le dosseret et les épaulières laissent apparaître une zone exposée au niveau des omoplates. La flèche vient se ficher sous le bras droit. Le coup que préparait le colosse perd instantanément sa puissance, et l'espadon heurte le sol loin du flic. Un deuxième projectile se plante à gauche, au niveau du cœur, puis un troisième. Le garde grogne, trébuche, lâche son bouclier et porte la main dans son dos. Une dernière flèche atteint sa nuque, juste sous le heaume. Il s'effondre en avant, de tout son poids. Avant d'avoir touché le sol, son corps disparaît.
Plus la moindre trace ne subsiste des deux géants abattus. Désiré cligne des yeux, et commence à se demander s'il n'a pas été victime d'une illusion.
« Venez voir, tous les deux. » appelle Freyd.
L'Étherien soutient la tête de Briseis, inanimée.
« Elle est vivante, précise-t-il. Cela peut jouer en notre faveur. Si nous la tuons, les Étheriens lanceront toutes leurs forces à nos trousses. L'aperçu que vous en avez eu n'est rien, en comparaison de ce dont ils sont capables.
- Qu'est-ce que tu proposes ?
- Je connais une fumerie d'opium à Bangkok, où on lui fera oublier jusqu'à sa propre identité. Cependant, je dois l'accompagner et rester auprès d'elle pour éviter qu'elle ne subisse... enfin, vous imaginez. »
Il sort plusieurs esquisses de sa poche, et sélectionne un paysage représentant une ruelle flanquée de hauts immeubles.
« Faites votre chemin, et retrouvez la Marelle.
- Comment tu vas nous rejoindre ?
- Grâce à ton esquisse. »
Il brandit une image cartonnée, et Désiré reconnaît son propre visage, représenté avec tant de finesse et de justesse, qu'on dirait une photographie d'art.
« Le temps presse. Allez, filez ! »
Désiré et Piaget retournent au blindé, réduit à l'état d'épave fumante, pour récupérer leurs sacs. En ressortant, ils ne voient de Freyd et Briseis qu'un tourbillon kaléidoscopique, puis plus rien.
Ne pouvant se permettre de traîner plus longtemps, ils cavalent et atteignent bientôt l'emplacement où la déviation par les douanes rejoint la route principale. Des soldats courent vers leur position.
« On chope le premier véhicule qui débarque, aboie Piaget en agitant son fusil.
- Oh non ! Pas celui-là. »
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Salut, c'est encore moi. Je renoue avec ma tradition de publier en plein au milieu de la nuit. 😁🌌
Ce chapitre arrive très peu de temps après le précédent. Je suis plutôt fier de moi, mais je ne tiendrai pas ce rythme. Disons que j'avais besoin de me changer les idées, comme AdrianMestre75 m'a écrit un commentaire qui m'a mis du Claude François dans la tête. Imaginez Alexandrie Alexandra en boucle pendant 48h, y a de quoi virer cinglé. 🤪 Mais ça va mieux, ça va mieux.
J'espère que ce chapitre vous a plu. Un bon vieux chapitre d'action plein de testostérone, ça fait du bien de temps en temps.
Ne soyez pas trop tristes que le voyage touche à sa fin pour ce pauvre Ondrej. Sa disparition devenait imminente, quoi qu'il arrive. Il aura terminé avec panache. 🐺🌘
Qu'avez-vous pensé de la protection rapprochée de Briseis ? Si vous faites bien attention à la description, vous saurez à quel jeu vidéo je joue en ce moment. Il y a aussi un indice dans le chapitre précédent, j'ai réutilisé un nom provenant de ce jeu, qui est évidemment 🔞.
Piaget et Désiré se retrouvent seuls. Je sais que ça va plaire à certain.e.s, mais sauront-ils se débrouiller sans (adulte) Freyd ?
On verra ça plus tard. Pour l'instant, je vous dis bonne nuit. Et n'oubliez pas de chatouiller la petite étoile. 😉👇⭐
Garnath out
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