31. Otage

TW: Violence, sang, torture physique et psychologique. Âmes sensibles, sautez ce chapitre. Vraiment.

L'épais sac de toile sur sa tête bloque la moindre lumière, et se remplit à chaque respiration d'un air de plus en plus pauvre en oxygène.

Désiré étouffe.

La panique s'empare de lui, il voudrait se débattre, ôter le bâillon qui est en train de le tuer. Mais ses poignets et ses chevilles sont entravés. Il ne peut que se tortiller misérablement sur le contreplaqué qui sert de sol à l'arrière de la camionnette.

Il reçoit un coup de pied dans le dos, et une voix lui aboie de se tenir tranquille.

Qui sont ces gens ? Que lui veulent-ils ?

Il force sa respiration à ralentir, tente de profiter du moindre atome d'oxygène filtrant à travers le sac. S'il veut conserver la moindre chance de se tirer de ce guêpier vivant, il doit garder son calme et analyser la situation.

Combien de temps s'est écoulé depuis son enlèvement ? Environ dix minutes, peut-être quinze. Le véhicule semble maintenant rouler à toute vitesse sur une autoroute ou une voie express. Au loin, on entend le moteur vrombissant de petits avions au décollage. Puis vient une odeur de vase et d'eau croupie. Des basses de musique électronique. De nouveau des relents d'eau stagnante, qui se muent peu à peu en effluves d'iode. C'est alors que la camionnette quitte l'autoroute. Une série de virages. Des arômes de viande graisseuse, auxquels s'ajoutent la puanteur du gasoil et du cambouis. Enfin, le véhicule s'arrête. Le trajet a duré environ cinquante minutes. Durant ce temps, ses ravisseurs n'ont pas prononcé un mot.

Ses réflexions s'interrompent quand on l'agrippe sans ménagement pour le sortir de l'utilitaire. On lui ordonne sèchement de se bouger. Une large porte métallique s'ouvre dans un grincement. Soudain, une voix d'un âge certain s'étonne que l'entrepôt soit ouvert à cette heure. Un homme répond que l'équipe de nettoyage fait des heures sup pour remettre les locaux aux normes, et tout est parfaitement normal.

On le traîne dans un escalier froid et humide. Une nouvelle porte. On l'assoit sur une chaise en fer, où ses avant-bras sont sanglés aux accoudoirs par des serre-câbles en plastique. Ses chevilles se retrouvent de même ligotées aux pieds en acier.

Dans la pièce voisine, une femme demande si la cible a été ramenée, et félicite l'homme qui lui répond par l'affirmative. Elle s'allume une cigarette et lui commande de commencer l'interrogatoire. Elle restera dans le bureau. Et qu'on lui amène un café, qu'au moins elle ait de quoi patienter dans ce trou crasseux.

L'appréhension serre la poitrine de Désiré. Que va-t-il lui arriver ? Pour qui ces gens travaillent-ils ? Que peuvent-ils bien lui vouloir ? Quelles méthodes vont-ils employer ? Seraient-ils prêts à le tuer s'il ne coopère pas ? Étrangement, la réponse à ce dernier point lui semble évidente. S'ils avaient l'intention de l'éliminer, ils n'auraient pas pris la peine de l'emmener dans ce lieu secret. Ils se seraient contentés de lui poser leurs questions dans la camionnette, avant de larguer son cadavre dans un fossé ou une décharge. Non, Désiré n'a pas peur. Il ressent surtout de la curiosité et de la colère envers ce groupe terroriste, quel que soit le réseau auquel ils appartiennent. Et surtout, qui est la femme à côté ? La tête lui tourne.

Que vient-il de se passer ? A-t-il perdu connaissance un instant ? Il a tout-à-coup très mal aux côtes, et son œil gauche est comme enflé, engourdi. Il n'y voit presque rien de ce côté. D'ailleurs, il n'a plus de sac sur la tête. De son œil valide, il découvre une pièce exiguë, carrelée du sol au plafond, couverte de saleté, éclairée par un rail de néons au plafond. Un grand miroir orne le mur à sa droite. Il n'est plus assis sur une chaise, mais allongé sur une planche en bois, légèrement inclinée, de sorte que sa tête se trouve plus bas que ses pieds. Ses poignets et chevilles sont évidemment toujours immobilisés. Il est nu. Chaque respiration lui procure une douleur lancinante à gauche de la cage thoracique. Il fait froid, et il grelotte à tel point que ses dents s'entrechoquent.

La porte s'ouvre soudain, et le fait sursauter. Il reconnaît l'homme qui entre. C'est l'individu du souk d'Istanbul. Toujours sapé militaire, il arbore une fine cicatrice sous l'œil droit. Dans un holster à la jambe droite, un revolver à la crosse en bois sertie de dorures. Le type sent le cigare à plein nez, et semble passablement énervé.

« Alors, Brahim, on va reprendre. » s'exprime le mec dans un français parfait. « Si on résume les deux dernières heures, t'es pas une poucave, tu causes pas aux sous-fifres, et tu veux voir le boss. J'ai tout bien compris ? »

Comme Désiré ne daigne pas répondre, le tortionnaire reprend.

« Pour commencer, je me fous complètement de t'appeler Brahim, ou bien Désiré, ou bien tout ce que tu veux. On a ton dossier, de toute façon. Tout ce qui m'intéresse, c'est la réponse à mes questions. Pour la petite histoire, tu noteras que j'ai commencé par demander gentiment, mais entre nous, j'aurais été un peu déçu que tu craques si facilement. On va pouvoir commencer à s'amuser tous les deux. »

L'homme s'interrompt pour afficher un large sourire sadique. Il dégaine alors son arme et place le canon sous le nez de Désiré. Il tire ensuite de sa poche une balle, qu'il laisse tout le temps à son captif de contempler. Il ne va quand même pas...

« J'aime bien ce petit jeu, recommence-t-il, mais parfois je m'emporte un peu. L'impulsivité a toujours été mon défaut, malheureusement. Tu connais la roulette russe ? Je te passe les détails, mais le principe est enfantin. Un révolver, six chambres, une balle. C'est du calibre .44, ça peut faire un trou dans un bloc moteur, alors je te laisse imaginer l'effet sur ta tête, haha ! Enfin bref, à chaque fois que tu te foutras de ma gueule, tu auras droit au canon de ma jolie Betty dans ta petite bouche de salope, et on verra si t'es chanceux. »

Il passe le côté de l'arme sur la tempe de Désiré, et descend lentement vers ses yeux révulsés d'horreur, puis vers le cou et la poitrine, secouée en saccades par une respiration affolée.

« J'espère que tu me feras plaisir. » Il ouvre le barillet devant les yeux de Désiré, et introduit délicatement la balle dans une des six chambres vides. Il fait tourner le chargeur, et arme le révolver. Le mouvement est si rapide que Désiré n'a pas le temps de repérer à quelle position se trouve la munition.

« On commence ? Allez, une question facile. Où as-tu connu Freydjan om Kaster ?

— Je connais pas ce nom.

— Mauvaise réponse. »

Une grand chiffon est fourré entre ses dents, et de l'eau coule soudain à flots sur son visage. Le tissu dans sa bouche sature, son nez n'inspire que du liquide, il tente de tousser et de cracher, en vain. Le supplice dure des secondes interminables, où il se sent convulser et battre des bras à la recherche d'une gorgée d'air. Ses poumons s'emplissent.

In extremis, sa bouche est libérée, et une goulée d'air glacial parvient à se faire un chemin dans sa poitrine. Il recrache de pleines bouchées d'eau. Pendant qu'il se remet, il entend son bourreau remplir un seau à un robinet dans un coin de la pièce, puis revenir s'asseoir à son côté.

« Je te repose la question. Comment as-tu fait la connaissance de Freydjan om Kaster.

— Freyd. Il s'appelle Freyd. On s'est rencontrés en Allemagne, il y a trois ans.

— Disons que je te crois. Quand est-ce qu'il a repris contact avec toi ?

— Par hasard à Nancy, je... »

Il n'a pas le temps de terminer sa phrase. De nouveau, le tissu mouillé vient lui bourrer la bouche et lui recouvrir le nez. Le supplice recommence. Des flots ininterrompus le submergent, il sent son corps partir à la dérive. Au milieu de l'obscurité qui l'engouffre, il croit distinguer un visage pâle, aux yeux perçants et inquiets, le front couvert de sueur.

Une violente claque le ramène à la réalité.

« Reste avec moi, princesse. On a encore une longue conversation devant nous. Je répète la question. Comment Freydjan t'a recontacté ?

— Si tu veux savoir, pourquoi tu lui demandes pas ? »

Le type lâche un grand sourire en coin. « Mauvaise réponse. » Désiré sent un objet métallique lui pincer le pied droit, tandis que débute un vrombissement. Il comprend lorsqu'il aperçoit l'autre pince reliée à un câble.

« Non attends, je ... aaaargh ! »

Son hurlement s'accompagne de convulsions sauvages, comme le courant électrique parcourt son corps, et une odeur de chair brûlée se répand. La douleur s'arrête subitement, elle laisse place à une sensation plus sourde, mais tout aussi insupportable, de brûlure.

« Tu vas apprendre à aimer ma Gégène. Je vais même répondre à ta question. Ce bâtard de Freydjan est citoyen d'Éther. On ne le torture pas sans preuve. Toi, par contre, tu n'es qu'une ombre. Ta vie n'a aucune valeur.

— Tu te trompes, Kairos. Je suis aussi réel que toi.

— Petit merdeux, comment oses-tu m'appeler par mon nom ? On va voir de quelle couleur est ta cervelle. »

Le rond froid du canon presse le front de Désiré. Kairos relève le chien. Clic.

« Fais pas ça, je te ... »

Clac.

Le cœur de Désiré marque un temps d'arrêt. Puis repart de plus belle.

« T'es un veinard. Plus qu'une chance sur cinq. »

La porte s'ouvre alors et une voix de femme, à la fois calme et autoritaire, ordonne à Kairos de la rejoindre un instant.

Resté seul, Désiré respire plus librement. Il ne tiendra pas longtemps à ce rythme. Il donnerait tout pour qu'on le sorte de là, que la douleur s'arrête. Il dirait n'importe quoi. Il sait maintenant que, contrairement à ce qu'il pensait, ces gens n'hésiteront pas à le tuer. Ils le maintiennent en vie le temps de lui arracher les renseignements dont ils ont besoin, et dès qu'il les leur aura livrés, ils l'abattront comme un animal.

La discussion orageuse qui se déroule dans la pièce voisine confirme cette impression. La femme menace Kairos de représailles si Désiré meurt avant d'avoir répondu à leurs questions. Le militaire assure qu'il sait s'y prendre, et qu'il saura le faire craquer. Au pire, s'il devait leur claquer dans les doigts, il suffirait d'enlever le flic.

Une sensation de picotement à la base de la nuque interrompt l'écoute. Désiré entend soudain dans son esprit une voix familière.

« Désiré, tu m'entends ? Ne réponds que si tu es seul.

— Au secours, Freyd, murmure-t-il entre ses dents. Ils me torturent.

J'ai vu. On vient te chercher.

— Sortez de la ville. Cherchez un aérodrome, une boîte de nuit, une station d'épuration. Une zone industrielle à environ cinquante minutes, pas loin de l'autoroute, en bord de mer. Dans le monde réel. Sur Terre.

On se met en route. Tiens bon. Ne leur dis pas tout ce qu'ils veulent savoir, ils te tueraient.

— Faites vite. »

Le grincement funeste de la porte retentit, et Kairos vient prendre place près de Désiré.

« Alors, on parle tout seul ? Il faut m'excuser pour tout-à-l'heure. Je t'avais prévenu que je m'emporte facilement. Il reste cinq coups dans le révolver, mais je te conseille de ne pas tenter le diable une nouvelle fois. Bref, on a malgré tout posé les bases d'une discussion sérieuse. Tu connais la différence entre Éther et l'Ombre, n'est-ce pas ?

— Je vois pas de quoi tu parles.

— Oh, la vilaine réponse. »

Il saisit une pince et l'installe sur le sexe de Désiré.

***

Les tortures succèdent aux supplices, et laissent place aux atrocités.

À bout de forces, le visage en larmes et le corps couvert de blessures, meurtri jusqu'à l'âme, Désiré sanglote.

« Alors ce connard de Freydjan s'imagine que la Marelle d'Ombre se trouve dans ce monde.

— C'est ça.

— Qu'est-ce qui le rend si sûr de lui ?

— Les objets ramenés d'Ombre jusqu'ici disparaissent.

— Ça ne prouve rien, le phénomène se produit entre certaines Ombres éloignées.

— Il m'a emmené dans un monde proche, et depuis que je suis revenu, je souffre de problèmes mentaux.

— T'es donc une sorte de cobaye pour lui ? Ça n'explique pas pourquoi il t'a embarqué dans sa petite escapade. Vous savez où se trouve la Marelle ?

— Non, on cherche juste des pistes.

— Te fous pas de moi. À quoi tu lui sers, bordel de merde ?!

— À rien, juste... »

Le contact glacial du canon de révolver dans sa bouche.

Clic. Le chien s'enclenche.

« Tu fais chier, Désiré. J'en ai ma claque de voir ta gueule de menteur.

— Noooon ! » supplie-t-il.

Clac.

« Continue à te foutre de ma tronche, et je te refais l'aération de ton crâne. Je te laisse méditer tout ça, je reviens dans cinq minutes. »

Une fois Kairos hors de la pièce, Désiré se laisse aller et s'effondre. Il pleure à chaudes larmes, priant pour que ce calvaire s'arrête. Il serait prêt à pousser son tortionnaire à bout, pour qu'il lui mette enfin une balle et que ce sordide jeu prenne fin. Cette résolution prend forme dans son esprit, où elle s'ancre avec la force d'une obsession. Je suis impuissant à la déloger.

Encore une fois, les deux personnes derrière le miroir sans tain se sont lancées dans une violente discussion sur la valeur de la vie de Désiré, au regard des informations qu'il pourrait encore détenir.

Il n'a pas le temps de s'y intéresser davantage, car la sensation de picotement revient à l'arrière de son cou.

« Tu tiens le coup, Désiré ?

— Dites-moi que vous m'avez trouvé.

On pense qu'on est au bon endroit, mais on n'arrive pas à savoir dans quel bâtiment tu te trouves. C'est une vraie fourmilière, ici. Tu vas devoir nous aider. Piaget va tirer un coup de feu, tu vas nous dire si tu l'entends. Tu es prêt ? »

Désiré prend une profonde inspiration et se concentre. La pièce où il est enfermé se trouve en sous-sol, isolée de l'extérieur par des épaisseurs importantes de béton et de sol. Ses cris n'ont alerté personne. Pourtant, en tendant l'oreille, il lui semble déceler la vague rumeur d'une circulation matinale, avec des moteurs de poids lourds, des portails qui s'ouvrent, des voix lointaines.

« Allez-y. »

Quelques secondes s'écoulent.

Rien.

« Alors ? »

Il ne trouve pas la force de répondre, et se contente de secouer la tête.

« Ne te décourage pas, on va continuer. Dis-nous si tu entends quoi que ce soit. On va bouger avant que la police nous arrête.

— Il revient.

Je reste avec toi. Si tu entends le coup de feu, répète le même mot deux fois. On peut y arriver, ne lâche pas maintenant. »

Kairos ferme la porte derrière lui, vient prendre son tabouret à côté de la table de torture, et s'allume un cigare avec son briquet zippo.

« J'en ai vu, des coriaces comme toi, commence-t-il en exhalant une épais nuage de fumée. Ça s'est mal fini pour tous. Sans exception. T'es pas obligé de crever ici. Si tu te montres gentil et coopératif, on te détache et tu peux partir. Mieux encore, tu pourrais changer de camp et travailler pour nous. Freyd a besoin de toi pour trouver la Marelle d'Ombre, mais tôt ou tard il se fera prendre, et on l'exécutera pour trahison, et ses associés connaîtront le même sort. Pourquoi ne pas collaborer avec nous ? Je suis bien placé pour dire qu'il y a des avantages à travailler pour Éther. Je vais pas te mentir, c'est pas des enfants de chœur, mais ils récompensent bien. »

Désiré ne donne pas l'impression de réagir.

« Tu as encore un peu de temps pour y réfléchir, mais à ta place je ne tarderais pas trop à me décider.

— C'est bien, encourage Freyd. Laisse-le jacasser.

— On va reprendre avec une question facile. Le mal de l'Ombre, ça a un rapport avec la fille sur la photo dans ta poche ? »

Il acquiesce.

« Comme c'est touchant, mais aussi pitoyable. Elle disparaîtra, quoi que tu fasses. Ne me dis pas que...  » Il approche son visage et souffle un épais nuage de nicotine qui fait tousser Désiré. « Seule une personne de sang royal peut parcourir la Marelle sans être annihilé. S'il t'a promis un remède à tes problèmes, Freydjan t'a menti.

— Il n'en sait rien. Ça n'est vrai que pour la Marelle d'Éther. On va tirer un coup de feu, tends l'oreille. »

A la limite de son champ auditif, l'écho d'une timide détonation se fait entendre.

Peut-être. Peut-être.

— Compris. On se rapproche.

Tu es d'une incroyable naïveté. Je te rappelle que notre offre est infiniment plus généreuse, et plus réaliste. Mais passons à un autre sujet. Ton dossier à la DGSE mentionne des capacités de perception supérieures à la normale. Je crois que Freydjan s'intéresse à cet aspect de ton profil. Tu ne pourrais pas flairer l'énergie de la Marelle, ou quelque chose dans ce genre ?

— Attention, c'est un terrain dangereux, ne lui réponds pas. Reste aux aguets. La police nous cherche, mais on va tenter un nouveau coup de feu. Je pense que nous sommes tout près.

Non, personne ne peut flairer l'énergie, et certainement pas moi.

Alors quoi donc ?

— Maintenant ! »

Un bang retentit non loin. Si près que même Kairos détourne un instant le regard.

« Rien. Rien.

— C'est bon, on arrive. Ondrej va faire diversion et on va te tirer de là. Tiens le coup. »

Il sent la morsure de la pince électrique sur son oreille. La Gégène recommence son bourdonnement infernal. La douleur lancinante traverse son corps et agite la moindre de ses fibres. Ses cheveux roussissent et un odeur de chair brûlée envahit la pièce.

« Qu'est-ce que tu cherches pour Freydjan ?! » hurle le Kairos à son oreille, son rictus haineux éclairé par les étincelles et les arcs électriques.

Le courant grille inlassablement des cellules de ses muscles, son cœur bat à se rompre. Désiré voit la mort le prendre dans sa violente étreinte de feu.

« L'arbre. » hoquette-t-il.

L'agonie s'arrête.

« Qu'est-ce que tu as dit ?

— Je peux trouver l'arbre. »

Kairos marque une seconde de réflexion.

« Trouve-le pour nous. Tu seras récompensé à la hauteur de tes efforts. »

Désiré sent que l'interrogatoire touche à sa fin. Il n'a plus rien à révéler en échange d'une poignée de minutes de vie. D'un mouvement de tête, il fait signe à son tortionnaire de s'approcher. Il murmure alors lentement à son oreille :

« Il y a une différence entre nous. Tu es de sang noble, moi je suis né nulle part, d'une modeste famille d'immigrés. Je n'ai comme seule richesse que l'espoir insensé de retrouver la femme que j'aime. Tu me demandes de ramper devant tes maîtres pour sauver ma vie. Mais leur servir de chien, comme tu le fais, jamais. »

Le pupilles de Kairos se rétrécissent sous l'effet de la fureur.

« Alors prépare-toi à mourir comme un chien. »

Le canon du révolver vient se poser sur son front. Clic.

La porte de la salle s'ouvre à la volée, une femme d'une trentaine d'année, trop bien habillée et trop élégante pour ce lieu sordide, fait irruption. Nullement incommodée par le spectacle du corps meurtri, ni par l'atroce odeur de sang, d'excréments et de chair brûlée qui règne dans la pièce, elle hurle d'une voix impérieuse :

« Kairos ! O'k ty am etsirk mèigon ! »

Le colosse l'entend, mais maintient la pression. Les traits de son visage se contractent en une grimace de haine à l'état pur. Son doigt se contracte sur la gâchette.

Des cris retentissent tout-à-coup. Des armes automatiques font feu et des ordres sont aboyés. Les deux personnes échangent un regard. Kairos range son arme, et ils se précipitent à l'extérieur, claquant la porte derrière eux.

Seul dans la pièce glaciale avec le bourdonnement du néon comme seul compagnon, Désiré ferme les yeux et relâche la pression. Il sent alors une main sur son épaule, et découvre le visage de Piaget, penché sur lui. L'horreur de ce qu'il découvre transparaît dans ses yeux.

« Dépêche-toi de le libérer, imbécile ! » retentit la voix de Freyd.

Le flic se reprend, et attaque les liens de son ami grâce à un couteau tiré de sa poche. Tout en s'affairant, il marmonne :

« Les espèces d'enfoirés, on leur fera payer ce qu'il t'ont fait. Je te jure, mon pote. »

Enfin libéré de ses entraves, Désiré glisse sur le côté et tombe de la table, heureusement son compagnon le rattrape et le maintient contre lui pour l'aider à se redresser.

« Allez, tends-moi la main, je vous ramène à moi.

Non, interrompt Désiré. Je dois récupérer quelque chose avant.

— T'es malade ? On se casse d'ici.

— Seulement une fois qu'on aura ce qu'il me faut. »

Désemparé face à la détermination de son camarade, Piaget résout à le soutenir pour sortir de la pièce. Désiré parvient à peine à tenir debout. Ensemble, ils poussent la porte. Leur sortie surprend un garde au bout du couloir à leur gauche. Piaget réagit à la vitesse de l'éclair, et tire une série de coups de feu vers la sentinelle. Une balle atteint l'assaillant, qui s'écroule au sol en gémissant.

Désiré indique à droite la porte du bureau jouxtant sa geôle. Piaget l'y conduit, l'aide à atteindre la chaise, et retourne se poster à l'ouverture.

Désiré fouille à la hâte les tiroirs. Il découvre une série de photos satellite, certaines desquelles montrant leur bateau en pleine mer. Les dates et heures sont entourées, ainsi que des coordonnées GPS.

Enfin, il trouve dans le tiroir suivant la photo de Jen.

Il se tourne vers Piaget et lui crie :

« On peut y aller, maintenant.

— Il était grand temps, on a de la visite. »

En effet, des balles ricochent dans le couloir, et le flic n'a pas même l'opportunité de riposter.

« Freyd, tire-nous de là. » commande Désiré.

Aucune réponse.

« Qu'est-ce qui se passe ? hurle Piaget.

— J'en sais rien, j'ai perdu le contact.

— Merde. Trouve une solution, ou on est morts. »

Piaget retourne à son poste et tire à l'aveugle, entre deux rafales ennemies. Désiré le rejoint péniblement et risque un œil dans le corridor. Il n'a qu'une fraction de seconde avant de devoir se remettre à l'abri. Deux hommes avancent à découvert. La femme se tient derrière eux, trois doigts sur le front, la main gauche tendue en avant, les sourcils froncés. Ses longs cheveux châtains animés par un intangible courant d'air.

« C'est elle qui bloque le contact.

— J'espère que t'as raison, j'ai plus qu'une balle dans le chargeur. »

Le flic se décale et pointe son arme droit vers la femme. À travers la rainure des gonds de la porte, Désiré voit l'expression de la patronne perdre son calme et se muer en surprise. À l'instant où retentit la détonation de l'automatique de Piaget, le large dos de Kairos vient s'interposer sur la trajectoire de la balle. Le militaire et sa supérieure plongent au sol, alors que jaillissent des projections écarlates.

Les deux sbires cessent le feu un instant, pour mieux intégrer la situation, puis reprennent l'arrosage de plus belle.

Piaget n'a pas le temps de se protéger. Il pousse un cri de douleur en plongeant sur Désiré, et ils s'étalent à l'entrée du bureau.

« Ta main, vite ! »

Désiré aperçoit au-dessus de lui le bras de Freyd tendu vers lui. Il lui saisit fermement le poignet, et raffermit sa prise sur la taille de son camarade blessé. Une sensation vertigineuse lui retourne l'estomac.

Puis plus rien.


—————
Je vous ai fait un peu patienter, mais ce chapitre est le plus long jusqu'à présent. Désolé pour ces deux points. Si ça fait trop, je pourrai toujours diviser en deux.

J'ai mis un avertissement en début de chapitre, car la violence de l'action l'impose. Vous devez me détester d'avoir infligé un tel traitement à Désiré. Mon objectif n'est pas de vous choquer, ou de décrire de la violence gratuite, mais bien de servir l'intrigue. Nos protagonistes ont maintenant compris à qui ils ont affaire.

La suite de l'histoire sera une longue fuite jusqu'à la Marelle, le but étant de rester discrets pour échapper aux Étheriens.

Ça ne sera pas une partie de plaisir.

Garnath out

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