PROLOGUE
PÈRE PAUL MCKENZIE
1 janvier
J'ai toujours détesté ces maudites statues.
Les poumons remplis de fumée et les lèvres brûlantes sous ma cigarette, j'expire si fort par mes narines que l'air encore bleuté de la nuit se tache.
Il fait trop froid.
Et le gel luit sur les deux sphinx dorés du portail de la ville.
Avec le restant de neige qui n'a pas cessé de tomber ces derniers jours, recouvrant leurs larges dos de lion, les pigeons ont élu domicile dans leurs gueules béantes.
Le seul à être imposteur de cette scène, c'est le grand corbeau figé sur l'une des griffes.
Il me dévisage.
Je le sais.
Je le sens.
C'est mon âme qu'il veut.
Je renifle, en guise de réponse à son observation.
Je l'ai dit.
Je déteste ces foutaises statues.
Je jette ma cigarette à leurs pieds et enfonce mes mains dans mes gants en cuir noir pour préserver le peu qu'il reste de vitalité dans mes doigts.
Fumer est réellement un sacrifice, quand on y pense.
— Paul, je suis désolé, vraiment.
Sur mon manteau noir reste un résidu de terre.
Et pour cause.
Je viens de réaliser mon premier et dernier enterrement dans la paroisse de ma ville.
Creuser dans le sol gelé de Babylon en ce début de janvier n'est pas une mince affaire... Encore moins quand il s'agit de la paroisse, en haut de la plus haute colline citadine.
Enfin.
Ancienne paroisse.
— Elle était prévenue, tonne la voix de nouveau.
— Elle le savait.
Ma voix tranche le vent glacial comme un couteau fendrait la chair de quelqu'un encore en vie.
Il y a quelque chose de fondamentalement destructif de penser à ce que les gens puissent faire quand ils savent que la fin est proche.
La force qu'ils ont. Le sourire. Les larmes. Les suppliques.
Certains demandent plus de temps.
D'autres font leurs adieux.
Eleanor, elle...
Un rire m'échappe.
Un rire qui se trouve à mi-chemin entre la douleur et la haine.
Oh, oui, beaucoup de haine.
Je me retourne enfin vers mon interlocuteur qui, lui aussi frigorifié, n'a, à l'instar de moi, qu'une blouse blanche pour se protéger de l'hiver presque corrosif de l'état d'East Palmetta.
Personne ne le croirait quand on vient ici en décembre, mais les printemps et les étés rendent la ville sublime.
Avec ses jardins publics incrustés dans des flancs de falaises et des cascades bruyantes, c'est le genre de paradis qui attire tout touriste aux USA en quête d'un coin de paradis promis.
Oui. La promesse d'un avenir meilleur dans une cité qui déborde les dix millions d'habitants...
Et ici ?
Ici, il n'y a que les portiques rouillées et grinçantes de l'hôpital, ainsi que le portail emblématique de la ville.
Babylon. La ville où on commence tout d'abord par donner son âme.
Mes yeux se figent sur la carte de chef de médecine de l'homme en face de moi et j'y discerne les mêmes cernes qu'il porte en ce moment même, comme des bagages sous ses yeux.
Lui non plus ne trouve pas le paradis à Babylon.
Peut-être parce qu'il l'a connu aussi.
Et que lui comprend mieux que quiconque que quelque chose vient de changer.
— Écoute, Paul, je... Si j'avais su, je t'aurais prévenu.
Eleanor était mourante.
Je souris à nouveau.
— Merci, Charles, mais ce n'est pas ta faute.
La douleur dans ma voix me force à serrer les poings.
C'est tomber de haut, encore une fois.
Du paradis...
Jusque sur Terre.
— Je... J'aimerais te donner mes plus sincères condoléances.
Il est hypocrite.
Entre sa main gênée perdue dans le peu de cheveux ternes qui lui restent, son genou tressautant et les coups d'yeux furtifs qu'il jette à l'immense horloge à l'entrée de l'hôpital...
Ce n'est pas si compliqué de dire qu'il a d'autres choses à faire que de venir rassurer un prêtre sans paroisse que sa vie ne vient pas de terminer parce qu'une fille est morte dans ses bras.
Son médecin personnel serait venu sinon.
Le chef de médecine est là, devant moi, parce qu'il sait qu'il aurait des ennuis avec la police qui a découvert son corps sans vie dans l'église, il y a quelques jours.
Mais c'est moi qui ai dû éventrer le sol congelé de la paroisse pour la mettre au Repos Éternel.
C'est moi qui ai dû dire quelque chose alors que personne n'est venu.
C'est seulement moi qui me tiens ici, le cœur encore plus brisé que la glace sur laquelle je me tiens.
Le bruit du cuir de mes gants qui grince attire son attention et il essaye de s'expliquer.
Il me raconte encore pourquoi elle était suivie depuis des années. De son diagnostic. De sa place dans les services palliatifs.
De comment elle a réussi à fuir, le dernier jour, pour vivre encore rien qu'un instant.
Il me l'a déjà expliqué.
Mais tout ce que je vois, c'est le discours qu'il récite avec agacement. Ses fines lèvres gercées, ses yeux enfoncés dans ses globes.
Et ma paupière en tressaute sous l'agacement.
Je tire légèrement sur mon col de prêtre et finis par le couper.
— Ce n'est rien, Charles. Je voulais juste venir une dernière fois, c'est tout.
En réalité, la ville s'arrête à l'hôpital. Je me suis rendu ici parce que je devais partir, comme convenu, et il a eu le malheur de se pointer pour sa pause clope, à ce moment-là.
Je ne fume pas normalement. Mais je lui en ai quand même demandé une, face à ces horribles statues.
Et il s'est senti obligé de parler.
Parler.
Le chef de médecine pose une main sur mon épaule et me la frotte légèrement, étalant au passage la terre qui restait encore dessus.
— Je suis vraiment... Vraiment désolé. J'espère que ça se passera mieux dans ta nouvelle paroisse.
Personne ne nous éduque sur le bruit que fait une pelle lorsqu'elle retourne la terre pour y déposer un cadavre.
Un coup... Après l'autre...
Personne ne nous parle de l'effort qu'on met pour passer à travers des blocs de pierre, des racines, de la lutte avec le sol pour engouffrer en elle ce qu'elle nous a pris.
La vie. La mort.
Tout le monde parle des âmes, de ce qu'advient d'elles lorsqu'elles se séparent des battements de cœur. Il y a un million de sermons qui commencent de la même façon, que j'ai appris à connaître par cœur durant mon éducation et mes séminaires.
De ce qu'on fait lorsqu'on est vivant. De ce qu'on laisse derrière soi. Des gens à qui on a tenu. De notre travail. Des années de notre existence, courtes ou longues.
Mais le résultat est pour tout le monde le même...
On naît. On meurt. Un héritage morbide légué de mère en fille, de père en fils...
Depuis la nuit des temps, jusqu'à l'aube de l'éternité.
Alors que je sens encore cette même terre froide s'engouffrer dans les plaies causées par l'arme avec laquelle j'égorgeais le sol encore froid d'une aurore grise, les grognements dans ma gorge naissent comme une supplique.
Fermer les yeux et espérer que rien de tout ça ne se soit arrivé.
Mais aucune larme ne coule à travers mes paupières
Aucune douleur ne creuse ma poitrine qui s'était gonflée à Noël, pourtant.
Elle le savait.
Eleanor Rigby savait qu'elle allait mourir.
Et elle n'a rien dit.
Charles part enfin et à ce moment précis, l'Uber que j'avais appelé arrive, ainsi que deux policiers accompagnant des ambulances que je reconnais facilement.
L'un d'eux quitte son collègue et se rapproche de moi en retirant sa casquette.
— Vous partez, mon Père ?
Le seul qui avait encore eu le respect d'utiliser mon titre et mon rang dans cette ville condamnée.
Je hoche la tête, tandis que le chauffeur s'empare de mes affaires.
— J'espère que votre prochaine paroisse se passera mieux... Sincèrement.
Il l'est.
Son sourire a plus de tact que celui de Charles.
— Merci, je l'espère aussi.
— Sans indiscrétion, dans quelle ville partez-vous ?
Le chauffeur m'indique qu'il est prêt à partir et je lui fais signe d'attendre. Je trifouille un instant dans la poche de mon manteau et en sort une enveloppe que je tends au policier.
L'expression de son visage est la même que celui de quelqu'un qui vient de voir un fantôme.
Blême.
— Bedlem ?
— Les âmes condamnées sont partout. Le devoir m'appelle.
— Je comprends, je... La capitale est simplement...
— Condamnée ? sur-renchéris-je en lui adressant le même sourire cordial.
Il me rend l'enveloppe et l'enfonce à nouveau dans ma poche.
Bedlem, là où tout commencera...
Pour moi, du moins.
Car certaines choses se finissent ici.
— Faites attention à vous là-bas. Je vous souhaite le meilleur.
— Merci, agent.
Et c'est avec un dernier coup d'œil sur les Sphinx dorés, mais aussi le corbeau qui n'a toujours pas quitté son poste, que je pars.
Adieu, Babylon.
Adieu, Eleanor.
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Prologue fait !
Je vous présente donc officiellement Paul, et la ville de son ancienne paroisse, Babylon !
Dans les chapitres à suivre vous allez connaître sa beauté maléfique, ses tentations et un Paul un peu plus...
et bien vous allez le découvrir 🫣
Mais en attendant dites moi tout ! Qu'en avez vous pensé ? Quelles sont vos théories ? Qui est Eleanor ?
Pourquoi est ce que ça l'affecte autant, son départ ?
Je vous dit à demain pour le premier chapitre !!
Xoxo, Votre dévouée 🤣💙
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