Chapitre 5

Après un dimanche tranquille passé à faire la grasse matinée, à corriger mes copies (ben oui, y'a bien fallu que je m'y mette), j'ai fini mon week-end au jardin botanique de Montigny, à marcher au gré des sentiers végétaux et à visiter la serre, que je ne manque jamais avant de partir. J'ai pris le temps de m'asseoir sur un banc et de regarder les familles passer. Surtout celles avec des poussettes, ou des landaus. Je le fais souvent, mais là, j'avoue que l'activité avait une saveur particulière. Bien sûr, il aurait fallu que je m'approche un peu plus pour réellement voir les nourrissons emmitouflés à cause des températures de plus en plus froides en cette fin novembre. Mais aujourd'hui, ça me suffisait. Bientôt, c'est sûr, cette maman avec son landau bleu marine, ce sera moi !!

C'est pleine d'entrain que je lève en ce lundi matin, au rythme entrainant de la musique diffusée par mon radioréveil, que, pour une fois, je ne maltraite pas en bougonnant. Voilà qui ne m'arrive pas souvent, je l'avoue, surtout en cette période de l'année. Les journées qui commencent alors qu'il ne fait pas jour ? Les températures glaciales et la neige qui semble poindre ? Les carnets de notes à remplir incessamment sous peu ? Le marché de Noël de l'école à préparer ? Non, rien ne m'enlèvera ma bonne humeur ! Cette semaine, c'est LA semaine ! La semaine la plus importante de ma vie ! La semaine où je fais mon bébé !

Je me suis levée super tôt pour pouvoir passer au laboratoire d'analyses médicales. Comme je n'ai pas d'ordonnance, ma foi, tant pis, je paie de ma poche. Pas grave, c'est pour la bonne cause. Voilà qui ne ternira pas mon euphorie ! Je demande la totale, VIH et autres joyeusetés sexuellement transmissibles. En temps normal, j'aurais été atterrée, mais je ne fais même pas attention au regard en biais de la technicienne qui complète mon dossier.

Je trottine à moitié dès ma sortie du bus, lançant des grands sourires aux parents d'élèves (ouais, même à ceux que je n'aime pas ...) et balançant des « bonjour ! » joyeux à tous les enfants que je croise avant d'entrer dans la cour.

_Dis donc, t'es toute guillerette toi ce matin ! Que pasa ma belle ? s'exclame Mylène dès mon passage de grille.

_ Ah oui ? je fais mine de m'étonner.

Ma camarade m'observe, puis s'exclame :

_ Putain ! Tu l'as appelé !!

_ Rhôô Mylène, ton vocabulaire ! Si les parents t'entendent ...

_ On s'en fout, balaie –t-elle d'un geste de la main. Tu crois qu'ils parlent comment entre eux ?... Alors, oui ... ???

_ Ouaip Madame, j'ai appelé.

_ Et ?

_ Le reste n'appartient qu'à nous. Tu seras informée en temps utiles.

_ T'es pas sympa. T'inquiète, je vais te cuisiner jusqu'à ce que tu craques.

_ Tssss, ne rêve pas !

La cloche sonne : sauvée par le gong ! Le temps de ranger mes élèves, j'interroge Mylène sur le rang à côté du mien.

_ Elle n'est pas là Laurence ?

_ Non, elle est malade. J'ai appelé l'Inspection, ils envoient quelqu'un. Mais va savoir à quelle heure il arrive. Garde ta porte ouverte entre vos deux classes en attendant.

_ Ok, pas de souci. Je les monte en même temps que les miens.

Pendant que j'écris l'emploi du temps du jour au tableau, les élèves sortent cahiers et trousses, dans une ambiance studieuse. Studieuse ? Hummm, visiblement plutôt endormie. Vive le lundi matin. D'habitude je suis comme eux, mais là, je suis aussi surexcitée que le lapin Duracell.

Alors que je commence à corriger les premiers qui ont terminé la copie du jour (pendant que certains n'ont toujours pas commencé ...), une voix grave venant de la porte me fait sursauter.

_ Euh salut ! Tu peux me dire où se trouve la classe de CE2 ?

Je relève la tête et découvre avec étonnement un homme qui s'adresse visiblement à moi, sous l'encadrement de ma porte grande ouverte sur le couloir. Je me lève, traverse la file d'élèves qui attendent patiemment devant mon bureau, et me dirige vers lui.

_ Tu es le remplaçant ?

_ Oui. Fred. Toi c'est .... Claire ? finit-il par répondre en jetant un œil sur l'affiche annonçant mon nom et le niveau de la classe sur ma porte.

_ Euh oui, c'est ça.

Il est plutôt beau, dans les 35 – 40 ans. Plus grand que moi, mais pas beaucoup, sans doute un peu plus du mètre soixante-quinze. Brun, avec une barbe de trois jours qui lui donne un charme fou un peu canaille. Il porte un jean bleu délavé, un trench-coat court bleu marine, et un chèche à carreaux noué autour du cou. Il pose ses yeux bruns sympathiques sur ma classe avant de revenir sur moi.

_ Tu es remplaçant dans la circonscription ? Il ne me semble pas t'avoir déjà vu ...

_ Non, je suis TMBD. Y'a plus personne pour remplacer là, ils puisent dans la brigade. Je devais aller en maternelle à Boulay, mais ils m'ont rappelé en route pour venir ici. Tu sais ce que c'est ...

_ Oui, les maternelles ne sont pas prioritaires.

_ En même temps, ça m'arrange, convient-il avec un sourire. Ils annoncent de la neige, alors si je peux éviter les intempéries sur l'autoroute, j'aime autant.

_ Viens, je te montre ta classe, c'est celle d'à côté. Hum, qui est de surveillance ? (un petit coup d'œil au tableau des responsabilités). Eliott, tu me surveilles tout ce petit monde, au tableau.

Pendant que j'introduis le nouveau dans la salle d'à côté, tout en gardant une oreille sur ma classe, je refile le cahier d'appel et la fiche-de-liaison-spéciale-remplacement à Fred, avant de lui ajouter :

_ Tout est là-dedans. Si tu as une question, ouvre la porte entre nos deux classes.

_ Je suis de surveillance à dix heures ?

_ Non, c'est Mylène et Carole. La salle des maitres _ et le café_, c'est dans la salle en bas des escaliers.

_Ah, super, le café. Très important le café, plaisante- t-il. Merci, à tout à l'heure ?

Je lui réponds d'un sourire et pars rejoindre ma classe. Eh bien, voilà qui nous change des remplaçants habituels, tous près de la retraite. Je devrais peut-être envisager une mutation dans la brigade départementale moi ? Hum, mauvaise idée. Parcourir la Moselle en long, en large et en travers, par n'importe quel temps, au gré des remplacements, ça n'est vraiment pas l'idéal avec un bébé. Avec tout ça, j'avais presque oublié ma bonne humeur du matin. Presque, hein.

Lorsque midi sonne, le temps de ranger un peu et de sortir les élèves, je retrouve en salle des maitres Mylène, Carole et le petit nouveau en grande discussion. Enfin, pas tout à fait : mes deux collègues boivent les paroles de Fred, la bouche grande ouverte, pendant que celui-ci fait réchauffer son repas dans le vieux micro-ondes de l'école. Visiblement, il n'y a pas que moi qui le trouve charmant ! Lorsque j'arrive, Mylène se tourne légèrement vers moi et me fait un clin d'œil. L'objet de leur convoitise s'attablant, les deux admiratrices le suivent, et Mylène, qui passe à côté de moi, me prend par le bras et me susurre à l'oreille :

_ Pas dégueu le nouveau ... ça change non ?

Je lui souris, sans répondre. Je finis par me joindre à eux, sans un mot, écoutant mes deux collègues s'esclaffer à quelques blagues du remplaçant, souriant à ses bons mots, tout en engloutissant le sandwich que j'avais prévu pour ce midi.

Le reste de la journée file assez vite. A seize heures, je libère mes élèves, corrige vite fait mes cahiers, puis embarque fissa dans le premier bus qui passe. Pas envie de m'appesantir aujourd'hui. En descendant à mon arrêt, je fais un petit crochet par la pharmacie. Sous l'œil inquisiteur de la vendeuse, j'observe le rayon tests d'ovulation, et après une lecture rapide du mode d'emploi, j'achète deux boites de 5. C'est sans doute trop, mais je préfère voir large. Je ne connais pas trop mon cycle, même s'il est plutôt régulier. On verra bien.

Le reste de la semaine s'écoule doucement, toujours dans la bonne humeur, même si mon euphorie est légèrement retombée (légèrement hein), diluée dans la monotonie et la répétition de mon quotidien. Bus, boulot, dodo. Pas de nouvelles de Samuel, non plus. Mais c'est logique : c'est moi qui suis censée le recontacter. Je commence mes tests le vendredi, soit le 12ème jour de mon cycle, comme préconisé sur la boite. Négatif, évidemment. En fait, c'est juste normal. Mais négatif, avouons-le, ça a une consonance ... négative. Pas grave. C'est le début.

A la sortie des classes, je ne m'éternise pas. Mais au moment où j'atteins le rez-de-chaussée, la voix de Fred m'interpelle. Je me retourne, pour le voir me rejoindre, son cartable à la main, avec une grâce inimaginable pour une fin de journée et de semaine.

_ Alors, réponds-je, ça y est, remplacement fini ? Ça s'est bien passé ?

_ Oui, les gamins étaient cools, c'était une chouette semaine. C'est pas toujours le cas... Mais l'Inspection vient de m'appeler : je rempile ici la semaine pro.

_ Ah ? Laurence prolonge ?

_ Apparemment... Tant mieux, ça me plait bien ici.

_ Oui, c'est vrai que l'école est sympa.

_ Les collègues aussi, beaucoup même, termine-t-il avec un sourire adorable.

Hum, que veut-il dire par là ? Arf, c'est moi qui me joue des films. Pourquoi y aurait-il un sens caché à ses propos ?

_ Merci, c'est gentil. Bon, ben, bon week-end, à lundi alors ? réponds-je en décidant de partir.

_Attends euh ... renchérit-il. Tu ... euh, fais quelque chose ce soir ? Je peux, euh, éventuellement t'inviter à boire un verre ?

Alors là, il me cloue sur place. J'ouvre la bouche, puis la referme. Qu'est-ce que je suis censée répondre ? Ai-je envie d'aller boire un verre ? Oui, pourquoi pas. Il est mignon, sympa et plutôt amusant. Sauf que là, c'est un mauvais timing. J'entame les jours les plus cruciaux. Et je n'ai pas envie de m'éloigner de l'unique but de ma vie, qui devient enfin envisageable. Je triture mes mains, mal à l'aise, puis réponds d'une voix hésitante :

_ Arf, là, c'est difficile, j'ai des projets pour ce week-end, qui commencent dès ce soir.

_ Ouais, je comprends, répond-il.

Son sourire a disparu. Merde. Mon côté « saint-Bernard » reprend le dessus, et j'ajoute :

_ Mais si tu veux, comme tu es là encore la semaine prochaine, on peut se prévoir ça en fin de semaine ?

_ Ok, super ! s'exclame-t-il. Alors bon week-end, Claire !

Son sourire vient de réapparaitre. Ouf, mission accomplie, je me sentais affreusement mal. Et puis après tout, en fin de semaine, je devrais avoir terminé ma mission. D'un coup, en le regardant partir, alors qu'il se retourne en me faisant un signe de la main, j'ai un doute : est-ce moral d'avoir un rendez-vous avec un homme alors qu'on a passé le reste de sa semaine à faire un bébé avec un autre ? Hummm, voilà qui dépasse mes capacités de réflexion pour un vendredi soir. Je balaie l'idée d'un geste de la main, et décide de rentrer chez moi. Chaque chose en son temps. Là, je dois me concentrer sur mes tests.

A mon retour à la maison, je découvre ma lettre tant attendue dans ma boite aux lettres. J'ai désormais tout en ma possession. Allez, petite ligne rouge, apparais sur mon test s'il te plait !!

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top