Chapitre 4

Ça fait combien de temps que je fixe mon portable ? Une heure ? Deux ? Il est posé sur le canapé, bien au milieu des coussins blancs et lin Comptoir de famille que je me suis payés sur un coup de tête sur Vente Privée. Des coussins magnifiques de style romantique, avec de la dentelle blanche de Calais. On s'en fout ? Pas faux. Mais au moins, ça m'évite de penser pendant quelques secondes à ce foutu téléphone, qui m'obsède, qui m'énerve, qui monopolise mon esprit depuis ce matin. Depuis que Mylène m'a filé le numéro de téléphone fatidique : le numéro de celui qui est censé être mon sauveur : Samuel. Arg, je suis stressée, agitée, remontée comme un coucou suisse. Réagis, cocotte, réagis !

Facile à dire ! Je suis à la fois à deux doigts de réaliser mon rêve et à la foi complètement terrifiée qu'il se réalise. Paradoxal non ? Bah ouais, je suis comme ça. Ou alors c'est toutes les femmes ? Je ne sais pas. Suis-je de celles qui ont tellement fantasmé leur rêve qu'elles finissent par décider de ne pas le réaliser, parce qu'elles se rendent compte que finalement il était mieux à l'état abstrait ? Non, putain ! Je ne suis pas de ces gens-là !!! Allez, remue-toi, Claire, agis ! Brusquement, je le saisis, l'allume, tape le numéro (je vérifie trois fois que j'ai bien noté le bon, hein, vu le contenu du message, mieux vaut ne pas l'envoyer à n'importe qui ....) et .... je l'enregistre sous le nom de Samuel Noblat. Hop, je le repose, et reprends ma position initiale, assise en tailleur juste à côté de l'appareil, sur le sofa. Hum, c'est un premier pas non ?

Je me lève soudain, et j'arpente le salon, en le fixant des yeux. Appeler ? Ne pas appeler ? Bon sang, je vais mourir d'une rupture d'anévrisme avant ce soir, à ce rythme-là. Je décide de biaiser et pars vers la cuisine pour me verser un verre de Perrier Citron. De là où je suis, je peux encore le surveiller, ce fameux téléphone, que j'observe comme une bête curieuse depuis que je suis rentrée de chez Mylène, en début d'après-midi. Autant vous dire que je n'ai pas réussi à manger grand-chose, au déjeuner. C'était super appétissant, comme toujours avec elle, et en temps normal, j'aurais dévoré les magnifiques lasagnes maison qu'elle m'avait préparées. Mais là, avec le stress de ses révélations, j'avais une boule dans la gorge. Ma collègue n'a fait aucune remarque là-dessus. Elle doit bien se douter de ce qui se trame dans ma tête : tempête sous un crâne, joli titre pour un livre.

Allez, ma décision est prise, je me lance ! Bouge cocotte, sois actrice de ta propre vie ! Bon sang, bonjour la psychologie de comptoir ! Pas grave, je me saisis de l'engin, ouvre mes contacts et le sélectionne. Ok, réfléchis : appel ou message ? L'appel serait plus poli, pour un premier contact. Hummm, oui, mais le message est vachement plus tentant : aucun risque de bafouiller et puis, je dis quoi si j'appelle : « Salut, c'est Claire ! Alors, on se le fait, ce bébé ? ». Donc, bon, hop, le choix du message est validé, tant pis pour la politesse... Mon cerveau cogite tel un ordi dernier cri (enfin, je crois, mon ordi à moi rame comme une barque dans une tempête en plein Pacifique ...) : un message court, neutre, clair et net, genre :

[Bonjour ! Je suis Claire, l'amie de Mylène et Mathieu. Pourrions-nous convenir des modalités de notre projet ? J'attends de vos nouvelles. Merci ! Bonne journée !]

Je lis et je relis mon texte, dubitative : est-ce assez compréhensible ? On dirait un message administratif ... C'est nul. En même temps, est-ce que je peux être plus personnelle ? Je ne le connais pas, ce type, moi, je me vois mal être plus amicale. Pourtant, amicale, va sans doute falloir que je le sois, à un moment donné... et même plus qu'amicale. Cette pensée me fait aussitôt rougir comme une collégienne. Je la chasse aussitôt : ne pas y penser maintenant, chaque chose en son temps. Je me concentre sur l'orthographe (ça la foutrait mal, si la maitresse faisait des fautes ....) et pose l'index sur le bouton d'envoi. Indécision, peur, hésitation. Envoie ou envoie pas ? Ahhhh, que faire ? Je ferme les yeux, détourne la tête sur le côté en grimaçant .... Et j'appuie. Arg, merde, je rouvre les yeux et fixe l'écran : message envoyé. Putain, je l'ai fait. Je jette à moitié le téléphone sur la table basse, comme s'il m'avait brusquement brûlé les doigts. Je fonce dans la salle de bain, pose les mains sur le lavabo et fixe l'image que me retransmet mon miroir. Les dés en sont jetés. Alea jacta est. Mon avenir vient peut-être de se mettre en route.

Je chope ma liseuse : vite, changer mes idées, vider ma tête. Bon sang, qu'est-ce qu'elle est lente à se mettre en route !! C'est toujours comme ça ? Comme j'ai terminé mon livre hier soir, le cruel dilemme du choix du prochain s'impose. J'hésite, j'évalue mes possibilités. Allez, un petit thriller érotico – romantique pour changer ? Le tome 4 des Somber Jann vient de sortir, je me lance. Je m'enfonce dans mes coussins de canapé, m'installe le plus confortablement possible, et je m'y plonge. Dès les premières pages, tous mes souvenirs des trois premiers opus resurgissent : c'est comme si je n'avais jamais quitté Engy et Jaylen, les deux protagonistes de l'histoire. Vache, dès les premières pages, il m'a l'air encore plus sanglant et plus névrosé que les trois précédents ! J'avale les pages avec passion et avidité. Beurk, les scènes gore sont encore plus présentes ! Le suspense est à son comble. Cynthia Havendean s'est encore surpassée ...

Combien de temps s'est –il donc déroulé depuis le début de ma lecture ? Aucune idée, mais le « pong » de l'arrivée d'un message dans le silence de mon appartement vide me fait presque décoller du canapé, et lâcher ma liseuse. Ça m'apprendra à lire des thrillers quand j'ai déjà 20 de tension ... Je pose l'engin sur l'accoudoir, me tourne sur le côté et observe l'objet du délit. L'écran, qui s'est éclairé, indique clairement l'arrivée d'un message. Je m'approche, méfiante et constate avec effarement l'envoyeur : Samuel Noblat. Je souffle, et tremblante, je l'ouvre :

[Bonjour Claire. Heureux d'avoir de vos nouvelles aussi vite. Mathieu m'ayant à peu près tout expliqué, il reste peu de choses à régler je pense. J'exige uniquement une analyse de sang datant de moins d'une semaine. Je vous fournirai la mienne le jour J.]

Une analyse de sang ? Bon sang, il a pensé à tout ce garçon ! Je suis juste complètement nulle de ne pas y avoir pensé de mon côté. A force de fantasmer sur mon projet, j'aurais mieux fait de réfléchir sérieusement aux conditions de sa réalisation. Bon, au moins, il semblerait que Samuel l'ait fait, lui. Et puis, il est juriste, donc j'imagine qu'il doit être super carré sur à peu près tout. C'est assez rassurant : ça compensera ma légèreté sur le sujet .... Je rédige une réponse brève :

[Pas de souci, j'aurai la mienne.]

Bon ben voilà, parfait, c'est fait. Me voilà soulagée, c'était presque trop facile !

Je n'ai pas encore eu le temps de reposer l'appareil, qu'un autre message arrive. Oh, déjà ? Mais que veut-il encore ?

[Quand voulez-vous que nous nous voyions ?]

Arg, oui pas faux. Comment lui dire ?

[Et bien, quand ce sera le moment.]

[Le moment de quoi ? Dites-moi ce qui vous arrange.]

Rhôô, mais il ne comprend rien, lui ! Quand ça m'arrange ? Ben non, c'est mon corps qui décide du moment, banane !

[Quand ça sera le bon moment du mois. Vous savez ...]

[Vous n'êtes dispo qu'à certains moments ?]

Ahhh, mais il le fait exprès ??

Que répondre ? Je décide d'y aller franco, et m'apprête à lui rédiger un texte explicatif sur le cycle féminin, quand mon téléphone se met à diffuser le dernier tube d'Imagine Dragons, me faisant sursauter et presque lâcher l'appareil. Par réflexe, j'appuie sur le bouton vert. Merde, trop tard.

_ Allo ? je murmure d'une voix à moitié cassée.

_ Claire ? Bonjour, c'est Samuel. Désolé, je me suis dit qu'il serait quand même plus rapide de se parler directement. Je n'ai rien contre les messages, mais j'avoue ne pas avoir trop le temps de les rédiger, là...

Il a une voix franche, claire mais grave. Son débit de paroles est net et précis. Aucune hésitation, aucun accrochage : il a l'habitude de parler à un auditoire, ça se sent immédiatement. Moi aussi, me direz-vous. Mais il est quand même plus facile de s'adresser à des enfants qu'à des adultes ... La réunion de rentrée, face à cinquante parents fixés sur vous, est le pire moment de l'année d'un enseignant, croyez-moi .... Mais il reprend la main tout de suite, me recalant sur la réalité.

_ Vous m'écriviez que vous n'êtes pas dispo tout le temps, c'est bien ça ?

_ Euh non, je suis super dispo, mais euh ... comment vous dire... bafouillé-je.

_ Dites-moi ! Je n'y comprends rien ! me coupe –t-il .

_ Ça dépend en fait de mes périodes d'ovulation, je finis par lâcher dans un souffle.

_ Oh ....

Je crois que je viens de couper la chique au grand avocat... ça ne doit pas lui arriver souvent.

_ Ok, se reprend-il. Oui, évidemment. J'avoue ne pas avoir pensé à ça. Et c'est quand ? Et combien de temps ?

_ De 24 à 48h, parfois 72h, vers le milieu de mon cycle.

_ Ah. On ne peut pas être plus précis ?

_ Non, il faut que je fasse des tests pour le savoir. Ce n'est pas de la science exacte. Disons que quand c'est positif, il faut ... s'y mettre.

_ Ok, je vois. Et quand dois-je me tenir ... prêt ? à peu près ? C'est pour noter dans mon agenda.

_ Disons dans une semaine, environ. Un peu plus, un peu moins ...

_ Bon, ça nous laisse le temps de faire nos analyses.

_ Oui ...

Un blanc s'installe. Comment on finit ce genre de conversation surréaliste ?

_ Bien. Content d'avoir réglé cette affaire. A la semaine prochaine, Claire.

Je n'ai pas le temps de lui bafouiller un au revoir qu'il a déjà raccroché. Visiblement, il n'a guère le temps de bavarder. Il a dû me caser entre une affaire de délinquance routière et un divorce à l'amiable ... Agréable ...

Bon, finalement, je m'en fiche non ? Je n'ai pas à le trouver agréable, ou enjoué : c'est un contrat comme un autre pour lui, et pour moi aussi. Bref, y'a plus qu'à.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top