Chapitre 3
Mylène n'habite pas très loin de chez moi. A Montigny les Metz exactement. C'est une ville qui, à force d'extension, et au fil des années, a fini par être collée à Metz. Seul un panneau indique la fin de Montigny et le début de Metz : si on n'y prend pas garde, on ne voit même pas qu'on a changé d'agglomération. Surtout dans sa rue, la rue de Pont-à-Mousson. C'est LA grosse artère de Montigny. Une rue monstrueusement longue, qui compte des centaines de petites maisons mitoyennes et de petits immeubles, semblables à ceux de mon quartier, car de la même époque. Mylène, elle, habite le seul immeuble flambant neuf de la rue, construit l'an dernier sur les ruines d'un ancien magasin. J'y avais moi-aussi visité un ou deux appartements, mais le style n'était vraiment pas pour moi. J'ai besoin de style, de vécu, d'atmosphère, là où Mylène a besoin de praticité et de modernité. J'avoue que l'entrée de l'immeuble, en carreaux gris anthracite, et l'ascenseur en jettent pas mal. Je me retrouve vite fait au 3ème étage, devant sa porte, qu'elle ouvre à la volée avec un large sourire dès mon premier coup de sonnette. Elle m'attrape par le bras, me jette à moitié dans le canapé le plus proche, s'assied à côté de moi et se met à m'observer, en gigotant comme si elle avait des vers.
_ Putain, c'est trop excitant !!! se met-elle à psalmodier tandis que je me débarrasse de mon manteau, que je pose sur le bras du sofa.
_ Ouais .... Ok, Mylène. Arrête ça tout de suite, tu me stresses ! je me mets à râler. Tu vas me dire ou pas ?
_ Mais oui, attends, je reprends mes esprits, tente-t-elle de se calmer en joignant ses mains sur ses genoux.
_ Faut que tu m'expliques, là.
_ Mmmm, tu veux pas manger d'abord ? finit-elle par me dire en se levant, un sourire diabolique sur les lèvres.
Je me lève d'un bond pour la suivre dans la cuisine, où elle se met soudain à remuer une salade verte, qui visiblement était prête avant mon arrivée. Je pose mes mains sur mes hanches, me penche en avant, et brandis un doigt sous son nez :
_ Non, mais tu te fous de moi là, cocotte ? Tu me sors que tu as LA solution à mon problème existentiel, que tu as de quoi changer toute ma vie et tu me proposes de manger ? Accouche, et tout de suite !
_ Hummm, pouffe-t-elle. C'est pas moi qui vais accoucher, c'est toi ! Et elle éclate de rire. Je suis trop drôle, vraiment !
Devant mon air consterné, elle se reprend assez vite.
_ Ok, j'arrête, promis, finit-elle par se calmer. Je te raconte.
Pendant qu'elle se penche sur le comptoir en marbre gris de sa console de cuisine, je prends place sur un des tabourets hauts, en face d'elle, et d'un geste des mains, je l'invite à parler.
_ Bon, comme tu l'as sans doute compris, j'ai parlé de ton problème à Mathieu, il y a quelques jours. Ne te fâche pas, il ne s'est pas moqué de toi, du tout. Il s'est même mis en tête de t'aider. C'est un chou, te l'ai-je déjà dit ?
_ Je sais, viens-en aux faits, finis-je par la couper.
_ Oui, c'est vrai. Bref, Mathieu m'a demandé quelques jours pour vérifier une idée qui lui est venue, et qui s'est concrétisée hier soir. Il devait d'abord voir quelques détails, prendre quelques renseignements. A la soirée, il m'a présenté un collègue à lui. J'ai rencontré le futur père de ton enfant !!!
Je sursaute aux cris de joie de mon amie. Merde, qu'est-ce qui lui prend ? Qu'est-ce qu'elle raconte ?
_ J'y comprends rien Mylène, faut que tu m'expliques, là. Comment ça, le futur père de mon enfant ?
_ J'y viens, désolée pour l'engouement, mais c'est hyper excitant. Il s'appelle Samuel, il a trente - quatre ans. Avocat, c'est un ami de Mathieu depuis la FAC. Ils ont fait leurs années de droit ensemble. Et il est d'accord pour t'aider.
Quand Mylène s'interrompt enfin, je ne parviens à sortir aucun mot. Clouée sur place, incapable de sortir un son. Devant moi, elle agite les bras, extatique, avec un énorme sourire.
Quand je reprends un peu de contenance, je bredouille quelques mots, en me frottant les mains sur mon jean :
_ Mais euh, comment ça ? Il veut m'aider, comme ça ?
_ Ouais ! s'exclame Mylène. Enfin presque.
Ah voilà, le « presque ». La faille, la condition, qui arrive. C'était trop beau. Je m'en doutais.
Mon amie, devant ma mine déconfite, s'empresse de continuer :
_ Je t'explique. Rien de grave, tu verras. Samuel a perdu sa mamie il y a cinq ans. Une mamie super sympa, et super riche, qui lui a légué sa maison particulière dans un des plus beaux quartiers de Metz. Tu sais, près de la gare.
_ Le quartier impérial ? Classé à l'Unesco ?
_ Ouais, c'est ça. Y'a vraiment que toi pour t'intéresser à ce genre de truc, hein....
_ Non, c'est faux, y'a plein de gens que ça intéresse. Mais quel est le rapport ?
_ Et bien, ça fait cinq ans que l'héritage est gelé. Samuel ne peut pas le récupérer. Sa gentille mamie a mis une clause à l'héritage. Il ne pourra en jouir que s'il devient papa.
_ C'est une blague ? j'explose. Putain, ça ne se voit que dans les séries américaines ça ! C'est n'importe quoi ! Et puis ça doit même pas être légal ce genre de clause, ici ...
_ Ouais, ben, pourtant c'est vrai : sa mamie était américaine. La fille d'un ancien ambassadeur américain en France. Du coup, c'est la loi américaine qui prime. Et Samuel, lui, il commence à péter un plomb, au bout de cinq ans.
_ J'imagine. Mais bon, avec sa super situation, ne me dis pas qu'il n'est pas capable de se dégoter une jolie petite femme qui lui fera quelques gamins... Il est moche, c'est ça ?
_ Même pas ! glousse-t-elle. C'est un beau gars. Je te jure. Mais ...bah, il n'a pas voulu entrer dans les détails, mais, d'après ce que j'ai compris, il refuse l'idée même du mariage ou même d'envisager une quelconque vie de famille. Mathieu a l'air d'en savoir plus qu'il ne me le dit, mais je n'ai pas voulu insister. Bref, Samuel est un peu dans l'impasse, comme toi en fait. Mathieu lui a parlé de toi, et il a accepté de parler avec moi hier soir. T'en penses quoi ?
Mylène me scrute. Waouh, que dire, que penser ?
Je ferme les yeux, balance ma tête en arrière et souffle bruyamment. Bordel, je me sens perdue là. J'ai l'impression qu'elle vient de me balancer un truc juste monstrueux. Et c'est le cas ! Waouh, les informations se mélangent dans ma tête, j'ai l'impression de perdre pied. Je rouvre les yeux, les plante dans ceux de Mylène et essaie de poursuivre.
_ Ok, mais euh, je bredouille, c'est quoi les conditions ?
_ Ah ça, ma grande, c'est à vous deux de gérer le comment. Moi j'ai juste réuni les deux protagonistes du projet. The Baby Project !!! Ça pète non ? J'adore le titre. Donc voilà, je te passe son numéro de portable et tu gères ça avec lui.
_ Hein ? Mais je lui dis quoi moi ?
_ Ben tu te présentes et vous voyez ça calmement.
_ Ah ouais !! Donc, salut moi c'est Claire ! On se fait un bébé ?
_ Ben pas loin en fait. De toute façon, t'as pas besoin de lui expliquer tes raisons, je l'ai fait. Je lui ai bien dit que tu souhaitais t'en occuper seule, de ce gamin, et que tu ne voulais pas que le père s'implique. Ce qui lui convient tout à fait. Sa seule condition, c'est de pouvoir le reconnaitre, histoire de pouvoir fournir un certificat de naissance au notaire pour prouver sa paternité. Et un test génétique j'imagine.
_ Juste ça ? Sûr ?
_ Oui, juste ça. Les gamins, la famille, ça ne l'intéresse pas. Il te laissera tranquille, promis. Il veut juste son héritage. Écoute, franchement, c'est juste parfait. C'est pas un inconnu, Mathieu le connait depuis des années. Ils sont amis. Pas de vice caché. Il est clean. C'est un bel homme, intelligent, cultivé. Tu trouveras pas mieux.
_ Et il a dit oui, alors qu'il ne m'a même pas vue ?
_ Je lui ai montré ta photo. Il voulait être sûr, tu vois ...
_ Quoi ?
_ Ben qu'il soit capable de ... avec toi, quoi.
Gloups, j'avale de travers. Suis-je vraiment en train d'avoir cette conversation avec ma meilleure amie ? Bon sang, il fallait bien qu'un grain de sable vienne enrayer cette belle machine. Évidemment qu'un type beau et intelligent allait avoir quelques exigences physiques ! Merde. Je ne suis pas un laideron certes mais rien à voir avec un canon de beauté. Comme Mylène quoi. Mes épaules s'affaissent et je dois faire une tête de six pieds de long, parce que les yeux de Mylène s'arrondissent d'un coup et qu'elle s'exclame :
_ Ehhhhh, cocotte, t'affole pas ! No stress, il a regardé et il a approuvé.
_ Je lui ai convenu ??
_ Oui oui, t'inquiète, il a dit que tu étais très jolie.
_ Oh....
Là c'est à moi d'ouvrir des yeux ronds. Il doit être vraiment désespéré s'il m'a trouvée acceptable ... En même temps, peut-être qu'il s'est dit qu'il arriverait à faire l'effort et que cinq minutes seraient vite passées ? Un doute m'assaille soudain et traverse mon esprit à la vitesse de la lumière dans mes pensées confuses :
_ Mais euh, quelle photo tu lui as montrée ??
_ Ben j'en ai pas des tonnes, hein, alors j'ai fouillé dans mon téléphone et je lui ai montré celle-là.
Mylène brandit son appareil sous mes yeux et je blêmis.
_ Ah mais Mylène, non, mais non quoi !!!! C'est une photo de nous deux à la randonnée pédestre de l'école !
_ Ouais ! Elle est sympa non ?
_ Mais ... mais non, merde ! Il pleuvait, on venait de se taper 20 bornes à pieds. J'ai les cheveux qui dégoulinent, pas de maquillage et je porte un Kway !
_ Pffffff, balaie Mylène d'un geste de la main. Pas grave !! Puisque je te dis qu'il t'a trouvée jolie !!
_ Et ben moi je crois qu'on vient de lui trouver sa première tare : il est bigleux, ton superman !!!
Mylène pouffe.
_ Et toi, tu veux le voir ? Il m'a autorisée à prendre une photo de lui, pour te montrer. Pour que toi aussi tu puisses voir si tu peux ....Voilà quoi.
Je reste silencieuse. Une photo de lui ? Le veux-je ? Oui, sans doute. Je ne cherche pas un Apollon, le physique n'est pas mon premier critère. Alors est-ce bien utile ? Mon cerveau tourne à plein régime, j'hésite : cela me permettrait peut-être de me projeter sur ce à quoi ressemblerait mon bébé ? C'est tentant, vraiment. Mais non.
_ Non, Mylène, je ne veux pas le voir. Si je le regarde, j'ai peur que ça me freine. S'il ne me plait pas ? Je ne peux pas me permettre de remettre en cause mon projet juste à cause de ça. Alors non. Une fois sur place, je ne pourrai plus reculer, alors que là, ça risque de me faire tout arrêter.
_ Comme tu veux, ma grande. De toute façon, ma main à couper qu'il va te plaire ! Franchement, moi j'aurais dit oui ... Bon, alors c'est parti ??? Tu l'appelles ce week-end ? Youhou !!!!!! Baby Project, c'est parti !!!!
_ Bordel Mylène, arrête avec tes anglicismes. Tu es professeur des écoles, tu es la garante de la transmission de la langue française à la prochaine génération !
_ Oh l'autre hé : tes bouquins de romance à la con ont tous un titre anglais, même quand ils sont écrits par des auteurs français. Alors t'es gentille, garde tes réflexions pour toi hein ...
_ Tu les lis aussi, je te ferais remarquer.
_Ouais, ben moi, j'assume : le titre en anglais, et même le type torse nu sur la couverture ! Alors l'opération bébé, je la nomme comme je veux et ça sera Baby Project !
_ C'est pas une romance, Mylène...
_ Va savoir ... me susurre mon amie avec un sourire en coin.
Bon sang, dans quoi me suis-je lancée ??
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